Le Président de la République Emmanuel Macron a inauguré le lundi 22 novembre 2021 l'exposition « Juifs d'Orient » à l'Institut du Monde Arabe.

Il a salué un voyage à travers le temps et l’espace.

22 novembre 2021 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Discours du Président de la République à l’occasion de l’inauguration de l’exposition « Juifs d’Orient » à l'Institut du monde arabe.

Merci beaucoup, monsieur le Président, cher Jack LANG,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Madame la Présidente de l'Académie des Sciences,

Mesdames et messieurs les ambassadeurs,

Monsieur le Grand Rabbin de France,

Monsieur le Président du CFCM,

Monsieur le recteur de la Grande Mosquée de Paris,

Monsieur le Président du Consistoire de France,

Monsieur le Président du CRIF,

Monsieur le Président de la Fédération des Protestants de France,

Mesdames les représentantes du Métropolite,

Monsieur le Président de l'Œuvre d'Orient,

Monsieur le Secrétaire général et porte-parole de la Conférence des Évêques,

Mesdames et messieurs, chers amis,

Vous avez tout dit à l'instant, mais l'exposition que nous inaugurons aujourd'hui s'inscrit en effet dans un cheminement. Il y a quatre ans, nous étions réunis ici par l'inauguration de la remarquable exposition « Chrétiens d'Orient », qui a été saluée par la critique et par le public avec plus de 155 000 visiteurs. Et après l'exposition « Hajj, le pèlerinage de La Mecque » en 2014, c'était alors le deuxième volet d'une trilogie consacrée par l'IMA aux religions monothéistes dans le monde arabe. Comme tous les projets que vous développez ici, cher Jack, ces expositions étaient le fruit d'un travail historique, scientifique rigoureux, d'une vision généreuse et fédératrice et votre capacité à réunir toutes les forces vives qui œuvrent pour le dialogue entre les cultures est encore une fois aujourd'hui vérifiée. Oserais-je dire que le moment est plus opportun encore ? Le troisième volet, « Juifs d'Orient », que vous avez ensemble façonné dans un temps record — moins de deux années — dans un contexte qu’il n'est besoin de rappeler à personne, était pourtant, et vous le saviez, si attendu. Ni la pandémie, ni les soubresauts politiques, dans le monde arabe comme ailleurs, ni la poursuite des tensions entre Israël et les territoires palestiniens, ni les tentations de repli identitaire ici ou là n'ont eu raison de votre détermination. Bravo d'avoir tenu, d'avoir résisté, d'avoir réussi à mobiliser toutes les énergies de Paris à Jérusalem, de New York à Rabat, de Londres à Bruxelles pour construire cette exposition totalement inédite.

Je veux d'abord féliciter, comme vous l'avez fait, Benjamin STORA. C'est un homme à qui j'ai causé beaucoup d'ennuis, mais il se peut qu'il m’en ait causé en retour aussi donc c'est une entreprise mutuelle ! Je plaisante, évidemment ! Il a fait un travail remarquable et sur lequel nous continuons de cheminer. Mais ici, Benjamin STORA, dont l'expertise, l'engagement, la force de travail ne sont plus à démontrer, avec toutes vos équipes, a mené ce cheminement, ce travail mais, oserais-je dire, que tout ceci procède aussi d'une histoire plus intime, d'une histoire, cher Benjamin, de clés retrouvées. En effet, dans ce texte magnifique qui est sans doute l'un des plus personnels et qui est en effet plus personnel que beaucoup des œuvres de l'historien qu'ici tout le monde connaît, vous rappelez ces clés de l'appartement familial à Constantine, quitté en 1962, qui, retrouvées, ont permis d'ouvrir les portes, pas simplement d’une mémoire familiale, mais de tout un continent, de toute une civilisation ici un peu offerte. Ces mêmes clés vous ont permis de plonger encore plus loin dans cette histoire plurimillénaire des communautés juives dans le monde arabe pour livrer cette exposition à la fois pédagogique, émouvante, sensorielle, cette cavalcade que nous avons fait à quelques-uns à l’instant et que vous allez pouvoir aussi maintenant partager, mais qui est le fruit, comme pour beaucoup d'entre vous ici, je le sais, comme pour des millions de femmes et d'hommes en France et à travers nos régions, qui est aussi le fruit d'histoires familiales, intimes.

Je veux également saluer le travail de l'équipe de l'IMA à vos côtés, notamment d'Elodie BOUFFARD, Hanna BOGHANIM, Nala ALOUDAT et de toutes celles et ceux qui étaient à mes côtés à l'instant, de votre scénographe, de tous les experts français et internationaux du comité scientifique que vous avez réunis. Merci infiniment pour tout ce travail, l'énergie, l'enthousiasme, et il en faut pour travailler aux côtés de Benjamin STORA et de Jack LANG, je le sais ô combien, et je le dis avec beaucoup d'affection et d'amitié, et pour l'un et pour l'autre.

Je veux aussi remercier très chaleureusement toutes les institutions publiques et privées qui vous ont permis de réunir ces manuscrits, ces peintures, ces textiles, ces objets liturgiques, ces photographies, ces musiques, qui sont des prêts absolument exceptionnels, réunis pour la première fois et qui feront date et je veux vraiment remercier tous les établissements cités, français, européens, américains également, égyptiens, turcs, iraniens et les collectionneurs privés, y compris celles et ceux qui ont voulu rester anonymes.

Je veux également remercier les mécènes ici présents qui ont permis à cette exposition de se tenir et qui, une fois encore, ont fait preuve de générosité pour que nous puissions profiter de cette espèce de musée imaginaire ainsi rendu possible à travers les espaces et le temps. Parce que oui, et on le redécouvre ici, le peuple juif est une mémoire de l'humanité. Et remonter le fil de cette histoire orientale, c'est dénouer les entrelacs de visages, de voix, de migrations, de communautés qui ont sillonné tout le bassin méditerranéen, façonné le monde en laissant à chaque fois une empreinte durable. Cette exposition nous dévoile complètement cette culture puissante, créative, foisonnante, une civilisation urbaine qui gravite autour des villes-Babel que sont Constantinople, Salonique, Fès ou Jérusalem, une civilisation profondément spirituelle, imprégnée de l'étude de la Torah, parcourue d'élans mystiques et ésotériques, qui exalte sa foi, la beauté de ses textes, de ses objets liturgiques, de ses chants qui peuplent aussi l'exposition et auxquels se sont adonnés quelques-uns d'entre nous, une culture aussi passionnément éprise de l'Homme que de Dieu, férue de science, de savoir, capable de ciseler les astrolabes les plus fins, les traités médicaux les plus complexes. Vous verrez les textes émouvants de Maïmonide et de quelques autres.

Mais derrière ces multiples visages des Juifs d'Orient se révèle l'unité profonde d'une communauté qui tire sa force de sa cohésion sociale et de ses traditions partagées. Ce que montre très bien cette exposition, c'est que cette communauté a toujours su dialoguer avec les autres cultures qu'elle côtoyait : romaine, byzantine, arabe, ibérique, ottomane, qu'elle a toujours conjugué ses textes avec les autres langues pour résister, survivre ou être transmise. Les magnifiques mosaïques de la synagogue romaine de Naro, les faïences de Tolède, les broderies arabisantes de ses costumes sont autant d'illustrations de la cohérence, de la force, de l'esprit de résistance de cette communauté à travers parfois les agressions, les oppressions, les voyages forcés. Mais cette volonté à chaque fois d'épouser, de conjuguer, de tresser, d'hybrider, pour survivre et partager.

A l'heure où le monde arabe, comme nos propres sociétés européennes sont secoués par des tensions identitaires, cette exposition nous parle au fond de coexistence, d'influences éclairées, d'enrichissement mutuel, d'échanges entre monothéismes. Sans angélisme aucun, l'histoire des Juifs d'Orient est aussi faite de persécutions, de souffrances, de conflits, d'exode. Mais entre les années les plus sombres, il y eut des périodes de floraison somptueuses, des ponts jetés entre les langues, entre les savoirs, entre les cultures. Il y a une formidable leçon de civilisation tout au long de cette exposition et de ce chemin. Le fait qu'au fond, l'identité est toujours plus complexe qu'on ne le croit, qu'elle se frotte à d'autres identités pour s’en nourrir, et que la part maudite n'est jamais la part de l'autre, et qu'à chaque fois que la bêtise humaine, que les obscurantismes ont dû conduire tant et tant de familles ou de communautés à quitter certaines rives pour se réfugier ailleurs, la solution a toujours été dans le savoir, le réapprentissage de l'autre, la défense d'une civilisation, d'une religion, de textes et l'énergie remise à réapprendre et reconjuguer.

Je le dis pour la Nation que nous sommes au moment où nous nous parlons : quelles que soient les difficultés qui sont les nôtres, penser qu'elles viennent de l'autre ou de cette part de l'autre, est une facilité aussi vieille que l'humanité. Penser qu'il faudrait chasser une part de l'autre qui est au fond déjà une part de nous-mêmes, c'est grandir notre malheur et rarement le chasser bien loin. C'est cette leçon profonde de civilisation qu'offre cette exposition.

