Les « yeux d’or » de la comédienne et chanteuse Marie Laforêt se sont fermés. Mais ses films garderont leur éclat de topaze et d’émeraude, et sa voix a laissé dans nos vies l’empreinte de sa douceur et de sa mélancolie.

Ses iris d’océan se sont ouverts pour la première fois en 1939 à Soulac-sur-Mer, en Gironde, à croire qu’ils y ont pris là leur profondeur verte, et qu’ils ont puisé leur ombrage mélancolique dans les années de guerre et de privation de sa petite enfance, pendant lesquelles son père fut prisonnier. Maïtena Doumenach - car tel est son vrai nom, d’origine pyrénéenne - révèlera bien plus tard que cette mélancolie plongeait plus sûrement ses racines dans un épouvantable traumatisme de cette période, longtemps refoulé dans les limbes de sa mémoire : à trois ans, elle fut violée par un voisin. Sa carrière éclatante, confiait-elle, avait éclos dans le creux de cette blessure que les puissances de la catharsis apaisaient. 

Sa famille suit la brillante carrière d’ingénieur de son père à Valenciennes, puis à Paris. Lycéenne, la jeune fille envisage un temps d’entrer au couvent, mais c’est une autre vocation qui la saisit, celle de la comédie. Son talent éclate face à 3000 candidats dans un concours de 1959 au nom éminemment prophétique, Naissance d’une étoile. Les cinéastes la repèrent et Marie Laforêt connait son baptême de caméra dans Plein soleil de René Clément, aux côtés d’Alain Delon. La sensualité de son regard crevait déjà l’écran, hypnotisait ses partenaires, happait les spectateurs médusés, au sens propre : il lui ouvrit les portes d’une carrière prolifique.

En quatre décennies de cinéma, elle joua dans plus de 35 longs-métrages avec certains des plus grands réalisateurs de son époque, Claude Chabrol, Georges Lautner, Henri Verneuil, Jean-Pierre Mocky ou Edouard Molinaro. Elle a donné la réplique aux plus grands acteurs : plusieurs fois à Jean-Paul Belmondo, notamment dans Joyeuses Pâques et Flic ou voyou, à Charles Aznavour dans Le Rat d’Amérique, à Louis Jourdan dans Léviathan ou encore à Michel Piccoli dans Que les gros salaires lèvent le doigt. Elle prêta la beauté de ses traits aux plus grandes héroïnes de la littérature française, de Mathilde de la Molle dans Le Rouge et le Noir à la comtesse du Mariage de Figaro en passant par La Fille aux yeux d’or de Balzac, dans une adaptation réalisée par son premier mari Jean-Gabriel Albicocco et dont elle a tiré son si beau surnom. Au théâtre, elle incarna Ysé dans Partage de Midi de Claudel en 1973, et triompha en 1999 dans Master Class, où son interprétation habitée de Maria Callas lui valut son plus grand succès sur les planches.

Quand Marie Laforêt ne jouait pas, elle chantait. Quand elle ne tournait pas, elle enregistrait. Son timbre qui savait se faire aussi cristallin que ses pupilles, se voiler ou se briser, a bercé son époque, et ses tubes des années 60 et 70 ont été la bande-son des passions et des mélancolies de toute une génération. Les airs des Vendanges de l’amour, de Ivan, Boris et moi, Il a neigé sur YesterdayViens sur la montagneMarie douceur, Marie colère ou Que calor la vida sont de ceux qu’on fredonne sans fin et qui finissent par infuser nos quotidiens de leur tonalité rêveuse.

À la fin des années 60, Marie Laforêt donne à ses chansons un ton plus personnel ; puisant une inspiration nouvelle dans ses nombreux voyages, dans les musiques folkloriques d’Europe et d’Amérique, les berceuses yougoslaves et les rythmes latins, elle signe de plus en plus fréquemment ses propres textes.

Fuyant la notoriété, Marie Laforêt s’installa brièvement en Suisse en 1971, pour donner libre cours à son envie d’écrire. Passionnée d’art sous toutes ses formes, elle ouvrit une galerie d’art à Genève, et travailla un temps comme commissaire-priseur, avant de revenir à sa passion de la chanson, privilégiant désormais l’écriture aux enregistrements.

Marie Laforêt riait parfois de sa carrière « de bric et de broc », mais dans toute sa vie se dessine un fil rouge, cette faim d’authenticité artistique sous toutes formes, que rien ne pouvait contraindre que sa boussole intérieure.

Ses yeux se sont clos, sa voix s’est tue, mais ses films continueront de les faire rayonner, ses disques de la faire résonner. Et nos cœurs continueront de porter en eux le souvenir de cette artiste dont les images et les notes se sont mêlées à nos vies.

Le Président de la République salue le talent et la liberté d’un inlassable héraut de la beauté. Il adresse à sa famille et tous ses proches ses respectueuses condoléances.

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers