Le sculpteur et peintre colombien Fernando Botero, qui avait fait de Paris l’un de ses ateliers, est mort à 91 ans, nous léguant un univers artistique marqué par le gigantisme, celui de ses personnages et celui de sa verve.
Les amateurs de corrida qui se promenaient aux abords des arènes de Bogota, dans les années 40, y rencontraient parfois un adolescent aux yeux sombres qui leur proposait des dessins de tauromachie animés d’une force singulière : toute la force dont il avait besoin pour s’obstiner dans une voie artistique où personne dans son entourage ne l’encourageait, pour s’imposer dans ce milieu où sa famille de commerçants n’avait aucune entrée. La même force qui le poussa à s’expatrier en Europe, dans les années 50, à quêter du Prado au Louvre l’inspiration de son art, avec une fascination pour Picasso qu’il mâtina d’art populaire sud-américain, de fresques précolombiennes, de muralisme mexicain.
Dans ce creuset se forma un précipité unique, un style à nul autre pareil, et reconnaissable entre tous, plus charnu que Rubens, plus lisse qu’Ingres, plus coloré que les Fauves, plus naïf que le Douanier Rousseau, où des personnages énormes, comme gonflés de sève vitale, offraient au monde le miroir de leur face lunaire. Amoureux de la courbe, de l’opulence, de la démesure, Botero débordait des cadres, des canons, des carcans, des conventions de la bienséance : dictatures, maisons de passe, pénitenciers, séismes et juntes militaires, son pinceau pouvait tout représenter, toutes les aspérités de la vie, dont l’enflure acidulée se teintait d’ironie étrange, et d’interrogations.
Tout chez Botero était hors norme. Inclassable, figuratif à l’heure de l’abstraction, chantre de la rondeur à l’ère de la minceur, apôtre de la ligne à l’époque de sa déconstruction, il dut batailler pour s’affirmer, vivre d’expédients et de petits métiers, y compris la vente de pneus, et conquit pourtant, à compter des années 70, les cimaises du monde entier.
Sa vie se partagea dès lors entre deux rives de l’océan, New-York, Medellin, Monaco, la Toscane et Paris. Il créa beaucoup en France, pour la France, et avec la France. Lui qui affirmait que « Paris est la seconde partie de tous les artistes » s’y installa dans les années 1970, pour s’adonner principalement à la sculpture, et approfondir l’art de la fonte du bronze. L’une de ces œuvres, la première de ses statues extérieures monumentales, fut installée en 1992 sur les Champs-Élysées, une autre dans les jardins du Palais-Royal. Pour Vogue Paris, il imagina une série de quinze peintures et douze dessins, pour la Manufacture d’Aubusson des cartons de tapisseries, l’une d’entre elles trônant aujourd’hui dans l’aéroport de Bogota.
Passionné d’art ancien, il reprenait sans fin les œuvres de ses maîtres, imaginait des Fornarina, des Ménines et des Mona Lisa dont l’embonpoint botérien faisait converser les temps. D’une générosité sans limite, artistique comme humaine, il avait offert aux musées colombiens des dizaines de tableaux de ses collections privées, dont de nombreux peintres impressionnistes français, de Renoir à Manet. Son œuvre était profondément marquée par le souci du partage. Chez lui, la rondeur était aussi l’expression d’une recherche d’harmonie, de plénitude et de paix, dont témoignent ses immenses colombes sculptées.
Le Président de la République et son épouse saluent l’œuvre d’un artiste qui était à lui seul une hyperbole, et qui honora notre pays en dialoguant avec ses artistes, passés comme contemporains, et en le prenant pour cadre de sa création. Ils adressent à sa famille, au peuple colombien, ainsi qu’à tous ceux dont il colora et élargit la sensibilité au monde, leurs condoléances émues.