Pierre Bénichou s’est éteint, emportant avec lui son verbe truculent et ses éclats de rire. Pilier du Nouvel Observateur durant plus de trente ans, personnalité incontournable de la télévision et de la radio françaises, grande voix des Grosses Têtes, il était tout à la fois un drôle de journaliste et un journaliste drôle.

Il avait grandi sous le soleil d’Oran dans une famille juive séfarade qui cultivait l’amour des lettres et de la philosophie, entre un père qui était un proche d’Albert Camus et une mère qui, par ami interposé, connaissait bien François Mitterrand.

Malgré cet environnement fertile au savoir et aux idées, les bancs de l’école siéent mal à ce garçon agité et c’est dans l’espoir qu’il étudie avec plus de sérieux que ses parents l’envoient à Paris poursuivre sa scolarité auprès de son oncle, un grand critique littéraire, spécialiste des auteurs du Grand Siècle. A son contact, la passion du jeune homme pour la littérature s’épanouit, mais pas son goût pour l’école. Il pousse tout de même ses efforts jusque sur les bancs de la Sorbonne mais ne rêve alors que de brûler les planches. Finalement, il se lance dans le journalisme par goût de l’écriture, par intérêt pour les gens, et par curiosité pour l’époque.

D'abord stagiaire chez France Soir, il fait sur le vif ses classes de journalisme, apprenant sur n’importe quel sujet à saisir le lecteur et à le tenir en haleine jusqu’à la fin de l’article. Faisant rapidement la preuve de son talent, il gagne ses galons de reporter à Jours de France en 1961. Mais lui qui est né sur les rivages d’Oran ne peut se résoudre à écrire contre les partisans de l'Algérie française : en désaccord avec la ligne du journal, il en claque la porte.

Il trouve refuge dans les colonnes du mensuel Adam, une revue masculine dédiée à l’art de vivre et à la mode qu’il remet au goût du jour en l’ouvrant aux révolutions des années 1960 : il y publie parmi les premiers reportages de la presse sur la jeunesse française, le désir, la sexualité ou la drogue. C’était déjà un peu de l’esprit de mai qu’il faisait souffler dans les kiosques de France.

Le magazine devient bientôt la propriété de Claude Perdriel qui lui confie les rênes de la rédaction avant de le faire venir en 1968 au Nouvel Observateur, le journal phare de la gauche intellectuelle. Pierre Bénichou y mène une carrière tout en crescendo, prenant la tête de la rédaction dix ans après son arrivée, devenant directeur adjoint du journal en 1985, puis directeur délégué jusqu’à son départ en 2005. Il apportait à ses pages son insatiable curiosité, son intérêt pour les sujets défendus, et son talent pour donner la parole à des gens les plus divers, anonymes ou célèbres. Il s’intéressait à la politique bien sûr, mais aussi à la littérature, à la psychologie, aux conditions carcérales, à la condition féminine aussi, lui qui était à l’origine de la fameuse couverture du Manifeste des 343 femmes qui déclaraient avoir avorté pour briser la chape d’hypocrisie qui entourait alors la pratique de l’IVG, dans l’espoir de faire bouger les lignes de la loi.

Pierre Bénichou avait une plume étincelante – les professionnels de la profession ne s’y trompaient pas qui l’appelaient la « Plume d’or ». Pourtant, il n’écrivait que quelques articles de temps à autre car, il le confessait volontiers, il était paresseux – ou peut-être son perfectionnisme acharné l’inhibait-il ? Quoi qu’il en soit, il passait plus de temps « à faire écrire les autres qu'à écrire lui-même », se concentrant sur la réécriture de certains papiers, la confection des titres, la réalisation de quelques grands entretiens et portraits. C’est ainsi que tous les numéros du grand hebdomadaire portaient sa marque sans toujours porter sa signature. Toutefois, la mort des autres l’obligeait : il aimait composer sur la vie des personnalités qui lui avaient été chères et c’est le recueil de ses plus émouvants adieux qu’il avait publié dans son seul ouvrage, Les absents, levez le doigt ! Durant 35 années, il était ainsi avec Serge Lafaurie comme le remorqueur de la rédaction du Nouvel Observateur, celui qui, dans la dernière ligne droite, amenait chaque semaine le journal à bon port en retouchant un dernier article, en lui trouvant un meilleur titre.

Le grand public l’avait découvert à la télévision, sur le plateau enfumé du Droit de Réponse de Michel Polac ou dans la Revue de Presse de Michèle Cotta. Mais ce grand ami de Coluche qui adorait les nuits parisiennes où il régalait ses amis de mille anecdotes et des vers d’Aragon qu’il connaissait par cœur n’aimait rien tant que la conversation des beaux esprits et l’effusion des bons mots. Alors, quand dans les années 1990 Philippe Bouvard lui propose de rejoindre le chœur de ses Grosses Têtes, il accepte de faire en public pour des millions de Français ce qu’il faisait depuis toujours en privé pour quelques privilégiés. Vedette du transistor, il était aussi un visage bien connu du petit écran dans les émissions de Michel Drucker et de Laurent Ruquier avec lequel il poursuivait hier encore l’aventure des Grosses Têtes, réjouissant les auditeurs par sa gouaille inimitable et ses saillies impayables.

Le Président de la République salue une personnalité attachante et pleine d’esprit, et adresse à sa famille, ses amis, et tous ceux qui l’ont lu et écouté avec curiosité et avec joie ses condoléances respectueuses.

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