En Daniel Defert, qui s’est éteint hier à 85 ans, la France perd un philosophe, un sociologue, un militant, et un pionnier incontournable de la lutte contre le sida, qui avait fondé et présidé l’association Aides.  

Né en 1937, dans une petite ville bourguignonne où son père était coiffeur, il ne dut sa carrière intellectuelle qu’à son intelligence et à sa ténacité. Jeune normalien de Saint-Cloud, il passa l’agrégation de philosophie avant de graviter dans les cercles de Raymond Aron et de grimper les échelons universitaires qui le menèrent à devenir maître de conférence à l’université de Paris-VIII, où il enseigna jusqu’au tournant des années 2000.

Mais il eut aussi une autre vie, qui se joua celle-là loin des estrades professorales, et à quatre mains ; une vie qui commença avec la rencontre de Michel Foucault en 1960, premier chapitre d’une longue histoire de passion, de raison et de combats partagés.

Ensemble, ils adhérèrent à la Gauche prolétarienne, un mouvement clandestin maoïste où ils menèrent des grèves de la faim pour la reconnaissance de leurs idées. Ensemble encore, aux côtés d’autres penseurs comme Pierre Vidal-Naquet, ils participèrent à la création du Groupe d’information sur les prisons en 1971, pour ramener les conditions de détention au cœur du débat public, et, plus profondément, la problématique même de l’incarcération.

Mais lorsque, le 25 juin 1984, Michel Foucault mourut, c’est seul que Daniel Defert dut affronter l’incompréhension, le chagrin, la colère. Il finit par apprendre que le mal inexpliqué qui avait si brusquement emporté son compagnon était le sida, mais que le diagnostic avait été occulté par une chape d’ignorance et de non-dits. La maladie était marquée d’un tabou, les malades, d’un ostracisme. Il décida dès lors de soulever l’un et l’autre. De son deuil, il fit un combat, de sa souffrance, un élan, pour honorer la mémoire de Foucault, et pour aider les milliers victimes de cette épidémie silencieuse. Son esprit de sociologue lui permettait de décrypter les architectures sociales de soin, et leurs failles collectives, tandis que son regard d’humaniste lui donnait la capacité de rejoindre les patients dans leur souffrance singulière, et de briser leur isolement.

Inlassablement, il alerta les pouvoirs publics, aiguillonna la recherche, éclaira les citoyens, au sein de la Société internationale sur le sida, de l'OMS, du Comité national du sida comme du Haut Comité de la santé publique, mais avant tout au cœur de sa propre structure dédiée à la lutte contre le VIH, l’AIDES, qu’il créa en 1984, à une époque où notre pays n’en comptait encore aucune, et qui devint le navire-amiral d’un combat qu’il élargit à la France puis à l’Europe.

Lorsqu’il céda le flambeau de l’Aides après sept ans, ce fut pour mieux se consacrer à la mémoire de Michel Foucault en contribuant à l’édition de ses textes : les quatre volumes de Dits et Écrits, en 1994, qui rassemblent des conférences, entretiens et articles, et la publication de ses œuvres dans La Pléiade, en 2015.

Le Président de la République et son épouse saluent l’œuvre de ce militant et éveilleur de consciences qui changea la vie de milliers de personnes frappées par le sida, et, à partir de leur expérience, transforma nos politiques publiques de santé. Ils adressent à ses proches, à tous ceux qui sont redevables de son engagement, à tous ceux qui le rejoignirent et l’admirèrent, leurs condoléances attristées.

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