Le Président de la République s'est rendu à Toulouse ce mercredi 12 novembre 2025 pour échanger avec les lecteurs de La Dépêche du Midi.
Suite à l’initiative lancée le 28 octobre au Palais de l’Élysée et aux échanges avec des jeunes d’un collège de Rochefort le 4 novembre, le chef de l’État continue d’évoquer les enjeux démocratiques à l’épreuve des réseaux sociaux et des algorithmes.
Il a échangé à cette occasion avec des lecteurs du journal La Dépêche du Midi, première d’une série de rencontres avec les lecteurs de la presse quotidienne régionale, afin d’évoquer ce débat au plus près des territoires et des Français.
Revoir l'échange :
12 novembre 2025 - Seul le prononcé fait foi
La démocratie à l’épreuve des réseaux sociaux et des algorithmes - Le Président Emmanuel Macron face aux lecteurs de La Dépêche du Midi.
Jean-Michel BAYLET
Monsieur le président de la République, c'est un honneur et aussi un bonheur que de vous accueillir ici, à la Dépêche du Midi, un des derniers titres de la presse française qui soit indépendant et familial, et dirigé d'ailleurs par ma famille, puisque, il y a 150 ans, les ouvriers de l'imprimerie Sirven, le préfet par-là, contrariés des informations un peu partiales du préfet, affichées sur la grille de la préfecture, ont décidé de faire un journal.
Ainsi est née, le 2 octobre 1870, La Dépêche du Midi, qui était une coopérative ouvrière, fondée naturellement sur les valeurs que vous imaginez, puisque celles et ceux qui l'ont portée sur les fonts baptismaux, je les provoque volontairement, parce qu'à ce moment-là, on bouffait du curé plutôt que des fonts baptismaux. Mais celles et ceux qui l'ont portée sur les fonts baptismaux étaient des anarchistes, et ainsi est né ce journal qui, très rapidement, a rayonné dans la France entière, qui, très rapidement, a su se créer une image et porter des valeurs qui sont toujours les nôtres aujourd'hui et qui rejoignent le thème de cette réunion, puisque c'est un journal humaniste, républicain, européen, et c'est un journal qui continue à se battre sur ses valeurs, nous ne les cachons pas, même si naturellement, les choses ont évolué.
La Dépêche, toujours disais-je menait les combats, mais ce ne fut pas le cas qu'en 1870, où finalement notre histoire est consubstantielle de celle de la République. Ce fut le cas dans tous les grands moments de l'histoire. Maurice Sarraut, assassiné par la milice et la Gestapo, qui était le directeur du journal. Mon père, Jean Baylet et Albert Sarraut déportés à Neuengamme, et ils ne sont rentrés qu'en mai 1945. Donc, c'est un journal qui a une belle histoire, finalement, si j'osais un peu forcer le trait, qui se confond avec l'histoire de France.
Mais c'est un journal qui, naturellement, continue d'évoluer, à l'instar de la presse, et la presse, Monsieur le Président de la République, a besoin de votre soutien. Nous sommes dans des évolutions vers le numérique, nous sommes confrontés aux GAFA, nous sommes confrontés à l'intelligence artificielle. Ce débat, non seulement, il nous permet de vous recevoir ici, mais il me permet de vous faire passer le message : continuez à nous accompagner, il est déterminant pour la démocratie et la République qu'il y ait une presse libre, indépendante, et qui puisse, au-delà de nos contingences, continuer à prospérer, c'est tout à fait déterminant, souhaitable et indispensable.
Avant de vous donner la parole, si j'ose m'exprimer ainsi, je veux remercier l'ensemble de nos lecteurs qui sont là, qui ont répondu à notre invitation. Bon, on ne peut pas dire que ça n'a pas été fait un peu rapidement. Mais ainsi va Emmanuel Macron, il m'a fait appeler le lundi soir pour dire qu'il voulait nous voir à déjeuner à l'Élysée, le mercredi, là où on fait, et le samedi après, ses services ont appelé Jean-Nicolas pour dire : bah voilà, le Président sera là le 12 novembre.
Ici, nous sommes dans le stock-papier. Il a fallu tout déménager et inventer cette salle dont on a l'impression qu'elle est un lieu de gala, mais en réalité, c'est un local industriel dans lequel nous avons travaillé hier soir, dans lequel nous allons travailler ce soir également. Il n'empêche que, merci à toutes et à tous, malgré la rapidité, d'avoir répondu présents. Merci à nos équipes, à Jean-Nicolas, qui a tout coordonné, à Nathalie, qui l'a secondé, aux ouvriers de l'imprimerie, qui ont déménagé toutes les bobines. Ça pèse 1 000 kg, des bobines comme ça. Ils ont tout déménagé pour que nous puissions vous accueillir avec les égards du haut rang du Président de la République. Monsieur le Président, nous sommes heureux, vraiment, de vous accueillir.
Bon débat, et merci d'avoir choisi Toulouse, et merci de penser à la presse. Je ne terminerai pas, naturellement, sans saluer nos confrères qui sont ici et qui sont arrivés à votre suite, plus nos confrères de la presse quotidienne régionale. Bon débat, Monsieur le président de la République.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup, Monsieur le président, cher Jean-Michel, merci beaucoup pour ces mots, pour l'accueil. Merci à l'ensemble des équipes du groupe d'avoir organisé en effet en un temps record ce débat et d'avoir ainsi aménagé cette salle. Merci, Mesdames et Messieurs, d'être là en vos grades et qualités, comme on dit, pour ne pas décliner tous les titres des uns et des autres.
Je vais peut-être vous dire en deux mots pourquoi j'ai proposé qu'on ait ces débats et pourquoi, en effet, il y a une douzaine de jours, j'ai souhaité voir la presse quotidienne régionale dans son ensemble. On commence, au fond, là, un cycle de discussion.
C'est qu'on voit bien que quelque chose se passe, pas simplement dans notre pays, mais dans nos démocraties, avec les réseaux sociaux depuis quelques années et maintenant l'intelligence artificielle en plus. Alors, nous sommes un pays de technologie, d'innovation, de science, et donc, on a raison d'embrasser ces changements, d'essayer d'avoir des acteurs de ces changements, d'être au cœur de ces transitions technologiques. Et nous le sommes.
Mais dans le même temps, on ne peut pas voir que quelque chose n'est pas en train de se passer dans le fonctionnement de nos démocraties et pour notre jeunesse, nos jeunesses. C'est, au fond, ces deux sujets que j'ai à cœur de faire avancer.
Alors, ces dernières années, on a essayé de faire avancer les choses. Je dis ces dernières années parce qu'au fond, il y a quelques jalons qui ont marqué les années qui viennent de s'écouler. 2015 à peu près, c'est le moment où les réseaux sociaux s'étendent mondialement et gagnent nos vies, et où les grands réseaux qu'on connaît sont utilisés de manière beaucoup plus massive par les jeunes et moins jeunes. Donc, on a à peu près 10 ans de recul.
Ensuite, on a 2020, le covid, qui est une crise qui change encore plus profondément notre rapport aux réseaux sociaux, parce qu'on était plongés, si je puis dire, dans la solitude du confinement, parce qu'il y a eu, en même temps, il y avait une volonté de s'informer, et parce qu'aussi, le temps d'exposition aux écrans et aux réseaux, on le voit dans toutes les statistiques, des plus jeunes aux moins jeunes, s'est profondément transformé. Il n'y a pas eu vraiment de retour en arrière.
Durant la décennie qui vient de s'écouler, les choses ont changé, très profondément. Ce qui fait qu'au moment où je vous parle, on a les jeunes générations qui s'informent beaucoup plus à travers les réseaux sociaux qu'à travers les médias traditionnels, même si vous avez eu, votre groupe, comme tous vos partenaires et parfois concurrents, des pratiques, vous-mêmes numériques, pour aller sur ces réseaux, diffuser l'information, mais ça passe maintenant par ces réseaux et par l'IA, on y reviendra sans doute, et le temps d'exposition aux écrans a flambé.
Pour les jeunes, aujourd'hui, on est à environ à 4h40 quotidienne, quotidienne. Ce qui veut dire que quand nous, on réfléchit à nos programmes, et devant Monsieur le recteur, vous pouvez dire, je vais rajouter une heure d'éducation civique dans la semaine. Si vous luttez face à des contenus auxquels vos enfants sont exposés 4h40 en moyenne par jour, bon courage.
C'est une réalité qui s'est totalement transformée ces dernières années. Alors, on a bien vu, il y a quelques années, que ça commençait à poser des problèmes. On a essayé de réguler, de changer les choses. Je dis ça avant qu'on débatte pour vous dire qu'on ne part pas de rien. Dès 2018, j'ai lancé quelque chose qui s'appelait Tech for Good, c'est-à-dire qu'on a pris les grandes plateformes et on a dit, on veut avec vous coopérer, par exemple, pour lutter contre le terrorisme.
Au début, on n'était même pas suivis par les collègues, malgré les attentats qui se succédaient. Il y a eu, en 2019, en Nouvelle-Zélande l'attentat de Christchurch. On a lancé à Paris en mai 2019 l'appel de Christchurch. C'est ce qui nous a permis d'obtenir le retrait des contenus terroristes en ligne en une heure. Vous imaginez qu'il a fallu plus de deux ans et demi de combat et que c'est plutôt respecté, ce qu'on appelle cette heure dorée, mais il y a encore des faiblesses dans le dispositif.
On a ensuite essayé d'engager les choses pour protéger les enfants en ligne, pour demander aux plateformes de modérer, de retirer des contenus, mais sur une base volontaire. Dans le cadre de ce qu'on a fait avec le Forum de Paris sur la paix, on a créé un laboratoire de protection des enfants. Et puis, sous présidence française, en 2022, on a mis deux grandes directives en place : la directive sur les acteurs du numérique, dite DMA, et la directive sur les services du numérique, qu'on appelle DSA, pour réguler et commencer à mettre en place une forme de responsabilité de ces plateformes. On a commencé à mettre une forme de grammaire, si je puis dire, pour dire, un peu comme des titres de presse, quand il y a des contenus haineux, antisémites, racistes, c'est votre responsabilité de les enlever et on peut vous poursuivre. Ce que je constate, après vote, ça, ça prend du temps, on lance en 22, on finalise en 23-24, on a la base mais on n'a pas réussi à finaliser beaucoup d'affaires encore sur la base de ces directives, parce que c'est très lent, très long, et c'est attaqué, directement, aujourd'hui, politiquement, par les grands acteurs américains. Vous avez, dans les discours du président américain, des grandes boîtes américaines, des discours qui disent : « ces Européens, ils veulent nous réguler », c'est une lutte contre, pardon de cet anglicisme, le free speech.
On est aujourd'hui dans une situation, on a fait tout ça, mais on voit bien que ça n'est pas suffisant. 1) toutes les études montrent que nos enfants, nos ados sont de plus en plus perturbés par ces réseaux. J'avais mis en place une commission qui a rendu ses conclusions en 2022, présidée par Monsieur Bronner, sur les lumières à l'âge numérique, qui montrait tous les problèmes sur l'éducation, le rapport à la connaissance, aux sciences, et une commission écran qui a rendu ses conclusions l'année dernière.
Il y a eu beaucoup de travaux internationaux, Monsieur HART et d'autres, les grands chercheurs, tout ça montre qu'on a chez nos jeunes de plus en plus de problèmes de troubles de l'attention, de plus en plus des troubles du comportement alimentaire, de plus en plus de difficultés à accéder à la connaissance par ces surexpositions aux réseaux sociaux. On pourra y revenir, et on y reviendra dans le débat, c'est pour ça que je ne veux pas être trop long, mais maintenant, il y a un consensus scientifique pour dire que pour les jeunes et les adolescents, ça n'est pas bon.
La deuxième chose, on voit que tout ça est en train de bousculer la vie de nos démocraties. Le rapport à la connaissance, à la science, on l'a un peu vu dans les débats pendant le covid, on le voit encore aujourd'hui. On a vu ces derniers temps, dans les élections qui se sont tenues, comment les réseaux sociaux devenaient des agents soit d'interférence, soit de dégénérescence un peu démocratique. Ce qui s'est passé en Moldavie ou en Roumanie ces derniers mois, a été très bien documenté. On pourra y revenir, là aussi, dans la discussion. Et donc, on ne peut pas faire comme si ça n'existait pas.
Les réseaux sociaux bousculent notre rapport aussi à la formation de nos opinions publiques, aux élections, et donc à notre vie démocratique. Parce qu'il y a derrière des acteurs cachés, il y a derrière des algorithmes dont on ne connaît pas forcément les logiques, et il peut y avoir derrière, et il y a derrière aussi, des techniques d'ingérence, d'interférence de puissances étrangères qui peuvent être à l'œuvre et venir bousculer notre souveraineté démocratique.
Pour toutes ces raisons, il fallait sonner le tocsin. En effet, la presse est elle-même directement impactée. Vous le voyez, pas simplement dans votre électorat, mais dans la concurrence, si je puis dire, déloyale qui est faite par ces réseaux où, en quelque sorte, dans la captation de valeurs qu'ils peuvent faire, que ce soit des réseaux ou des grands acteurs de l'intelligence artificielle qui, parce qu'ils agrègent en quelque sorte la demande, on va d'abord leur demander à eux, prennent la valeur quand ensuite, ils renvoient sur des pages de contenu qui ne sont pas les leurs. Mais c'est eux qui auront monétisé tout ça.
Pour toutes ces raisons, j'ai souhaité qu'on ait ces débats, et je vous remercie de vous en être saisi, pour beaucoup, vous les aviez commencés, et on les a eus ces dernières années, peut-être de manière un peu informelle ou décousue, et l'objectif est qu'on essaie de bâtir un consensus national pour la fin d'année, pour qu'en début d'année prochaine, on prenne les bonnes décisions collectives pour faire face à ces défis, à la fois pour nos jeunes et pour le bon fonctionnement démocratique.
Voilà, je ne veux pas être plus long, mais je voulais rappeler en quelques mots d'où on vient et quelle est la nature du problème, ce qu'on est en train de faire. L'objectif, c'est d'aller vers des décisions concrètes au début de l'année 2026. Maintenant, je suis à vous. Mais merci infiniment, président. Merci à vous, à l'ensemble de vos équipes, de la mobilisation, du travail fait et d'avoir organisé ce débat.
Intervenant
Merci, Monsieur le Président. Merci pour ces éléments d'introduction qui vont favoriser les débats, puisque tout le monde a le même niveau maintenant de connaissance sur le sujet. Je devais faire une introduction, mais la vôtre est bien meilleure. Donc, je m'efface. Le président de la République répondra au maximum de ce qu'il peut répondre. Vous êtes très nombreux, mais on a un temps contraint. En tout cas, sentez-vous libre. On parlait de free speech tout à l'heure. C'est exactement l'état d'esprit de cette rencontre. Alors cette rencontre, en fait, « La démocratie à l'épreuve des réseaux sociaux » on a décidé de la découper en trois chapitres. On va d'abord traiter du complotisme, notamment par le prisme de la santé. Vous en avez parlé, Monsieur le Président, parce que la crise du covid a été un révélateur du complotisme.
La deuxième séquence s'intéressera aux médias parce qu'on est au siège de La Dépêche du Midi et effectivement, nous traitons le complotisme, les fake news à longueur de temps et depuis quelques années maintenant, donc on abordera ce sujet et on sera preneur de votre vision sur ce thème.
Ensuite évidemment l'éducation, la formation des jeunes, vous en avez également parlé, Monsieur le Président, la formation à l'esprit critique et au discernement afin d'avoir une citoyenneté numérique la plus parfaite.
Première séquence sur les réseaux sociaux et le complotisme. On a décidé de rentrer par le spectre médical. Alors pourquoi ? Pour plusieurs raisons. Déjà Toulouse est une ville de connaissances, connaissances au singulier et au pluriel. Nous avons plus de 9 000 chercheurs à Toulouse, plus de 140 laboratoires publics et privés, et nous avons également l'Oncopole qui était décidé par Jacques Chirac à l'époque pour concentrer la recherche de la lutte contre le cancer ici à Toulouse. On a un vivier de la recherche et notamment de la recherche médicale très puissant. Le covid, vous l'avez dit également, a révélé des comportements, une défiance envers les soignants, envers les scientifiques qui ont pu remettre en cause l'efficacité, le recours au vaccin. Donc tous ces sujets nous ont amenés à traiter d'abord le complotisme par ce biais du médical.
Pour fixer les idées, on va donner quelques idées clés. Regardez sur cet écran. On va voir les chiffres qui apparaissent. C'est assez édifiant. 35 % des Français déclarent croire aux théories du complot. Un français sur trois. 40 % des Français adhèrent à au moins une contre-vérité scientifique, par exemple que les vaccins ne sont pas efficaces, et 60 % des professionnels de santé disent faire face à un public de plus en plus défiant envers l'information médicale. On voit que ça complique grandement la tâche des soignants qui est de soigner. Parce que maintenant, avant de soigner, il faut convaincre, il faut dépenser de l'énergie pour convaincre les patients des traitements qu'on va leur proposer. Alors, on va s'appuyer pour chaque séquence sur un témoignage local, parce qu'on est enracinés dans la presse quotidienne régionale, dans notre territoire.
Pauline BOUIC
Oui, en effet. Alors, professeur, merci. Professeur Julien Mazières, en effet, vous êtes onco pneumologue au CHU de Toulouse. Vous avez forcément été face à cette première vague de covid qui était à l'hôpital. Vous êtes aussi présent sur X, Ex-Twitter, où vous avez une communauté de scientifiques qui vous suivent. Et puis vous vous interrogez beaucoup sur la lutte contre la désinformation et surtout le respect de la liberté d'expression.
Intervenant
Pneumologue, oncologue au CHU de Toulouse, est responsable du pôle des voies respiratoires. Donc j'étais en première ligne pour tout ce qui a été de l'épidémie du covid. Également, membre de l'Université de Toulouse, dont vous avez la présidente à côté, chercheur à l'Inserm, et membre du CHU.
Mon métier en soin, enseignement, recherche, je le fais, je l'ai toujours fait, mais on a rajouté quelque chose de nouveau qui est la communication, accompagner ce que l'on fait, une communication avant qui était assez simple, qui était publier, discuter dans des médias assez classiques. Là, on est passé à quelque chose de plus compliqué et ça implique de maîtriser les réseaux sociaux dans lesquels on est. Donc moi, effectivement, j'y suis, je suis très présent sur Twitter et au moment où tout le monde est parti, pour les raisons qu'on connaît, j'y suis resté, non pas que j'adhère à la philosophie de Twitter, mais parce que je me dis que si on laisse la place aux complotistes, il n'y a plus la vérité scientifique, donc je suis resté, un peu malgré moi, c'est dur à lire, j'avoue, Twitter, mais bon, j'y suis resté.
Maintenant, je vais commencer par citer quelques exemples qui me sont arrivés en termes de complotisme et puis essayer d'ouvrir un petit peu la discussion. En tant que pneumologue pendant la pandémie du covid, nous avons eu une approche médicale et scientifique. On a fait des travaux scientifiques alors que nos services étaient débordés par les patients et on a fait une première publication où on regardait quatre mois après l'infection à covid quel était l'état des patients. On a vu que 60 % avaient encore des symptômes et 40 % des anomalies radiologiques.
Je le twitte en anglais, tout le monde dit ok. Je le twitte en français en suggérant de se vacciner. Et alors là, 300 000 réponses. Je les ai sur mon téléphone, j'ai fait des petites copies d'écran, je ne vais pas vous les citer toutes. Il y avait des insultes, il y avait des « rend ta blouse », il y avait des « t’es un vendu de l'Inserm », que des choses comme ça. Là, je me suis dit, qu'est-ce que je fais ? Je laisse passer la vague ou je réponds ? J'étais encore un peu jeune et naïf. J'ai répondu presque à tout. Enfin, à partir du moment où il y avait au moins plus de 50 abonnés pour chaque compte. Et ça a décuplé la réponse, c'est-à-dire que je suis arrivé à la fin sur le total de 5 % de réponses positives et scientifiques versus 95 % de réponses catastrophiques, insultantes et allant vers les théories complotistes. C'est vrai que c'est quand même assez troublant et on est démuni en tant que médecin pour pouvoir lutter contre cette désinformation.
Un autre exemple qui est différent et qui est instructif, peut-être encore plus grave, en tant que pneumologue, je lutte contre le tabac et contre la communication faite par les industries cigarettières auprès des jeunes. Et donc j'essaie de démonter la communication de Philip Morris qui ponctue chacun de ses tweets par un hashtag, un monde sans tabac. Je ne sais pas si vous arrivez à comprendre l'inversion cognitive qu'une entreprise dont le business est de vendre des cigarettes fasse #un monde sans tabac ou un monde sans fumer. Ils sont en train d'expliquer qu'ils sont passés à la cigarette électronique, mais c'est pour rendre les gens encore plus addicts puisqu'il garde en fait la nicotine comme vecteur pour accoutumer les gens. Vous voyez que c'est quand même très compliqué de se positionner et j'ai même eu un message où Philip Morris me disait : « Nous faisons plus que vous pour la lutte anti-tabac ». Je l'ai lu devant les étudiants en médecine, puisque je faisais cours le matin où j'ai reçu ça.
Là, on se dit qu'on est bien démunis pour arriver à répondre à tout ça. Ceci étant, nous sommes des médecins et des chercheurs, donc l'esprit critique, on le valorise. Il ne faut pas qu'on soit dans une vérité verticale, descendante, unique. Donc, il faut quand même qu'on laisse un espace à la critique, à la discussion de toutes les vérités, y compris les vaccins. On est ouverts à la discussion.
Donc comment trouver le juste milieu ? Où mettre le curseur entre, puisqu'on parle de démocratie, ne pas être dans la vérité unique, qui est un signe du totalitarisme, mais pouvoir discuter tout ce que l'on trouve, donc une vérité quand même un petit peu plurielle pour pouvoir être dans l'esprit critique qui est la base des démocraties. On doit jongler avec ça et c'est assez compliqué.
Alors, quand je ne m'en sors pas, je sais que vous aimez beaucoup la philosophie, je vais revoir un peu les philosophes. Je pense qu'on peut trouver quand même des petites réponses là-dessus. La première, c'est est-ce que la vérité existe ? Parce que les philosophes, ils n'ont pas parlé des fake news, mais ils ont parlé beaucoup de la vérité. C'est vrai que déjà, Platon parlait de la vérité comme un objectif. Je pense qu'on doit viser la vérité comme un objectif commun. Mais une fois qu'on a dit ça, on est encore dans quelque chose qui n'est pas complet, parce que si on regarde ce que disait Montaigne, et on est bien placé pour le dire ici, « vérité ici, autre vérité en deçà des Pyrénées », ou ce que disait Paul Ricœur, qui est un philosophe que vous aimez bien, qu'on pense, on philosophe toujours de quelque part, ça veut dire qu'on n'est jamais neutre. Il faut qu'on introduise effectivement à la fois que la vérité existe et que ça doit être notre objectif commun, mais également que la vérité peut être contestée, qu'il faut accepter une vérité plurielle et que dans toute démocratie, il doit y avoir donc une possible discussion.
On en arrive maintenant à comment faire ? C'est là où c'est un petit peu compliqué. Je pense qu'on va ouvrir la discussion là-dessus. On comprend que la seule manière de s'en sortir c'est la dialectique, la communication, et donc il faut qu'on arrive à trouver un espace dans lequel on peut discuter. La dialectique, c'est les grecs anciens qui disaient, la vérité socratique, c'est que la vérité est la somme de ce qu'on va dire aujourd'hui et pas ce qu'a dit une seule personne. Ça, c'est très bien, il faut qu'on remette un espace de dialectique. Le problème, c'est, est-ce que les réseaux sociaux nous permettent de faire cette dialectique ? Je pense que c'est un peu compliqué, parce que les réseaux sociaux sont conditionnés pour être vus, pour qu'on reste connectés, 4h40 par jour, vous l'avez dit, et pour ça, si on met que des vérités, les gens ne restent pas connectés. Il faut qu'on leur mette des choses qui les énervent, qui les font contester, qui les angoissent, et pour ça, les réseaux sociaux sont enrichis en fake news pour garder les gens captifs. Quel est cet espace ? Je ne sais pas, on va en parler ensemble.
Animateur
Un espace à créer, peut-être.
Intervenant
Alors, moi, je pense qu'il y en a, des espaces. Il y a les livres et les bibliothèques. Remettre des librairies en ville, il y en a déjà pas mal, mais des bibliothèques pour les gens qui ont moins d'argent pour acheter les livres, des moments comme celui-là où on va tous parler en respectant ce que va dire l'autre. Je pense qu'il y a quand même encore des possibilités de débat où chacun peut proposer son avis, défendre la vérité et donc la démocratie, lutter contre le totalitarisme et contre les fake news.
Intervenant
Merci, merci de l'invitation et merci, Monsieur le Président, de s'intéresser et de mettre sur le devant, ce sujet ô combien important. D'abord, en propos luminaire, je trouve que, les responsables de la Dépêche, vous êtes très modeste. Vous êtes très modeste parce que vous êtes ici, Monsieur le Président, au sein du cœur nucléaire de Toulouse. De Toulouse, mais également de l'Occitanie, et cette Occitanie, ce Sud-Ouest, vous le savez, a un tempérament de courage et de résistance. Ce journal incarne parfaitement cela. Cher Jean-Michel, je voudrais vous rappeler que, quelques jours après AZF, nous nous sommes trouvés côte à côte dans l'avion en redescendant vers Paris, et vous m'expliquiez que, alors que vous faisiez face aux moyens du bord, vous avez tout fait pour que le journal paraisse le lendemain d'AZF, et il est paru. C'est ça le courage et c'est ça la résistance.
Sur un plus long temps, ce journal a fait preuve de résistance et de courage face au complotisme. Il a tenu la ligne. Il n'a jamais donné parole à ceux qui portent le complotisme. On ne peut pas en dire autant de beaucoup de chaînes info et de radio. La Dépêche a tenu la ligne et je tiens à la saluer pour cela.
Alors, ce sujet est ô combien important, et la grande erreur serait de penser qu'il ne l'est pas. Et pourtant, j'avais encore hier au téléphone le professeur Mathieu Molimard, qui a été nommé par le ministre de la Santé précédent, Yannick Neuder, sur une mission et sur un rapport apporté sur les dérives complotistes dans la santé, lui, Dominique Costagliola, Hervé Maisonneuve, et il me disait qu'ils avaient auditionné plus de 120 personnes et que les seuls qu'ils n'arrivaient pas à auditionner, c'étaient les politiques.
Soit parce qu'ils considèrent cela comme peu important, soit parce qu'ils considèrent qu'il y a une réserve de voix trop importante pour avoir une position trop tranchée. Ça, c'est vraiment le mur contre lequel on va se heurter. Alors, vous l'avez dit, la covid a été un formidable accélérateur des dérives complotistes, en particulier dans la santé et dans la médecine. La base même du complotisme, c'est souvent les dérives sur la science et sur la médecine. Pourquoi ?
D'abord, au début du covid, le complotisme était artisanal. C'était quelques individus bien connus, qu'on avait connus pendant la grippe H1N1, qui ont commencé à lancer des théories farfelues. Puis, ils ont industrialisé cette réponse. Ils ont créé des associations, ils ont créé des structures véritables qui leur ont rapporté beaucoup, beaucoup d'argent. Ils ont eu des avocats qui ont fait des actions de groupe, qui ont gagné des millions d'euros là-dessus. Il y a eu de fausses presses type France soir, blog complotiste bien connu, qui vraiment a porté cela et l'a diffusé.
Nous, nous nous sommes fait attaquer. On était en quelque sorte une petite troupe de médecins et de chercheurs. On avait fait un shadow cabinet à l'époque scientifique pour combattre ce complotisme. On a été menacés, menacés de mort. J'ai personnellement eu un garde du corps pendant deux ans, j'ai eu des milliers et des milliers de menaces de mort, reçu des balles à la clinique dont je m'occupe, groupement clinique indépendante, une des dernières aussi. J'ai eu des centaines de milliers de menaces, le hashtag Marty a été en tête des tendances Twitter France plusieurs fois, notamment le week-end, et on a fait face.
On a fait face. On a fait face pourquoi, Monsieur le Président ? Simplement parce qu'on est médecin et que notre rôle, c'est de porter la santé publique, quoi qu'il en coûte. Quoi qu'il en coûte. Pourquoi ça s'est étendu et pourquoi la base même du complotisme c'est le complotisme scientifique et anti-médical. Le taux de confiance de la population vis-à-vis des médecins est de 90 %, et il ne varie pas année après année. Le taux de confiance des leaders politiques, c'est 9 %. Ça veut dire que la population fait 10 fois plus confiance aux médecins qu'aux leaders politiques, et on voit l'importance que peut avoir une nation étrangère en déstabilisant et en essayant de rompre ce lien de confiance qu'il y a entre la population et les médecins, puisqu’encore une fois, la confiance dans la population médicale, c'est un pilier de stabilisation démocratique.
Quand on s'attaque aux médecins, on fragilise ce pilier et donc on fragilise la nation. Sur n'importe quel sujet, on s'attaque aux médecins. Donc, on voit bien que la Russie, notamment, aujourd'hui, dans la guerre hybride qu'elle nous mène, favorise cette communication en finançant un certain nombre de structures, dont je parlais, qui ont industrialisé cette attaque, qui ont industrialisé cette manipulation.
Donc, il va falloir lutter. Il va falloir lutter, et ça se fera autrement que par les paroles. D'abord, il va falloir ne plus avoir du tout, mais du tout, d'indulgence vis-à-vis de ceux qui, communiquent des fausses doctrines scientifiques qui mettent en danger la population. Quand on prend la responsabilité de diffuser des fausses informations et qu'on le fait par des associations ou des structures qui ont été fondées pour cela, on met en danger la vie des gens et cela doit se payer très cher, très cher.
Autre chose, ce qui nous ralentit, c'est le manque de culture scientifique, vous en avez parlé, mais c'est aussi le manque de culture scientifique des parlementaires. Je pense qu'il faut obliger les parlementaires à avoir une formation scientifique quand ils font face à une crise sanitaire. On ne peut plus avoir des parlementaires qui relaient de la fausse science en pensant qu'elle est juste. Et puis, on doit se l'avouer, il y a quantité de parlementaires qui relaient cela parce qu'il y a un réservoir électoral et que ce réservoir électoral peut les amener à avancer en se upgradant dans le classement politique. On a vu qu'aux États-Unis, le mouvement QAnon a participé très largement à l'élection du président Trump. Et on a la même chose aujourd'hui en France, on a des petits mouvements politiques, Philippot, Asselineau, Dupont-Aignan, qui ont très largement pris avec eux les mouvements les plus extrémistes complotistes, ceux qui ont appelé à notre décapitation. Et puis, on a l'extrême droite et l'extrême gauche qui jouent un rôle qui est très malsain là-dedans et qui n'osent pas véritablement prendre des positions dures contre ceux qui nous font la guerre, la guerre à l'intérieur et la guerre à l'extérieur.
C'est bien qu'enfin, vous saisissiez ce sujet. Vous n'avez pas été exempt de fautes. Le fait d'avoir un peu adoubé le professeur Raoult nous a fait perdre beaucoup de temps. Le professeur Raoult qui a été à la base, vous le savez, d'études falsifiées, d'utilisation d'un traitement non conventionnel dangereux dans la covid. Je veux dire, à un moment, il faut mettre un stop à tout ça. Il faut aller faire le ménage à l'IHU. Mais ce sont des exemples qui sont très symboliques et que la science attend.
Monsieur le Président, encore une fois, merci. Merci pour ce combat que vous allez mener. Menez-le au bout. Menez-le au bout. N'ayez pas peur de renverser la table. N'ayez pas peur d'avoir un discours fort et dur parce que le complotisme, les dérives anti-science, c'est aujourd'hui une forme de terrorisme. Merci.
Intervenant
Je suis infirmier en réanimation polyvalente à l'hôpital Rangueil de Toulouse. Je suis infirmier de longue date, donc j'ai une petite expérience de soignant. Et je voudrais vous relater un peu notre ressenti de soignant face au complotisme. On a été beaucoup impactés par la période du covid. On a répondu présent, on a vraiment des équipes qui se sont soudées. On a vu arriver les vaccins comme une solution potentielle, comme une lumière au bout du tunnel, un petit peu, face au covid. Et puis, on a vu tous ces débats, toutes ces polémiques sur la vaccination. En tant que soignant, je parle pour moi, mais également pour la plupart de mes collègues, on a été très impactés parce qu'on ne comprenait pas. Il y a eu beaucoup d'incompréhension au début. Il y a eu également beaucoup de colère pendant un moment. Il y a eu beaucoup de tristesse surtout parce que malheureusement, on s'est retrouvé avec, quelques mois plus tard, des gens dans les lits de réanimation qui étaient dans des états préoccupants au niveau de leur santé avec, bien sûr, des pronostics vitaux engagés, comme on le sait tous, et puis avec un sentiment de se dire : on aurait peut-être pu éviter tout ça si ces gens avaient été vaccinés.
Bien sûr, certaines personnes n'étaient pas vaccinées par nonchalance, peut-être, mais on avait quand même des théories complotistes un petit peu, on avait des gens qui étaient convaincus que la vaccination ne servait à rien, leurs familles, qui pouvaient parfois être véhémentes et parfois agressives envers les soignants et s'opposer à certains soins. Donc, c'était compliqué pour nous, compliqué de faire face et d'essayer de fournir des soins de qualité, de fournir des soins un petit peu de manière professionnelle, de rester professionnel par rapport à tout ça sur des situations d'incompréhension et de tristesse aussi puisque, malheureusement, il y avait beaucoup de situations qui sont terminées tragiquement parfois pour les patients.
Le second point que je voulais aborder, c'était en matière d'information aux familles et aux patients. On voit de plus en plus de familles ou de patients qui vont aller chercher de l'information vers les médias, vers les réseaux sociaux, vers le web, sans que ça soit des sources forcément vérifiées, avec des patients ou leurs familles, parce que malheureusement, en réanimation, on a beaucoup à faire, en tant que soignant aux famille, qui vont être désinformées ou avoir des mauvaises informations. On sait qu'en tant que famille, quand on est dans des situations vraiment désespérées un petit peu, on a besoin de se raccrocher à des choses plus positives. Si l'information donnant des choses positives est accessible, on va vers celle-là, même si ce n'est pas la plus vérifiée.
On est confronté à ça au quotidien, avec des familles qui deviennent méfiantes un peu envers le milieu médical, envers les soignants, malgré les informations que les médecins, que les équipes médicales peuvent leur donner. Je pense que c'est important pour les soignants, les médecins, tout le monde, d'essayer de guider, d'éduquer les gens à aller chercher des informations fiables, vérifiées, notamment en matière de santé, et puis d'accompagner ces personnes vers une information qui va leur permettre d'être vraiment, vraiment lucide par rapport aux pathologies de leurs proches et de pouvoir adhérer à des projets de soins. Pour nous les soignants, c'est important d'avoir d’abord une adhésion des familles aux projets de soins.
On a en plus la chance d'avoir des médecins qui sont disponibles, qui sont informés, qui communiquent. Toutes les décisions, toutes les choses sont faites de manière un peu collégiale, avec les avis qui sont demandés souvent aux autres spécialités. Il faut vraiment que les gens fassent confiance aux équipes médicales et il faut vraiment que les soignants aident les personnes à aller s'informer sur des sources d'informations fiables comme il en existe. Une ouverture à ça, ça serait peut-être d'essayer d'avoir des méthodes ou des choses pour pousser ces personnes, des méthodes d'aide pour pousser ces personnes aux sources d'informations un petit peu vérifiées et officielles.
Intervenant
Je suis médecin, je suis spécialisé en pharmacologie médicale et je travaille au Centre d'information sur le médicament du CHU de Toulouse et de pharmacovigilance.
On a été en première ligne pendant la période covid, sur la question des médicaments pendant la covid, sur la question de la vaccination, des effets indésirables des vaccins, sur l'efficacité, la question de la balance bénéfice/risque. Ces questions relatives à la désinformation, elles se poursuivent. Plus récemment, on a la thématique de la question du paracétamol et du risque d'autisme.
Mon expérience de terrain sur l'information sur le médicament montre que cette désinformation, en fait, c'est un facteur de risque, c'est un facteur de risque en santé. Au même titre qu'on a cité le tabac, l'alcool, c'est un facteur de risque. C'est-à-dire, c'est quoi un facteur de risque ? C'est que quand on est exposé à ce facteur de risque, on perd une chance sur notre santé. Quand on est exposé au tabac, il y a des risques qui augmentent. Quand on est exposé fortement à l'alcool, il y a des risques qui augmentent. Donc, c'est des facteurs de risque. Ça, c'est potentialisé, et on le voit aussi tous les jours via les réseaux sociaux, dont on sait que le mécanisme est addictif, un mécanisme mimétique addictif, qui est aussi donc un facteur de risque.
Quand on potentialise désinformation et réseaux sociaux, on potentialise, pour nous, deux facteurs de risque, deux facteurs de risque en santé. Qui dit facteur de risque, dit bien sûr évaluation, éducation, ça, c'est très important. Notre rôle de Centre d'information au CHU de Toulouse, c'est la formation, l'éducation et l'évaluation de ces informations. Mais c'est aussi peut-être, et c'est la question que je veux vous poser, Monsieur le Président, la question de la limite. Est-ce qu'il y a une place à l'interdit ? Et je pense en particulier aux populations les plus vulnérables, les enfants, en particulier sur la question des réseaux sociaux.
Est-ce qu'il faut interdire les réseaux sociaux ? À quelle limite d'âge ? Moi, je pense, je donne mon avis, je pense que oui, parce que c'est des facteurs de risque. Est-ce qu'on expose nos enfants à l'alcool ou au tabac ?
Intervenant
Alors, sur ce sujet du complotisme, comment la France peut-elle renforcer sa souveraineté de l'information face aux plateformes étrangères qui façonnent l'opinion publique ? Merci.
Emmanuel MACRON
Merci d'avoir commencé par ce sujet. Je voudrais prendre deux pas de recul pour dire de quoi on parle. Parce que, quand on parle de La Dépêche : vous achetez un numéro, vous vous abonnez, il y a des compléments de revenus avec les annonces légales ou la publicité, mais le cœur du métier, je fais le choix de payer une information. Alors après, je sais qu'il y a des journalistes. On va y revenir, je crois que c'est le deuxième thème que vous avez dit, mais j'ai un modèle économique que je comprends et qui est transparent pour tout le monde. Et puis après, j'aurai des informations, j'aurai des éditos, et c'est vrai pour la presse quotidienne, régionale, nationale, la presse hebdomadaire. C'est comme ça qu'on forge l'opinion publique dans notre démocratie.
Depuis tout à l'heure, on parle des réseaux sociaux. Alors, il ne faut pas faire de caricatures. Vous l'avez d'ailleurs très bien dit. Il y a des bonnes choses dans les réseaux sociaux. C'est-à-dire le fait qu'on puisse s'exprimer, entendre des voix, avoir des contestations, avoir des opinions dissidentes, avoir accès à telle ou telle alerte qu'on n'aurait pas sans les réseaux sociaux. Formidable, c'est un acquis des réseaux. C'est d'ailleurs pour ça qu'on a, en quelque sorte, tous adhéré. Le fait que ça s'ouvre maintenant, que ça circule, que des chercheurs, grâce aux réseaux, échangent avec des collègues du bout du monde ou avec une autre discipline qu'ils ne connaissaient pas, il y a une belle histoire des réseaux sociaux. Et n'oublions jamais d'ailleurs qu'avant, ces réseaux, Internet naît d'une perspective scientifique et d'une volonté de coopération internationale.
Mais si j'en viens aux réseaux sociaux tels qu'on en parle depuis tout à l'heure, ils ne gagnent pas d'argent en donnant de l'information. Elle n'a pas de valeur dans les réseaux sociaux. Ils font de l'argent en vendant de la publicité individualisée. Si on revient à la base de ce qu'est le modèle économique, on comprend quel est leur intérêt. Et donc nous tous, on produit quoi ? Des contenus, des données, des préférences, mais on ne leur apporte pas d'argent. Quand on écrit un message sur Twitter, je dirais même qu'on en coûte en diffusion, c'est microscopique, mais eux vont gagner beaucoup d'argent parce qu'ils vont vendre à des annonceurs qui ce faisant, vont quitter la presse ou les autres formes d'annonces parce qu'on va leur dire : moi, je peux vous vendre votre publicité de manière beaucoup plus intelligente parce que je sais plein de choses sur ces personnes par mes réseaux, parce que je le suis. Je sais ce qu'il va regarder comme vidéo à telle heure, je sais ce qui l’amuse, ce qui l’intéresse.
Depuis tout à l'heure, on parle d'une infrastructure d'information comme si c'était une infrastructure d'information, mais ça n'en est pas. Ce sont des plateformes d'échange de vidéos ou de messages, mais dont l'objectif est de vendre une publicité individualisée à des annonceurs et faire beaucoup d'argent avec ça. Une fois qu'on a remis les choses comme ça, et ce n'est pas un jugement de valeur à leur égard, c'est leur modèle économique. Qu'est-ce qui, ensuite, maximise ce modèle économique ? Pas que vous ayez les idées les plus intelligentes à échanger sur les réseaux sociaux, qu’il y ait le maximum d'excitation. Et là aussi, c'est prouvé, documenté. Ils conçoivent et construisent leurs algorithmes pour que vous alliez de plus en plus sur ces réseaux, que vous ayez de plus en plus d'excitation et donc qu'ils puissent pousser de plus en plus de contenus qu'ils vont pouvoir monétiser.
Vous vous retrouvez dans un espace que nous traitons comme un espace informationnel, mais dont l'objectif est de vendre de la publicité individualisée et qui va lui-même concevoir son propre fonctionnement pour créer de l'excitation. Ce qui fait que l'ordre de mérite au sein de ce réseau, tout en bas, c'est l'argument. Parce que l'argumentation, elle ne crée pas d'excitation. Moi, j'aime bien discuter avec vous aujourd'hui, on va le faire pendant deux heures, vous aussi, vous aimez bien, vous aimez bien lire des livres. Je l'espère. Je pense que ce qui a été dit tout à l'heure est très juste. Mais ce n'est pas ce qui va créer le plus d'excitation. Il y a un principe addictif de base qui est en train de se construire. L'argumentation est moins forte que l'émotion. Et l'émotion positive est moins forte que l'émotion négative. D'ailleurs, regardez bien : sur les réseaux sociaux, ce qui maximise, c'est l'émotion négative. Et donc, je repose ça d'emblée de jeu sur la discussion qu'on a, c'est-à-dire que ce serait un miracle si ça se passait différemment au moment où on en est, parce qu'on est en train de dire depuis tout à l'heure comment on devrait avoir un discours scientifique rationnel, alimenté par l'esprit critique et par la science, dans un espace qui est construit pour faire exactement l'opposé.
On doit nous-mêmes en tirer les conséquences, même si on est devenus super dépendants. C'est ça, le point où on en est. Alors, pour aller droit au but, comme on dirait dans une autre région et pour d'autres clubs, pas de rugby, mais de foot, sur votre question, je pense que maintenant, il y a plutôt un consensus scientifique pour dire qu'il faut protéger nos enfants et nos ados. Parce que justement, quand ils vont sur ces réseaux, ils créent beaucoup de dépendance, ils augmentent le temps d'écran, on a des gros problèmes de vigilance. Je parle sous le contrôle des scientifiques qui sont là. On ne sait pas totalement, pour être rigoureux, il y a peu d'études scientifiques qui ont montré des causalités directes. Mais elles établissent des corrélations tellement systématiques qu'on voit bien qu’une bonne politique, c'est quand même maintenant d'en tirer les conséquences.
On a des problèmes d'attention, on a des problèmes d'apprentissage, on a des problèmes de sédentarité chez nos jeunes et nos ados qui sont liés à l'exposition du temps d'écran. Ils vont jouer différemment et vont du coup être beaucoup moins mobiles, ce qui est terrible pour la prévention en termes de santé publique. On a d'énormes problèmes de troubles du comportement alimentaire, par exemple chez les jeunes filles liées aux réseaux sociaux, parce qu'elles sont de plus en plus exposées à des référentiels d'images qui donnent un modèle complètement fantasmé de la femme, du corps, et qui crée pour les adolescentes des traumatismes terribles. On a une épidémie de troubles du comportement alimentaire. Et on a un trouble du comportement aussi chez les jeunes garçons parce que, par les réseaux sociaux, ils accèdent au contenu pornographique beaucoup plus jeunes, quelles que soient les précautions prises par les parents. Au moment où on est en train de se battre depuis des années sur l'égalité femmes-hommes, le changement des relations, il est prouvé que vous avez de plus en plus de jeunes et d'ados qui accèdent au rapport à la femme, au corps de la femme par des contenus pornographiques très jeunes.
Vous avez derrière des tas d'autres troubles qui naissent des réseaux sociaux. La corrélation de l'augmentation de ces troubles chez les jeunes et de tout ce qu'on voit sur la santé mentale, elle est très bien corrélée avec l'extension des réseaux sociaux, et en particulier de certains réseaux qui ont des algorithmes très sophistiqués, qui créent beaucoup plus de dépendance. Pour toutes ces raisons, la Commission « Écrans » l'avait établie, le consensus scientifique le montre, je crois qu'il faut aller vers, en effet, une interdiction des réseaux sociaux jusqu'à un certain âge. Il y a un consensus pour dire aujourd'hui qu'il ne faut pas d'écran avant 3 ans, c'est très mauvais. Il faut éviter au maximum les écrans avant 6 ans. On y reviendra sans doute dans la troisième partie, mais il faut, dans la pédagogie, limiter les écrans beaucoup plus qu'on ne l'a pensé. Et par exemple, les Scandinaves qui étaient allés très loin sur le tout digital ou le tout écran sont en train de revenir en arrière.
Sur les réseaux sociaux, il faut protéger, le débat existe : 14, 15, 16 ans, il faudra qu'on finalise. Mais il faut protéger nos enfants. Et on est plutôt en train d'essayer de construire une coalition en Europe pour ça. En parallèle, on y reviendra, il faut les former. Ça, c'est clé. Après, à l'âge adulte, ce que vous avez dit sur le complotisme scientifique et le discours anti-science est clé. Il repose sur le grand biais que je viens de décrire. En fait, ce que vous avez décrit aussi, ce sont des témoignages de solitude de ceux qui acceptent d'aller encore sur ces réseaux et de résister à un mouvement qui est dominant et qui va dans l'autre sens. Alors qu'est-ce qu'on peut faire ? Comment vous aider face à ça ? D'abord, je pense qu'il y a une énorme contradiction, il y a deux grands malentendus ou contresens dans le débat public aujourd'hui.
Il y a un premier contresens, je dirais scientifico-démocratique, c'est la confusion qu'il y a entre le doute critique et la défiance. Le doute critique, c'est une bonne chose. C'est-à-dire on m'enseigne quelque chose, j'apprends une connaissance, et puis à l'épreuve, des faits, d'autres expériences, c'est la base même de la recherche scientifique, je parle avec beaucoup d'humilité sous le contrôle des sachants et des pratiquants, mais c'est ça, le test. Vous avez cité beaucoup de philosophes, c'est ce que décrit Popper même dans la science. C'est que je dois douter même ce que j'ai connu pour montrer, et c'est comme ça que la connaissance va avancer. Ça, c'est le bon doute, si je puis dire. C'est celui qui ne remet pas la connaissance que j'ai acquise sans raison, mais qui dit : à l'aune d'une expérience, d'une contre-vérification, je vais commencer à voir si la théorie que j'ai apprise est bien bonne.
Mais il y a une méthodologie pour le faire. C'est à ne pas confondre avec la défiance. La défiance, c'est l'effondrement de la confiance à l'égard de tout contenu. C’est de dire, comme c’est une autorité qui m’a donné ce contenu, qu’elle soit scientifique ou politique, c’est une bonne chose et c’est un acte de résistance de me mettre à douter de ce contenu scientifique. La défiance, qui peut être un réflexe critique en démocratie quand elle se systématise, devient plutôt un instrument massif de bêtise. Aussi longtemps qu’on fera la confusion, qu’on confondra le doute critique et méthodologique avec la défiance systématique, on continuera de reculer. C’est un vrai problème, et il est lié à quoi ? Au fait qu’il y a dans nos sociétés une forme d’effondrement de toute forme d’autorité. Moi, je ne me satisfais pas des chiffres que vous avez donnés sur la défiance politique, c’est une très mauvaise chose. C’est vrai, de plus en plus de démocratie, il y en a qui résistent mieux, mais ce n’est pas bon parce que les politiques, on peut les aimer ou pas les aimer, mais il y a un processus de sélection, on vote. Donc ayez plutôt confiance dans vos politiques, parce que si vous ne les aimez pas, vous pouvez voter contre. C’est ça le principe de la démocratie.
Le principe de la parole scientifique, c’est que les gens qui les mettent ont une légitimité reconnue par les pairs. Ce qui va avec cette différence qu’il faut rétablir entre le doute critique et la défiance, c’est qu’il faut recréer de la hiérarchie dans l’espace public. Ce n’est pas un gros mot. Parce qu’il faut recréer des principes d’autorité. Il est aussi vrai qu’il y a des autorités organisationnelles légitimes, démocratiques, il y a des autorités scientifiques et académiques. Vous avez évoqué tout à l’heure Paul Ricœur, il avait une très belle phrase en mai 68, quand jeunes étudiants sont venus contester et ont dit : « mais d’où tu tires ton autorité ? ». Il avait eu cette phrase admirable, il dit : « j’ai lu plus de livres que vous. ». L’autorité d’un scientifique vient consacrer des années d’études, la reconnaissance par ses pairs et des travaux qui sont reconnus par ses pairs dans un dialogue académique. Ce n'est pas la même chose que quelqu’un qui dit : « j’ai croisé Ginette qui a eu un problème avec son vaccin. » Si on met ces deux paroles au même niveau, on est foutu. Et donc, il faut recréer de l’autorité scientifique en disant : « d’où parles-tu ? ». C’est absolument fondamental.
Une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on doit faire du coup concrètement ? D’abord, lutter pied à pied, vous l’avez très bien dit, dans le monde réel comme dans le monde numérique, face à toutes ces paroles. Il y a des bases juridiques, la mise en danger de la vie d’autrui, et il y a l’activation des pairs scientifiques. Moi, je n’ai pas légitimé le professeur Raoult. J’ai été voir tout le monde, mais j’assume de ne pas avoir eu une décision politique pour l’empêcher de faire. J’ai demandé à ce que ces pairs puissent le faire et qu’il y ait des enquêtes scientifiques, parce que c’est dans cet ordre-là qu’il faut faire. Beaucoup de médias, pas le vôtre, ça a été rappelé par le docteur, ont relayé ces paroles comme des paroles de vérité, ont pris une responsabilité colossale. Parce qu’elles ont poussé des gens, vous l’avez décrit, à aller vers des traitements qui n’étaient pas vérifiés par les collègues scientifiquement, qui n’avaient aucun fondement, et à prendre des risques. Mais il y en a eu beaucoup d’autres. Je pense que, derrière, il faut remettre un système de responsabilité. Responsabilité des gens qui relaient ces paroles et responsabilité pour remettre de la hiérarchie. C’est absolument fondamental. C’est pour moi, le premier point. Il faut pouvoir mener ces actions, ces poursuites et protéger.
La deuxième chose, c’est qu’il faut, en quelque sorte protéger notre espace, l’espace dans lequel nos compatriotes vont s’informer pour remettre ce qui est nécessaire et la bonne réponse à ce que vous avez décrit les uns et les autres tout à l’heure. Et donc, il faut se reposer la question de l’anonymat. Dans un espace démocratique, il faut poser la question de l’anonymat, parce que ce n’est pas pareil si c’est un professeur de chirurgie, de médecine, de santé publique qui parle ou quelqu’un de lambda. Il faut que la question de la responsabilité individuelle et de la responsabilité des plateformes se posent. Si quelqu’un dit n’importe quoi qui met en danger la vie d’autrui, je vais le poursuivre. Mais s’il le fait dans les colonnes de La Dépêche, je vais poursuivre celui qui a la responsabilité. Aujourd’hui, sur les plateformes, c’est très lent, très compliqué, quasiment impossible, même si la directive dite « DSA » a commencé à le mettre en place. Il faut recréer de la responsabilité.
Le troisième point, il faut qu’on se dote de mécanismes pour avoir de la visibilité sur les algorithmes, c’est-à-dire vers quoi ces algorithmes vont me pousser. S’ils me poussent tout le temps vers des fausses informations, ce n’est pas possible. Quatrièmement, il faut mettre un système en place, on a les bases, mais c’est ça qu’on veut accélérer, pour retirer ces contenus qui sont faux et imposer des responsabilités de modération à ces réseaux sociaux et ces plateformes. Cinquième point, il faut chasser les faux comptes parce que derrière, quand on vous dit, et c’est là le grand risque, et c’est pour ça que ça s’enflamme, c’est que vous avez ces réseaux avec tous les défauts de formation que j’ai évoqués. Mais quand vous avez un million de personnes qui se mettent à réagir à une information, ça devient une information. Donc, les journalistes sont obligés de le regarder comme une information parce qu’il y a eu un million de gens qui ont réagi. C’est commenté sur les chaînes d’information continue, c’est parfois repris dans la presse. Ça devient un fait.
Mais est-ce que ce million qui a réagi, c’est un million de vrais comptes ? Je ne sais pas le dire. Parce qu’on ne sait pas la différence entre les vrais et les faux comptes. Tout ce qu’on fait à l’aune de notre démocratie qui est clé pour la base de la science dans notre pays, c’est exactement la technique qu’ont utilisée ceux qui ont voulu mettre à bas la démocratie en Roumanie. Vous avez peut-être entendu, il y a quelques mois qu’en Roumanie, ils ont annulé un premier tour d’élection présidentielle, ce n’est quand même pas rien « annulé ». Ils viennent de faire le rapport. Personne ne connaissait le candidat deux mois avant. Il était au top de tous les réseaux, TikTok, X. Au milieu de sa campagne, c’est devenu une star. Ils ont pendant un an préparé des fausses pages Internet, il y a eu quelque chose d’industrialisé. Le complotisme scientifique a été une des verticales utilisées. Parce qu’ils ont vu, ils trouvaient dans les gens qui allaient sur ces sites de la vulnérabilité. Donc qu’on pouvait aller chercher des gens qui étaient, en quelque sorte, plus ouverts aux fausses informations, à la remise en cause de l’ordre établi parce qu’ils allaient sur ces pages. Ils ont utilisé ça comme un terreau fertile, et ensuite, derrière, ils ont viralisé la création de leur candidat.
Ce qu’on est en train de se dire, ce n’est pas de la science-fiction, ce n’est pas de la théorie. C’était il y a un an, en Roumanie. Le rapport a été sorti, il est public. On vient, nous, de le travailler. Voilà les réponses qu’on doit apporter sur cette question. Évidemment, l’autre réponse, c’est de renforcer la formation à l’esprit critique et à la science. Et donc, interdiction, à mon avis, sur les jeunes et les ados, formation à l’esprit critique, on y reviendra dans le troisième temps.
Pour la dernière question, vous avez très bien posé la question en termes de souveraineté. Tout ce qui se pose à nous, c’est un affaiblissement de ce qu’une nation de science comme la France avait acquis, c’est qu’on est en train de voir des reculs en termes de santé publique à cause de ça. Je vais vous donner un exemple, sous le contrôle, là encore, de nos scientifiques, très simple : c’est la vaccination contre des formes de cancer, en particulier le papillomavirus et autres. Ces formes de cancer qui touchent les jeunes filles et les jeunes garçons, terribles. On a un vaccin qui a été établi. Des pays comme l’Australie ont fait des campagnes de vaccination sur les plus jeunes, et on a vu des cancers de l’utérus chez les jeunes filles, des cancers en particulier de la bouche chez les jeunes garçons s’effondrer grâce à la vaccination. On a lancé une campagne en collège. Il y a un taux qui est très différent entre les jeunes filles et les jeunes garçons, mais on a lancé une campagne. On est en train de voir, malgré nos efforts de communication, les choses reculer. Les tests qu’on a faits montrent que c’est l’exposition au complotisme scientifique des familles qui disent : « moi, j’ai lu sur Internet ou sur les réseaux sociaux que ce vaccin, ça donnait telle ou telle chose pour mes enfants. ». Alors qu’on a un vaccin qui est établi, qu’on a d’autres pays qui sont en avance sur nous, qu’on sait que, par la science, on pourrait protéger nos ados et nos futurs adultes contre des cancers, on a des familles qui n’adhèrent pas à cause de ça. C’est terrible, parce que c’est un recul en santé publique massif. Ça vient, en effet, entamer notre souveraineté.
C’est là où je fais le lien avec le dernier point parce que si on veut affaiblir le pays, il faut passer par là. La porosité aux fausses informations, si on ne rétablit pas de l’esprit critique, de la régulation, de la lutte contre les faux comptes, de la visibilité sur les algorithmes, vous rend hyper vulnérables à des puissances qui sont prêtes à aller dans ce sens et qui sont, devinez quoi, des puissances qui ne laissent pas faire ça chez eux. La Russie utilise cela. Pour citer un exemple qui pourrait paraître plus distrayant, quand on avait eu toutes ces polémiques sur les punaises de lit. Il y a eu une viralisation de ce sujet qui est devenu le premier sujet national pendant des semaines, et on l’a très bien montré, VIGINUM qui est l’agence indépendante qui regarde ça, l’a montré, parce qu’il y a eu des millions de faux comptes poussés par les Russes qui ont poussé ce truc. Ça a fait sauter le caisson à quelques-uns. Ça devenait un sujet où ça s’énervait partout, énorme sujet de vulnérabilité informationnelle, parce que dans le monde où on vit, les conflits sont de plus en plus hybrides.
Quand on voit qu’on peut détruire la crédibilité d’un gouvernement par des fausses informations, vous perdez de votre souveraineté. La Russie l’utilise, et des grandes puissances comme la Chine l’utilisent aussi, laquelle, par parenthèse, ne permet pas d’ouvrir les réseaux sociaux à sa population, ou quand elle a, après avoir créé TikTok, utilisé TikTok pour sa propre population, à un tout autre TikTok chez elle. C’est un programme éducatif à horaire limité dans la journée qui ne pose que des contenus scientifiques. On a un énorme sujet de souveraineté, et c’est ce qu’on est en train de se dire : au-delà du sujet scientifique, c’est un sujet géopolitique, parce que c’est une vulnérabilité. Tout ce qu’on est en train de se dire, c’est que nos réseaux sociaux, c’est comme une agora où on serait là, tous avec des cagoules, et où celui qui crie le plus fort a plutôt raison, et où celui qui insulte l’autre devient sympathique. Parce que si vous étiez tous cagoulés, peut-être qu’il y en aurait un d’entre vous qui se serait mis à m’insulter. Le rapport à l’autorité ne serait plus le même. Je ne saurais pas s’il y en a un qui est prof de médecine ou autre. C’est exactement ça. Internet, on accepte ça. Les réseaux sociaux, X, on accepte ça.
Là, on a un débat qui est respectueux. On peut être d’accord ou pas d’accord. On peut nous reprocher des choses. Je peux essayer de vous répondre. Mais il y a du respect, il y a de l’écoute, parce que la clé du débat, c’est justement le respect et l’écoute. Et on sait d’où on parle. Est-ce qu’on a encore envie de considérer que la manière dont nos jeunes s’informent et dont le débat public se structure dans la nation est un espace sans régulation de la parole, où tout le monde est cagoulé et où celui qui distribue le micro, ce n’est pas le hasard ou Monsieur ou Madame, mais c’est un algorithme qui est détenu ou par une puissance chinoise qui sait ce qu’elle fait avec nous, ou par Monsieur Musk, dont j’ai cru comprendre quand même qu’il avait quelques idées politiques. C’est ce qui se passe aujourd’hui. De fait, c’est ce qu’on a choisi.
Donc, vous allez continuer de vous battre, mais derrière, vous continuerez d’avoir, aussi longtemps qu’on n’a pas régulé ça, une salle avec des gens en cagoule, où on fait tout pour que ce soit celui qui crie le plus fort et qui fait le plus d’insultes qui embarque les autres. Il faut juste qu’on soit conscient de ça. Si on est conscient de ça, on va bâtir du consensus pour dire : oui, il faut réguler. C’est le tout dernier point sur ce débat. Il y a une énorme confusion qui est jumelle de celle que j’évoquais entre le doute méthodique et la défiance systématique. C’est aujourd’hui ce qui s’installe autour du « free speech ». Ce n’est pas la liberté de parole que de dire n’importe quoi à toute heure, que de proférer des insultes, que de ne plus réguler l’antisémitisme et le racisme, et qu’au fond, de laisser surtout la régulation de la parole à des algorithmes aveugles. Ces gens-là sont en train de nous faire croire que c’est eux le free speech. De la même manière que quand vous avez des médias qui sont en train de commencer à dire : « la liberté de parole, c’est de pouvoir donner la parole à un dingue qui dit n’importe quoi, sous prétexte qu’il ne dit pas la même chose que les autorités », ce n’est pas la liberté de parole. La liberté n’existe pas s’il n’y a pas à côté d’elle de la responsabilité. Parce que sinon, c’est la liberté du plus fort. La liberté de parole des réseaux sociaux, c’est la liberté des plus forts.
Je finirai là-dessus. La presse qu’on a, elle est née de quoi ? De lois de la troisième République qui ont établi des règles pour cette presse. Elle leur a assuré la liberté, elle a construit les bases du pluralisme, mais elle a mis en place des responsabilités, dont les responsabilités éditoriales que j’évoquais. Tout le XIXe siècle avant, il n’y avait pas ces responsabilités clairement établies, et la presse était la presse du plus fort. Elle appartenait aux plus riches. Il n’y avait ni la déontologie qui va avec, ce qui est aujourd’hui celle des journalistes, ni le pluralisme, ni le système de responsabilité. Il n’y a pas de liberté sans responsabilité. Aujourd’hui, c’est le Far West, les réseaux sociaux. Donc, ça ne peut pas durer.
Animateur
Avant de commencer, je crois qu’il y a un participant qui n’a pas pu nous rejoindre ce matin et qui a voulu quand même vous adresser un message. Il a enregistré une vidéo. Je vous propose de l’écouter.
[Vidéo de Donald Trump par IA]
Hello Emmanuel. Great to see you again since that incredible summit in Egypt. You know, I read a lot of newspapers, the best ones, believe me, but the very first one I pick up every morning, even before the New York Times or the Washington Post, is La Depeche du Midi. Fantastic paper. They go after fake news like nobody else. Very important. They're doing a tremendous job for democracy. Have a good day in Toulouse, my great friend !
Animateur
Évidemment, cette vidéo est fausse. On aimerait bien qu’on nous lise jusqu’aux États-Unis. En tout cas, c’était pour vous montrer qu’aujourd’hui, une vidéo manipulée par l’intelligence artificielle peut apparaître comme une information, mais n’en est pas une. Au contraire, c’est un mensonge.
Peut-être regarder quelques chiffres pour fixer les idées ensemble ; 82 % des Français déclarent la désinformation comme une menace pour la démocratie. Donc, apparemment, l’opinion publique en est bien consciente. Les médias locaux restent les plus crédibles, 66 % des gens sont en confiance versus 28 % pour les réseaux sociaux, comme quoi le fond de source est plutôt positif quand même. 41 % des moins de 35 ans s’informent principalement via les réseaux sociaux et non plus forcément dans la presse traditionnelle. 83 % des 15-20 ans font confiance aux médias traditionnels. Il y a encore de l’espoir. Seulement 8 % font confiance aux médias sociaux. Peut-être au fond d’eux, ils savent que les médias sociaux, c’est un risque. 3 300 fermetures de journaux depuis 2005 aux États-Unis, ce qui montre aussi un changement de modèle économique dont on va parler avec vous Jean-Nicolas Baylet. Vous êtes directeur général de La Dépêche, du groupe Dépêche, et vous êtes aussi directeur de la publication, c’est-à-dire que vous êtes pénalement responsable des informations que publient vos sites internet et le journal papier. Aujourd’hui, la relation entre Médias et GAFAM qui relaie les informations est tordue. Enfin, on ressent la pression en tant que patron de presse. Aujourd’hui, comment votre modèle économique a évolué sur ce point-là ?
Jean-Nicolas BAYLET
Monsieur le président, mesdames et messieurs, avant toute chose, je voudrais quand même rétablir une vérité. La vidéo que vous venez de voir est une vraie info. Donald Trump lit La Dépêche du Midi tous les matins, vous l'avez compris. Monsieur le Président, vous avez parfaitement introduit mon propos donc, je vais m'adresser surtout à nos lecteurs pour qu'ils comprennent bien ce qu'il s'est passé dans notre industrie depuis l'arrivée des réseaux sociaux. En réalité, avant les réseaux sociaux, nos journalistes, des hommes et des femmes, produisaient l'information puis la diffusaient. Avec l'arrivée des réseaux sociaux, nous avons été totalement intermédiés par des plateformes qui décident aujourd'hui de fait ce que vous allez consommer comme informations et ce faisant qui captent une partie très importante de nos revenus. La presse en France, c'est 13 500 journalistes. C'est à peu près 70 % de l'ensemble de la profession journalistique. On ne manipule pas 13 500 journalistes, on ne manipule pas une telle masse. C'est un rempart pour notre démocratie. Or, un rempart sans base économique, c'est un rempart qui s'effondre, bien évidemment.
Le chiffre qui était sur le slide précédent marque ce qui s'est passé aux États-Unis, qui est en avance de phase sur nous. Aux États-Unis, 3 300 journaux ont disparu depuis 2005. Partout où les journaux ont disparu, essentiellement des journaux locaux, il y a eu un recul de la démocratie. Pourquoi ? Parce qu'hier, nous consommions tous la même information et les médias fonctionnaient comme ça. Vous aviez tous le même journal, vous aviez tous une information commune sur laquelle vous pouviez débattre. Aujourd'hui, nous sommes tous enfermés dans des bulles algorithmiques, dont le Président de la République a rappelé. L'objectif des réseaux sociaux n'est absolument pas la recherche de la vérité. L'objectif des réseaux sociaux, c'est de capter au mieux votre attention pour la monétiser. Pour cela, il joue sur un facteur simple qui est l'émotion. L'émotion à tout va. Ils vous enferment dans ce qui va vous faire réagir positivement, ou plutôt négativement, comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président. Ils véhiculent la haine, ils véhiculent la violence, et tout ça, ils le font en absence totale de régulation.
La presse, depuis le XIXème siècle, la loi du 29 juillet 1881 est régulée. Diffamer quelqu'un, c'est un délit pénal. Pour les réseaux sociaux, ils peuvent véhiculer toutes les informations qu'ils veulent sans être embêtés. Et puis, il manquait un maillon important dans la chaîne des réseaux sociaux puisqu'aujourd'hui, ils peuvent diffuser l'information. C'était la possibilité de créer cette information. L'intelligence artificielle arrive dans ce contexte. L'intelligence artificielle, ce sont des technologies qui sont magnifiques, que nous utilisons nous-mêmes dans notre travail quotidien. Mais c'est aussi des outils qui vont permettre de créer l'information de toute pièce. Et au fond, nous avons maintenant face à nous des machines industrielles de désinformation complètes et totalement constituées, puisqu'elles peuvent produire l'information, diffuser l'information, et choisir cette information avec des algorithmes dont nous ne savons rien sans journaliste, sans vérification, sans recherche de la vérité. Donc, qu'est-ce qu'il faut faire ?
Il nous faut agir, bien sûr. Il nous faut agir de plusieurs façons. La première, c'est imposer la transparence. Imposer, encadrer ces algorithmes. Mais que diable y a-t-il dans ces algorithmes que nous ne puissions pas voir ? Nous devons savoir ce qu'il y a derrière ces algorithmes. Il faut imposer cette transparence. La deuxième, c'est que nous devons éduquer, pas seulement nos jeunes, mais toute la population. Nous devons tous garder cet esprit critique de dire : quand je consomme une information, attention, il y a toujours plusieurs visions à une histoire. c’est ce que nous, nous nous attachons à faire. Nous le faisons dans notre façon de faire notre métier, nous donnons des points de vue différents. Allez chercher des points de vue différents. Ne restez pas enfermés dans vos bulles algorithmiques. Enfin, la troisième, c'est qu'il faut que nous garantissions à la presse un modèle économique. S'il n'y a pas de modèle économique, il n'y a plus de presse. Et s'il n'y a plus de presse, c'est la démocratie qui recule. Et si la démocratie recule, c'est la liberté qui disparaît. Merci.
Animateur
Merci, Jean-Nicolas Baylet. On a une question au premier rang.
Intervenant
Bonjour Monsieur le Président. A votre avis, quel est l'impact qu'ont les milliardaires sur la presse et les médias dans le monde et en France notamment Bolloré qui possède des médias comme CNews Europe 1, ou Xavier Niel qui possède Le Monde, et le nouveau qui rachète des médias pour influencer le débat politique, Pierre-Édouard Stérin avec son projet Périclès, et qui tente de modifier le débat politique et le vote démocratique en France ?
Intervenant
Bonjour Monsieur le Président. En effet, j'ai été journaliste pendant 17 ans ici, avant de connaître une nouvelle vie professionnelle, et j'ai vu l'arrivée de Twitter, en 2006 je crois, qui était un formidable outil d'information pour les journalistes, formidable vecteur de communication pour les politiques, mais pas que, les médecins aussi, les scientifiques, et qui a permis aux citoyens de se rapprocher de la connaissance, d'abolir des distances qui pouvaient exister par ailleurs. Et puis, Elon Musk l'a racheté. C'est devenu X. Effectivement, on a tous vu l'évolution de cet outil. Vous parliez de la vision politique de Musk, on sait ce qu'il en fait aujourd'hui. Vous parliez aussi d'algorithmes aveugles. Elles ne sont pas forcément si aveugles que ça, puisqu'elles sont modelées pour pouvoir propager cette vision libertarienne qui est celle de Musk avec tous les enjeux politiques qui y vont avec et qui sont bien loin des libertés, égalité, fraternité qui sont nos valeurs à nous. On sait aussi que X, aujourd'hui, ça sert à alimenter Grok, l'IA générative de Musk, qui est l'IA la plus dégénérée, non pas générative, mais plus dégénérée qui soit sur le système aujourd'hui, sur le réseau, et qui sert demain à alimenter Grokipédia, qui va concurrencer Wikipédia, qui va être une nouvelle diffusion de la connaissance. Mais quelle connaissance ? Et du coup, moi, je vous pose une question directe : est-ce qu'il ne serait pas temps aujourd'hui pour l'Élysée, pour vous, de donner l'exemple et de quitter X ? Je sais, j'ai entendu ce qu'a dit le médecin tout à l'heure, sur le fait de dire : on est là, on combat quand même, on essaie de porter un peu ce petit flambeau, l'étendard de la vraie connaissance scientifique ou de la vraie parole politique. Mais pour moi, c'est un peu peine perdue aujourd'hui. On connaît aussi la loi de Brandolini qui dit qu'il faut 10 fois plus d'énergie pour pouvoir démonter une fake news, rétablir la vérité, que d'énergie qu'il a fallu pour la diffuser.
Pour moi, c'est peine perdue. Et si vous donniez l'exemple, il y a des villes, la Ville de Paris par exemple, la région de la Nouvelle-Aquitaine, région Bretagne, qui sont parties, la CFDT, l'École polytechnique, qui ont quitté, qui ont fermé leur compte X. Si vous prenez cette décision, pour moi, ça serait un symbole fort, ça aurait valeur d'exemple au niveau mondial. Vous avez pris des initiatives aussi dans un conflit dont on a entendu parler récemment, évidemment. Ça pourrait être une autre initiative. Et en tout cas, voilà, moi, je trouve que ça aurait du panache. Et vous pourriez porter aussi peut-être cette parole sur d'autres vecteurs. Il y a d'autres réseaux qui existent, plus responsables. Peut-être un réseau français aussi, pourquoi pas ? On parle de souveraineté. Je ne vais pas être plus long, mais voilà ma question, Monsieur le Président.
Intervenant
Monsieur le Président, bonjour. Je suis de base hacker. J'ai acquis à l'époque Tchap quand elle est sortie, vous vous en souvenez peut-être. J'ai fondé, il y a maintenant 5 ans, une société qui s'appelle Predicta Lab et qui avait pour but de lutter contre la désinformation. On a parlé de régulation, on a parlé de la société, on a parlé de santé, on a parlé de plein de sujets. Mais on n'a pas parlé de solutions techniques. Moi, je suis un homme de terrain. Je rends hommage à toutes les personnes qui vous surveillent et qui vous protègent tous les jours. Quand ils ont une menace, on y répond par une action, on y répond par une solution. On a travaillé pendant 5 ans pour trouver des solutions sur la désinformation.
Vous avez parlé modèle économique. La désinformation, le secteur privé n'a pas de modèle économique pour lutter contre la désinformation. Personne ne paye pour ça. C'est le premier sujet. Le deuxième sujet, il est que si on cherche à combattre la désinformation, le nerf de la guerre, c'est la donnée. Il faut avoir accès à la donnée. Et j'ai monté Predicta Lab. À la suite, je suis allé voir les services du Premier ministre pour voir comment ils travaillaient, comment ils luttaient, notamment pendant la crise des Gilets jaunes, sur cette question-là. La réponse était qu'il n'y avait pas de réponse. On allait prendre des rapports à différentes start-up, on comparait à peu près ce qui en sortait et on essayait d'en tirer des conclusions. La base, elle est qu'aujourd'hui, on n'a pas la donnée. On n'a pas l'accès à la donnée parce que les plateformes, soit régulent l'accès à la donnée à certains chercheurs, à certains datasets. Ils vont choisir à qui ils vont donner. Et aujourd'hui, on n'a pas cette donnée-là. Sans cette donnée-là, on n'aura pas de réponse. Aujourd'hui, VIGINUM fait des rapports, vous l'avez mentionné, qui sont extrêmement pertinents, fournis, riches, mais trop tard. Un mois, deux mois, 6 mois après, c'est terminé. On a besoin aujourd'hui d'une solution technique et en capacité de répondre en temps réel aux menaces. Et nos adversaires, on a parlé d'industries industrielles. Aujourd'hui, les cybercriminels, les désinformateurs industriels, les États, parce qu'on tourne un peu autour du pot depuis tout à l'heure, on a des ennemis. Nous sommes en guerre. Nous sommes en guerre. Et dans cette guerre informationnelle, mais pas que, j'ai eu la chance aussi d'aller en Ukraine voir les solutions, puisque aujourd'hui subissent également, entre autres, ces choses-là, ils ont des solutions. On a des choses à apprendre de l'Ukraine aujourd'hui. Il nous faut des solutions techniques, il nous faut cette donnée, et surtout, comment impulser le secteur privé ?
Aujourd'hui, des bonnes volontés comme la mienne, des bonnes volontés et des noms, j'en ai énormément, des bonnes volontés, il y en a plein, qui manquent de moyens et qui manquent de volonté politique. Puisque demain, si vous impulsez, si vous choisissez un candidat, un champion, si vous mettez les moyens, si vous utilisez votre force politique pour pousser les plateformes en disant à lui, vous lui donnez la donnée, il va pouvoir travailler dans un cadre régulier, cadré, il n'y a pas de problème. Mais il faut pouvoir aujourd'hui accompagner le secteur privé sur ces questions-là. Aujourd'hui, les seuls qui luttent à peu près contre la désinformation, ça va être des associations, notamment au niveau de Bruxelles, vous allez avoir 10 infolabs. Vous allez avoir des gens qui vont avoir des efforts de ce type-là. Mais globalement, le secteur privé n'a pas de modèle économique pour lutter contre la désinformation, car non seulement personne ne paye, et l'accès à la donnée n'est pas possible.
Intervenant
Monsieur le Président, bonjour. Bonjour à tous. Je suis doctorant en stratégie des réseaux sociaux en campagne électorale à l'Université de Toulouse. Peut-être en recherche scientifique, on prend l'exemple de la campagne électorale de Barack Obama comme un exemple de réussite d'une campagne électorale grâce aux réseaux sociaux, puis on parle d'autres campagnes. Mais on questionne rarement le pouvoir de ces plateformes numériques et que les hommes politiques aussi participent à ce pouvoir. Est-ce que ce pouvoir pour vous, pour les plateformes numériques, c'est un mythe ? Ou bien est-ce qu'aujourd'hui, vous pouvez aussi porter une petite responsabilité, vous comme tous les hommes politiques, de participer à ce pouvoir et de donner cet élan pour les plateformes numériques ? Une autre question aussi : est-ce que vous pensez aussi qu'un candidat à la présidentielle prochaine pourra gagner les élections sans utiliser les réseaux sociaux ? Et pourquoi ? Et une dernière information que, si vous me permettez de vous inviter à ma soutenance de thèse, le 10 décembre.
Journaliste
Monsieur le président de la République, un mot tout d'abord sur ce lieu. Le Président Baylet l'a évoqué. On parle de dématérialisation de l'information de nos réseaux sociaux et vous êtes là dans notre salle du papier, des colonnes de papier sur lesquelles sont imprimées toutes les nuits des informations vérifiées, contrôlées. Et si j'osais, et j’ose, je comparerais ces colonnes de papier à des piliers de la démocratie. Voilà. Sur l'ingérence, sur le sujet de l'ingérence. Oui, effectivement, on est, nous, médias, même médias régionaux, mobilisés sur cette question-là. C'est un phénomène qu'on prend au sérieux, un phénomène dont on parle. Et en préparant mon intervention, j'ai fait un petit contrôle sur notre site. J'ai tapé « ingérence russe » sur notre barre de recherche du site de La Dépêche du Midi, où nous avons 37 pages de 20 occurrences chacune qui remontent. C'est donc bien la preuve que tous médias régionaux que nous sommes, et médias nationaux du point de vue numérique, nous parlons et nous nous interrogeons et nous informons nos lecteurs sur ce risque d'ingérence.
Est-ce qu'on est, nous, directement concernés ? Est-ce qu'on est menacés ? Non. Pourquoi ? Parce que la PQR, qui est quand même le premier média français en termes de diffusion traditionnelle et numérique, si effectivement, on additionne toutes nos diffusions, cette puissance-là, mal employée, pourrait effectivement provoquer des dégâts considérables sur un pays comme la France et sur les démocraties en général. Simplement, nous, nous sommes aussi, et c'est notre force, un média de proximité. On connaît nos lecteurs, nos lecteurs nous connaissent, on sait de qui on parle. Quand on couvre des campagnes d'élections municipales ou des campagnes d'élections de proximité en général, on connaît les candidats et c'est vrai qu'on est moins vulnérable, peut-être, que d'autres médias à la question de l'ingérence. Ce lien-là avec le territoire est un lien fort, unique et qui est à préserver. Et puis, la deuxième particularité, qui est notamment celle de La Dépêche du Midi, c'est que nous sommes un média indépendant. Et un média indépendant des grandes puissances financières, et là aussi, cette indépendance-là, est un gage de sérieux pour nos lecteurs. Donc oui, effectivement, on parle de la question de l'ingérence dans nos colonnes, on alerte nos lecteurs. Non, on n'est pas un média directement menacé par ce phénomène-là.
Intervenant
Oui, je vous remercie. Bonjour, Monsieur le Président. Effectivement, je crois, et nous le voyons, et nous allons continuer à le voir, aucun domaine n'est épargné par les réseaux sociaux. Il y a des bonnes choses pour les réseaux sociaux. Et malheureusement, le domaine que je vais tenter d'incarner un peu aujourd'hui, et qui est un pilier de la démocratie, est celui de la justice.
Et on ne peut pas dire qu'en la matière, les réseaux sociaux fassent des choses qui soient extrêmement bonnes. Alors, je sais que pendant des années, vous avez été très bien accompagné avec un garde des Sceaux qui n'était rien moins qu'un confrère excellent, et donc je sais que ces questions-là, vous avez dû bien évidemment les aborder avec lui.
Nous pouvons, nous, constater dans notre pratique, je sais qu'il y a d'autres avocats, un ancien bâtonnier, mon associé, dans la salle, notamment en matière pénale, nous sommes très démunis face aux réseaux sociaux. Alors, nous ne sommes pas face aux médias parce que nous avons appris, nous avocats, à défendre en dehors des prétoires. Nous avons appris à défendre dans les médias et nous avons des moyens de, entre guillemets, je le mets entre guillemets, de contrôler les médias puisque nous pouvons. Si j'ai envie Jean-Nicolas, je peux te poursuivre, effectivement, au plan pénal, je ne le ferai pas, car La Dépêche du Midi fait un travail formidable, mais quoi qu'il en soit, j'ai des moyens de mettre la pression sur vous et j'ai les moyens de vous poursuivre. Les réseaux sociaux, pour des raisons d'évidence, nous ne le pouvons pas, ils sont anonymes. Nous avons des actions en justice, vous en avez un petit peu parlé tout à l'heure, Monsieur le Président, mais qui sont tellement difficiles à mettre en œuvre que nous ne pouvons les conseiller, évidemment, aux clients qui viennent dans nos cabinets.
Alors, les réseaux sociaux, quelle est la difficulté par rapport à la justice ? Nous l'avons vu dans l'affaire Jubillar, mais dans d'autres affaires aussi, c'est que les réseaux sociaux sont tout ce que la justice n'est pas : l'immédiateté, l'absence de contradiction, l'absence de vérification, des éléments factuels, c'est-à-dire qu'on est exclusivement dans l'émotion. Et je vous ai bien écouté tout à l'heure, vous avez indiqué, je vous ai noté, Monsieur le Président : « l'argumentation sur les réseaux sociaux est moins forte que l'émotion ». Je l'avais noté, c'est toujours bien de citer la phrase d'un invité. Donc, je l'ai noté parce qu'elle est extrêmement vraie. Dans la mesure où ce que nous avons nous constaté, c'est que s'est forgé une intime conviction sur les réseaux sociaux dans cette affaire qui n'a rien à voir avec l'intime conviction exigée, vous l'avez compris, devant des cours d'assises, avec une opinion qui s'est faite, et avec des réseaux sociaux qui rendent totalement inutile la justice. Je m'en explique. Sur les réseaux sociaux, ce qui est magique, c'est que vous pouvez avoir une accusation en un temps record sans avoir à passer par les services de police. Derrière, vous n'avez pas d'enquête, donc ça, c'est quand même beaucoup plus simple. Vous avez des gens qui commentent, qui donnent leur avis, ce n'est pas des témoins, c'est juste des gens qui ont envie de donner leur avis, aucune vérification évidemment de cet avis. Et puis derrière, vous avez une culpabilité en un temps record qui va dépendre de l'émotion des uns et des autres et vous avez — et c'est là le mieux, je pense, et vous comprenez que je suis ironique — une sanction qui est immédiate, qui est une sanction sociale, qui est parfois une sanction professionnelle. Et donc ça rend complètement inutile le passage par la justice. Et j'en terminerai peut-être par un exemple. Nous avons pu avoir dans nos cabinets, dans notre cabinet, des gens qui viennent nous voir, qui, par le hashtag, par exemple, « #balancetonavocat », vont venir dire : eh bien, j'ai plein de gens qui m'accusent, Maître Martin, c'est mon associé, Maître Franck, il faut que vous me défendiez. Eh bien, oui, mais on ne peut pas vous défendre, il n'y a pas de plainte. On n'a pas les moyens de vous défendre, on ne peut rien faire tant qu'on ne revient pas dans le cursus judiciaire. Alors, apparemment, il faut poser des questions, je n'en sais rien.
Intervenant
J'ai une question. J'ai une question, mais vous y avez déjà un peu répondu. Je crois que la solution est peut-être dans la levée de l'anonymat, parce que quand on n'est pas anonyme, on a tendance à dire beaucoup moins de bêtises. Et peut-être également dans une recherche et une facilitation de la responsabilité sur les réseaux sociaux, puisque quand on n'est pas anonyme et quand on est responsable, eh bien, on a quand même vocation à dire beaucoup moins de bêtises.
Emmanuel MACRON
Je vais y répondre rapidement, parce qu'on a déjà couvert beaucoup de choses, et je pense que le cadrage qui était fait sur les médias et les réseaux sociaux était très complet. Par rapport à ce que la première question qui m'était adressée, c'était sur, au fond, la présence de multimillionnaire ou de milliardaire dans la détention de médias. C'est un fait, vous avez raison. Est-ce que c'est un signe de bonne santé ? Non. C'est l'exacte conséquence de ce qui a été décrit par Monsieur le Directeur général, c'est-à-dire le fait que le modèle économique est en crise. Et donc on a de plus en plus de titres de presse, d'ailleurs, journaux, radios, télévisions, qui sont rachetés par des gens dont l'agenda n'est pas exactement de faire vivre un titre de presse. Et c'est un problème.
Mais on revient à un modèle qui est d'ailleurs très similaire à celui qu'on connaissait au XIXe siècle. Et donc le grand risque, c'est qu'on ait de la détention de titres de presse à des finalités d'influence de l'opinion et pas simplement d'information. Même si on sait très bien, et on a une cartographie claire, c'est normal qu'il y ait des opinions différentes entre les titres. Simplement, c'est l'information qui prédomine. Alors, qu'est-ce qu'on a comme antidote face à ça ? D'abord, on a les journalistes et leur rédaction. Et donc je pense qu'il y a plusieurs des titres que vous avez évoqués, auxquels vous avez fait référence, qui, quoique détenus capitalistiquement par des milliardaires, ne se voient pas dicter leur ligne par ces milliardaires parce qu'ils ont une rédaction indépendante, ils ont une Charte qui garantit cette indépendance, et ils peuvent objecter. Et donc ça, dans l'organisation des titres, il y a des choses qui vous prémunissent. Néanmoins, ce n'est pas suffisant dans le contexte actuel. Donc, on a commencé avec les États généraux de l'information, il y a des textes en préparation. Il faut essayer d'aller plus loin et donc de mieux protéger les titres de presse face à cette concentration. Et la réponse la plus structurelle, c'est de recréer la viabilité d'un modèle économique. C'est ce que vous avez dit dans votre introduction, c'est-à-dire, eh bien, de remettre un peu du modèle économique qui est allé vers les réseaux sociaux, vers ces grandes plateformes, vers l'IA qui a capturé de la réserve publicitaire, vers ces titres pour qu'on puisse préserver le pluralisme et avoir un modèle qui fonctionne par lui seul et ne pas avoir des gens très riches qui ont besoin de s'y installer pour le faire vivre.
Sur la cybersécurité, on l'a moins évoqué, mais c'est évidemment jumeau de tout ce qu'on dit, et c'est clé. Merci d'y être engagé. Je n'exclus pas ce que vous m'avez invité à faire, qui est de sortir de ces réseaux. Je pense qu'en tout cas, ça ne peut avoir de sens que dans un processus d'ensemble. Donc, je ne l'exclus pas aujourd'hui. Ce n'est pas ce que je ferai demain matin et je ne vais pas vous faire une annonce aujourd'hui. Je pense que la priorité, c'est d'abord de mener la bataille en interne pour moi et d'essayer d'obtenir ces éléments de régulation et de visibilité.
C'est dans le cadre de cette bataille qu'il faudra voir si, en effet, on va jusque-là. Mais en tout cas, c'est quelque chose à quoi je réfléchis avec beaucoup d'attention, croyez-moi, et que je n'exclus pas du tout. Mais je pense que la bataille, elle est plus d'ensemble, et je ne veux pas simplement faire un coup, même si je ne sous-estime pas la portée qu'il pourrait avoir. Merci beaucoup, Monsieur, pour ce que vous avez dit. Vous avez parfaitement raison. D'ailleurs, je vais m'assurer que l'équipe qui est là reboucle bien avec vous. Si je devais vous dire quelle piste d'action je vois, par rapport d'ailleurs à vos deux questions qui sont jumelles, c'est qu'au fond, quand je disais que les algorithmes sont aveugles, je disais qu'ils le sont pour nous. Mais vous avez raison, les algorithmes, ils sont très clairs, ils sont à la main des gens qui les détiennent et avec des présupposés soit complètement capitalistiques, soit capitalistiques et idéologiques. Quand je dis qu'on doit les rendre transparents, c'est la réponse la plus simple, parce qu'on n'est pas, nous, en mesure de les réguler. C'est trop compliqué pour la puissance publique. On peut les réguler comme on régule certains opérateurs, je dirai, comme les assureurs qui font des milliards d'opérations pour s'assurer qu'il y a un cahier des charges avec lequel ils sont conformes. Et c'est un peu ça qu'on a commencé avec le DSA. Par contre, ce qu'on doit réussir à faire, c'est les ouvrir, les obliger à partager l'information en temps réel et permettre à des acteurs qui sont sélectionnés par le régulateur d'utiliser ces informations pour les traiter et, vous les donnez. Et c'est ça, la bonne formule. Et donc, pour moi, dans la régulation qu'on doit mettre en place, on doit créer une économie qui est celle exactement que vous avez décrite, c'est-à-dire de ceux qui ont créé les capacités de calcul de traitement pour qu'il y ait de la transparence sur ces algorithmes et ces informations.
Aujourd'hui, il n'y en a pas. Et aujourd'hui, il y a même quelque chose qui est très incestueux qui est en train de se mettre en place, qui est la mécanique Grok que vous avez décrite. Or, ce n'est pas celui qui utilise l'algorithme qui peut, derrière, prétendre être celui qui les régule, c'est le modèle de modération qu'il met en place avec sa propre intelligence artificielle qui vous régule qui, derrière, va l'utiliser pour expliquer ce qui est vrai et ce qui est faux. Ça, c'est une privatisation de notre espace cognitif et de notre rapport à la vérité. Si on ne veut pas le privatiser, comme on l'a fait d'ailleurs dans l'histoire, c'est toute l'histoire, d'ailleurs, de la politique de la concurrence aux États-Unis avec la Standard Oil, où nous, ces dernières décennies, on doit dire : celui qui manipule autant de données sur nous, il n'a pas le droit d'en faire quelque chose. Et donc, à mes yeux, la bonne régulation, c'est que celui qui gère de l'information, il n'a pas le droit de faire de la publicité en ligne rémunérée, ce n'est pas le même métier. Ou ça doit être transparent pour moi et limité en termes de pouvoir d'achat, et celui qui accumule ces informations, il doit les partager avec des tiers de confiance, dont le rôle économique et l'action, et les traiter pour que le citoyen ait accès à cela. Parce que vous n'avez pas de biais, vous, quand vous traitez un algorithme, si vous me donnez la réalité et les biais sur cet algorithme. Vous allez tirer votre argent de ce que je suis prêt à vous payer pour avoir cette transparence. Et c'est exactement ce qu'il faut qu'on fasse. Et d'ailleurs, toute notre vie économique a été structurée comme ça. C'est la manière de défendre l'intérêt général.
Je ne vais pas vous faire des promesses de Gascon, comme certains disent, même si ce n'est pas ici que je me risquerais à cela, étant bigourdan pour ma part. Sur le pouvoir des plateformes numériques, il est réel, on vient de le décrire depuis tout à l'heure. Je pense que le dilemme pour tous les dirigeants politiques, il y a trois comportements différents.
Il y a, ça a été décrit par le docteur tout à l'heure, ceux qui vont être complaisants avec la fausse information de manière électoraliste, c'est inadmissible. Il y a ceux qui en sortent totalement, aujourd'hui, ils sont marginalisés. Et il y a, essayer de se battre dedans, mais surtout essayer de faire ce qu'on est en train de se dire depuis tout à l'heure, c'est-à-dire de changer les règles du jeu pour réduire leur pouvoir, parce que leur pouvoir est devenu exorbitant et menace les structures mêmes de notre démocratie, c'est le moment où on en est. Je ne sais pas vous dire si un candidat peut gagner sans les réseaux sociaux, ou en tout cas que ça puisse être un choix libre. Ce que je sais, c'est qu'on doit tout faire, d'où tout le travail qui est en train d'être mené, pour que ça ne soit pas les réseaux sociaux ou quelques-uns qui auront l'usage le mieux organisé ou le plus intéressé des réseaux sociaux qui pourront gagner cette élection.
Ce qu'on a vu dans plusieurs démocraties, c'est qu'il y avait un biais très fort pour quelques idéologies et des gens qui étaient très à la main avec certains détenteurs de plateformes, et on voit qu'il y a une complaisance aujourd'hui et une orientation de certains de ces réseaux sociaux. Sur l'ingérence, vous avez parfaitement décrit les choses et je crois que ça n'appelle pas de remarques de ma part, si ce n'est pour dire que, malgré tout, nous sommes tous soumis à des formes d'ingérence parce que les puissances peuvent aller attaquer la base de l'information. Et même si la proximité, tout ce que vous avez décrit, protège, les capacités d'ingérence sont multiples. Alors, elles peuvent se faire par des actions cyber sur vos propres plateformes, et on a tous cette vulnérabilité, en tout cas, elle évolue à chaque fois, mais elle peut se faire aussi par les billets sur la matière première que vous manipulez de chaque jour, même si, en fonction de celle-ci, vous avez plus de moyens, par la proximité et l'indépendance qui est la vôtre, d'agir.
Enfin, Maître, vous avez parfaitement raison sur les choses. Je l'ai déjà un peu évoqué. Je pense qu'en tout cas, il ne peut pas y avoir de systèmes d'ordre juridique et de systèmes judiciaires qui fonctionnent comme le nôtre, comme dans toute démocratie, si on ne va pas au bout d'un système de mise en cause de la responsabilité de celles et ceux qui, soit menacent l'organisation du système judiciaire, soit profèrent des contenus antisémites, racistes, discriminants, c'est-à-dire si, au fond, on considère qu'une espace importante du dialogue et de la vie de la société est sortie du droit.
Et donc aujourd'hui, la levée de l'anonymat fait partie des réponses à mes yeux. La possibilité de poursuivre de manière beaucoup plus rapide et efficace fait partie de la réponse. Et la possibilité de poursuivre de manière beaucoup plus simple et rapide les plateformes, comme on peut le faire avec des titres de presse, c'est le seul moyen qu'elles fassent de la vraie modération. Et depuis un an, soyons clairs, on a eu un recul de la modération de la part de ces plateformes. Moi, je suis inquiet, et je veux juste finir là-dessus, de ce que vous avez dit pour les professions du droit et qui correspond à ce que le docteur, le professeur ont dit des professions de médecine. C'est qu'aujourd'hui, ça devient le procès public en temps réel. Et vous voyez que tout ça nous ramène, je dirais, très en arrière d'un point de vue anthropologique. C'est comme un processus, si je puis l'évoquer, de décivilisation qu'on est en train de vivre. Le processus de civilisation, c'est des tas de choses qui nous ont appris la décence, le respect, l'échange de la parole, la structuration d'un espace démocratique, respectueux et autre. Et là, comme tout ça est en train de se réinstaller, je le disais pour faire la métaphore : on est en cagoule, il n'y a plus de règle du jeu, c'est celui qui crie le plus fort qui a raison. C'est des systèmes de très grande grégarité et de violence, c'est-à-dire, on retrouve des phénomènes de foule qui lapident en quelques heures. Alors après, on peut toujours mener le combat, mais le mal est fait. Et vous avez eu raison de rappeler le temps qu'il faut et l'énergie qu'il faut, et c'est ce que vous faites d'ailleurs au quotidien pour enlever la fausse information. Moi, je ne veux pas vivre dans un système où, en quelque sorte, on revient en arrière, c'est-à-dire où on redonne une prime au comportement grégaire, où on redonne une prime à la violence collective et à ce qu'elle peut déclencher.
Intervenant
Alors, pourquoi on parle d'éducation ? Parce que l'éducation, c'est important. Les jeunes naviguent aujourd'hui sans filtre, sans discernement, sur des réseaux sociaux qui leur poussent des informations pas toujours vérifiées, malheureusement. Alors, comment former les citoyens de demain à l'information ? Comment leur donner, qu'ils acquièrent ce discernement nécessaire pour pouvoir naviguer en toute connaissance de cause sur les réseaux sociaux.
On va regarder des chiffres, comme d'habitude, pour fixer les idées. 70 % des 11-18 ans utilisent intensivement au moins 3 réseaux sociaux. Un collégien sur 5 a déjà subi du cyberharcèlement. C'est une autre dimension des réseaux sociaux qui n'est pas à négliger. Et 80 % des Français estiment que l'accès aux réseaux sociaux devrait être interdit aux enfants de moins de 14 ans.
Monsieur le Président, c'est le sujet qu'on avait abordé déjà tout à l'heure. Alors, toujours la même mécanique, on va s'appuyer sur un témoin local.
Intervenant
Alors, effectivement, j'enseigne depuis 15 ans, et j'ai pu observer des évolutions dans la manière dont mon métier m'occupe, que je vais vous présenter avec un point de vue personnel, au risque d'un peu de caricature.
D'abord, des élèves de plus en plus fatigués, qui peinent de plus en plus à se concentrer, ce qui est confirmé par des études, ce qui est constaté par des études récentes, qui, vous l'avez dit, Monsieur le Président, font le lien avec un usage grandissant des réseaux sociaux, mais, comme vous l'avez aussi précisé, lien ne veut pas nécessairement dire causalité, c'est à creuser.
J'observe aussi, dans le même temps, une hausse de l'anxiété scolaire, particulièrement au lycée, et notamment depuis la mise en place du contrôle continu en 2019 au baccalauréat. Une étude récente montre qu'en 2023, 53 % des lycéens se déclarent stressés, même hors période d'examen, ce qui peut peser sur leur capacité de discernement. Et puis, j'observe aussi des élèves qui sont plus connectés à l'information, plus curieux de ce qui se passe dans le monde. C'est peut-être, là aussi, lié à l'usage des réseaux sociaux. 80 % des 11-17 ans s'y connectent quotidiennement, et 66 % d'entre eux y cherchent chaque jour de l'information. Ce qui n'est pas sans poser des risques, puisqu'on sait qu'une fausse information se propage 6 fois plus vite sur les réseaux de type X qu'une information vérifiée. Et ça, ça a été dit par beaucoup de monde. C'est parce que les algorithmes privilégient des contenus qui retiennent l'attention du spectateur, qui jouent sur l'émotion, qui polarisent, quitte à déformer le réel et à nous enfermer dans des bulles de filtres.
Petite parenthèse, ne pas trop accabler les plus jeunes, puisque les études montrent, là aussi, qu'ils sont beaucoup moins prompts à partager de fausses informations que leurs aînés. Mais les réseaux sociaux, effectivement, en propageant de la désinformation, contribuent à défaire la confiance que l'on peut avoir dans les relais traditionnels de l'information, médias, chercheurs. Et c'est en partie ce qui m'a poussé, il y a maintenant 4-5 ans, à entamer un travail de démystification des propos pseudo-historiques sur les réseaux, ce qui nécessite de présenter les méthodes des historiens, dont l'expertise, comme celle d'autres chercheurs, est absolument indispensable pour lutter contre la désinformation. Et donc, je le fais avec l'optique suivante.
L'idée, c'est d'aider le plus grand nombre, avec d'autres vidéastes, bien sûr, à distinguer un travail éthique, fondé sur une méthode transparente, d'un récit qui instrumentalise le passé pour, par exemple, blanchir la généalogie de telles familles politiques. Suivez mon regard. Je reçois quelques menaces de ce fait, mais, me semble-t-il, le danger le plus grave réside dans l'accumulation des hacks, dont le monde universitaire fait l'objet, des propos qui jettent la suspicion sur le monde universitaire pour mieux s'affranchir de ses conclusions, pour mieux contourner le réel.
On doit bien sûr, Monsieur le Président, vous l'avez dit, poser un regard, un doute critique, sur la recherche. Mais attention à tout ce qui alimente la défiance, attention aux propos qui accuseraient, par exemple, le monde universitaire d'être coupable de casser la République en deux, comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, en 2020. L'école est aussi, bien sûr, précieuse pour lutter contre la désinformation. Elle propose et elle s'appuie sur des outils nombreux pour ce faire, éducation aux médias et à l'information, des disciplines qui développent des compétences utiles, analyses critiques, recherches documentaires, expérimentations, mais elle se heurte aussi à un certain nombre de limites.
Tous les enseignants ne sont pas formés à la lutte contre la désinformation. Quand on n'appartient pas à la génération numérique, on peut légitimement trouver dangereux de traiter la question des limites des réseaux sociaux devant des élèves qui sont, eux, hyper connectés. La hausse structurelle du recours aux professeurs contractuels signifie moins d'enseignants en proportion susceptibles d'être formés à ces questions. On a aussi des problèmes de disparité dans l'accès aux équipements numériques d'un territoire à un autre. Traiter ces questions demande du temps puisque la lourdeur des programmes ne le permet pas toujours, Monsieur le Président. Et se pose aussi la question des moyens humains sur lesquels pèse la baisse d'attractivité du métier, des salaires toujours sous la moyenne de l'OCDE et des postes non pourvus chaque année à chaque rentrée.
Monsieur le Président, pour finir, je pense que former les futurs citoyens au discernement suppose de leur apprendre qu'une vérité se prouve et qu'une erreur s'assume. On entend souvent dire que l'école est un sanctuaire, mais elle n'est pas une forteresse. Quand les élèves ont fini leur cours, ils continuent de s'éduquer à l'éthique de vérité en observant leurs parents, en observant des personnalités publiques. Et de ce qu'ils me disent, Monsieur le Président, des séquences récentes, notamment celles de Bétharram, fragilisent la confiance qu'ils ont dans la capacité des dirigeants politiques à dire le vrai et ils ne sont pas les seuls. 88 % des Français, sondages ELABE 2025, considèrent que les responsables politiques ne sont pas honnêtes. Et Monsieur le Président, il me semble que ce point précis ne doit pas être un angle mort de la réflexion que vous êtes en train d'entamer, d'initier, au risque, sinon, de fragiliser la capacité de l'école à transmettre une éthique de vérité. J'ai donc deux questions, Monsieur le Président.
Première question : Est-ce que vous donnerez à l'école les moyens de vos nouvelles ambitions ? Deuxième question : Est-ce que vous inscrirez dans la loi l'exemplarité de la parole publique comme une norme opposable, ce que les Gallois sont en train de faire ?
Intervenant
J'ai 17 ans et je suis élève au lycée d'Or Torah, en terminale. Donc, Monsieur le Président, selon vous, les démocraties sont-elles encore capables de protéger leurs citoyens face à la banalisation du racisme et de l'antisémitisme sur les réseaux sociaux ? Un antisémitisme malheureusement auquel mes camarades et moi sommes régulièrement confrontés et dont l'intensité s'est fortement accentuée depuis maintenant deux ans.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. À une époque où chacun est confronté à des informations parfois trompeuses, comme nous l'avons dit durant ces deux heures de débat, ne faudrait-il pas, faire du discernement numérique, une grande cause nationale, au même titre que la lecture ? Merci.
Intervenant
Je suis en classe de terminale. Comme nous l'avons vu, nous avons vu que beaucoup de lycéens étaient très stressés à cause, notamment, des réformes qui ont eu lieu en 2019 et que leur temps d'écran a nettement augmenté. Je voulais alors vous demander quelles mesures comptez-vous prendre afin d'éviter l'enfermement des élèves dans des bulles de filtres qui pourraient renforcer l'anxiété ?
Intervenant
Je suis actuellement en classe de terminale et je suis donc l'enseignement de spécialité à CGSP. Dans cette spécialité, on a la chance de travailler davantage notre esprit critique, notamment sur l'actualité ou alors sur même des faits historiques. Mais ce travail nous permet de renforcer notre discernement et donc de nous avertir et nous mettre en garde face à la désinformation. Mais ce n'est malheureusement pas le cas de tous les lycéens. Alors, comment pourrait-on élargir cet enseignement à tous les élèves ?
Intervenant
C'est une question qui est aussi en lien avec le deuxième thème. Est-ce que, selon vous, devrait-on enseigner à l'école comment reconnaître les contenus produits par l'IA et comment s'en protéger ? Merci.
Intervenant
Je suis une femme âgée, mais ancien médecin scolaire. Et c'est à ce titre que je pose la question. La question du sens m'a été posée tout au long de mes 44 ans de vie professionnelle. Et il me semble que c'est une question importante et que tout ce qui est dit ou demandé devrait être assorti de cette question du sens, mais de manière simple et pédagogue. Voilà. Merci.
Intervenant
Plus qu'une question, c'est d'abord, je voudrais rebondir sur ce que vous avez dit concernant le modèle économique des réseaux sociaux. Vous l'avez très bien expliqué. Et à la base de ce modèle économique, c'est la capacité de capter l'attention de nos jeunes. Et là, malheureusement, je dois dire que j'ai le sentiment que nous sommes en train de perdre la bataille. Parce que l'attention des jeunes s'est détournée du savoir. Tout simplement parce que le savoir est devenu accessible. Il est à portée de clics. Et c'est là où je perçois une fracture qui commence à s'installer, c'est entre ceux qui vont avoir leur GPS pour pouvoir naviguer dans cet océan de savoir accessible, gratuit, et les autres.
Et donc, au lieu de rester sur la défensive, ma réflexion, c'est de me dire, finalement, pourquoi ne pas utiliser les mêmes armes que les réseaux sociaux, à savoir les algorithmes, à savoir le numérique, à savoir les mathématiques. On a des bons mathématiciens dans ce pays, pour essayer d'accompagner nos jeunes, surtout ceux qui sont éloignés, malheureusement, des codes de l'école, puisque nous savons aujourd'hui qu'un certain nombre de plateformes d'aide aux devoirs, financées par les parents, utilisent l'intelligence artificielle au point d'avoir des tuteurs IA, aujourd'hui, accessibles.
L'Éducation nationale, je pense, devrait développer un plan de tutorat par l'intelligence artificielle dans un cadre, par exemple, celui qui pourrait être des cités éducatives, parce qu'il y a une fracture qui commence à s'installer et c'est une bataille qui n'est pas encore terminée. Peut-être qu'on pourra quand même dire notre dernier mot.
Intervenant
Je représente la FCPE Occitanie et le CESER Occitanie. Donc, j'y participe en tant que représentante de la Fédération des conseils de parents d'élèves. Et je me disais en écoutant le débat que c'était vraiment génial d'avoir été là ce matin, que vous connaissez bien la question et cela m'a bien rassurée. Et je me suis dit aussi que les parents, nous sommes seuls et en même temps, il y a beaucoup de questionnements qui se posent sur comment accompagner au mieux nos jeunes et que j'étais très contente aussi d'entendre ces jeunes nous dire un peu plus.
Et par rapport à tout ce que vous avez dit, je me suis dit pourquoi pas lui suggérer d'inverser le cercle vicieux des plateformes en un cercle vertueux. Pourquoi pas aller les chercher sur comment finalement mettre en place un label d'une plateforme éducative qui pourrait justement nous aider pour construire de l'éducation à l'esprit critique aussi, et pourquoi pas aller les chercher aussi sur des financements, parce que vous avez vu, ce n'est pas aujourd'hui la fédération qui vous a demandé des moyens. Mais nous savons bien que c'est le nerf de la guerre, donc c'était important aussi d'y songer.
Intervenant
Ma question est courte. Est-ce que selon vous, il faudrait interdire les réseaux sociaux aux jeunes de moins de 15 ans du coup en lien avec l'éducation et les réseaux sociaux de cette question-là ? Merci.
Intervenant
Voilà, Monsieur le Président, beaucoup de questions de jeunes. Merci. Les jeunes, vous êtes super. Il vous revient de répondre à toutes ces questions et interrogations, Monsieur le Président.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Écoutez, d'abord, sur le constat, on l'a fait au début, vous l'avez tous bien posé, vous l'avez rappelé, même s'il faut continuer à consolider les choses et établir toutes les causalités, je crois qu'il y a maintenant une convergence de vues pour dire que les réseaux sociaux, en tout cas à haute dose comme on l'a aujourd'hui pour les plus jeunes, ce n'est pas une bonne chose. Et on a en quelque sorte une génération qui a fait les frais de tout ça, une ou deux, si je puis dire, qui en tout cas est passée par là sans qu'il y ait vraiment d'orientation qui soit donnée, de discours public. Et c'est vrai, pour reprendre un point qui a été fait, qu'on a laissé aussi beaucoup de familles seules, vous venez de le dire, et beaucoup de jeunes seuls.
Moi, j'ai été frappé dans plusieurs débats que j'ai commencé à faire ou que j'ai fait ces dernières années avec les jeunes, de voir d'ailleurs la grande différence qu'on a entre nos lycéens et nos collégiens. Mais ce qui est terrible, c'est qu'on a des lycéens qui ont en fait beaucoup plus de maturité qu’on aurait pu penser ou qu'on en avait à leur âge, parce qu'ils ont fait parfois l'expérience d'excès au collège. Et donc, ils sont passés par un moment où eux-mêmes, en quelque sorte, ont vu qu'ils passaient 5 heures, 6 heures et ont demandé à leurs parents ou à leurs enseignants de les réguler et sont revenus en arrière. Mais ça passe quand même par une véritable souffrance. Mais ce qui est dit sur le cyberharcèlement, qui quand même souvent continue le harcèlement à l'école — et là, je ne reviens pas sur tout ce qu'on a fait ces dernières années collectivement pour lutter contre toutes les formes de harcèlement — tout ce que j'ai pu dire tout à l'heure ou ce qui a été rappelé par Monsieur, doivent nous conduire à protéger.
Donc mon premier point qui est une clarification si elle ne l'était pas par rapport à la dernière question, moi, je pense qu'il faut aller vers, en effet, un âge de majorité numérique — et on a construit un ensemble juridique qui nous permet de faire ça — et imposer aux plateformes de vérifier l'âge pour s'assurer. Et nous, on est plutôt en effet sur 15 ans, avant 15 ans, on n'a pas la majorité numérique, et donc, on ne peut pas aller sur ces réseaux.
Je pense qu'aujourd'hui, il y a plutôt un consensus, c'est ce qui ressort de la commission écran, etc., et c'est ce vers quoi je souhaite qu'on puisse aller. Les débats vont nous éclairer et il faut avoir un nombre suffisant d'États européens pour le faire. Mais dans l'architecture juridique, je ne veux pas être technique, qu'on a construite, l'Europe reconnaît que c'est à chaque pays de définir sa majorité numérique, et elle a construit, surtout depuis juillet dernier, grâce à cette fameuse directive sur les services numériques, la possibilité de rendre obligatoire la vérification de l'âge sur les réseaux. Et on sait le faire techniquement, c'est ce qui a été fait pour les sites pornographiques, par exemple. Donc, on leur impose de vérifier que c'est en dessous ou au-dessus de 18 ans.
Alors, on peut dire, si les pays voisins ne suivent pas, il y a les VPN, je parle sous le contrôle de gens plus experts que moi, mais si on arrive à engager un maximum, en tout cas, on crée quelque chose. Mais surtout, on ne laisse plus les familles seules. Parce que le jour où on interdit au moins de 15 ans, il n'y a plus un parent qui ne peut pas savoir. Une fois qu'on a dit ça, et je vais essayer de faire les questions dans un ordre logique, je pense en effet, et ça, c'était la troisième question, qu’on a eu un problème pour le comprendre. En même temps qu'on interdit, on doit former. Et donc, vous avez totalement raison de dire que ce qu'on est en train de bâtir, c'est une capacité à former.
Alors, on a déjà des bouts. Je parle sous le contrôle des recteurs, anciens recteurs, enseignants qui sont là, et on a déjà mis en place des éléments sur l'esprit critique. On a déjà, justement, dans l'instruction civique, des questions civiques et citoyennes, des choses qui existent. On a dans certaines majeures, certaines options, plus de formation. C'était ce qu'évoquait l'une de vos collègues. Néanmoins, ce qu'on est en train de faire en parallèle, c'est de renforcer au collège et au lycée la formation à l'esprit critique et donc la formation à se repérer entre le vrai et le faux, d'avoir une méthode, de comprendre justement tout ce qu'on est en train de se dire depuis tout à l'heure sur Internet, de former sur l'intelligence artificielle, même si ça suppose aussi qu'il y ait de la transparence technologique, parce que vous pouvez être formé à distinguer le vrai du faux, et quand vous êtes parfois confronté à une IA qui est très bien faite, si vous n'avez pas imposé des règles qui aient que ce soit écrit, fait par l'IA ou par Sora ou Sora 2, vous pouvez vous faire avoir. Mais en tout cas, notre objectif, en même temps qu'on interdirait au moins de 15 ans, c'est qu'il y ait une formation renforcée à l'esprit critique, à la capacité de discernement, aux méthodes, justement, pour pouvoir accompagner les plus jeunes.
Et dans ce contexte-là, évidemment, alors, ça dépasse largement la question de la jeunesse et c'est un peu lié à ce qu'on disait avant, on ne doit pas simplement former, mais on doit durcir nos textes, ce qu'on a commencé à faire sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. En vérité, ces textes existent. On a pénalisé les propos et les comportements racistes et antisémites. La grande difficulté, c'est pour les raisons qu'on évoque, c'est très dur de poursuivre, d'abord parce qu'il n'y a pas de responsabilité, en tout cas, il y a plusieurs actions et plusieurs avocats qui ont lancé des actions contre les plateformes qui laissent ces contenus faire. Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui quand on est face à une attaque antisémite ? Et vous avez dit, à juste titre, qu'elles ont beaucoup augmenté ces derniers mois, pas qu'en France, mais en France aussi. En vrai, dans à peu près toutes les démocraties occidentales. 1) On a la plateforme Pharos qu'on a mise en place, qui normalement va voir le site. Je sais, ils ne sont pas assez nombreux.
Alors même s'ils utilisent l'IA, ils vont beaucoup plus et ils démultiplient. Mais surtout, on a un problème de réactivité des plateformes. Et donc, aujourd'hui, c'est un des points sur lesquels on est en train de muscler le jeu, c'est de mieux équiper Pharos, de durcir les textes et de pénaliser beaucoup plus vite une plateforme qui n'enlève pas. Mais aujourd'hui, de par la loi, on a créé un système où normalement la plateforme signale qu'il y a un contenu antisémite qui doit être retiré. Est-ce que c'est fait dans 100 % des cas ? Non.
Deuxième point, ensuite, on mène les actions contre les personnes. On en obtient, mais c'est très lent, la levée de l'anonymat. Donc, tout ça, c'est en train de dire : on a les bases, mais elles ne sont pas assez efficientes et opérantes. Donc, le combat qu'on doit mener en parallèle et ce qu'on va faire, c'est d'être beaucoup plus radicaux pour imposer, en effet, un système de responsabilité, de contrôle, de retrait de ces contenus. Et ce qu'on doit faire, c'est qu'on doit tout de suite les retirer et on doit tout de suite poursuivre. Mais je vous le garantis, on ne lâchera rien sur ce combat.
Sur ensuite les bulles cognitives et l'anxiété. Là-dessus, si on interdit les réseaux sociaux aux moins de 15 ans, on règle ce problème. Si en même temps on forme et qu'on accompagne dans l'entrée aux réseaux sociaux et à l'esprit critique, ce qu'on va chercher à faire, c'est d'avoir des adolescents puis des jeunes adultes qui, étant mieux formés, vont se rendre compte qu’il y a ce risque de biais lié à l'algorithme et autres.
Donc, notre idée aussi, notre volonté, c'est d'éduquer, mais pas simplement nos jeunes. On voit bien qu'on a un enjeu civique-citoyen pour rééduquer tout le monde sur les risques d'un algorithme qui n'est pas transparent, se doter de la bonne régulation et d'avoir des tiers de confiance, et donc, sortir tout le monde de ces bulles cognitives. La clé, elle va passer par formation, éducation, mais aussi par l'interdiction avant un certain âge où on ne peut pas avoir ce recul. J'insiste sur un point. On parle des réseaux sociaux depuis tout à l'heure. Mais vous avez évoqué les filtres dans votre question. Même les systèmes de messagerie qu'on utilise parfois, et il faudra aller dans ce degré de détail dans les prochains mois, ils créent ces bulles. Je vais vous donner un exemple tout simple. WhatsApp, ce n'est pas, formellement parlant, un réseau social. C'est une messagerie sécurisée. Il se trouve qu'on utilise WhatsApp, parfois, même les enseignants utilisent WhatsApp pour faire leur boucle avec les parents, et parfois, il y a les boucles d'élèves. Avec, maintenant, l'opérateur d'intelligence artificielle qui est dans WhatsApp, faites l'expérience, d'ailleurs, il vous soumet tout de suite des questions. Il vous soumet des filtres. Tu es stressé, tu as un problème avec ton prochain devoir. Et donc, vous êtes déjà dans une bulle cognitive, et l'interaction avec l'intelligence artificielle sur WhatsApp que peuvent avoir vos jeunes, elle est déjà ce filtre que vous avez évoqué. Et donc, dans les régulations qu'on va devoir mettre en place, on va devoir toucher ce point pour protéger de ce risque. Dans ce contexte-là, à côté des interdictions de l'accompagnement, il y a l'éducation, et vous l'avez rappelé.
Aujourd'hui, le combat, il est totalement asymétrique. Parce que même si on rajoute telle ou telle heure d'enseignement, quand on voit le temps d'exposition, on est perdant. Donc, c'est pour ça qu'il faut, sur les plus jeunes, réguler et sortir, il faut protéger, il faut faire cette pause numérique beaucoup plus forte, pas simplement à l'école. On l'a fait, là, sur les portables au collège, et on est en train de le mettre, mais à la maison aussi, par cette interdiction. Ça suppose, vous l'avez dit, de continuer les choses. Donc, vous m'avez posé deux questions. La première, sur l'école et ses moyens, oui, il faut poursuivre. Ce qu'on a fait, là, depuis 3 ans, n'est que le début d'un rattrapage. Donc, on a fait les plus grosses augmentations des enseignants depuis 90. On a fait les plus grandes avec le pacte enseignant et avec la base qui a été augmentée pour tout le monde. Est-ce que c'est suffisant pour solde de tout compte ? La réponse est non, parce que vous l'avez dit.
Alors, en fait, on a simplement un système, je ne veux pas être technique et ce n'est pas le débat du jour, mais on avait une forme de pacte collectif qui ne fonctionne plus. Le pacte collectif, c'était : on vous embauche, vous êtes beaucoup moins bien payés que les collègues. Il y a un système de vacances qui fonctionne différemment que chez les collègues, et vous avez une retraite en moyenne plus jeune et elle est meilleure que chez les collègues dans l'Europe. Ça ne suffit plus pour être suffisamment attractif et c'est plus accepté. Et donc, c'est pour ça qu'on a commencé à augmenter nos enseignants, mais c'est un effet de rattrapage, qu'on a mis en place le pacte pour aussi plus engager, qu'on doit continuer tout ce travail. À côté de ça, le cœur de la bataille pour réussir, c'est la formation des enseignants. Et moi, la réponse que je voulais apporter à votre deuxième élément, c'est qu'au-delà de la question contractuelle ou statutaire, qui est une question qui se justifie, même si les retours ne sont pas toujours les mêmes sur le terrain, et si on a des modèles d'enseignement où vous avez des contractuels tout au long de leur carrière, modèle singapourien qui est toujours pris en exemple, il n'y a pas de statut à proprement parler. Il y a des modèles très différents avec des contrats de moyen terme. La clé, et c'est montré dans toutes les études, c'est la formation des enseignants. Et c'est vrai qu'on avait beaucoup trop sacrifié cette formation ces dernières décennies. Et pour moi, c'est le cœur de ce que je vais pouvoir faire dans les 18 mois qui viennent. C'est justement ce qu'on a mis en place pour beaucoup mieux former nos enseignants, entre autres, à ces pratiques, parce que si on ne forme pas les enseignants, on ne peut pas leur demander de le pratiquer. Et donc, ce qui est mis en place en ce moment et ce qui doit être déployé est absolument fondamental pour réussir ce combat.
Derrière tout cela, donc, je crois que j'ai répondu aussi sur l'élargissement de l'enseignement aux élèves. Je voulais peut-être, en répondant à la question aussi du sens de ce que vous avez dit, dire comment on peut compléter tout cela. Les réseaux sociaux ne sont pas qu'une mauvaise chose. Je l'ai dit depuis tout à l'heure. On doit réguler, on doit protéger, mais en même temps, l'intelligence artificielle dont on a parlé de manière incidente, si on la met au service d'un projet qui est le nôtre, peut avoir beaucoup de vertus. Et aujourd'hui, quand je regarde notre système éducatif, là aussi, les études, on voit qu'il est en train de devenir de plus en plus inégalitaire parce qu'on a, pour certaines formations où il y a de la sélection au premier cycle universitaire, de plus en plus de familles qui accèdent à des prépas privées ou à des enseignements privés.
Est-ce qu'on peut accepter ça durablement ? Non. On voit en même temps que le tutorat qui est fait, en utilisant du mix, c'est-à-dire des personnes physiques et de l'intelligence artificielle, c'est ce qui permet à des élèves qui sont parfois en difficulté d'avoir les meilleures capacités à revenir à un niveau moyen ou encore d'aller au-delà par une meilleure individualisation de l'enseignement quand on a du mal à acquérir telle ou telle compétence ou qu'on doit différencier. Et donc, c'est aussi un message d'optimisme pour les plus jeunes qui sont là et pour nous tous, si on utilise bien l'intelligence artificielle, qu'on la met au service de projets évidemment scientifiques, mais aussi pédagogiques, c'est quelque chose qui peut nous permettre d'aider notre école à aller beaucoup mieux, à améliorer la performance éducative et à améliorer l'accompagnement des élèves, mais il faut que ce soit au service d'une vision humaniste de notre école et bien utilisé. On a lancé des projets de recherche avec le Collège de France et d'autres. Il y a aussi plusieurs expérimentations qui sont faites. C'est ce qu'on est en train d'incuber, mais l'objectif, c'est qu'on puisse progressivement le diffuser, parce que ce sera aussi un levier de transformation très profond pour tout ce qu'on est en train de se dire. Et donc, là aussi, on a une source qui doit nous permettre d'avancer.
Maintenant, je voudrais conclure sur la question du sens d'une manière peut-être plus positive. Tout ce qu'on est en train de se dire et de faire n'est pas perdu si on se mobilise et qu'on partage tous, enfin pas tous parce que l'unanimisme n'est pas une solution, mais si le consensus se crée, la conviction profonde se crée, qu'il y ait un chemin vers le meilleur. Je crois que c'est un d'entre vous qui a parlé de la lecture. Tout ça doit nous rappeler qu'un des points clés pour à la fois apprendre et nous émanciper, c'est la lecture. L'IA, comme les réseaux sociaux, c'est le formidable exemple qu'on peut devenir très intelligent en lisant beaucoup, parce que ce sont juste des machines à lire. Ces modèles qui vous fascinent, ce sont juste des machines à lire. Simplement, il ne faut pas le laisser faire aux autres. Et donc, remettre la lecture au cœur de l'éducation familiale, de l'enseignement est, à mes yeux, un point clé, parce que c'est ce qui nous permet, justement, de bâtir.
Deuxième point, tout le combat qu'on a depuis tout à l'heure : le fonctionnement de notre démocratie, la protection de nos enfants et comment on les aide à apprendre, à devenir des citoyens éclairés, l'indépendance au fond de notre pays et de nous protéger contre les ingérences, c'est exactement le combat existentiel de la République. Et donc, le sens à donner à tout ce qu'on est en train de faire, c'est exactement le sens de l'aventure républicaine. On doit apprendre à refaire des Républicains. Donc oui, il faut réinvestir sur notre école la formation des maîtres. Oui, on doit l'exemplarité. Je ne connais pas le modèle gallois, donc je vais me renseigner. Mais en tout cas, à partir du moment où on recrée un modèle de responsabilité, vous m'avez entendu depuis tout à l'heure, j'y suis très favorable, je pense que tous ceux qui détiennent une autorité doivent être exemplaires. Et donc, je vais regarder le modèle gallois. Vous avez mon engagement, en tout cas, qu'il faut qu'on ait un système où, si on met en cause la responsabilité de ceux qui mentent, ceux qui détiennent l'autorité doivent être exemplaires.
Donc là, il n'y a pas de malentendu. Mais tout ce qu'on est en train de dire depuis tout à l'heure, c'est d'apprendre à refaire des Républicains. Et donc, la base, c'est d'avoir une école qui transmet des certitudes et des connaissances avant l'esprit critique. Deuxièmement, qui transmet l'esprit critique. Troisièmement, une société qui protège ses enfants avant un certain âge, je pense 15 ans. Ensuite, une société qui croit dans la science et le progrès. C'est comme ça que la République s'est constituée, qui protège ses infrastructures d'information en les protégeant de la propriété de quelques-uns ou de systèmes économiques qui ne sont pas compatibles avec la démocratie, et de créer les voies et moyens d'une forge libre de l'opinion publique.
On aura des accords et des désaccords dans le respect, mais en s'assurant que les uns et les autres seront confrontés à des opinions, mais auront un rapport à des vérités qui seront établies par une dialectique et des processus de vérification qui sont transparents. Ce qui aujourd'hui est menacé, parce qu'on est en train de le laisser faire, c'est juste les fondements de notre République et de notre démocratie. Et donc, le combat qu'on est en train de mener, des plus jeunes à l'école, en passant par le combat pour la science, la presse et le fonctionnement démocratique en élection, c'est un combat qui a beaucoup de choses à voir avec le combat des Premiers républicains.
Je ne veux pas être plus long, mais c'est pourquoi le débat d'aujourd'hui était pour moi très important. Il va continuer d'être mené. Toutes les suggestions, remarques que vous avez pu faire, moi, je les ai agrégées dans ces semaines à venir, et j'en rendrai compte, là aussi, de manière très transparente, pour qu'on puisse élaborer ensuite, au début de l'année prochaine, quelque chose qui soit, fasse l'objet du consensus le plus large, mais qui nous permette d'avancer et d'être cette grande République, cette grande démocratie qu'est la France. En tout cas, je vous remercie, et je remercie beaucoup le groupe La Dépêche pour son accueil, l'organisation de ces travaux, de ces débats, et le travail fait chaque jour depuis plus de 150 ans.
Intervenant
Au nom de toute la communauté des personnes de la Dépêche, je vous dis en notre fierté d'avoir organisé ce débat. Il était de très belle qualité, et je tiens à vous en remercier les uns et les autres, c'est un privilège, et vous, Monsieur le Président de la République, qui avez répondu tel que vous savez le faire à l'ensemble des questions. Je pense que nos grands aînés, Jaurès, Clemenceau, Gambetta, Jaurès a écrit la lettre, comme on a beaucoup parlé d'école, Jaurès écrit la lettre aux instituteurs dans la Dépêche du Midi, mais ils doivent être fiers de nous, et nous nous sommes très fiers de vous avoir reçus et d'avoir organisé ce magnifique débat. Merci à toutes et à tous.
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