Il voulait changer la vie avec Rimbaud et changer les villes en y ajoutant du beau. Figure de l’architecture française, homme de combats et d’inventions, Roland Castro s’est éteint à l’âge de 82 ans.

A l’entendre parler avec sa gouaille, à l’écouter deviser avec flamme sur le destin du boulevard périphérique, on aurait pu croire Roland Castro parisien depuis toujours. En réalité, il vit le jour à Limoges, où ses parents, des juifs espagnols, avaient fui l’invasion allemande en octobre 1940. Trois ans plus tard, quand la famille se trouva menacée de déportation, le village où elle avait trouvé refuge la protégea. Roland Castro en tira une reconnaissance perpétuelle envers ces Justes parmi les nations, qui incarnaient son idée personnelle de la France : généreuse, fidèle aux valeurs de liberté et de courage, héroïque.

L’itinéraire de Roland Castro suivit ensuite celui d’une génération révolutionnaire. Puisque le « fond de l’air était rouge », selon la formule de Chris Marker, l’étudiant aux Beaux-Arts rejoignit l’Union des étudiants communistes en 1962, chemina avec les « maos », et fonda, de manière prémonitoire, « La cause du peuple » le 1er mai 1968, journal de la gauche prolétarienne dont Jean-Paul Sartre deviendra le directeur. Mais Roland Castro, épicurien et passionné d’architecture, était moins un militant qu’un créateur, toujours rétif à la discipline. Après les désillusions de Mai 68, il délaissa les barricades et les piquets de grève pour retranscrire le bouillonnement d’une société en plein changement, dans les pages de « Tout ! », le journal de son groupe, « Vive la Révolution ». Ce « mao-spontex » avait en effet la liberté pour réflexe, et il concentra son attention sur les mouvements d’émancipation et de réflexion intellectuelle.

Cette irrévérence envers ses aînés et cette soif d’engagement concret, Roland Castro en fit les moteurs de son travail d’architecte. A rebours de la modernité d’après-guerre, il s’intéressa moins aux cités faites de grands ensembles qu’à la manière d’habiter la ville ensemble, préférant la sociabilité à la rationalité. Enseignant à l’école d’architecture de la Villette, il dévoua ses forces à la cause des banlieues. Utopiste, Roland Castro savait rallier à sa cause, par son charisme et sa puissance de conviction. Fondateur avec Michel Cantal-Dupart de l’association « Banlieue 1989 », les deux architectes surent convaincre François Mitterrand de créer une mission interministérielle sur le sujet. Roland Castro et son complice purent ainsi mettre en œuvre une architecture qui, fidèle à Mai 68, voulait trouver la plage sous les pavés, mais surtout la vie derrière les masses de béton. Leur œuvre de remodelage des banlieues, pour leur faire retrouver une échelle humaine devint leur marque de fabrique. Avec Sophie Denisoff, Roland Castro réalisa la rénovation de nombreux ensembles, notamment la restructuration en 1996 du quai de Rohan à Lorient. Roland Castro signa encore d’autres projets, qui mêlaient chaque fois habitat et vie sociale, délaissant le spectaculaire pour le convivial : ainsi de leur travail autour du complexe de la rue Bagnolet en 2009. Roland Castro fut également l’auteur de la Bourse du travail à Saint-Denis (1983) ou de la Cité internationale de la bande dessinée à Angoulême (1990), conjuguant ainsi les imaginaires ouvriers et ceux de la contre-culture, tels deux empreintes retrouvées de ses engagements passés.

Bientôt, ce fut le Grand Paris qui devint son grand dessein. Retenu par le Président Nicolas Sarkozy en 2008 pour une mission de réflexion autour du destin de la métropole, Roland Castro s’investit à plein dans une cause qui lui paraissait primordiale, l’avenir de la métropole francilienne. Missionné en 2018 par le Président de la République, il devint, dans le débat public, le visage d’une vision faite de Paris pour toute l’Ile-de-France : pari et audace pour transformer le périphérique, Rungis, le port de Gennevilliers et imposer un « Central Park » à la Courneuve.

Candidat à la présidentielle, militant de la laïcité, Roland Castro habitait chacun de ses rôles comme il aurait voulu que l’on habite un quartier ou une capitale : avec chaleur, sens de la rencontre, inspiration pour transformer. Le Président de la République et son épouse saluent un créateur qui voulait transformer nos villes et refonder la Cité, dans une aventure ouverte, poétique et politique. Ils adressent à ses proches leurs condoléances émues.

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