Pour vivre ensemble, cette exposition en est la preuve, il faut commencer par nous connaître et nous comprendre. Comprendre ce qui fait l'histoire de chacun, le sens de telle ou telle tradition, la pluralité de culture ancestrale. Cela passe bien sûr par l'éducation à l'altérité. Cette exposition en est un formidable levier et je ne peux que me réjouir de la multitude d'actions éducatives que vous organisez. C'est pour ça que je suis fidèle à l’IMA, parce que c'est un combat que vous menez. La mallette conçue par l’IMA et le Musée d'art et d'histoire du judaïsme à destination des enseignants est ainsi un outil innovant pour aider à comprendre les liens culturels entre juifs et musulmans. Les ateliers que vous allez organiser autour des symboles que partagent les religions monothéistes sont tout aussi importants et il faut continuer d'expliquer, d'apprendre à nos enfants, par exemple, que le symbole du sceau de Salomon, connu sous le nom d'étoile de David, a été présent aussi dans la civilisation islamique. Leur apprendre et leur réapprendre tant et tant de symboles croisés, de signes partagés, d'histoires croisées.

Mieux nous comprendre, mieux nous connaître, passe aussi par la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel, notamment des minorités religieuses, autant de traces à préserver de siècles d'histoire nourris d'influences mutuelles.

Chez nous et partout ailleurs, comme nous l'avons fait ensemble il y a quelques semaines en Irak, comme nous devons continuer de le faire au Liban, comme à travers ce que nous conduisons par notre diplomatie, par l'accompagnement de plusieurs œuvres ici présentes, par ce que nous avons lancé pour les écoles et l’éducation, nous allons continuer de faire ensemble et ensemble, ce qui est aussi conduit par ALIPH, cette bataille pour un pluralisme, pour une coexistence pacifique, pour permettre que ce patrimoine matériel et immatériel poursuive ce chemin.

Cela passe aussi par la préservation et la transmission des archives. C'est pourquoi je suis très attentif au rôle joué par les bibliothèques patrimoniales juives qui s'attachent à préserver des collections d'une incroyable richesse, comme nous le faisons d'ailleurs pour toutes les religions.

Cela passe bien sûr par la culture, et vous l'avez rappelé, ce n'est pas un hasard si « Juifs d'Orient » ouvre à l’IMA en même temps que le Louvre et la RMN Grand Palais déploient 18 expositions en France sur les arts de l'islam. Face à tous les obscurantismes qui se réclament de l'islam, ce projet vient rappeler l'héritage que la civilisation islamique a légué que ce soit dans la philosophie, la médecine, les sciences ou l'art, autant de reflets de circulation d'idées auxquelles d’ailleurs cette exposition même aussi rend hommage, parce que c'est la meilleure compréhension mutuelle qui permet justement cette coexistence, ce partage.

Cette meilleure compréhension passe également par la recherche, le développement permanent des connaissances et des savoirs. Je pense par exemple au rôle du Centre d'Etudes juives, de l’EHESS, fondé sous l'impulsion de François Furet au début des années 90, qui a contribué à former de nombreux chercheurs tout en accueillant les meilleurs spécialistes internationaux. Dans le domaine des études islamiques, je m'y étais engagé aux Mureaux, nous continuerons à réinvestir ce débat académique, ne pas laisser les idéologies les plus fanatiques l’accaparer et donc réinvestir pour continuer à financer des recherches, des chercheurs et avancer sur ce chemin.

C’est aussi pourquoi après un an de consultations, de réflexions, de travail, je suis heureux de vous annoncer que la préfiguration du futur Institut français d’islamologie a démarré depuis octobre sous le pilotage de la philosophe Souâd AYADA, présidente du Conseil supérieur des programmes et grande spécialiste de la spiritualité et de la philosophie islamiques. Merci, chère Souâd, de votre engagement dans ce projet ambitieux. Comme vous, je crois en un islam des Lumières et je souhaite le développement d’études de haut niveau sur l’islam à l’université. Nous devons réinvestir l’islamologie pour ne pas laisser la connaissance, la compréhension de l’islam, comme religion mais aussi comme civilisation, ni sa contribution à notre pays, à notre continent, à d’autres, à des débats idéologiques, à des réductionnismes si je puis dire, au fond déjà à l'obscurantisme. Nous ne devons rien laisser à ceux qui instrumentalisent l'islam pour prôner un islamisme radical antisémite. Mais ce fracas des réductions et des caricatures à toutes celles et ceux qui voudraient retrouver un conflit sur notre sol ou ailleurs, entre les religions, entre les civilisations, entre les peuples, au sein de nous-même.

