9 avril 2018 - Seul le prononcé fait foi

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Transcription du discours du Président de la République pour le centenaire de la bataille de la Lys

SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI.

Richebourg – Lundi 9 Avril 2018

Monsieur le président de la République portugaise, Cher Marcelo,

Monsieur le Premier ministre, Cher Antonio,

Monsieur le ministre de la Défense, José Alberto AZEREDO LOPES,

Madame la Ministre,

Monsieur le chef d’état-major des armées portugaises, Amiral,

Messieurs les chefs d’état-major,

Monsieur le Préfet,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Monsieur le président du conseil départemental,

Monsieur le Maire,

Mesdames et Messieurs les élus,

Monsieur le président de la ligue des anciens combattants,

Monsieur le président de la commission portugaise de commémoration du Centenaire,

Chers amis,

Il y a 100 ans, jour pour jour le 9 avril 1918, les premiers obus de la bataille de la Lys éventraient de nouveau la terre des Flandres. Et de nouveau cette terre, grevée de sang et de larmes, livrait à la folie répétée des temps une funeste moisson. Et ce n'est pas tant le sang des ennemis d’alors que celui des amis de toujours, qui a abreuvé les sillons de la Lys. Des centaines de soldats portugais ont péri durant cette journée, en livrant courageusement une bataille inégale qui opposait 20.000 des leurs à plus de 50.000 Allemands qui saisissaient là leur dernière chance de remporter la guerre avant l'arrivée des renforts venus des Etats-Unis pour grossir les rangs des Alliés.

Ce sont au total 7.000 soldats portugais qui ont été tués, blessés ou faits prisonniers en cette seule journée noire, la plus meurtrière de la Grande Guerre pour votre peuple. Cela fait de cette bataille de la Lys l'équivalent pour les Portugais de la bataille de Verdun pour les Français. A travers le souvenir de cette bataille, c'est la mémoire de tous les soldats portugais qui ont combattu auprès des forces alliées en France, mais aussi en Angola et au Mozambique, que nous honorons aujourd'hui. C’est la mémoire de tous ces jeunes hommes que vous avez à l’instant rappelée et de ces noms qui sont aujourd'hui parmi vous, ici, parce que nous n'oublierons jamais ce pourquoi ils sont morts.

Ce cimetière où reposent près de 2.000 soldats portugais morts sur le sol de France, ainsi que le monument de la Couture, manifestent la reconnaissance du peuple français et de l'ensemble des Alliés à l'égard du peuple portugais qui a consenti un douloureux effort et payé un lourd tribut pour se battre à nos côtés.

Comme d'autres, cette nécropole fait sentir dans l'espace l'abjecte démesure de la violence dans laquelle l'Europe s'est abîmée au cours d'une guerre qui nous apparaît aujourd'hui d'autant plus absurde que nous la voyons avec nos yeux européens comme une guerre civile, si douloureusement fratricide.

Si nous sommes ici à Richebourg, c'est donc aussi pour réitérer le vœu que plus jamais un Européen n'ait à prendre les armes et à tuer son voisin, que plus jamais les peuples et les nations d'Europe n'aient à s'affronter dans des guerres intestines.

Aujourd'hui ce cimetière est un symbole d'amitié et de solidarité européenne et non de rancœurs nationalistes. Venger nos morts par d'autres morts, les racheter par de nouveaux sacrifices n'a fait que prolonger l'horreur et nous a conduits à la plus grande catastrophe qu’ait jamais connue l'humanité. Heureusement, nous avons su après 1945 ne pas répéter les erreurs commises après 1918. Après être allés au bout de la nuit, au bout de la folie, au bout de la violence, nous avons su enfin tirer des leçons de l'Histoire et faire preuve de sagesse.

Nous avons su construire la réconciliation au lieu de nourrir l'amertume, les rancœurs et le goût de la revanche. Nous avons su tendre et saisir des mains, construire des relations non plus de rivalité et de compétition, mais de fraternité et de coopération. Nous avons su nous unir. Depuis lors, c'est sur le socle solide de ces valeurs que nous avons fondé l'Europe et ce sont ces valeurs que nous aspirons aujourd'hui encore à défendre et à approfondir.

100 ans après, le contraste entre l'Europe de 1918 traumatisée par quatre années d'une guerre jusqu'alors sans commune mesure, amputée de sa jeunesse, et celle de 2018, démocratique, en paix depuis plus de 70 ans, doit exalter nos convictions et nos ambitions européennes.

Nous n’avons pas le droit de nous habituer à cette Europe dans laquelle nous vivons, comme si elle était de nature, comme si elle n'était pas justement le fruit de ce que nous avons su construire à travers le temps, comme si elle n'était pas le fruit de ce sang versé.

Et ceux qui pensent aujourd'hui qu'on pourrait faire bégayer notre histoire en recréant, au sein de notre Europe, des tensions, le nationalisme, le drame, ont une bien triste mémoire de ce sang qui a coulé.

Et au moment où l'Europe doute d'elle-même, au moment où certains de ces peuples expriment leur peur de l'avenir en remettant leur sort entre les mains de dirigeants qui se nourrissent de l'angoisse, ce sont ces accomplissements qu'il faut rappeler, qu'il faut saluer, qu'il faut poursuivre. C'est la paix que nous avons bâtie et consolidée, les liens féconds que nous avons noués, ces principes d'entraide et de solidarité que nous avons institués et qui nous sont mutuellement bénéfiques, qu'il nous faut défendre et toujours promouvoir.

L'Europe est perfectible, nous le savons. L'Europe doit faire l'objet de réformes, nous y travaillons et nous y travaillons en étroite coopération avec le Portugal sur de nombreux projets de la plus haute importance. Nous y travaillons avec l'ensemble de nos alliés des pays frères, ici représentés par leurs ambassadeurs.

Et nous avons cette amitié entre nos deux pays, entre le Portugal et la France, cette amitié profonde, solide, cimentée par les milliers de Portugais et de Français d'origine portugaise, dont l'énergie et le travail chaque jour fortifient notre nation, cimentée par ce sang versé par ces jeunes hommes venus défendre notre liberté, déjà notre Europe, par ces décennies faites en commun, et toutes ces femmes et ces hommes qui ont décidé de construire ensuite leur avenir et leur famille entre nos deux pays, comme autant de ponts jetés.

La France et l'Europe de 2018 peuvent se regarder dignement au miroir de 1918. Notre fierté européenne doit s'enraciner dans ce chemin parcouru, jalonner des progrès multiples de la paix, de la prospérité, de la liberté.

Nous devons continuer à faire de l'Europe le rêve d'un continent qui a vécu un cauchemar et qui n'y repense qu'en tremblant ; notre passé commun nous confirme que la direction qu'il nous faut continuer de prendre est celle d'un avenir partagé. Nous le devons à notre histoire, nous le devons à nos morts, mais nous ne devons surtout, cher Marcelo, cher Antonio, comme frères d'Europe, à notre jeunesse.

Alors vive le Portugal, vive la France et vive l'amitié entre le Portugal et la France.

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