Ces 17 et 18 octobre 2019, Bruxelles accueille le Conseil européen. Au cœur des échanges : Brexit, offensive turque en Syrie, agenda de la future Commission européenne, budget européen et agenda climatique.

(Re)voir la conférence de presse du Président Emmanuel Macron à l’issue du Conseil européen :

18 octobre 2019 - Seul le prononcé fait foi

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CONFÉRENCE DE PRESSE – CONSEIL EUROPÉEN

Bonjour à toutes et à tous.

Je voudrais rendre compte de ce Conseil avant de répondre à vos questions. Nous avons tenu un Conseil européen marqué par deux sujets principaux.

Le premier, c’était évidemment la question du Brexit.

Boris JOHNSON et Michel BARNIER et Jean-Claude JUNCKER ont présenté l’accord conclu ces dernières heures. Comme vous le savez, nous avions fixé, à la demande de la France particulièrement, une date limite, celle du 31 octobre, pour finaliser les discussions et trouver un accord à la fois sur les modalités du retrait et la déclaration politique sur les relations futures.

Cet accord, après plusieurs semaines de discussions additionnelles, a été trouvé. Il s’agit d’un bon accord, respectueux du cadre que nous avions fixé et de nos principes, qui étaient, en ce qui nous concerne, tout à la fois la préservation du marché intérieur et la stabilité de l’Irlande. La déclaration politique qui définit les grandes lignes de notre relation future garantit aussi un cadre clair, un accord de libre échange qui devra être négocié en détail, et des engagements de concurrence équitable, qui seront la condition de l’accès à notre marché.

Désormais, il convient de procéder au vote de cet accord au Parlement britannique, samedi, avec des lectures ensuite qui s’effectueront lundi et mardi, et au Parlement européen au début de semaine prochaine, et c’est seulement après ces expressions parlementaires que nous pourrons considérer cet accord comme définitif. En tout état de cause, je souhaite que nous puissions tenir les délais que nous nous sommes donnés à nous-mêmes, et que la date du 31 octobre soit respectée.

Je veux ici saluer le travail de notre négociateur Michel BARNIER et de son équipe, saluer également l’engagement de Jean-Claude JUNCKER. Ils ont défendu durant de longs mois dans l’unité, à la fois avec fermeté et bienveillance à l’égard d’un pays allié et ami, des intérêts de l’Union européenne. Je pense que ce que nous avons réussi à obtenir et la méthode qui a été tenue, y compris dans ces derniers jours était extrêmement importante, qui était celle de cette unité constante.
 

Deuxième grande série de sujets que nous avons évoqués lors de ce Conseil, c’est en quelque sorte notre avenir à 27.

C’était le sens de la présence de la présidente élue de la Commission européenne Ursula VON DER LEYEN, tout au long de ce Conseil européen.

C’était l’objet de notre discussion de ce matin sur l’agenda stratégique pour les cinq années à venir dans lequel nous nous retrouvons pleinement, j’ai eu l’occasion de le dire, et dont les thématiques les plus structurantes correspondent à celles que nous avons portées : l’ambition climatique d’abord, avec la neutralité carbone, la définition d’une taxe carbone aux frontières, d’une banque du climat ; la définition d’un modèle économique et social qui passe par la défense d’une assurance chômage au sein de la zone euro, un salaire minimum pour les pays européen ; mais également une Europe plus souveraine avec une politique de défense, de sécurité, d’asile, et de migration, enfin rénovée, plus efficace, et qui réponde aux défis contemporains.

Je ne reviendrai pas en détail sur cet agenda. Il a donné lieu à une expression du Conseil. Il a surtout été présenté par la présidente lors de son discours devant le Parlement, et largement détaillé. Et il a notre plein soutien. En lien avec ce projet politique, c’était aussi le sens de notre échange sur le futur budget européen. Sur ce point, force est de constater que le consensus n’a pas été trouvé. C’est normal. C’était la première discussion, et nous rentrions un peu dans le détail. Mais là-dessus, la France a défendu si je puis dire une ambition cohérente. D’abord, celle qui consiste à ne pas opposer les politiques nouvelles, que seraient nos objectifs en matière de migration, de défense, d’espace, d’intelligence artificielle où il nous faut investir, pour répondre aux objectifs que nous nous sommes donnés à nous-mêmes comme pour préparer l’avenir, avec les politiques dites parfois traditionnelles, comme la politique agricole ou la politique de cohésion. Il me semble que nous devons, au contraire, combiner solidarité et responsabilité, et réussir, au fond, à travers ce budget et les objectifs que nous nous assignerons, à être cohérents avec l’ambition que nous nous sommes donnés à nous-mêmes que le Parlement a validée avec l’élection d’Ursula VON DER LEYEN, qui est celle d’une Commission géopolitique.

Qu’est-ce que ça veut dire une Commission géopolitique ? Après une Commission, il faut le reconnaître politique pendant les cinq années à venir. Ça veut dire que nous ne sommes pas un espace politico-économique lâche qui a peu d’ambition et de solidarité. Au contraire, pour moi il y a deux piliers. Vous m’entendez défendre depuis maintenant plusieurs années d’une part un pilier de souveraineté, d’autre part un pilier de solidarité. Défendre notre souveraineté, ça veut dire se mettre en capacité de choisir notre avenir. Et donc pour cela, il nous faut investir dans la politique agricole commune, parce que c’est la clé de notre souveraineté alimentaire. Nos concitoyens veulent choisir leur alimentation. Ils veulent qu’on produise en Europe. Ils veulent être souverains sur ce point. Investir dans notre politique migratoire, dans notre politique numérique, dans notre politique environnementale, ce sont des politiques de souveraineté. C’est choisir notre avenir, dessiner notre futur et décider que nous ne sommes les vassaux ni de la Chine ni des Etats-Unis d’Amérique. Il faut investir pour cela, comme d’ailleurs ces deux grandes puissances investissent. Et de notre côté, nous sommes un espace où il y a des divergences, des différences sur le plan économique et social qu’il faut aider à rattraper. C’est l’objectif de ce qu’on appelle classiquement les politiques de convergence, c’est-à-dire d’une vraie solidarité. Et j’aime ce terme de solidarité, parce que ce n’est pas une convergence mécanique. C’est l’idée de dire "on doit aider certains à rattraper mais ils doivent aussi s’inscrire dans cet effort de convergence". Ces fonds ne doivent servir à financer, ni dumping social, ni dumping fiscal, ni détricotage de l’Etat de droit. Et donc, c’est pour ça que je suis aussi attaché à l’idée d’une conditionnalité dans ce cadre.

J’ai aussi défendu deux autres choses : la fin des rabais. Le rabais était britannique. A partir du moment où l’Etat membre qui en avait fait une condition en quelque sorte à sa participation s'en va, le rabais s’en va. Il nous faut en finir avec cet élément, qui est un élément d’illisibilité, de destruction du budget européen. Un budget qui multiplie les rabais, c’est un budget où chacun regarde la quote part qui lui revient après ce qu’il a mis, c’est-à-dire tout sauf un budget. Et ensuite l’idée d’avoir plus de ressources propres.

En effet, il nous faut plus d’ambition. Chacun est aussi attaché à garder quelques limites budgétaires en son sein. Et donc, nous avons défendu l’idée d’aller vers de nouvelles ressources propres : la taxe carbone aux frontières, taxe sur le plastique non-recyclable, d’autres éléments de taxation qu’on pourrait mettre ensemble, comme la taxe numérique et d’autres. Sur ce point, je considère que là aussi, nous devons faire preuve d’ambition. En tout cas nous ne saurions valider une ambition de projet, une Commission ambitieuse, si nous n’avons pas derrière un budget qui l'est tout autant, et nous donne les moyens de réussir. Nous avons souhaité sur ces bases que le futur président du Conseil européen, Charles Michel, puisse poursuivre les discussions et mener celles-ci à bien pour, là aussi, avoir un budget pluriannuel cohérent mais qui puisse être décidé le plus vite possible pour ne pas perdre de temps et d’opportunités, parce que la capacité à décider vite est importante.
 

Au dîner hier soir, nous avons eu plusieurs discussions sur, je dirais tout particulièrement, deux types de sujet. D’abord, sur la Turquie.

Sur la Turquie, nous avons eu une discussion d’abord sur notre propre souveraineté. Nous avons réaffirmé notre solidarité à l’égard de Chypre, du respect de la zone économique exclusive de Chypre, et en condamnant très clairement les incursions et provocations qui ont été répétées par la Turquie. Et bien évidemment nous avons aussi pris une position commune, condamnant l’offensive dans le Nord Est syrien, décidant de suspendre nos exports d’armes à destination de la Turquie. Nous continuerons là aussi de nous coordonner très étroitement via nos ministres des affaires étrangères. Mais nous avons aussi décidé avec le Premier ministre JOHNSON, la Chancelière MERKEL, de pouvoir, dans les prochaines semaines, voir le président ERDOGAN, sans doute à Londres. Nous l’avons fait dans ce cadre à trois Européens, qui est aussi un élément pour remettre en cohérence ce que peut et doit être l’OTAN dans le moment où nous vivons, puisque, je le rappelle pour quiconque l’aurait oublié, ce qui n’est pas totalement illégitime dans la période, la Turquie est membre de l’OTAN, ce qui là aussi, normalement, devrait conduire à certaines formes de solidarité. Et donc, nous aurons cette initiative commune en même temps que nous continuerons de nous coordonner sur les contacts que nous allons avoir dans les prochains jours avec les présidents ERDOGAN, POUTINE, TRUMP tout particulièrement. Je pourrai revenir là aussi dans le cadre des questions sur ce sujet.
 

Nous avons également eu un long débat sur l’élargissement hier soir et je crois que nous devons, sur ce sujet important, garder là aussi l’esprit de sérieux et de mesure.

Moi, je crois, je l’ai plusieurs fois dit, à une Europe forte, une Europe souveraine. Mais je crois aussi à une Europe qui est cohérente et responsable. Les pays des Balkans, y compris la Macédoine du Nord et l’Albanie, mènent des réformes importantes, ont conduit parfois des transformations profondes avec beaucoup de courage. Je veux saluer ici le courage, en particulier de Zoran ZAEV qui a fait les changements constitutionnels, et un changement de nom qui était extrêmement difficile à faire, et qui faisait partie des demandes. Mais très clairement, plusieurs pays étaient réticents à ouvrir aujourd’hui les négociations. La France a fait partie de ces pays de manière très claire, non pas pour dire que des efforts n’ont pas été faits, que des progrès ne sont pas là. Mais pour dire d’abord, tous les progrès demandés ne sont pas là et nous avons encore des problèmes. Là aussi, je pourrai y revenir, des incohérences, des situations qui ne sont pas maîtrisées avec certains de ces pays sur le plan migratoire entre autres, et sur le respect de toutes les règles. Mais surtout, je dirais plus profondément, la discussion pour moi, hier, a été extrêmement instructive sur la vision que chacune et chacun peut avoir de l’Europe.

D’abord, moi, je ne considère pas que la seule relation que nous devons avoir avec notre voisinage soit une relation d’expansion ou d’élargissement. Nous serions la seule puissance au monde qui considère que la politique de voisinage, c’est de proposer d’adhérer. On s’est collectivement inscrit dans cet esprit, qui est étrange. C’est étrange, ça ne fonctionne pas très bien à 28, ça ne fonctionnera pas très bien à 27. Je ne suis pas sûr que ça fonctionnera beaucoup mieux quand on aura élargi.

Je le redis : avant tout élargissement effectif - là, il ne s’agit que de commencer les négociations, soyons lucides - mais avant tout élargissement effectif, sachons nous réformer nous-mêmes. Et à ceux qui me disent vous allez simplement ouvrir la porte à un début de négociation, ça prendra 10 ans, 15 ans. D’abord, je leur dis ce n’est pas une bonne méthode parce qu’on nous dit « si vous n’ouvrez pas aujourd’hui mais le mois prochain vous allez désespérer ceux qui ont fait des efforts ». Pensez-vous que dans 5 ans, on ne va pas dire qu’on les désespère à ne pas ouvrir tout de suite ? Cette fois-ci, l’adhésion et plus la négociation. Mais surtout, je regarde aujourd’hui notre rythme d’avancée de l’Europe. Nous avons vécu une crise en 2008. Si je suis, malheureusement, les décisions aujourd’hui retenues au sein de l’Union européenne et de la zone euro, nous aurons finalisé une véritable union bancaire en 2028. Voilà, quand on a une crise potentiellement mortelle, on met 20 ans à se réformer. C’est ça aujourd’hui notre fonctionnement. Donc, s’il n’y a pas un moment réveil collectif, on ne peut pas faire rentrer, même dans cinq ans ou dix ans, d’autres membres. Nous ne sommes pas au bon rythme. Et donc il nous faut d’abord et avant tout nous interroger là-dessus. Et je ne céderai pas sur cette volonté d’ambition. Et je pense que si nous validons en particulier vraiment l’agenda de la Commission européenne, alors nous pouvons nous interroger, là, je parle plutôt pour les adhésions à venir, sur ce processus.

Ensuite, deuxième élément, la nature du processus d’élargissement ne me semble plus adaptée. D’abord parce qu’elle est au fond très bureaucratique. L’accord politique est au début et à la fin, il ne parle plus aux peuples. Je vous invite à aller voir la situation des pays qui ont commencé des discussions sur l’élargissement. Le fil est ensuite rapidement perdu. Et ceux qui disent si on n’ouvre pas les négociations, vous allez voir la Chine, la Russie et la Turquie avoir de l’influence, je les invite à aller dans les pays où la négociation a été ouverte. Ce n’est pas que les grandes tours avec des industriels français, allemands, italiens qui sont faites. Cette influence est là dans la région. Je crois plutôt que nous n’investissons pas assez, nous, de manière coordonnée. Ce n’est pas un processus d’élargissement, c’est un choix d’investissement en matière économique, éducatif, linguistique, culturel dans ces pays. C’est un agenda stratégique qu’il faut avoir avec des partenaires, pas forcément des futurs membres. Et puis, surtout, cet agenda d’élargissement n’est plus adapté. Il n’est pas assez différentiable et différencié. Il n’est pas assez politique et à des moments, pour moi, du processus, il doit être clairement réversible. Sinon, il n’est pas crédible.

Et donc je souhaite, avant que nous ouvrions à des nouveaux États membres, qu’on fasse cette réforme qui est demandée depuis des années par plusieurs Etats membres. Je le dis parce que, sinon, le jour où on commence la négociation avec la procédure actuelle, on nous dira « ce ne serait pas correct de changer les règles du jeu, alors qu’on a commencé de discuter ensemble. » Voilà quelques-uns des points. Je pourrai y revenir dans le cadre de vos questions, mais je crois que si nous voulons véritablement être une puissance, être cohérents avec nos ambitions, être respectueux aussi avec celles et ceux qui veulent se tourner vers l’Europe, il nous faut avoir une union réformée, un processus d’élargissement refondé, une vraie crédibilité, et une pensée stratégique de ce que nous sommes nous-mêmes, de notre rôle et de la région. Voilà les quelques points que je souhaitais faire, et qui ont conduit – on a, à un moment, essayé de trouver un consensus – plutôt à renvoyer avant le sommet de Zagreb des décisions sur ces points. Et enfin, deux tous derniers points que je veux ici évoquer avant de répondre à vos questions.
 

J’ai tenu ce matin avec la présidente VON DER LEYEN, Angela MERKEL et les représentants des trois grandes familles politiques, un petit déjeuner de travail pour évoquer la mise en place de la nouvelle Commission.

Cet agenda stratégique et les travaux du Parlement européen. Cette entente au Conseil, au Parlement européen, entre les familles politiques qui ont su se mettre d’accord pour constituer la nouvelle équipe d’Europe, et qui vont constituer la majorité d’action, de mise en œuvre du programme politique que j’évoquais, est à mes yeux indispensable. C’est pour cela que j’avais souhaité que nous puissions nous réunir sous ce format. Dans ce même esprit, la présidente VON DER LEYEN échangera avec les présidents des groupes politiques au Parlement européen en début de semaine prochaine. Nous avons besoin de véritablement construire un pacte de responsabilité, de majorité et d’ambition tous ensemble.


Enfin, la dernière remarque que je souhaitais ici faire, c’était de rendre hommage au travail, à l’engagement européen de Jean-Claude JUNCKER d’abord, à qui nous avons longuement rendu hommage en fin de matinée, et qui a été un président de la Commission qui a fait avancer celle-ci, qui l’a rendue plus politique, je le disais, mais qui, sur des sujets de défense des intérêts stratégiques, de défense, plus largement de l’agenda sur lequel je suis plusieurs fois revenu, a fait avancer l’Europe, mais qui, surtout pendant des décennies en tant que ministre des Finances, en tant que Premier ministre de son pays, a été tout entier dévoué à la cause européenne. C’était son dernier Conseil et je veux ici lui rendre hommage à la fois pour le travail fait en cette qualité, et pour cette carrière tout entière donnée à la cause de notre Europe.

Le président Donald TUSK achève aussi son mandat, et nous lui avons également rendu hommage. Je veux ici dire combien, en tant que deuxième président de ce Conseil, il a eu également un rôle important, après avoir occupé les plus hautes fonctions dans son pays. Je ne sais pas ce que l’avenir lui réserve et ce qu’il voudra faire, mais je tenais à rendre hommage à son esprit justement de consensus, sa volonté de bâtir dans des moments parfois difficiles un consensus et des accords. Et j’espère que les votes que j’évoquais sur le Brexit pourront parachever un travail auquel il a aussi largement contribué par son engagement.

Je veux aussi rendre hommage au travail de Federica MOGHERINI, qui a poursuivi, là où elle était, ce travail de politique extérieure de l’Europe durant ces dernières années.

Je vais maintenant répondre à vos questions.

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