Elle avait brûlé les planches pendant plus de soixante ans. Marthe Mercadier, l’une des étoiles du théâtre de boulevard, s’est éteinte mercredi, à l’âge de 92 ans.  
Petite-fille d'un président de la Société des Auteurs dramatiques, elle grandit dans les coulisses des cabarets parisiens, danse avec Joséphine Baker, virevolte dans les jupons de Mistinguett, et ne dépasse pas encore leurs genoux qu’elle sait déjà que toute sa vie se jouera là.

Mais ces années de lumières et de paillettes sont assombries de drames : d’abord bègue, elle est frappée d’un mutisme inexplicable qui la musèle durant un an. Puis c’est une mauvaise chute qui la paralyse durant dix-huit mois, et bientôt c’est la guerre qui écourte son enfance. Elle a à peine 14 ans lorsqu’elle aide son père à lutter contre l’occupant et le nazisme en cachant dans ses socquettes et ses cartables d’écolière des courriers pour les soldats de l’armée des ombres. Elle qui, dans l’inconscience de sa jeunesse, a l’impression de jouer aux gendarmes et aux voleurs, endosse en réalité un des mille petits rôles de la Résistance.

Mûrie par ces expériences, elle hésite un temps à entrer au couvent ou à se tourner vers la tragédie classique. Mais le 8 mai 1945, le jour de la Victoire, est pour elle un double tournant : alors qu’elle monte sur scène pour la première fois, à l’occasion d’un gala, elle salue trop tôt, et la salle explose de rire. Une vocation est née. Marthe ne prendra ni le voile, ni la toge. Le boulevard s’ouvre devant elle. Un théâtre où l’on rit de bon cœur de tous nos travers, miroir tendre ou mordant tendu à l’histoire de nos vies. 

Sur les tréteaux du cours Escande et du cours Simon, elle travaille sa voix, ses mouvements, son style, en donnant la réplique à Michel Bouquet, Robert Hirsch ou Michel Piccoli. D’abord souffleuse au théâtre Saint-Georges à Paris, elle connaît ses premiers succès avec La Galette des rois de Roger Ferdinand et La Puce à l’oreille de Georges Feydeau, puis son premier triomphe avec Chérie noire de François Campaux, qui ne quitte pas l’affiche de 1958 à 1961. Le public l’adore, la critique l’adoube, et Paris la sacre. Elle devient la reine du théâtre de boulevard. Une reine qui joue avec des rois : Michel Roux, Louis de Funès, Michel Galabru. 

Si le théâtre était son palais, Marthe Mercadier séjournait aussi avec bonheur sur nos écrans, grands et petits. Au cinéma, elle apparut dans des films de Gilles Grangier, Jean Delannoy ou Robert Hossein, dans des rôles souvent modestes qui ne révélaient pas toujours la mesure de son talent. La télévision fit meilleur usage de ses dons. Les Français la suivirent de 1965 à 1970 dans la série phare Les Saintes chéries, où elle incarnait la brune amie de la blonde Micheline Presle, et l’admiraient dans « Au théâtre ce soir », qui frappait les douze coups dans leur salon, et où la comédienne brillait dans des pièces de Marcel Aymé ou d’Eugène Labiche. 

Quand elle n’était pas sous les feux de la rampe, Marthe Mercadier dirigeait des théâtres, produisait des films et des pièces, transmettait à François Mitterrand ses propositions pour donner aux femmes une plus juste place dans le secteur audiovisuel, prodiguait son temps et son argent dans des associations caritatives, luttait contre le bégaiement et la mucoviscidose, envoyait du matériel hospitalier à travers le monde entier. Une vie de culture et d’engagements, menée tambour battant. 

Le Président de la République et son épouse saluent une grande dame du théâtre du XXe siècle et adressent à sa fille, ses amis, à tous ceux qui l’ont admirée sur nos planches et nos écrans, leurs condoléances émues. 
 

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