2 février 1989 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la remise des insignes de Commandeur dans l'ordre de la Légion d'honneur à M. Satyajit Ray, Calcutta, Bibliothèque nationale, jeudi 2 février 1989.
Mesdames et messieurs,
- Cher Maître,
- La visite que la France rend aujourd'hui à l'Inde n'est pas seulement dictée par la volonté qu'ont les gouvernants de nations de rapprocher leurs vues sur les grandes affaires du monde ou de renforcer leur coopération. Elle procède d'une exigence plus profonde que je ressens profondément en cet instant, le besoin d'entretenir l'amitié des esprits. Cette amitié lie depuis très longtemps nos deux peuples, elle leur permet, au mépris des distances et des vicissitudes de l'histoire de préserver un dialogue culturel singulier.
- C'est un plaisir pour moi que de me retrouver au deuxième jour de cette trop brève visite en Inde, ici, à Calcutta, foyer de la renaissance bengalie, pôle de développement culturel et intellectuel de l'Union indienne. Et c'est un plaisir plus grand encore que de m'y retrouver en compagnie de quelques-uns des esprits les plus brillants, des plus grands talents de l'Inde d'aujourd'hui pour honorer avec eux l'un des artistes les plus fascinants de ce temps, M. Satyajit Ray.
- Dans ce siècle de cinéma, dans ce pays qui possède sans doute la plus grande industrie des films du monde, vous vous êtes imposé, M. Ray, d'entrée de jeu parmi les meilleurs, "Pather Panchali", "La Complainte du Sentier", votre première oeuvre en 1955 révélait au Bengale, à l'Inde et au monde que Tagore avait un héritier capable d'exprimer avec l'écriture des temps nouveaux, celle de l'image, cette sensibilité que le fondateur de Santiniketan nous avait déjà rendue familière.
- Vous ne rejetez pas l'influence du maître auquel vous avez rendu quelques années plus tard l'éclatant hommage mais vous la transformez, vous la dépassez, dans une vision qui n'appartient qu'à vous et qui, d'oeuvre en oeuvre affirme son exigence et élargit son ambition. Puisant dans les trésors littéraires de la Renaissance bengalie ceux de Bhutibhusam Bannerjee, de Tarashankar Bannerjee, de Naranderanath Mitra ou de Tagore lui-même. Vous les métamorphosez pour faire naître une oeuvre où tout, le scénario, la réalisation, le décor, la musique, est votre création pour imposer un regard qui n'appartient qu'à vous. Réaliste et parfois cruel, certains vous le reprochent, dans la description des êtres déchirés, dans la perception de la détresse des humbles ou de leur joie dérisoire, moraliste d'une certaine façon, religieux par les lumières qu'il jette sur les vertiges de l'âme humaine, toujours tentée de glisser vers la déchéance et pourtant cherchant son salut £ mais aussi lyrique à travers tant de symboles, celui du blanc et du noir, servis par une photographie admirable, celui du fleuve ou de la montagne, celui de l'enfant et de la mère, dans lequel chacun se reconnaît ou reconnaît du moins ce rapport qui unit partout sur cette terre l'Inde à ses fils.\
Je tiens à faire cet exposé pour, dépassant même la personne de M. Ray, rendre hommage à l'Inde tout entière. Car une large partie de l'oeuvre de M. Ray, que ce soit le "Salon de Musique", Mir Mirza, les "Deux joueurs d'échecs" qui illustrent une page de l'histoire de l'Inde, qu'eux seuls ne veulent pas tourner £ on trouve constamment des thèmes propres à l'histoire de l'humanité.
- Ainsi s'incarnent les nostalgies des sociétés et des cultures qui font semblant de ne pas voir qu'elles vont mourir. On voit ainsi dans notre mémoire s'inscrire bien des personnages de Maupassant ou de Zola, Charoulata, Amal et Bhupati, vivent dans le Calcutta de leur temps. Le combat des Bengales qui recherche à renaître £ mais le drame intime qui les déchire et aussi celui des personnages d'"Une partie de campagne" ou de "La règle du jeu". Et la solitude de Pikoo accroché à son téléphone, quêtant dans Calcutta, grouillant et désert, la chaleur d'une voix, d'une amitié, elle est celle de tous les enfants du monde, face à de trop lourdes vérités.
- En vous distinguant aujourd'hui cher Maître, la France rend hommage à un très grand cinéaste, à un ami aussi, mais elle veut témoigner surtout sa gratitude à un créateur qui en s'enracinant dans cette partie de terre qui est la sienne témoigne, continue de porter le témoignage pour les autres. Il existe dans ce grand pays bien des talents, une force créatrice qui mériterait bien d'autres rencontres, dans d'autres endroits, avec d'autres artistes, d'autres écrivains, mais nous avons pensé que Satyajit Ray représentait typiquement un grand moment de la culture indienne et de la création universelle tout court. Voilà pourquoi je vais avoir maintenant le privilège de remettre la distinction dans l'ordre de la légion d'honneur au nom de la France.\
- Cher Maître,
- La visite que la France rend aujourd'hui à l'Inde n'est pas seulement dictée par la volonté qu'ont les gouvernants de nations de rapprocher leurs vues sur les grandes affaires du monde ou de renforcer leur coopération. Elle procède d'une exigence plus profonde que je ressens profondément en cet instant, le besoin d'entretenir l'amitié des esprits. Cette amitié lie depuis très longtemps nos deux peuples, elle leur permet, au mépris des distances et des vicissitudes de l'histoire de préserver un dialogue culturel singulier.
- C'est un plaisir pour moi que de me retrouver au deuxième jour de cette trop brève visite en Inde, ici, à Calcutta, foyer de la renaissance bengalie, pôle de développement culturel et intellectuel de l'Union indienne. Et c'est un plaisir plus grand encore que de m'y retrouver en compagnie de quelques-uns des esprits les plus brillants, des plus grands talents de l'Inde d'aujourd'hui pour honorer avec eux l'un des artistes les plus fascinants de ce temps, M. Satyajit Ray.
- Dans ce siècle de cinéma, dans ce pays qui possède sans doute la plus grande industrie des films du monde, vous vous êtes imposé, M. Ray, d'entrée de jeu parmi les meilleurs, "Pather Panchali", "La Complainte du Sentier", votre première oeuvre en 1955 révélait au Bengale, à l'Inde et au monde que Tagore avait un héritier capable d'exprimer avec l'écriture des temps nouveaux, celle de l'image, cette sensibilité que le fondateur de Santiniketan nous avait déjà rendue familière.
- Vous ne rejetez pas l'influence du maître auquel vous avez rendu quelques années plus tard l'éclatant hommage mais vous la transformez, vous la dépassez, dans une vision qui n'appartient qu'à vous et qui, d'oeuvre en oeuvre affirme son exigence et élargit son ambition. Puisant dans les trésors littéraires de la Renaissance bengalie ceux de Bhutibhusam Bannerjee, de Tarashankar Bannerjee, de Naranderanath Mitra ou de Tagore lui-même. Vous les métamorphosez pour faire naître une oeuvre où tout, le scénario, la réalisation, le décor, la musique, est votre création pour imposer un regard qui n'appartient qu'à vous. Réaliste et parfois cruel, certains vous le reprochent, dans la description des êtres déchirés, dans la perception de la détresse des humbles ou de leur joie dérisoire, moraliste d'une certaine façon, religieux par les lumières qu'il jette sur les vertiges de l'âme humaine, toujours tentée de glisser vers la déchéance et pourtant cherchant son salut £ mais aussi lyrique à travers tant de symboles, celui du blanc et du noir, servis par une photographie admirable, celui du fleuve ou de la montagne, celui de l'enfant et de la mère, dans lequel chacun se reconnaît ou reconnaît du moins ce rapport qui unit partout sur cette terre l'Inde à ses fils.\
Je tiens à faire cet exposé pour, dépassant même la personne de M. Ray, rendre hommage à l'Inde tout entière. Car une large partie de l'oeuvre de M. Ray, que ce soit le "Salon de Musique", Mir Mirza, les "Deux joueurs d'échecs" qui illustrent une page de l'histoire de l'Inde, qu'eux seuls ne veulent pas tourner £ on trouve constamment des thèmes propres à l'histoire de l'humanité.
- Ainsi s'incarnent les nostalgies des sociétés et des cultures qui font semblant de ne pas voir qu'elles vont mourir. On voit ainsi dans notre mémoire s'inscrire bien des personnages de Maupassant ou de Zola, Charoulata, Amal et Bhupati, vivent dans le Calcutta de leur temps. Le combat des Bengales qui recherche à renaître £ mais le drame intime qui les déchire et aussi celui des personnages d'"Une partie de campagne" ou de "La règle du jeu". Et la solitude de Pikoo accroché à son téléphone, quêtant dans Calcutta, grouillant et désert, la chaleur d'une voix, d'une amitié, elle est celle de tous les enfants du monde, face à de trop lourdes vérités.
- En vous distinguant aujourd'hui cher Maître, la France rend hommage à un très grand cinéaste, à un ami aussi, mais elle veut témoigner surtout sa gratitude à un créateur qui en s'enracinant dans cette partie de terre qui est la sienne témoigne, continue de porter le témoignage pour les autres. Il existe dans ce grand pays bien des talents, une force créatrice qui mériterait bien d'autres rencontres, dans d'autres endroits, avec d'autres artistes, d'autres écrivains, mais nous avons pensé que Satyajit Ray représentait typiquement un grand moment de la culture indienne et de la création universelle tout court. Voilà pourquoi je vais avoir maintenant le privilège de remettre la distinction dans l'ordre de la légion d'honneur au nom de la France.\