Il se définissait comme un « griot des temps modernes ». Jean-Claude Carrière, dont l’art de conteur s’est déployé aussi bien dans les livres que sur les planches et les écrans, nous a quittés hier à l’âge de 89 ans.
Né en 1931 dans une famille paysanne de l’Hérault, il grandit dans un milieu sans livres ni images. Mais l’école de la IIIe République lui ouvrit toutes les portes en lui donnant la clé des savoirs : le goût de la lecture. Aussi sa vie entière semble avoir été comme le rattrapage frénétique de cette pénurie première de visions et de récits.
Jean-Claude Carrière était bien un homme de lettres, au pluriel. À la fois romancier et essayiste, scénariste et adaptateur, dramaturge, traducteur et parolier, il fut un auteur prolifique et polygraphe, que toutes les formes d’écriture passionnaient, celles dont le XXe siècle a hérité – roman, poésie, théâtre – et celles qu’il a inventées – le cinéma, la radio, la télévision – dont chacune exige un langage différent. Son œuvre étonne par son foisonnement et son érudition : rares sont les sujets, les formats ou les genres qui échappèrent à son immense curiosité.
Écrivain, Jean-Claude Carrière signa une série de romans d’épouvante, publia un florilège de lettres d’amour et une anthologie de l’humour 1900, rédigea des recueils érudits et des dictionnaires amoureux. Il écrivit sur l’Inde, le Mexique et l’Espagne, sur l’astrologie, Einstein et la physique quantique, mais aussi sur mai 68, Jean-Jacques Rousseau et le bouddhisme. Ce joyeux désordre bibliographique – désordre revendiqué en titre de l’un de ses récits autobiographiques – avait pour fil rouge une soif intellectuelle intarissable, et un sens du récit unique qui parait de mille feux ses réflexions les plus doctes.
Scénariste, Jean-Claude Carrière était aussi l’une des plus fertiles imaginations du septième art. Travaillant d’abord avec Jacques Tati puis Pierre Etaix, il devint ensuite l’indispensable complice de Luis Buñuel : ensemble, pendant près de 20 ans, ils écrivirent les scénarios du Journal d’une femme de chambre, Belle de jour, Le Charme discret de la bourgeoisie ou encore Cet obscur objet du désir. Jean-Claude Carrière prêta sa plume et sa verve aux plus grands : Louis Malle, Milos Forman, Jean-Luc Godard, Andrzej Wadja ou Philippe Garrel. On lui doit les scénarios ou les adaptations de La Piscine et Borsalino (Jacques Deray), Le Tambour (Volker Schlöndorff), Sauve qui peut (la vie) (Jean-Luc Godard), Le Retour de Martin Guerre
(Daniel Vigne), Cyrano de Bergerac (Jean-Paul Rappeneau), pour lequel il pasticha une bonne centaine d’alexandrins à la manière d’Edmond Rostand, ou encore Le Ruban blanc (Michael Haneke), couronné d’une Palme d’or en 2009. Pour la télévision, il adapta des grands classiques comme Bouvard et Pécuchet ou Le Père Goriot. Cette prodigieuse créativité fit de lui un acteur incontournable de la cinéphilie et de l’exception cinématographique tricolore, qui fut longtemps président de la FÉMIS et administrateur de la Cinémathèque française.
Jean-Claude Carrière fut aussi un parolier qui cisela des chansons de Juliette Greco, Brigitte Bardot ou Jeanne Moreau. Il était encore un dramaturge et un passionné de théâtre, qui travailla avec André Barsacq, Jean-Louis Barrault, Bernard Murat et par-dessus tout avec son ami Peter Brook, adaptant pour lui Shakespeare et Mérimée ou encore Le Mahabhârata, l’immense épopée indienne dont l’adaptation lui demanda quelques onze années de travail. À travers ce kaléidoscope créatif vertigineux, c’était toujours la vitalité du cœur humain qui le passionnait, sous tous ses costumes et toutes ses latitudes, partout où elle lui offrait une quête à retracer, des péripéties à raconter, des émotions à transmettre.
Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’un grand homme de lettres, de savoirs et de récits qui a irrigué notre imaginaire durant plus de soixante ans. Ils adressent leurs condoléances à sa famille et ses proches, comme à tous les artistes avec lesquels il a travaillé et tous les publics qu’il a émus.