Le décès d’Albert Uderzo rend Astérix et Obélix orphelins de leur créateur, et la France d'une des plus créatives imaginations du siècle.
Rien de plus travaillé, de mûri avec plus d’obstination et depuis un âge si jeune, que l'apparente évidence de son coup de crayon. Ce fils d'immigrés italiens naquit en 1927 avec douze doigts, comme un clin d’œil du destin au talent dont allaient bientôt déborder ses mains. Le petit garçon découvrit le neuvième art à travers sa lecture émerveillée de Mickey. A quatorze ans à peine, il débutait sa carrière pour la Société parisienne d'édition. Mais il peina longtemps à frayer son chemin, multipliant les planches de bande-dessinée, les reportages pour France-Soir et France Dimanche, les comics à l'américaine, les feuilletons criminels, les illustrations de rubrique de cinéma ou de savoir-vivre, s'essayant brièvement au dessin animé même, jusqu'à l'épuisement parfois, sans pourtant rencontrer la reconnaissance qu'il méritait.
Deux évènements déterminèrent l'envol de sa carrière : sa participation à la fondation de la revue de bande-dessinée jeunesse Pilote en 1959 tout d'abord, et surtout sa rencontre avec le scénariste René Goscinny, qui marqua le début d'une collaboration d’autant plus durable et fructueuse qu'elle était cimentée par une profonde amitié. Uderzo et Goscinny formèrent un duo d'irréductibles aussi célèbre que celui qui fit leur renom.
Commencèrent alors des années fastes de création prolifique avec son cortège de héros, de super-héros et d’anti-héros. C'est l'encre dans laquelle il trempait sa plume à dessin qui semblait une potion magique, tant elle paraissait insuffler la vie à ses figures de papier. Démiurge génial, Uderzo modelait plus que des silhouettes, de véritables personnalités. Loin des figures ripolinées et des méchants diaboliques, Uderzo créait des figures attachantes de Don Quichotte modernes, de marginaux magnifiques, de doux géants dont la force herculéenne était compatible avec une naïveté enfantine, et laissait pointer la tendresse sous les ridicules.
Albert Uderzo enluminait des chansons de geste, des histoires d’hommes qui nous promènent dans l'histoire de France : avec les aventures du grognard Clopinard, c'est la France Napoléonienne qui ressurgit, avec Oumpah-pah le Peau-Rouge, la guerre d'indépendance américaine, tandis que Jehan Pistolet le corsaire ressuscite un XVIIIe siècle haut en couleur, que le gentilhomme gascon Flamberge se bat en duel, et que Tanguy et Laverdure se lancent à la conquête du ciel. Uderzo nous a montré que la légende des siècles n'était pas la chasse gardée de l’historien, qu’elle pouvait être un vivier d'imaginaire que chacun pouvait s'approprier. Sans passéisme ni nostalgie, il nous a rappelé que, tout éloignés qu'ils étaient du confort et de l’instantanéité modernes, nos aïeux pouvaient mener une vie ardente et gaie, en ouvrant sur ces vies des fenêtres en forme de cases et de bulles.
Evidemment, le nom d'Uderzo reste surtout indissociable d'Astérix le gaulois, dont il imagina avec Goscinny vingt-quatre aventures à partir de 1959, succès mondial qui se compte en centaines de millions d'albums, et qu'il poursuivit seul après la mort de son ami. Ces deux bardes modernes offrirent à la France des personnages qui peuplent désormais nos vies, râleurs et droits, tout de verve, de poésie et de panache. Comment oublier ces poissonniers armoricains qui, par respect pour leur clientèle, se font livrer leur poisson de mer tout frais depuis Paris ? D'un rire qui n'était pas corrosif, Uderzo a infusé la gaité dans nos enfances et, bien au-delà, dans nos vies, démontrant combien des œuvres destinées à un jeune public pouvaient y plonger des racines qui donnaient encore toute leur sève à l'âge adulte.
« Nos ancêtres les Gaulois », la formule n'est plus à l'honneur des livres d'écoliers. Mais face à cette Gaule pittoresque et truculente, on se prend à désirer cette parenté mythique avec des moustachus ronchons et des druides à serpe d'or. C’est qu’Uderzo n'a eu de cesse de célébrer un art de vivre à la française, qui fait la part belle à l'abondance du verbe et de la table, mais aussi à des valeurs fortes, celles de l'altruisme, de la fidélité dans l'amitié, de l'effort, de la rencontre, dont l'image du banquet gaulois est sans doute l’une des plus éclatantes illustrations : bonne chair et belle assemblée, sous l'infini des étoiles.
Le Président de la République salue ce dessinateur hors-pair qui a enchanté nos imaginaires, de petits et de grands. Il adresse à son entourage ainsi qu’à tous ses lecteurs ses condoléances les plus sincères.
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