Le grand couturier et parfumeur franco-espagnol Paco Rabanne, iconoclaste et visionnaire, s’est éteint à 88 ans dans ce Finistère qui avait bercé son enfance. 

Celui qui se définissait comme breton était pourtant né sur une autre côte atlantique, bien plus au sud, dans un port de pêche près de Saint-Sébastien. Avec une mère première main chez Balenciaga et un père qui portait l’uniforme de l’armée républicaine espagnole, le jeune Francisco Rabaneda y Cuervo comprit très tôt l’importance du vêtement. Très tôt aussi, il fut confronté au deuil et à l’exil. Il n’avait pas cinq ans quand son père fut fusillé par les franquistes, ce qui força sa famille à s’enfuir à traverser les Pyrénées à pied pour gagner la Bretagne, à Morlaix, région pour laquelle il développa un attachement profond.

Ses études l’en éloignèrent un temps. Avant d’esquisser des habits et de sculpter des étoffes, le jeune homme apprit d’abord à redessiner des paysages urbains et à modeler l’espace. De ses dix ans d’étude aux Beaux-Arts de Paris, où il croisa le spécialiste du béton armé Auguste Perret, il garda une conception architecturale de la silhouette, ainsi qu’un goût pour les matériaux inusités, rhodoïd, métal martelé, papier, glaise, diapositives ou encore jersey d’aluminium, qui lui assurèrent une entrée tonitruante sur la scène médiatique. 

Ses « Douze robes expérimentales en matériaux contemporains », présentées en 1964 par des mannequins pieds nus, suivies, en 1966, de « Douze robes importables », qu’il fit défiler sur la musique tout aussi audacieuse de Pierre Boulez, furent le manifeste d’une mode qui bousculait les contraintes utilitaires pour élever le vêtement au statut d’objet d’art.

Il fut un couturier qui ne cousait pas, mais qui soudait, martelait, assemblait, qui jouait du grain de peau comme d’une étoffe, et qui réinventait ce que se vêtir veut dire. Avec ses matériaux rigides et ses créations cotte de mailles, Paco Rabanne se dressait contre les raideurs et les pesanteurs d’un milieu qu’il voyait comme un carcan, et dont les réactions furent pour le moins contrastées. Si Coco Chanel le traita de « métallurgiste », d’autres portèrent aux nues son talent visionnaire. C’est lui qui dessina le justaucorps de métal qu’arborait Jane Fonda en Barbarella sous la caméra de Roger Vadim. Anouk Aimé, Brigitte Bardot, Françoise Hardy adoptèrent également ces armures haute couture dont il voulait caparaçonner la femme moderne, pour lui insuffler l’énergie de se battre.

Dans les années 1960, il s’appuya sur le groupe espagnol Puig pour lancer des parfums à succès, qui lui laissèrent toute latitude pour créer sans frein financier, expérimenter toujours davantage, et investir dans des projets qui lui tenaient à cœur. Lui qui avait été l’un des premiers à faire défiler des mannequins noirs ouvrit notamment en 1983 le Centre 57, dans le dixième arrondissement, consacré à la diaspora noire africaine et caribéenne, où se croisèrent durant quelques années des artistes, cinéastes, musiciens, plasticiens ou danseurs de hip-hop. 

Le Président de la République et son épouse saluent un artiste hors-normes qui fit souffler un vent de renouveau dans le monde de la haute couture, et adressent à sa famille et à ses proches leurs condoléances sincères.

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