Le politologue et essayiste Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps Républicain et défenseur inlassable de la laïcité française, nous a quittés hier, emporté trop jeune par la maladie de Charcot. 

Né dans un milieu modeste, ce fils d’un ouvrier et d’une employée de banque grandit en banlieue. Biberonné à la lecture du Canard enchaîné, il s’éveille très tôt aux questions politiques et sociales, et entend parler par hasard, dans un vestiaire de sport, d’une école nommée Sciences-Po. C’est sur ses bancs qu’il affûte ses idées politiques, avant de soutenir à l’EHESS une thèse de doctorat sous la direction de Pierre Rosanvallon intitulée « E pluribus unum ? : la nouvelle question identitaire américaine » qui interroge la possibilité du commun dans une société diverse et plurielle, éclairant les différences entre le multiculturalisme à l’américaine et la laïcité à la française. 

Professeur d’université à Nice puis à Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Laurent Bouvet ne défendait pas seulement ses théories depuis ses chaires universitaires, mais investissait les tribunes médiatiques et les arènes politiques. Grand bretteur dans les colonnes de nos journaux et sur nos fils Twitter, il aimait plus que tout nourrir le débat public, par ses contributions au think tank Terra Nova et à la Fondation Jean-Jaurès, par ses essais et par ses prises de parole, de plateaux en plates-formes. 

Laurent Bouvet avait notamment popularisé le concept d’« insécurité culturelle », une angoisse identitaire dont il estimait que le Parti socialiste n’avait pas su prendre la mesure et qui expliquait selon lui la désaffection des classes populaires pour sa famille politique. 

Lui-même, après 20 ans sous les couleurs de la rose et autant de temps à tenir les rênes de La revue Socialiste, prit ses distances avec un parti qu’il jugeait de plus en plus éloigné du terrain et des grands défis socioéconomiques, et où son engagement contre l’islam politique, le relativisme culturel ou la pensée décoloniale dissonaient. Déçu par des évolutions doctrinales multiculturelles qui menaçaient à ses yeux de laisser prospérer la radicalisation religieuse et les replis communautaristes, il voulut donner voix au chapitre à une gauche plus fermement républicaine. « J’aime ma patrie plus que mon âme », affirmait-il avec Machiavel, le teintant d’une connotation humaniste nouvelle. Et pour que l’âme de la France ne se perde pas, pour que l’Esprit des Lumières continue à éclairer son peuple, il ne se contenta pas de jouer les Cassandre, mais les Mentor, joignant l’action à la pensée et à la parole, en fondant en 2016 le mouvement du Printemps républicain avec le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme Gilles Clavreul. 

L’ours tendre et mal léché que décrivaient ses amis recelait des trésors de finesse et de passion, assaisonnés d’un humour qui laissait la part belle à l’autodérision. La maladie qui le minait depuis deux ans le privait progressivement de la voix et des mouvements, mais ne pouvait l’empêcher de consacrer toutes ses forces à son combat, lui qui publiait l’année dernière encore Le Péril identitaire, une dernière mise en garde contre les désagrégations du corps social et un appel à retrouver le sens de ce qui nous unit en guise de testament politique. 

Le paysage intellectuel français est aujourd’hui orphelin d’un de ses aiguillons les plus vifs. Attristés, le Président de la République et son épouse saluent un chantre ardent de nos principes de laïcité, de fraternité et de quête de la connaissance. Ils adressent à sa femme, Astrid Panosyan-Bouvet, à ses deux filles et à ses proches leurs condoléances émues et leur amitié. 

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