Jacques Lassalle, décédé ce 2 janvier 2018, fut avant tout un questionneur.

Questionneur de lui-même, hanté par le doute, qui le portera à choisir d’abord la voie de comédien, au conservatoire de Nancy puis de Paris, avant d’y renoncer pour embrasser une carrière d’intellectuel et de professeur, puis de revenir presque par hasard au théâtre en créant à trente ans le Studio Théâtre de Vitry.

Questionneur des autres, devenant dès le temps du conservatoire celui que ses camarades interrogeaient pour savoir, sur n’importe quel rôle, n’importe quelle scène, ce qu’il en pensait, et qui leur apportait son œil acéré, mais ouvrait aussi pour eux mille autres interprétations possibles.

Questionneur surtout du théâtre, des auteurs, des textes, où il n’eut de cesse de découvrir des significations nouvelles, des interprétations différentes, ce qu’il appelait, à propos de Molière, de l’inavouable, de l’innommable. De là cette vie toujours partagée entre un théâtre classique (Molière, Goldoni, Marivaux) dont il n’avait de cesse de sonder à neuf les abîmes que les habitudes voire la routine masquaient – et il aura marqué entre autres par ses mises en scène du Dom Juan, du Tartuffe (Strasbourg, 1984, avec Gérard Depardieu) de l’Ecole des Femmes de Molière -, et un théâtre contemporain dont les ambivalences le fascinaient, qu’il s’agisse de Vinaver, de Jon Fosse, de Kundera ou de Pirandello. Il a lui-même écrit pour le théâtre plusieurs pièces.

Jacques Lassalle aimait à ancrer son travail durablement dans des lieux. Après quinze ans à Vitry, il prend les commandes du Théâtre National de Strasbourg pendant sept ans, puis est nommé administrateur de la Comédie-Française en 1990. Il ouvre au théâtre contemporain la salle du Vieux-Colombier, y mettant d’emblée à l’honneur le théâtre de Nathalie Sarraute. N’être pas renouvelé en 1993 à la Comédie-Française le privera de port d’attache et rendra plus mélancolique son rapport à l’art et au monde du théâtre, de même qu’il sentira disparaître une relation à la scène faite d’intimité au profit du geste spectaculaire et démonstratif. L’échec critique de son Andromaque en 1994 dans la cour du Palais des Festivals put le conforter dans ce sentiment. Il y revint cependant six ans plus tard pour une Médée d’Euripide mémorable avec Isabelle Huppert, dans une traduction totalement neuve.

Il cherchera hors de France de nouveaux projets, tissant notamment des liens étroits avec le Théâtre National de Varsovie, et faisant jouer en Chine son cher Marivaux en chinois. Son questionnement en fut aiguisé et nous vaut des livres d’une sincérité et d’une profondeur rares, notamment ses mémoires de théâtre, Pauses (1990), L’Amour d’Alceste (2000), Ici moins qu’ailleurs (2010) mêlant souvenirs et réflexions inlassables sur ce théâtre aimé et redouté à la fois, explorant les « scandales » qui s’y cachent derrière les formules que l’ont croit routinières de la dramaturgie, évoquant son amour du cinéma et de la littérature, nourriciers de son travail.

La France perd une très grande figure de son théâtre, homme exigeant, curieux, inquiet, complexe, qui aura guidé des générations de comédiens et conduit des générations de spectateur au cœur du mystère théâtral.

Le Président de la République adresse à sa famille, à ses amis, à la famille du théâtre français, ses plus sincères condoléances.

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