Claude Brasseur, le digne héritier d’une famille qui foule les tréteaux français depuis un siècle et demi, le comédien aux cent films et aux deux César, s’est éteint après avoir illuminé six décennies durant nos salles obscures et nos scènes de théâtre. 

Son grand-père jouait dans la troupe de Sarah Bernhardt. Sa mère, Odette Joyeux, était l’actrice fétiche de Claude Autant-Lara. Son père, Pierre Brasseur, l’inoubliable Frédérick Lemaître des Enfants du Paradis, sut par sa verve, dans ce chef-d’œuvre comme dans sa vie, conquérir le haut de l’affiche et le cœur des Français. En se faisant un prénom et en donnant aux Brasseur sa quatrième génération de comédiens avec son fils Alexandre, Claude Brasseur a doublement perpétué le nom, et les dons, de cette dynastie de la scène et des écrans. 

Enfant, il fut éveillé aux lumières des « collègues » de ses parents. Le petit Claude sautait sur les genoux de Simone Signoret, avait Louis Jouvet pour commensal régulier et Ernest Hemingway pour parrain. Pourtant, entre des parents divorcés qui le délaissaient pour vivre leur dévorante passion, de pensions sévères en vocation refoulée, il vécut une jeunesse douloureuse. Avec un monstre sacré pour père, il n’osa pas immédiatement avouer que, lui aussi, éprouvait cet irrépressible appel des feux de la rampe. Devenu reporter, une comédienne qu’il interviewait l’aida à confesser sa vocation sous la forme d’une fatalité heureuse : avec un nom pareil, il devait devenir acteur. Dans la foulée, il entra au Conservatoire, rencontrait son grand ami Jean-Paul Belmondo et la génération dorée des comédiens français dont il allait faire partie. 

Il n’avait pas encore vingt ans, au milieu des années 1950, lorsqu’il se lança à l’assaut des planches et des écrans. Il travailla rapidement avec les grands maîtres du cinéma de son époque, Franju, Carné et Renoir, mais aussi avec les trublions de la nouvelle vague, Jean-Luc Godard et François Truffaut, comme chez le gouailleur Georges Lautner ou le sensible Claude Sautet. Mais ses plus grands rôles lui furent d’abord offerts par le petit écran : Rouletabille dans Le Mystère de la chambre jaune, Sganarelle, le valet d’un Don Juan qui a les traits de Michel Piccoli, et surtout Vidocq, l’ex-bagnard devenu commissaire, dans la série télévisée qui tint en haleine la France entière à l’orée des années 1970.

La consécration vint avec de grands films populaires qui devinrent cultes presque instantanément. Ce fut le diptyque Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis d’Yves Robert dans lesquels il incarne l’un des joyeux lurons de la bande de quadragénaires fantaisistes qu’il compose avec Jean Rochefort, Guy Bedos et Victor Lanoux. On se souvient aussi de lui comme le père de Vic Beretton (Sophie Marceau) dans La Boum : alors que sa fille connaît les premiers embrasements du cœur, son couple avec Françoise (Brigitte Fossey) traverse, lui, ses premiers orages. Les plus jeunes, enfin, le connaissent pour ses rôles de vieil homme irascible, comme dans les trois volets de Camping où il campe, tongs aux pieds et pastis à la main, un retraité qui a ses habitudes et qui ne compte pas en changer. 

Au-delà de ces films qui ont défini leur époque, Claude Brasseur a su endosser tous les costumes, se fondre dans tous les décors. Il a joué les gendarmes comme les voleurs, les détectives aussi bien que les juges, les artistes et les amants, les grands hommes et les gens simples. A tous, il a su donner la même justesse, la même profondeur, la même humanité, en leur prêtant à la fois la puissance de sa voix et la tendresse de son regard. 

Son succès sur les écrans ne l’éloigna jamais trop longtemps des planches. Inlassablement, de 1955 à 2017, il y joua les pièces des grands auteurs classiques, de Molière à Marivaux, comme les créations de ses contemporains, de Jean-Claude Brisville à Ronald Harwood, et donna à Pierre Brochant son premier visage à la création du Dîner de cons. 

Parce qu’il a incarné une myriade de personnages qui nous ressemblent et qui habitent nos vies, Claude Brasseur n’était pas seulement admiré des Français : il en était aimé. 
Le Président de la République et son épouse sont attristés par le départ de cet immense acteur qui savait, tour à tour, nous faire rire et nous émouvoir aux larmes. Ils adressent à son fils Alexandre qui poursuit aujourd’hui l’épopée familiale, à ses amis et à ses pairs, comme à tous les Français qui l’aimaient, leurs plus sincères condoléances.

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