Jean d’Ormesson, c’était l’esprit français. C’est-à-dire ce mélange incomparable d’élégance et de grâce, de profondeur sans lourdeur, de curiosité inépuisable et de goût de la vie.

Il aura proclamé sa paresse et sa nonchalance mais laisse derrière lui une des œuvres les plus abondantes et les plus diverses de notre littérature contemporaine.

Venu relativement tard à la littérature après des études à l’École normale supérieure et une agrégation de philosophie, il connut le succès avec un roman picaresque et érudit, La Gloire de l’Empire, puis se lança dans des récits faisant évoluer entre Paris, la Toscane et la Méditerranée des personnages ébouriffants, avant de trouver sa veine définitive dans des livres inclassables, tenant de l’essai, de la méditation et du récit, où il donnait libre cours à son immense culture, à son goût de la grande et de la petite histoire, à ce sens de l’absurde caché derrière un humour espiègle.

Puisant souvent ses racines dans l’histoire familiale et les lieux de son enfance, il fit du château de son enfance, Saint-Fargeau, un lieu légendaire notamment dans Au plaisir de Dieu (1974).

Les Français se passionnèrent pour ce que Jean d’Ormesson leur disait du vaste monde, de l’univers, de Chateaubriand, de Venise, des femmes, de l’amour, de la littérature, de l’astronomie, des îles grecques, de Proust, de l’histoire des hommes, des sciences, et bien sûr de Dieu, qui fut son ultime, sa grande passion. Il crut en Dieu avec incrédulité et ferveur.

La vie de Jean d’Ormesson est indissociable de son goût constant pour le destin de la France et donc pour la politique. Directeur du Figaro dès 1974, il n’en quitta jamais les colonnes que jusque récemment il éclairait de sa plume acérée et de son jugement vif. Se réclamant des esprits libres qui avaient toujours marqué l’histoire de sa famille et du sens de l’État qui lui avait été légué par son père, il était d’un gaullisme européen et social, profondément français et profondément universel. Ses fonctions à l’UNESCO lui donnèrent tout loisir d’assouvir sa passion pour les autres cultures, les autres civilisations et ces voyages qu’il aimait tant.

Les Français aimaient aussi sa passion absolue pour la littérature. Une autre histoire de la littérature française connut un immense succès. Ses lecteurs le suivaient sur les pas d’Aragon et de son Paysan de Paris, sur les traces de Chateaubriand à Rome, de Proust à Venise, de La Fontaine et de Racine, qu’il savait par cœur, de Hemingway et de Durrell, et bien sûr d’Homère. Il eut des compagnonnages littéraires féconds et durables avec Emmanuel Berl, Roger Caillois, Paul Morand, François Nourrissier, Jean-Marie Rouart, Maurice Rheims, François Sureau, Erik Orsenna… L’Académie récompensa vite cette passion des lettres que couronna son entrée dans la Pléiade, dont il fut si fier. Mais sa grande fierté fut certainement de faire une place aux femmes à l’Académie, et d’abord à Marguerite Yourcenar.

Jean d’Ormesson, c’était aussi cet œil vif, ce verbe allègre, cette légèreté libre et ce charme incomparable que les Français aimaient tant à la radio et à la télévision.

Ses mots, son regard, son esprit nous manquent déjà. Il cherchait le bonheur et nous en a donné beaucoup. Au revoir, et merci, Monsieur d’Ormesson : c’était bien.

Le Président de la République et son épouse adressent à son épouse et sa fille, à sa famille, à ses amis, au monde des lettres leurs sincères condoléances.

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