Elle aimait « les gens qui doutent » et avait bercé des générations d'enfants avec ses « fabulettes ». Anne Sylvestre nous a quittés après 60 années à chanter la vie des adultes et à enchanter la vie des enfants, à partager avec tous sa passion de la musique et des mots.

Elle avait fait ses premiers tours de chant dans les cabarets du Paris de la fin des années 1950 où elle côtoyait Ferrat, Moustaki et Béart, avant de sortir ses premiers disques, si bien écrits qu’elle fut couronnée dès 1960 du prix de l’Académie de la chanson française. Georges Brassens, à qui elle était parfois comparée, ne tarissait pas d’éloges à l’égard de cette étoile montante qui brillait en première partie des concerts de Gilbert Bécaud à Bobino.

En ces années où la plupart des femmes récitaient encore des textes écrits par des hommes, Anne Sylvestre fit s’engouffrer dans la chanson française un regard résolument féminin. Autrice, compositrice et interprète de ses chansons, elle finit même par créer son label pour devenir sa propre productrice. Elle menait sa carrière avec l’audace et l’indépendance de celles qui ne se laissent pas dicter leur conduite, revendiquant le titre de chanteuse féministe à une époque où il était plus difficile à porter qu’aujourd’hui, et hissant sur la scène française le combat de ses contemporaines. « Non tu n’as pas de nom » défendait un an avant la loi Veil, la légalisation de l’avortement, « La Vache engagée » se moquait avec un humour acerbe de cette année qui fut dédiée aux femmes, « Une sorcière comme les autres » inventait une ode au courage féminin, tandis que « Juste une femme » dénonçait le harcèlement sexuel quelques années avant le mouvement MeToo. Anne Sylvestre avait cette manière primesautière de parler des choses graves, un avant-gardisme léger qui n’appartenaient qu’à elle, et dont elle faisait encore la démonstration en faveur des droits des homosexuels avec sa chanson « Gay, marions-nous ».

La naissance de sa première fille lui donna l’inspiration de ses « fabulettes », contes et comptines pour enfants pleines d’humour et de fantaisie qui étaient enseignées dans les écoles de France, dont certaines aujourd’hui portent son nom. « Des chansons pour se réveiller », « pour attraper des papillons », pour grandir parfois, pour rester en enfance surtout, dont le parfum buissonnier a ouvert les vannes de l’imagination dans les têtes de millions d’écoliers.

Avec ce double répertoire, ses concerts rassemblaient les têtes blondes et les tempes grises, les jeunes de 7 à 77 ans, et bien au-delà encore, tous ceux que touchaient son regard amusé, ses mots choisis et sa diction de conteuse. Car sa muse était littéraire autant que musicale, faisant d’elle la plus poète de nos chanteuses et la plus musicienne de nos écrivains. L’ancienne étudiante en lettres, qui avait jadis abandonné la Sorbonne pour la chanson, a cultivé toute sa vie un amour de la langue que prouve chacune de ces chansons, et dont ce livre publié en 2018, Coquelicot et autres mots que j’aime, est l’éloge et illustration.

Elle qui disait « écrire pour ne pas mourir » rejoint aujourd’hui le cercle des poétesses qu’on prétend disparues, mais qui ressuscitent chaque fois que l’on fredonne leurs mots. 

Le Président de la République et son épouse saluent une grande dame de la chanson française dont les historiettes pour enfants et les hymnes engagés auront marqué toutes les générations de Français. A sa famille, ses amis et ses admirateurs, ils adressent leurs sincères condoléances.

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers