Retrouvez la déclaration du Président de la République à l’occasion du Prix Pritzker d’architecture 2019 :

24 mai 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Discours à l’occasion de la réception en l’honneur des lauréats du Prix Pritzker

Monsieur le ministre,
Monsieur le président de la Pritzker Organisation, Cher Thomas Pritzker,
Monsieur le Président du Jury, Cher Stephen Breyer,
Monsieur le Lauréat 2019 du Pritzker, Cher Arata Isozaki,
Mesdames et Messieurs les architectes,
Mesdames et Messieurs,

J’ai conscience du risque qu’on prend en invitant une assemblée comme la vôtre à l’Élysée parce que le lieu est immédiatement considéré dans sa dimension architecturale et symbolique ; qui plus est pour celle et ceux qui ont l’habitude de fréquenter les remises du prix Pritzker, les lieux doivent toujours être exceptionnels et l’œil de l’expert, de l’artiste le reconsidère, le torture et donc le risque pris de vous montrer cette salle des fêtes restaurée est importante.

Mais plus largement, je voulais ici vous recevoir, tous et toutes, et avec vous l’architecture française et internationale pour pouvoir partager avec vous quelques convictions en ce jour qui est d’ailleurs un peu particulier aussi pour la démocratie française. Et je suis très heureux que les organisateurs du prix Pritzker aient choisi la France pour la remise du prix cette année.

Merci à vous cher Thomas Pritzker qui poursuit avec talent l’œuvre de vos parents, merci pour votre engagement sans faille en faveur de l’architecture, c’est-à-dire en faveur de nos logements, nos quartiers, nos monuments, nos villes, en somme, du monde dans lequel nous vivons. Et je crois que vous ne pouviez pas choisir en effet de meilleur lieu que Versailles cette année pour accueillir votre événement et c’est aussi pour cela que je souhaitais pouvoir vous accueillir pour cette parenthèse à l’Élysée pour à la fois féliciter le lauréat de cette année et vous dire aussi quelques mots de l’architecture.

Des architectes du monde entier parmi les meilleurs sont ici et tant d’anciens lauréats du Pritzker et je veux adresser un salut tout particulier aux deux récipiendaires français ici présents Christian de Portzamparc et Jean Nouvel et je veux aussi saluer la mémoire de Yao Ming Pei qui nous a quittés il y a quelques jours lui aussi avait reçu le prix Pritzker, c’était en 1983 et lui aussi a marqué de son empreinte bien évidemment beaucoup de villes, mais tout particulièrement la ville de Paris avec un lieu qui m’est tout particulièrement cher et ayant su à l’époque aussi parfois au-delà de beaucoup de critiques prendre l’audace de la modernité et de l’innovation dans un lieu qui paraissait ne devoir être touché en rien.

Toutes et tous ici, vous êtes de ceux qui conçoivent et façonnent notre monde, qui lui donnent son visage contemporain, qui inventent les modes de vie d’aujourd’hui, de demain, nos façons d’occuper l’espace, d’habiter les lieux, d’y vivre ensemble. En un mot, d’être au monde, car vous créez des œuvres qui ont ceci de particulier que ce ne sont pas seulement des créations que l’on contemple, mais ce sont bien des œuvres vécues, parfois d’ailleurs qui se transforment avec les usages, que l’on traverse, que l’on habite, dans lesquels on s’instruit, on travaille, on se rencontre, qui peuvent conduire à redécouvrir des lieux auxquels on s’était habitué, où l’on se meut et s’émeut. Et donc, concevoir des espaces de vie au croisement des contraintes géographiques, économiques et techniques, tout à la fois en ingénieur, en artistes et en citoyens ; créer des lieux qui nous inspirent, qui nous aident à travailler, à penser, à nous rassembler. Je crois qu’il n’y a pas beaucoup d’art qui soient plus politique que le vôtre au sens le plus strict du terme. Être architecte c’est être celui ou celle qui décide d’organiser la vie dans la cité, celui qui fait de la politique au sens le plus trivial du terme, celui qui essaie d’en définir les règles. Quand les règles ne correspondent pas aux lieux, les difficultés sont là. Quand les lieux ne correspondent plus aux règles ou aux usages, le malheur peut s’installer. Et c’est pourquoi votre art est sans doute le plus fondamental et le plus politique de tous. Il répond certes à une nécessité ou à une utilité, il remplit une fonction, mais il doit en même temps à chaque fois aussi apporter sa vision d’une organisation de la société, de ce vivre en commun, de cet autre monde que j’évoquais. Et c’est la manifestation la plus visible, la plus matérielle et la plus accessible de notre art et de notre culture. C’est un art dans lequel on vit et qu’on ne déplace pas. Parce que l’architecture, c’est l’histoire humaine telle qu’elle s’écrit en pierre et en bois, en marbre et en fer, en acier et en verre, peut-être en terre et en paille demain, c’est ce dialogue des temps qui s’écrit dans l’espace et c’est, je dirais, aussi une manière pour nous non seulement d’être dans l’espace, mais dans notre rapport au temps. L’architecture d’un pays, c’est le palimpseste de son histoire. Et pour les nations que nous sommes, c’est faire avec un espace qui est déjà occupé par une architecture existante sauf rares occasions, par des usages déjà existants, par des lieux déjà existants qu’ils soient heureux ou brisés. Et donc, c’est malgré tout toujours quelque chose à voir avec le contemporain le plus extrême et la sédimentation des siècles. Et on y lit à livre ouvert notre passé, notre identité et c’est ce qui nous impose aussi une certaine humilité, nous rappelle que nous appartenons à une grande chaîne humaine qui tente de génération en génération de faire du monde un lieu qu’il est bon d’habiter.

Alors cher Arata Isozaki, vous avez été distingué par vos pairs cette année pour avoir illustré cet art avec un talent rare. Vous rejoignez ainsi la lignée illustre des lauréats du prix Pritzker tout en vous inscrivant dans celle d’une nation qui a enfanté certains des meilleurs architectes du monde puisque vous êtes le 8e japonais à recevoir ce prix, ce qui fait de votre pays le plus primé avec les États-Unis. Et au fond, votre vocation commence dans une forme de paradoxe. Beaucoup et parfois certains dans cette salle assument d’être venus à l’architecture par la découverte d’un monument, d’une expérience, d’un lieu, d’une émotion et je crois pouvoir dire sous votre contrôle que votre rapport fondateur à l’architecture fut d’abord le constat d’une désolation. Car vous étiez un tout jeune adolescent lorsque la guerre a dévasté votre pays, lorsque Hiroshima et Nagasaki furent bombardées, lorsque votre ville natale fut incendiée et tout autour de vous n’étaient plus que ruines. Il n’y avait plus rien, que des décombres et des vestiges, et vous l’avez dit votre première expérience de l’architecture, c’est paradoxalement celle d’une absence d’architecture, d’une béance, d’un besoin. Et c’est précisément ainsi confronté à une tabula rasa que vous vous êtes demandé comment votre pays pouvait se reconstruire, rebâtir ses maisons et ses cités et voilà sans doute la source brûlante je dirais, vitale de votre vocation. Vous avez commencé votre carrière sous les meilleurs auspices de Kenzō Tange, premier lauréat japonais du Pritzker qui vous a transmis son goût de l’épure, son sens de l’ampleur et de l’harmonie. Et c’est en 1963 que vous fondez votre agence. Le Japon avait recouvré sa souveraineté et cherchait à se relever. Le travail ne manquait pas. Et vous avez d’abord construit des bâtiments dans votre ville natale, puis dans plusieurs autres villes du Japon.

Et très vite, vous êtes devenu l’un des premiers architectes japonais à construire par-delà les frontières de votre pays aux États-Unis, en Espagne, en Australie, en Chine, en Italie, au Vietnam ; en 60 ans de carrière, vous avez conçu plus de 100 bâtiments aux fonctions très variées des bibliothèques, des musées, des tours de bureaux, des centres d’évènements ou de congrès, des hôtels et jamais, jamais vous ne vous êtes répété. Vous avez toujours su imaginer des formes et des styles différents, décliner les matériaux, les lignes et les couleurs. En quelque sorte architecte caméléon, vous vous adaptez aux sites, aux teintes, aux tons, à l’énergie des lieux. Vous passez ainsi de la brique rouge du Musée d’art contemporain de Los Angeles qui répond au soleil de la ville au titane rutilant de la superbe hard Tower de Mito, Tour de métal torsadée, élancée et étincelante. On vous doit la gaieté ludique et bigarrée du siège de Walt Disney World Resort à Orlando. Mais de l’autre côté, le sérieux de la Tour alliance de Milan. L’épure géométrique du Palais des sports de Turin, l’imposant National Convention Center de Doha au Qatar avec sa spectaculaire entrée qui représente des jujubiers, ces arbres du désert qatari qui soutiennent ici un toit Canopée, tant et tant d’autres lieux. Vous n’êtes pas l’homme d’une manière, mais un architecte qui pour chaque nouveau projet s’invente un nouveau regard avec le fil directeur d’un style, le vôtre. Votre travail a ainsi constamment évolué au cours de votre carrière, au gré des lieux, des projets, des divers courants qui vous ont inspiré et vous avez constamment cherché dès les premières années à nouer un dialogue architectural inédit et fécond entre l’Occident et l’Orient, en construisant tant au Japon qu’à l’étranger et en vous appuyant de manière complémentaire sur les philosophies profondes des géographies et en étant sans doute l’un des premiers architectes réellement internationaux, vos œuvres ont aussi cherché à être des ponts entre les cultures et les peuples. Votre sacre cher à Arata Isozaki est aussi, je le disais, celui d’une nation, le Japon qui a su engendrer une lignée d’architectes exceptionnelle et qui est aujourd’hui l’une des plus créatives dans ce domaine.

Notre pays le sait bien, et s’il n’a jamais eu la chance d’être votre terrain d’expression, il s’est singulièrement ouvert aux talents de vos contemporains et de vos compatriotes pour repenser ces villes et ces édifices. Le Centre Pompidou-Metz et la scène musicale de Boulogne-Billancourt : Shigeru Ban prix Pritzker 2014 avec Jean de Gastines. Le Louvre-Lens et la nouvelle Samaritaine : Kazuyo Sejima et Ryūe Nishizawa prix Pritzker 2010. L’ancienne Bourse du commerce de Paris qui abritera bientôt des collections d’art contemporain : Tadao Ando, Prix Pritzker 95. Le jardin japonais de l’UNESCO : Isamu Noguchi ; le projet « Mille arbres », ce projet d’un immeuble forêt qui réconcilie architecture urbaine et nature : Sou Fujimoto avec le français Manal Rachdi, tant et tant d’exemples de notre ouverture à votre architecture.

Et cette longue liste qui est loin d’être exhaustive témoigne de ce que la France s’est toujours ouvert aux talents venus d’ailleurs pour concevoir ses espaces, façonner ses villes, bâtir ses monuments. C’est vrai aujourd’hui et c’était vrai hier. À la Renaissance, lorsque Boccador fut invité à dessiner l’Hôtel de ville de Paris et Léonard de Vinci a participé à la construction du château de Chambord, qu’il ne verra jamais, mais que les plans inspirèrent ; encore à l’époque néoclassique, lorsque nous sommes allés rechercher dans l’Antiquité grecque ou romaine de nouvelles sources d’inspiration. L’église de la Madeleine tout près d’ici, comme le Palais Bourbon où siège notre Assemblée nationale doivent beaucoup à cet art grec et en particulier au Parthénon. Il y a tant de lieux qui ont été inspirés par les architectes du monde entier. Tant de lieux qui ont accueilli pour leurs réalisations les architectes du monde entier, car la France est bien une terre d’architectes. Pas seulement parce que nous sommes une patrie qui a formé des générations de bâtisseurs, pas seulement parce que nous avons en héritage l’un des plus riches patrimoines architecturaux au monde et que nous en sommes en tant que peuple profondément fiers et amoureux, mais aussi précisément parce que nous avons toujours accueilli les influences, les talents, parce qu’en nous appuyant sur notre génie propre, notre histoire, nos traditions, nous avons su nous ouvrir au monde et aux génies venus d’ailleurs. C’est le double fil de l’histoire de l’architecture française, un peu de cet art d’être français que j’évoquais naguère et que notre architecture porte sans doute d’ailleurs plus qu’aucun autre art dans notre pays.

C’est aussi pourquoi je veux profiter de ce moment, de cet accueil solennel, de ce fil audacieux que je viens de tisser pour dire quelques mots de notre architecture aujourd’hui et d’un grand projet qui en France sera au cœur des débats et de l’attention au cours des cinq ans à venir. Ce projet, c’est évidemment celui de Notre-Dame de Paris.

Je trouve que ce qui s’est passé en France ces dernières semaines dit énormément, émotionnellement, profondément, beaucoup de ce que je viens à l’instant de vous dire.

L’émotion suscitée dans notre pays, chez nos compatriotes, mais bien au-delà, suscitée dans le monde entier lorsque l’incendie a pris. Dès qu’un bâtiment est vivant, qu’un monument fait partie de la vie de chacun, à la fois d’une histoire, d’une représentation, de son émotion et n’est pas simplement une série de pierres mortes, il remplit une fonction extrêmement importante sur le plan culturel.

Cela devient aussi un lieu de civilisation, d’émotion, de rapport à l’autre, à une ville, à un continent et l’émotion que beaucoup d’ailleurs nous ont témoignée, montre ce que l’architecture peut porter et signifier. Beaucoup m’ont dit avoir ressenti une émotion inédite et s’être sentis profondément européens en voyant Notre-Dame ainsi brûler et en pensant qu’ils ne pourraient plus la voir. Avoir l’émotion et l’expérience devant telle partie, tel reflet, tel angle de cette cathédrale. Et l’humanité tout entière a eu ce jour-là un sentiment terrible de perdre une part d’elle-même. Les Français, les Européens je crois aussi au premier chef. Fort heureusement, grâce au courage admirable des sapeurs-pompiers de Paris, grâce dans le même temps à la mobilisation des architectes des Monuments historiques et de tous les métiers de la conservation du patrimoine que nous avons vus intervenir avec le ministre, dès les premières minutes, intervenant et prenant tous les risques pour sortir les trésors, protéger les lieux, laisser sa part au feu pour que le reste puisse être sauvé, ce joyau a pu être sauvé, sa structure préservée.

Alors très vite, nous avons pu envisager l’avenir. Et j’avoue, j’ai voulu le faire le soir même parce que lorsqu’on prend des décisions difficiles comme nos pompiers en ont prises, de laisser sa part au feu, c’est là qu’on arrive à sauver cette part du bâtiment en prenant tous les risques, je crois qu’on n’a pas le droit de laisser place à l’affliction. Et très vite, la communauté internationale, les architectes nous ont fait part de leurs réflexions, leurs propositions et la stupeur et la désolation ont bientôt fait place à l’espérance, à l’effervescence des idées, à la ferveur des projets, aux débats passionnés sur ce qui doit être fait. Alors je sais que beaucoup se sont inquiétés de ma décision d’abord de réaliser ces travaux dans un calendrier serré, volontariste. Et je l’assume pleinement. Et cette décision n’a reposé sur aucune analyse détaillée ni aucune forme d’expertise, et je l’assume totalement. C’était d’abord une volonté, parce que je crois très profondément qu’à la base de toute décision de faire et pour pouvoir faire, il faut une volonté. Il faut qu’elle soit raisonnable, atteignable. Mais si la volonté devient une expertise, nous le voyons chaque jour, rapidement, on explique qu’on ne peut plus rien. Et cette volonté de faire n’était pas la négation de l’expertise, elle était la décision profonde de ne laisser aucune place à la tristesse, au désespoir, consistait à se dire qu’à un horizon perceptible, atteignable, compte tenu de ce que le lieu était, nous pouvions rebâtir. Ce délai de cinq années est possible. Il est possible sans jamais transiger sur la qualité des matériaux et la qualité des procédés, car cette ambition ne saurait justement se passer de l’excellence, des savoir-faire et de tout ce que les métiers auront à contribuer à cette entreprise.

Et ma conviction au fond, c’est pourquoi ce combat est emblématique à la fois de ce que nous avons à conduire dans notre pays et pour l’architecture contemporaine, c’est que nous devons faire confiance aux bâtisseurs d’aujourd’hui et nous devons nous faire confiance. Bien souvent, on se réfugie derrière les textes et les règlements parce que c’est le cache-sexe de la défiance. Mais si les bonnes personnes qui savent sont là pour le faire, les meilleurs seront mobilisés. C’est un pouvoir de faire que nous activons et pas un arbre d’impossibles. Et je crois que nos citoyens aujourd’hui ont besoin de voir cela et que nous avons besoin de nous prouver à nous-mêmes que nous savons faire cela. Et donc oui, sous cinq ans, Notre-Dame sera restaurée, sa charpente et son toit reconstitués parce que nous avons les connaissances, les techniques, les savoir-faire qui le permettent.

Et je l’ai dit le soir de l’incendie nous construirons Notre-Dame plus belle encore en repensant ses abords : le parvis, le square Jean XXIII, la promenade du flanc sud de l’Ile-de-la-Cité, dans un dialogue constant, notamment avec le clergé et la Ville de Paris et en nous appuyant sur les travaux qui ont été réalisés il y a maintenant plus de deux ans par plusieurs ici présents, et en lui redonnant une flèche. Mon représentant spécial sur ce dossier, le général Georgelin, et le ministre de la Culture, que je remercie de son investissement sans faille sur ce dossier depuis le 15 avril, y veilleront. C’est dans cet esprit et en élargissant le projet que nous conduirons cette entreprise. Pour accomplir cette grande œuvre de restauration et de reconstruction, nous devons procéder étape par étape avec toute la méthode dont votre profession est capable en permettant d’abord aux experts, architectes des Monuments historiques, bureaux d’études, ingénieurs, historiens de l’art, chercheurs, conservateurs, restaurateurs, d’établir un diagnostic solide sur l’état de la cathédrale. Cela a déjà commencé avec un entrain inédit. Il faut ensuite par-delà les frontières mobiliser tous les créateurs, prolonger et amplifier le formidable élan d’idées de projets que j’évoquais.

Cette cathédrale de tous ne doit pas devenir l’édifice d’un seul. Aussi je souhaite que dans le cadre du concours international se constituent des groupes de talents, rassemblant tout à la fois architectes contemporains et architectes des Monuments historiques, artistes et chercheurs, historiens et sociologues, des personnalités pleines d’expériences et des plus jeunes pleins de promesses aussi, car dans cette capacité à nous faire confiance et à faire confiance, nous ne devons pas oublier que les monuments que nous admirons aujourd’hui ont souvent été faits par de très jeunes architectes. Renzo Piano avait 27 ans lorsqu’il conçut le Centre Pompidou. Louis Le Vau à peine 30 quand il imagina ses premiers grands hôtels particuliers. Et nous devons aussi retrouver cette confiance en l’avenir, en l’imagination, en l’innovation. Et je crois d’ailleurs que c’est ce qu’avait fait Viollet-le-Duc en son temps. Tout à la fois pour restaurer la cathédrale, lui rendre le lustre et la beauté qu’elle pouvait avoir au Moyen-âge et parachever l’édifice en y insufflant les nouveautés permises par les techniques et la culture du temps. Pour Viollet-le -Duc, pas de querelle des Anciens et des Modernes. Non. Une alliance de la tradition et de la modernité. Une audace respectueuse. Une restauration et une reconstruction inventive.

Et je crois très profondément que cette alliance de la tradition et de la modernité qui correspond tout simplement à la façon dont l’histoire s’écrit, à la façon dont le génie de l’humanité s’inscrit dans le temps et dans l’espace, c’est ce que nous nous devons à nous même.

Mesdames et Messieurs, il y a beaucoup de chantiers que je voudrais encore évoquer, mais je sais que vous êtes ensuite attendus à Versailles et le temps me manquerait, mais au-delà de ce projet je suis profondément convaincu que nombre de problèmes que nous avons dans nos démocraties, que nous avons souvent voulu régler de manière organisationnelle ou institutionnelle, trouvent leurs solutions dans l’organisation de l’espace et donc dans et par le travail de l’architecte, de l’urbaniste, du créateur. Je ne parlerai pas ce soir par manque de temps et j’y reviendrai dans quelques semaines de ce qu’on a longtemps appelé le « Grand Paris », projet essentiel auquel je crois profondément. Ce projet s’est pendant longtemps enlisé dans les querelles administrativo-politiques et les volontés de chacun de préserver sa part d’espace ou de pouvoir. L’un d’entre vous, Roland Castro, il y a quelques mois maintenant m’a remis un rapport pour aider à le repenser. Et ce que je souhaite proposer à la Nation, fort de ce que cette expérience de Notre-Dame nous a insufflé, c’est que nous puissions repenser nos grands chantiers d’organisation de l’espace de vie, pas seulement le Paris en grand, mais le grand Marseille, le Grand Lyon. Les projets qui dans beaucoup de nos villes ou d’espaces de la République permettent de retisser l’organisation urbaine par de grands projets architecturaux contemporains, là où les fractures se sont installées et où les choses n’ont pas été repensées. Et sortir des débats institutionnels sans issue pour repenser très profondément la manière de suturer des espaces qui se sont déconstruits. De réinventer des perspectives qui jusqu’alors n’existaient pas, des manières d’être de la cité, comme je le disais tout à l’heure. Convaincu très profondément et je conclurai là-dessus que l’architecture aujourd’hui doit nous permettre, et c’est ce qu’avec le ministre nous souhaitons faire, de répondre au cœur de quelques défis contemporains qui sont les nôtres. Quand je regarde ce qui a traversé la France ces derniers mois et ce qui continuera de nous traverser pendant des années et des décennies et ce qui traverse beaucoup de démocraties, c’est au fond le caractère inhabitable du monde qui est le nôtre. Bien souvent, nous avons construit notre espace sans penser notre espace. Et il s’est construit comme à tâtons par des choix directs ou indirects. Et les vingt dernières années ont conduit à ce que de plus en plus de gens aillent dans les métropoles, que l’insécurité s’installe dans des espaces qui se dépeuplaient. Et puis on a construit, parce que c’était les choix du moment des espaces urbains un peu denses, moins que dans d’autres pays, et puis des lotissements. On a créé ces extensions de part et d’autre. Le goût a ensuite été à la consommation du grand public, alors on a créé ces balafres que sont les structures commerciales ou logistiques à l’orée de ces villes. On a déserté nos centres-villes. Nous avons progressivement détricoté l’espace habitable et nous avons installé dans notre nation trop souvent le "laid", en tout cas la solitude et nous avons créé un quotidien dont nous n’avons ni conçu les termes ni pensé toutes les conséquences. Ce que nous avons eu à vivre, c’est les conséquences d’un monde devenu inhabitable. C’est la vie quotidienne de celui qu’on a progressivement poussé à 40km de l’endroit où il travaille sans transports en commun et qui n’a pas d’autre solution que de prendre le véhicule de plus en plus cher, de payer une essence de plus en plus chère, etc. Et donc, dans ce qu’on a appelé cette fracture sociale et territoriale, il faut repenser la manière d’habiter notre espace et de le composer.

Mais le deuxième défi contemporain que certains ont voulu parfois opposer, c’est cette angoisse que notre jeunesse a encore dite ce matin en défilant dans les rues d’Europe. L’angoisse climatique. Et si le monde est de moins en moins habitable pour elle, c’est parce qu’il lui semble que nos comportements, notre organisation ne permettent plus de faire face aux défis climatiques, conduisent à les entretenir, à les aggraver, parce qu’on ne lui apporte pas dans son quotidien les solutions pour le vivre et que la ville ainsi construite, l’habitat ainsi pensé, sont de moins en moins adaptés à ce monde qui se réchauffe, à ces usages qui changent. Et on le voit bien. Les deux principaux défis que nous avons à vivre, avec lesquels nous avons à composer, auxquels on essaie de répondre par des règles, des nouvelles normes des changements d’habitudes, c’est cette nécessité de rendre à nouveau notre monde habitable et respectueux de l’avenir. Le cœur du défi politique qui est le nôtre, il est architectural, il est de rebâtir et réorganiser la vie ensemble différemment et de repenser ces espaces pour recréer de la cohésion, de les refaire beaux pour chacun et de permettre de se déplacer, de vivre différemment dans cet espace ainsi repensé.

Et donc, le défi n’est pas simplement esthétique comme je le disais dans mon introduction, il est aujourd’hui sans doute plus que jamais éminemment politique. Parce que ces deux grandes batailles contemporaines que j’évoquais, elle supposent une pensée architecturale, une organisation architecturale, urbanistique, de recherche, de création profondément différentes de ce que parfois nous avons fait à tâtons. Elle doivent créer aussi des assemblées de cette complexité pour pouvoir penser de manière plus large les problèmes qui nous sont soumis et donc de savoir recréer ce monde habitable où nos concitoyens de plus en plus sont confrontés aux problèmes mondiaux, pensent le monde, mais veulent être enracinés, vivent à un endroit et dont l’expérience sensible, esthétique et politique et dans cette tension entre ce qui est palpable autour de moi et les préoccupations du monde que je pense et je vis.

C’est pourquoi le choix que j’ai fait non seulement la fierté de recevoir ici le prix Pritzker, mais aussi de vous célébrez, et de vous recevoir tous sous ce format était pour moi aussi une manière de vous dire que dans cette nouvelle phase du projet tout à la fois national et européen que je veux que nous puissions penser, le choix que j’ai fait est de donner à l’architecture une place toute particulière. Peut-être pas celle qu’on a toujours donnée. Peut-être pas simplement une place disciplinaire, classique, mais au niveau que je viens d’évoquer. Nous sommes à quelques jours d’un choix important sur l’Europe. Et pour bâtir une véritable Europe, il nous faudra aussi parler architecture.

Je recevais il y a quelques jours une trentaine d’intellectuels venant de tous pays. On parlait de valeurs. On parlait de sujets concrets. Mais à la fin, l’Europe s’est toujours faite par des lieux aussi. L’Agora, c’est un lieu. Le café, c’est un lieu qui est un composant unique de la sociabilité européenne. L’université est un lieu, une manière d’être ensemble qui a fait aussi l’Europe. Il nous faut également inventer les lieux de la conscience démocratique européenne de demain.

Et donc sur chacun de ces défis, la tâche qui est la vôtre n’est plus simplement la vôtre, mais elle sera donc invitée à s’exprimer pour pouvoir participer de ce mouvement que je souhaite que notre pays puisse insuffler, c’est-à-dire de rendre ce monde habitable et profondément universel. Un monde enraciné et conscient des enjeux du 21e siècle, là où de plus en plus se déplacent, bougent et donc de réinventer ce qui est la civilisation qui est la nôtre, en sachant rebâtir avec beaucoup d’humilité, mais la bonne dose d’audace. Je vous remercie et je vous félicite.

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