Zizi Jeanmaire a tiré sa dernière révérence, laissant derrière elle un sillage de paillettes et un parfum d’audace. Ballerine, chanteuse, meneuse de revue, actrice et comédienne, elle illuminait toutes les scènes, éblouissait tous les publics, par-delà les genres et les frontières.  

Zizi Jeanmaire était une incarnation de la liberté et de la légèreté. Mais dans le monde de la danse plus encore qu’ailleurs, cette grâce affranchie naît des efforts les plus grands et de la rigueur la plus stricte. La jeune Renée Jeanmaire, de son vrai nom, avait conquis sa virtuosité désinvolte sous la férule exigeante des professeurs de l’Opéra de Paris dès ses 9 ans, puis de compagnie en compagnie. Passée par les Ballets de Monte-Carlo et ceux des Champs-Élysées, elle partit ensuite brûler au feu de ses pointes les planches du Théâtre Marigny, au sein des Ballets de Paris, fondés en 1948 par Roland Petit, avec qui elle avait été petit rat et dont elle allait devenir à la fois l’épouse et la muse. 

L’émulation du chorégraphe et de la danseuse a nourri soixante ans d’une audacieuse coopération artistique, pas de deux professionnel et amoureux toute en brouilles tumultueuses et en réconciliations passionnées, riche de ballets et de rôles taillés sur mesure par le maître pour son étoile.

Délaissant les tulles vaporeux des cygnes et des sylphides, elle trouva dans les chorégraphies de Roland Petit des personnages à sa hauteur : amante inaccessible dans Cyrano, beauté vénale dans La croqueuse de diamants, spectre funèbre dans Le jeune homme et la mort, et surtout séductrice fatale dans Carmen, personnage qu’elle incarna au point de ne jamais plus quitter la coupe courte qu’elle avait adoptée pour le rôle et qui devint sa signature. Car plus encore qu’une technique impeccable, elle avait l’aura piquante de la gitane, son assurance crâne, sa souveraineté sensuelle, qui auréolaient son petit mètre cinquante-cinq d’une présence scénique incomparable.
Elle se dota d’un nom de scène aussi court et corsé que sa coiffure, d’après le surnom de « petit Zizi » par lequel elle se désignait petite fille, croyant répéter celui de « petit Jésus » que lui donnait sa mère. Ce nom franchit les océans et subjugua Hollywood en 1952, lorsqu’elle fut à l’affiche du film musical Andersen et la danseuse, succès bientôt suivi, d’un continent à l’autre, par ceux de Quadrille d’amour, de Collants noirs et de Folies bergères, où elle chantait le Paris rêvé des Américains. 

Avec un égal talent, elle s’essaya à la comédie musicale à Broadway, à l’opérette, au théâtre, à la chanson, interprétant des morceaux écrits pour elle par Aragon, Vian, Barbara, Ferré, Gainsbourg. Mais c’est en troquant ses pointes pour des talons aiguilles qu’elle connut la consécration populaire. Son charisme et sa gouaille dignes d’une Arletty et d’une Mistinguett donnèrent aux chorégraphies de son mari des accents plus populaires, tandis que celles-ci ont conféré au music-hall ses lettres de noblesse, en y réconciliant le beau et le comique, la technique savante et le plaisir du spectacle. Familières des plus grandes salles, l’Alhambra, Bobino, le Casino de Paris, le Zénith, ses revues sillonnèrent les continents et marquèrent les esprits avec des numéros légendaires, en particulier « Mon truc en plume » où, tout de noir vêtue par Yves Saint Laurent, de larges éventails de plumes roses lui servaient tour à tour de tutu, d’auréole ou de traîne ensorceleuse. 

Zizi, c’était deux syllabes, une silhouette menue éternellement juvénile, une grâce mutine et une insolence pétillante. Artiste accomplie, icône d’un Paris libre et joyeux, elle aura porté par-delà les frontières quelque chose d’une séduction à la française, élégante et frondeuse, mi-diva, mi-gavroche.

Le Président et son épouse rendent hommage à une étoile qui a fait briller la tradition française du spectacle sous toutes ses formes, et expriment à ses proches et à tous ceux que ses numéros ont un soir enchantés ses condoléances les plus sincères.

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