Il était une grande conscience du monde et l’une des plus belles plumes de la presse française. L’écrivain et journaliste Jean Daniel, grand reporter à l’Express puis directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, s’est éteint hier.

Son regard pénétrant s’était ouvert au monde en 1920, à la lumière méditerranéenne du Sahel. Onzième enfant d’une famille juive algérienne, il grandit à Blida, près d’Alger. L’adolescence fut le temps des grandes passions littéraires et politiques, pour Camus, Malraux, Gide, pour Marx et pour Staline aussi, jusqu’à ce que la publication du Retour d’URSS de Gide fasse voler en éclat ses illusions. Chez lui, l’homme de pensée le disputait à l’homme d’action, l’idéal n’étouffait jamais le cri du réel. Durant la guerre, il quitta les bancs de la faculté de philosophie d’Alger pour se battre aux côtés du général Leclerc et participer à la Libération, avant de terminer ses études à la Sorbonne. Ces allers-retours entre l’action et la conscience furent à l’image du reste de sa vie, qui maria ces deux élans dans une éclatante carrière de journaliste.

Ses débuts dans la presse furent pourtant semés d’embûches. Un premier journal littéraire qu’il fonda avec des amis, Caliban, périclita après quelques années, malgré le soutien de Camus. En 1954, les articles qu’il publia dans L’Express, journal de Jean-Jacques Servan-Schreiber et de Mendès France, finirent par attirer l’attention sur son talent et sur ses positions anticolonialistes. Lui qui rêvait de littérature devint alors un « romancier du réel », un engagé qui brandissait sa plume pour défendre l’indépendance de l’Algérie et plaider pour des négociations avec le FLN.

Son premier tour de force journalistique fut de servir d’intermédiaire à John Fitzgerald Kennedy et Fidel Castro, en les faisant comme converser à distance par son truchement à quelques semaines d’intervalle. Ce coup d’éclat se doubla d’un coup du sort : Jean Daniel se trouvait avec le Lider Maximo lorsque celui-ci apprend par téléphone l’assassinat de Kennedy. Le retentissement des articles qu’il écrivit alors lui assurèrent la célébrité et assirent sa légitimité sur les sujets géopolitiques.

À l’automne 1964, Jean Daniel débute sa grande aventure avec Claude Perdriel au Nouvel observateur, dont il devient le rédacteur en chef et l’éditorialiste vedette. Porté par son esprit pénétrant et sa plume alerte, le journal s’affirma bientôt comme l’hebdomadaire phare de la gauche, et, par-delà les factions politiques, comme une agora d’encre et de papier où furent âprement débattues les avancées collectives du XXe siècle, où se nouèrent et dénouèrent les plus grands enjeux démocratiques, de l’antiracisme aux droits des homosexuels et à la légalisation de l’avortement. Par son esprit dépourvu de manichéisme, son engagement et ses combats qui ne l’empêchaient jamais de faire droit à la complexité des situations et aux arguments de ses adversaires, Jean Daniel fut non seulement un ténor des idéaux sociaux-démocrates, mais le chef d’orchestre d’un débat public exigeant et pluraliste. 

Il était une voix écoutée et reconnue, avec laquelle les intellectuels et les hommes politiques aimaient à dialoguer. En inlassable avocat de la paix entre Israéliens et Palestiniens, il s’affirma au fil de nombreux éditoriaux comme un des spécialistes de la crise du Proche-Orient. Le président François Mitterrand, qu’il admirait, honora sa profonde connaissance des enjeux géopolitiques et ses capacités diplomatiques en lui confiant des missions délicates, dont il s’acquitta toujours avec finesse et efficacité.

Le président de la République salue une grande conscience française et un monument du journalisme qui sut écrire l’histoire à la force de sa plume. Il adresse à tous les journalistes qui l’ont admiré, à tous les lecteurs qu’il a éclairés, à tous les citoyens qu’il a informés, ses condoléances les plus sincères.

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers