Il avait été l’agitateur en chef du cinéma français avant d’en devenir l’un des maîtres incontestés. Jean-Luc Godard, le plus iconoclaste des cinéastes de la Nouvelle Vague, avait inventé un art résolument nouveau, intensément libre. 

C’est des salles obscures bien plus que des les salles de classe que ce jeune franco-suisse reçut son éducation. Dans l’effervescence du Paris de l’après-guerre, il croisa tous ceux qui allaient devenir ses compagnons d’équipage de la Nouvelle Vague : Henri Langlois, André Bazin, puis François Truffaut, Claude Chabrol et Jacques Rivette – ces hussards du grand écran déterminés à réinventer le cinéma. Bien vite, il affute son regard en aiguisant sa plume, dans La Gazette du cinéma dirigée par Éric Rohmer, dans la revue Arts, puis dans Les Cahiers du cinéma, où ses articles au vitriol contre les films de ses aînés ont valeur de manifeste. Il veut un cinéma à son image : indiscipliné, rêveur, goguenard. 

Quelques courts-métrages et documentaires plus tard, il livre À bout de souffle, en 1959, son premier long métrage dont la liberté de style et de ton allait faire déferler la Nouvelle Vague sur la France. Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo, qui trouvait là son premier grand rôle au cinéma, y crevaient l’écran de naturel. D’une pierre deux coups, il signait l’acte de naissance d’un nouveau cinéma et d’une nouvelle jeunesse, décorsetée, décravatée, assoiffée de liberté. « L’art, aujourd’hui, c’est Jean-Luc Godard » écrit aussitôt Aragon. 

Entre passion et création, son compagnonnage avec Anna Karina ouvrit un nouveau chapitre de sa filmographie. Ensemble, ils tournèrent sept films, sept merveilles du cinéma, dont Le Petit Soldat, censuré à l’époque, et qui ne put sortir en salles qu’après la fin de la guerre d’Algérie, Une femme est une femme, Bande à part, Alphaville ou encore Pierrot le fou, où le Ferdinand de Jean-Paul Belmondo rencontre la Marianne d’Anna Karina pour une fuite effrénée loin de Paris. La liberté, toujours. 

Jean-Luc Godard a inventé des scènes de légende. Celle qui ouvre Le Mépris, où Brigitte Bardot demande à Michel Piccoli s’il aime chaque partie de son corps que la caméra arpente langoureusement, est restée à jamais dans les mémoires. Cédant aux injonctions de son producteur qui l’enjoignait à dévoiler Bardot, mais retournant l’ordre pour inventer un geste de cinéma d’une impertinence et d’une beauté folles, tout Godard était là. La rébellion et le génie. Le drame d’un couple qui se déchire à Capri devenait, sous son regard, une madeleine pour tous les cinéphiles et une matrice pour tous les cinéastes. 

À la fin des années 60, avec Anne Wiazemsky, sa seconde muse qui allait devenir son épouse, il plonge dans un milieu universitaire en pleine ébullition. Il y puise l’inspiration de La Chinoise, où il met en scène Jean-Pierre Léaud en étudiant maoïste prêt à refaire le monde le petit livre rouge à la main. Jean-Luc Godard choisit alors la voie de l’engagement politique, faisant de son cinéma la chambre d’écho des idées radicales de son temps. 

Au début des années 80, il revient à un cinéma plus classique qui lui vaut de grands succès comme Sauve qui peut, Détective ou Prénom Carmen, avant de renouer avec une veine plus expérimentale qui déclarait la mort du cinéma tout en continuant à la démentir par des œuvres d’une puissance et d’une inventivité jamais taries. 

Il aura eu toutes les audaces formelles : les apostrophes aux spectateurs, les regards-caméras, les décadrages et les faux raccords, dans une esthétique originale du fragment et du collage qui n’appartenait qu’à lui et qui est analysée dans les écoles de cinéma du monde entier. On ne comprenait pas toujours le cinéma de Godard, mais on savait que le cinéma, c’était Godard : avec tous ses mystères et ses sortilèges. 

Dans la bande annonce de l’un de ses derniers films, Film : Socialisme, il avait eu la malice de projeter tout le film entier en accéléré. En nous retournant sur son œuvre aujourd’hui, on voit passer à la même vitesse soixante-dix ans d’histoire française : de la guerre d’Algérie à Mai 68, de la société industrielle a la fin des idéologies. Celui qui, avec son phrasé indolent, ses lunettes noires et son éternel cigare aux lèvres, était devenu une icône nationale, nous a légué le « livre d’image » de notre siècle. 

Le Président de la République et son épouse saluent un génie du septième art, et adressent leurs condoléances à sa famille, à ses proches ainsi qu’aux cinéphiles du monde entier.
 

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers