Claude Lanzmann écrivait dans ses mémoires kaléidoscopiques, Le Lièvre de Patagonie (Gallimard, 2009) que « cent vies ne [le] lasseraient pas ». Il se peut qu’il en ait eu plus encore, entretissées, vécues ou rêvées, présentes ou passées, et c’est de l’infinie richesse de cette existence que la France conservera le souvenir.

Le récit de ces vies croise le récit du XXème siècle, depuis les maquis d’Auvergne où le jeune résistant juif qui se définissait comme un « vieux français » s’illustra dans les combats du Mont Mouchet, jusqu’à son questionnement sur le devenir d’Israël – découverte en 1952 avec une passion que résume le titre donné en 2008 à son entretien avec Ehud Barak : Lights and Shadows –, en passant par l’exploration du monde, de l’Allemagne à la Corée du Nord, les aventures intellectuelles (son lien avec Les Temps Modernes fut indéfectible comme le fut sa fidélité à Jean-Paul Sartre), les amours célèbres avec Simone de Beauvoir ou secrètes avec l’infirmière Kim Kun-Sun (substrat de son film Napalm en 2017), les mariages mouvementés et les polémiques acerbes qui l’opposèrent à Raymond Barre, Elie Wiesel ou plus récemment Yannick Haenel.

Mais Claude Lanzmann, ce grand vivant, eut comme compagne de route, omniprésente, la mort. Celle de sa sœur, Evelyne, qui se suicida en 1946 ; celle de son fils, Félix, mort d’un cancer à 25 ans en 2017. Celle aussi de tous ces inconnus, déportés des camps de la mort, dont il retrouva la trace et dressa le tombeau dans le monumental Shoah (1985), récit labyrinthique où le visage des bourreaux côtoie celui des victimes, dans un dialogue à distance où l’indicible soudain se révèle dans un à-vif de la mémoire qui ne cicatrisera jamais.

C’est au creux de cette confrontation constante et paradoxale que s’est forgé le regard de Claude Lanzmann, « savant et artiste » (selon le mot de Pierer Vidal-Naquet), épris de vérité et emporté parfois par ses passions. Ce regard aura construit notre époque.

Le Président de la République adresse à sa famille et à ses proches ses sincères condoléances.

 

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