Au fond, enseignants, artistes, commissaires d'exposition, chercheurs, universitaires, mécènes, ambassadeurs, responsables de culte, étudiants : tous vos efforts collectifs sont plus que jamais nécessaires pour porter des valeurs de fraternité, de tolérance, qui sont le ciment même de l'humanisme des Lumières. C'est pour ça que je voulais être présent parmi vous. Parce que cette exposition, aujourd'hui, a quelque chose à voir de l'esprit des Lumières. La faire à Paris aujourd'hui et porter, assumer cette histoire et cette capacité à la partager, je crois que c'est profondément la vocation de la France. Réinvestir sur chacun des sujets que j'ai évoqués, pied à pied, même si ça nous semble impossible, irénique et si nous partons de très loin, je crois profondément que c'est la vocation de la France. Rappeler à chacun des pays qui a contribué à cette histoire, et en particulier à cette histoire des Juifs dans le monde arabe, rappeler à chacun de ces pays quelle est son histoire propre, c'est sans doute lui faire prendre conscience des erreurs dans lesquelles il s'engage, des reculs auxquels il soumet sa propre politique aujourd'hui. Il suffit, comme vous allez le faire dans quelques instants, de faire quelques pas pour voir la puissance qu’ont eu plusieurs grands pays qui aujourd'hui ont des discours si fracassants sur les juifs dans la région ou dans le reste du monde pour leur rappeler leur vocation aussi à eux.

Au fond, ce que vous nous rappelez, c'est d'où nous venons. Pas pour y rester mais pour nous redire que nos civilisations, nos cultures sont un accès au spirituel, à des géographies, à des savoirs, mais toujours un chemin d'émancipation et de dialogue. Un chemin qui nous permet au fond de vivre ensemble parce que nous conjuguons tout cela.

Alors je terminerai en vous citant, cher Benjamin, dans « Les clés retrouvées ». Vous écrivez que les juifs d'Algérie exilés en France entre 1956 et 1964 sont arrivés avec, je vous cite, « une sensibilité particulière qui bouscule le modèle jacobin ». « Ils se sentent profondément Français et profondément juifs », tout en ayant « l'expérience, dans leur imaginaire, dans leur comportement, de l'islam. » Vous racontez comment vous-même, à la mort de votre père en 1985, vous avez réalisé l'importance de votre « héritage métissé » entre « l'arabe et l'Orient » de votre mère, la lecture de l'hébreu et le français de votre père qui vous avait fait accéder - dites-vous - à la « rationalité républicaine », au fond, comment dans une simple famille le jacobinisme était réconcilié avec toutes ces cultures qui avaient façonné votre foi divisée, les rives de notre Méditerranée. C'est cette richesse même que vous transmettez aujourd'hui au travers de cette exposition qui parcourt 15 siècles d'histoire. C'est cette mémoire plurielle, foisonnante, qui fait aussi, je le dis ici avec beaucoup de conviction, la force de notre République. Parce que ces identités n'existent que dans les capacités à trouver leurs propres harmoniques et à sonner ensemble. Ceux qui veulent en retrancher ou en oublier enlèvent quelque chose à la France et à la République. Ceux qui veulent les rendre dissonantes trahissent le chemin de la France et de la République. Parce qu'elles sont là depuis longtemps et se conjuguent depuis bien avant nous. Ces harmoniques existent, nous les avons déjà entendues. Elles se rappellent dans de vieux chants, elles peuvent être retrouvées comme vous avez su magnifiquement le faire tout à l'heure. C'est ça la véritable hospitalité. C'est de pouvoir accueillir sur son sol des femmes et des hommes qui avaient déjà à y être, parce qu'on découvre à ce moment qu'ils y étaient depuis très longtemps et qu'ils y ont des chants déjà chantés dont on retrouve alors la mémoire. C'est ce que cette exposition montre. C'est ce chemin qu'une Nation doit toujours savoir retrouver pour vivre en paix. Vivre en paix, vivre en harmonie, ce qui est, je crois, très profondément le chemin que la France doit poursuivre pour elle-même et qu'elle doit, opiniâtre, laborieuse, chercher à bâtir partout où elle est et où elle a des amis dans le reste du monde.

Merci pour ce goût tout à la fois de l'hospitalité et de l'universel ici représenté.

Merci à vous.

Vive la République et vive la France !

 

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers