Le Président Emmanuel Macron a lancé ce lundi 5 mai 2025 depuis l’amphithéâtre de la Sorbonne l’initiative inédite « Choose Europe for Science » qui a pour objectif d’inciter les chercheurs et les entrepreneurs publics et privés du monde entier à choisir l’Europe et la France pour exercer.
Cet évènement a réunit les plus grands noms de la recherche européenne, des présidents d’université, des dirigeants d’instituts de recherche, des entreprises ainsi que des responsables politiques venus des quatre coins du continent. L’objectif : renforcer l’attractivité de la recherche en Europe et continuer d’attirer les meilleurs talents.
Le Président de la République a porté une vision où la recherche devient un levier d’indépendance, de compétitivité et de souveraineté grâce à :
- un renforcement d’une recherche libre ;
- une politique d’innovation et d’attractivité ;
- des investissements au profit des grands défis scientifiques et technologiques à venir.
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5 mai 2025 - Seul le prononcé fait foi
Discours du Président de la République lors de l'événement Choose Europe for science à La Sorbonne.
Mesdames,
Messieurs les vice-présidents exécutifs de la Commission européenne,
Madame la commissaire européenne,
Mesdames et Messieurs les parlementaires français européens,
Madame la rectrice,
Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,
Mesdames et Messieurs les chercheuses et chercheurs.
Thank you very much for your speech, your commitment and your announcement, Madame la Présidente. It’s very important today.
Et je veux remercier aussi nos panélistes d'avoir accepté de plancher aujourd'hui et défendu la cause qui est la leur et qui est la nôtre. Je vais m'exprimer en français. Je suis très heureux de, si je puis dire, revenir à la Sorbonne. Plusieurs fois ici, nous avons parlé ensemble d'Europe et de cette Europe de la liberté, de la prospérité, de l'humanisme, du savoir. Et au fond, je voudrais commencer par là.
C'est véritablement ce qui est en jeu aujourd'hui. Vous résumez des discussions de ce matin, Madame la Présidente, à l'instant, et vous le portez tous, mais je pense qu'il ne faut pas réduire ce qui se joue aujourd'hui. Personne n'aurait pu imaginer, il y a quelques années, qu'une des plus grandes démocraties du monde allait supprimer des programmes de recherche sous prétexte qu'il y avait le mot « diversité » dans ce programme. Personne ne pouvait penser qu'une des plus grandes démocraties du monde allait biffer d'un trait la capacité à avoir des visas de tel ou tel chercheur, parfois de ceux qui avaient contribué à sa propre sécurité numérique. Personne ne pouvait penser que cette très grande démocratie du monde, dont le modèle économique repose si fortement sur la science libre, sur l'innovation et sur sa capacité, d'ailleurs, durant les trois décennies passées, à avoir innové davantage que les Européens et à avoir diffusé plus cette innovation, qu'ils allaient faire une telle erreur. Mais nous en sommes là.
Et en commençant par les enjeux, il faut mesurer que nous sommes à un moment de rupture très profond où l'impensable est au cœur de notre actualité. Au fond, c'est comme si depuis la pandémie du Covid-19, nous vivions constamment dans des temps où les impensables se succédaient ; rupture géopolitique, rupture économique, rupture des repères politiques, mais c'est le monde auquel nous sommes livrés. Alors, quand je disais que ce qui est évidemment en jeu, c'est le cœur de ce que nous sommes, je le dis dans ce lieu, et j'ai eu l'occasion de le dire, d'ailleurs, il y a quelques semaines à l'université du Caire, c'est encore plus vrai pour l'Europe.
Parcourir l'Europe — et vous avez fait référence à Bologne, les lieux les plus anciens, les institutions les plus anciennes qui nous tiennent, sont nos universités. Et l'Europe de la Renaissance, puis celle des Lumières, s'est construite par cette volonté de comprendre le monde, d'avoir une science libre, de pouvoir former les meilleurs esprits et de pouvoir comprendre le monde à la mesure de l'homme, au sens générique du terme. Et tout ce qui nous lie repose sur cette capacité de former des individus libres et rationnels, et libres parce que rationnels, parce qu'ayant accès justement à cette science libre, ouverte à la possibilité de débattre, mais à partir de faits, des vérités à un moment scientifiquement établies, puis ensuite qui seront peut-être désavouées par d'autres chercheurs, jugés à chaque fois par leurs pairs. C'est tout ce qui nous lie et ce qui nous tient. C'est ce qui a conçu nos modèles, et c'est ce qui tient notre rapport à la connaissance, mais aussi notre rapport à la démocratie et notre rapport à l'efficacité économique et la compétitivité.
Sans science libre, nous perdons ces trois piliers de nos sociétés, ce qui fait le cœur même des démocraties libérales occidentales. Et d'abord, ce rapport, en effet, à la vérité. Si on considère que la vérité est révélée, si on considère qu'il y a des recherches interdites, si on considère qu'il y a du bien et du mal dans la recherche et qu'on peut décider de ces financements ou les interdire, alors on perd cette capacité de « ne pas être d'accord ensemble », comme disait Voltaire. C'est-à-dire c'est la possibilité même de savoir et d'avoir une liberté d'opinion solidement établie. Rien de moins que cela. Et donc oui, chérissons la science libre ouverte qui est au cœur de nos sociétés et refusons un dictat qui consisterait à dire qu'un gouvernement, quel qu'il soit, puisse dire : il est interdit de chercher ceci ou cela, et qu'il serait interdit de chercher sur la santé des femmes, qu'il serait interdit de chercher sur les cyclones ou le climat, parce qu'à chaque fois, ce sont, là aussi, des vies qui sont mises en jeu, parce que là, à chaque fois aussi, ce sont les progrès de notre humanité qui sont remis en cause.
C'est un impératif moral et humain, mais c'est la base même de notre Europe, de nos sociétés. Et vous l'avez dit, Madame la Présidente, à l'instant, le « Stand-up for Science », qui a été poussé par beaucoup de chercheurs, et je vais, ici, leur dire toute notre gratitude, et relayé aujourd'hui par ce « Choose Europe for Science », qui a pour vocation d'accompagner cette initiative et au fond de permettre aux chercheuses, aux chercheurs du monde entier qui croient dans cette science libre, ouverte, pour toutes et pour tous, de rejoindre l'Europe et de pouvoir, y travailler, y chercher, y enseigner, eux et leurs familles, en toute liberté.
La deuxième chose, c'est qu'il n'y a pas de démocratie qui tienne longtemps s'il n'y a pas une science libre et ouverte. Comment débattre dans nos sociétés si le rapport au fait et à la vérité est remis en cause, soit par une espèce de relativisme absolu, de scepticisme complet, soit au fond, encore une fois, parce qu'il y aurait une vérité révélée, parce que le pouvoir politique d'un moment donné pourrait dire, ceci est vrai, ceci est faux ? La possibilité même de nos démocraties est de débattre, mais de débattre sur des faits qui sont, à un moment, solidement établis et où il y a une autorité scientifique, et beaucoup ici sont plus éminents que moi pour le dire, mais où il existe une autorité qui a une légitimité. Légitimité reconnue par les pairs, celle d'avoir plus étudié, lu plus de livres, d'être reconnu, d'avoir ainsi gravi les échelons d'un grand organisme de recherche, d'une université, d'avoir été habilité à diriger les travaux des autres et à pouvoir enseigner.
À côté de la liberté académique, il y a, en effet, une autorité du savoir, mais elle est essentielle pour nos démocraties parce qu'elle départit le vrai du faux, elle permet de dire ce qui est un fait, ce qui n'en est pas. Sinon, nous vivons, nous nous mettrions à vivre, peut-être y sommes-nous déjà, dans des démocraties liquides où démêler le vrai du faux devient impossible et qui est, au fond, le lit des complotismes. Du coup, des émotions, puisqu'il n'y a plus de relation véritable au réel ou aux faits. Et ce faisant, nous mettons en danger le cœur même de nos démocraties, de nos démocraties dans leurs racines, c'est-à-dire la possibilité d'avoir un débat public et des opinions publiques ainsi forgées.
Puis enfin, cette science libre est la condition de notre compétitivité. Vous l'avez rappelé dans vos propos, je sais que vous l'avez défendu ce matin. Et au fond, la meilleure démonstration de cela, c'est le modèle américain, qui a tant et tant fondé sa science libre, qui a eu un des modèles les plus efficaces au monde de transmission de la recherche fondamentale à la recherche appliquée, et qui, par ses spécialités sectorielles et ses capacités de financement, a diffusé massivement ces trente dernières années de la science et de la recherche dans son modèle économique. Ce qui, d'ailleurs, a fait que ce modèle a été plus efficace que le modèle européen durant les trois dernières décennies. Il a créé deux fois plus de recherches par tête et c'est ça que nous voulons rattraper, nous, Européens, ce en quoi nous croyons. Mais vous le voyez, au fond, cette autonomie stratégique à laquelle nous croyons n'est pas possible sans une science libre, ouverte, sans un investissement massif et durable dans la recherche fondamentale et évidemment dans la recherche appliquée, dans la capacité, ensuite, à la transmettre du public au privé.
Et c'est pourquoi il est si important dans nos sociétés, dans nos démocraties, de garder cette science libre et ouverte dans nos universités, nos organismes de recherche, de permettre à celles et ceux qui sont menacés de rejoindre notre Europe comme, en quelque sorte, un port d'attache nouveau. Et l'exemple de Marie Curie est admirable à cet égard. Mais il y a beaucoup de Marie Curie à venir, j'espère, dans cet amphithéâtre, à coup sûr dans nos laboratoires et dans les laboratoires du monde entier. Et je veux ici dire ma reconnaissance à toutes celles et ceux qui ont, ces dernières années, cherché sans relâche pour améliorer notre compréhension des grands fonds marins, des dérèglements climatiques, des cyclones à venir, qui ont cherché sans relâche pour avoir une approche libre, ouverte, indépendante de la compréhension des algorithmes, de l'indépendance de nos sociétés face à ces modèles qui se sont aussi privatisés et qui, en quelque sorte, considèrent que, oui, nous avons besoin d'avoir cette science libre et ouverte parce qu'elle est un trésor de l'humanité, ce qui nous permet d'avoir simplement un ordre mondial qui ne soit pas la propriété de quelques-uns, mais qui soit offert à tous pour la liberté de chacune et de chacun.
C'est cela ce que nous défendons, c'est cela ce en quoi nous croyons, et c'est cela ce que nos pères fondateurs et mères fondatrices, même s'il y a moins de femmes autour de cet amphithéâtre, il y en aura, je l'espère, demain, quand on fera ainsi les grandes figures de la recherche et de la pensée européenne. Mais c'est ce pourquoi elles se battent, et c'est ce pourquoi nous devons continuer de nous battre. Alors, dans ce contexte, nous avons fait ensemble beaucoup ces dernières années.
Dès 2017, oserais-je rappeler que, face au scepticisme climatique, nous avions lancé un programme Make Our Planet Great Again. Je sais que ce matin, quelques-unes et quelques-uns l'ont évoqué, qui avait permis d'accueillir les meilleures chercheuses et chercheurs avec des conditions d'accueil dont je veux féliciter nos universités et organismes de recherche, et ce qui a permis de continuer certains programmes qui étaient menacés. Au nom de cet universalisme scientifique, jumeau de l'universalisme européen, en 2017, le programme PAUSE, sous l'impulsion du Collège de France, a été créé. Nous avons déjà engagé 33 millions d'euros pour accueillir près de 600 scientifiques. Et l'État continuera à soutenir cette ambition. À travers ce programme, comme à travers d'autres propositions, y compris législatives, visant à mieux protéger les réfugiés scientifiques et, avec eux, la liberté académique.
Être un refuge suppose aussi d'être attractif et compétitif. Beaucoup de choses ont été faites. Je pense aux chaires de professeurs juniors qui ont permis de recruter, sur 600 lauréats, 60 % de chercheurs étrangers ou exerçants à l'international, ce qui est six fois plus que ce qui est à court d'habitude dans nos recrutements. Alors, contrairement à ce que laissent entendre les esprits chagrins et malthusiens, il n'y a pas d'effet d'éviction, mais au contraire, une émulation, une complémentarité. Et toutes les chercheuses et chercheurs qui sont là dans cet amphithéâtre le savent. La science se nourrit, justement, de cette émulation, de confrontation, d'une capacité aussi à attirer les meilleurs talents qui permettront de former nos meilleurs talents et d'attirer les meilleurs talents chez nous.
Pour l'État, ce sont des moyens supplémentaires qui sont annoncés. Et je veux ici aussi clarifier beaucoup de choses que j'ai pu entendre, entre 2020 et 2025, grâce à la loi de programmation pour la recherche, qui est une première dans l'histoire de la nation, nous avons augmenté les budgets de plus de 6 milliards d'euros en cumulés. Et à l'horizon 2030, ce seront ainsi 25 milliards d'euros qui ont été ajoutés au budget de la recherche. En matière de rémunération, depuis 2020, les primes des enseignants-chercheurs et des chercheurs ont déjà plus que doublé et, en 2027, bénéficieront d'une revalorisation moyenne de 6 000 à 8 000 euros par an supplémentaires par rapport à 2020. Et l'Agence Nationale de la Recherche soutient plus et mieux les projets. En plus des budgets des ministères, France 2030 engage plus de 8 milliards d'euros à travers l'ensemble des actions menées en faveur de l'enseignement et de la recherche, dont 4 milliards d'euros investis dans de très nombreux dispositifs et programmes de recherche dans tous les secteurs : quantique, hydrogène, batterie, intelligence artificielle, maladie infectieuse, santé numérique, où nous continuons de réinvestir.
Ces moyens pluriannuels qui couplent revalorisation, « soutien bottom-up » comme on dit, et programme thématique sur nos priorités nous permettent de poser les bases de notre stratégie. Est-ce que, pour autant, c'est suffisant ? Non. Et je soutiens grandement le Gouvernement et les ministres qui veulent, ici, créer les conditions pour consolider cette trajectoire et avoir pour l'année prochaine et l'année suivante les marches qui conviennent et qui sont ainsi programmées. Le Gouvernement fera bientôt des propositions en ce sens, elles sont indispensables, car c'est grâce à ces efforts et aux moyens que nos organismes et universités renforcent que nos stratégies nationales, justement, se consolident. Et ces efforts se doublent aussi d'une transformation en profondeur de notre organisation de recherche, indispensable tout autant. Transformer nos organismes en agences de programme, consolider les 29 pôles universitaires, avoir su consolider aussi des sites qui, depuis trop longtemps, étaient divisés. Je pense à l'exemple de Saclay, ô combien illustratif. Aller plus loin aussi dans nos contrats d'objectifs, de moyens et de performances de nos universités qui, jusqu'alors, n'étaient qu'une infime part du budget de celles-ci et qui, pour les premières, dès l'année prochaine, couvrira 100 % justement de leur capacité de financement.
Nous avons besoin, en effet, d'une réforme en profondeur dans notre organisation, du système de recherche et d'enseignement supérieur, d'assumer celle-ci en même temps que nous continuons d'y investir et que nous continuons d'attirer les meilleurs. C'est un ensemble, il est cohérent et il doit être défendu comme tel. Alors, au-delà de ces efforts, sur la base de ce que vous venez d'annoncer, Madame la Présidente, et de ce que nous voulons faire au niveau national, nous allons continuer d'avancer, de bâtir notre avenir et d'investir dans l'excellence. D'abord, pour les chercheurs et enseignants-chercheurs. Face aux menaces que j'ai décrites, à cette appréhension internationale, l'Europe, oui, doit devenir un refuge. Et le programme de 500 millions que vous venez d'annoncer, les simplifications, les chaires supplémentaires, les dispositifs d'accueil sont des éléments extrêmement importants de cette attractivité européenne. Dans le contexte international que nous connaissons, un grand nombre d'établissements français, et je veux les en remercier, Aix-Marseille Université, le CNRS, Centrale Supélec, PSL, bien d'autres, ont lancé des programmes visant à faire venir les chercheurs sans attendre.
Notre Europe doit faire plus. C'est le programme que vous venez d'annoncer, « Choose Europe for Science » avec des actes, des financements, des principes. Et au fond, le message est simple, si vous aimez la liberté, venez nous aider à rester libres, à chercher ici, à nous aider à être meilleurs, à investir dans notre avenir. C'est aussi le sens de Choose France for Science, que nous avons lancé il y a quelques semaines, qui a suscité plus de 30 000 connexions, dont un tiers depuis les États-Unis, plusieurs centaines de dossiers ouverts. Et l'objectif est du doctorant au prix Nobel, en passant par les post-docs, les professeurs juniors, d'accueillir autant que de besoins et avec une seule exigence de qualité des candidats.
Des moyens supplémentaires seront mis en place, 100 millions d'euros que l'État apportera à travers France 2030. Et je remercie les équipes et le secrétaire général ici présent. Et je le dis avec force, un chercheur étranger ne remplacera pas un chercheur français ou un chercheur européen. C'est l'esprit même de la science de chercher cette coopération, cette émulation, cette conversation. C'est pourquoi ce sera un financement spécifique qui est ainsi déployé et annoncé aujourd'hui. Voilà aussi pourquoi c'est un appel au cofinancement de tous les dispositifs locaux par les entreprises, les fondations, tous ceux attachés à notre indépendance et à la liberté pour mettre en place ce mécanisme d'attractivité des chercheurs et des enseignants-chercheurs.
Ensuite, l'autre enjeu, ce sont les plateformes de collaboration et des données. Et ne le sous-estimons pas. Il y a l'accueil, en effet, des chercheurs en quête des libertés, mais il y a l'environnement, les collaborations, la mise à disposition des données nécessaires. Et au-delà des trajectoires individuelles, ce qui est remis en cause aujourd'hui, principalement compte tenu du rôle pivot des États-Unis pour la science mondiale, ce sont les grandes plateformes de recherche structurante à l'échelle planétaire, les bases de données essentielles en épidémiologie, en climatologie, qui risquent d'être arrêtées, rendues inaccessibles, voire dans certains cas, irrémédiablement perdues pour la science. Ce sujet n'est pas des moindres. Un monde sans rapport du GIEC, pour dire la vérité du changement climatique, ne serait pas le même. En effet, le GIEC, l'IPES sont aujourd'hui menacées ; je ne parle pas de NOAA ou d'autres, ou des bases de données du NIH et de plusieurs autres grandes structures.
La France et l'Europe ne peuvent pas laisser faire cela, c'est pourquoi il nous faut d'urgence mettre à l'abri ou recréer ces bases de données pour prendre le relais. Dans le cadre des programmes que nous sommes en train de bâtir, et c'est là où nous avons besoin de toutes et tous, il nous faut justement construire les financements et les coopérations pour récupérer et sécuriser ces bases de recherche, ces plateformes de collaboration, pour permettre à nos chercheurs et nos laboratoires, qui souvent y ont contribué en partageant leurs données et leurs recherches, mais qui en ont besoin pour la recherche future, puissent continuer ses travaux. Je souhaite que dans les prochains mois, nous puissions finaliser les initiatives essentielles pour préserver ces bases de recherche, leur financement au niveau européen.
Nous avons commencé dans ce sens et c'est exactement la philosophie que nous avons lancée en matière d'intelligence artificielle, chère Anne, avec le soutien de la Commission européenne et là aussi un financement public-privé pour créer ces communs du numérique en matière d'intelligence artificielle. En effet, ce Current AI, la fondation que nous avons mise en place, a exactement cet objectif et a commencé à sécuriser des bases de données, des plateformes coopératives pour, sur l'intelligence artificielle, ne pas dépendre de quelques acteurs privés et créer ces mécanismes de coopération, de recherche ouverte, de sécurisation des données au service de l'intérêt général.
En matière de climat, de connaissances de la planète, en matière de sciences du vivant, nous avons besoin de poursuivre ce travail, de consolider les plateformes et d'avancer. Réfléchissons collectivement à la lourde tâche d'archivage de certains savoirs spécifiques. Je pense aux travaux aussi de Software Heritage, qui, en France, archive l'ensemble des logiciels créés dans le monde, avec une initiative européenne à construire sur le sujet. Je souhaite, au-delà de la question de notre capacité, à attirer chercheurs, enseignants-chercheurs, que nous ayons aussi une capacité à préserver, consolider, attirer plateformes de collaboration et données au service de l'intérêt général.
Cet investissement massif dans notre recherche doit être aussi pensé en européens, et à travers nos programmes. Je l'ai dit, et c'était d'ailleurs au cœur du rapport de Mario Draghi que vous aviez commandé, Madame la présidente, il n'y a pas d'indépendance de notre Europe, pas d'autonomie stratégique sans une science libre et forte en Europe.
Choisir la science, c'est en quelque sorte, c'est même résolument aussi, refuser la vassalité. Et je le dis ici parce que je vois beaucoup, et nous avons toujours eu cette hésitation en Europe. Regardons les dernières années. Ici même, en 2017, j'ai plaidé pour une Europe plus souveraine en matière scientifique. Je vais être honnête avec vous, je n'ai pas toujours été totalement suivi. Nous avons parfois échoué parce que c'était tellement confortable d'être main dans la main avec les Américains. Il y avait une conviction forte de beaucoup d'Européens. Jamais on ne sera lâchés. Et puis, c'est comme si c'était nous. Ce n'est pas vrai. Le cloud, nous avons tenté, la France a beaucoup poussé, nous avons fait, je pense, une erreur très profonde de ne pas avoir un vrai cloud européen. Et d'ailleurs, nous devons nous réatteler à cette tâche. Nous ne pouvons pas dépendre de quelques entreprises américaines pour avoir un véritable cloud, parce qu'il en va aussi de l'intérêt général européen. C'est une nécessité. Et à chaque fois que nous avons des dépendances, nous créons une vassalité.
Nous avons eu raison de préserver l'accès libre et souverain des Européens à l'espace. Nous avons eu le tort de laisser une certaine partie de la couverture satellitaire à des acteurs privés. Nous l'avons encore vu avec les menaces faites en Ukraine il y a quelques semaines. Je vais le dire ici très clairement, il n'y a pas de vassalité heureuse. Il peut y avoir une vassalité inconsciente, quelques instants. Il peut y avoir un côté agréable à ne pas faire l'investissement qui suppose de redevenir indépendant. Mais à la fin, on finit toujours par le payer.
Le réveil stratégique que nous vivons depuis quelques mois ne doit pas être en quelque sorte vécu comme un simple mauvais moment à passer. C'est un réveil stratégique. Nous devons donc retrouver partout, dans tous les segments de la recherche et de notre industrie, cette autonomie stratégique qui est indispensable. Et je veux une Europe, pour ma part, où la capacité à chercher, comprendre, enseigner, innover, ne dépend ni de la Chine ni des États-Unis d'Amérique quand il s'agit des algorithmes qui rythment nos sociétés, qu'il s'agisse de l'accès à l'espace, de la compréhension de nos océans, de la compréhension du climat, des semi-conducteurs, etc.
Nous avons tout pour le faire. Simplement, parfois, il faut nous organiser. Simplement, parfois, il faut accepter de retrouver du financement et de la compétitivité européenne. À ce titre, il nous faut, pour ça, simplifier. On a commencé à le faire. On doit aller beaucoup plus loin. Ça fait partie de ces réformes indispensables pour le paysage français : simplifier la gestion des laboratoires, simplifier les partenariats entre laboratoire et secteur privé. C'est aussi ce que vous poursuivez au niveau européen. Allons-y vite et fort ! La deuxième, responsabiliser pour que chacun conduise une politique scientifique ambitieuse dans le cadre d'une discussion stratégique unique avec tous les partenaires. Puis la troisième, c'est de consolider cette volonté en européen.
Ce que vous avez rappelé, Madame la Présidente, est essentiel. Le programme Horizon sont un levier essentiel. ERC Synergy, c'est un trésor et beaucoup ici sont issus de ces programmes qui financent les meilleurs projets. Je pense que nous pouvons passer à plusieurs initiatives supplémentaires. Nous avons su faire en France ce qui a été un trésor inventé il y a une quinzaine d'années, les LABEX, initiative qui permet de soutenir les laboratoires d'excellence sur plusieurs années. Nous voulons la prolonger au niveau français. Nous devrions, plusieurs, ici, ont poussé pour cela, je veux les en remercier, nous devrions porter au niveau européen une capacité à financer des LABEX, c'est-à-dire pas simplement des projets, mais des équipes pendant plusieurs années au niveau européen avec des financements européens. C'est plus de simplicité, plus de visibilité, et ça repose sur un jugement et une évaluation des pairs. C'est comme ça que nous créerons plus de compétitivité pour nos recherches.
Nous devons aussi mieux définir nos ambitions programmatiques dans les domaines critiques. Et en même temps que nous finançons la recherche bottom-up, nous devons assumer, comme on l'a fait avec les PIIEC sur quelques grands projets, de se dire que nous avons peut-être une dizaine de chantiers du siècle sur lesquels il faut assumer d'investir massivement, de prioriser et de créer des synergies. En matière de santé, maladies infectieuses, vaccinologie, zoonose et transmission à l'homme, en matière spatiale, qu'il s'agisse d'accès à la Lune ou des missions d'observation, en matière de quantique, en matière d'intelligence artificielle, en matière d'économie circulaire qui est si importante pour la souveraineté de notre Europe, nous qui n'avons ni des énergies fossiles, ni les minerais et terres rares sur lesquelles nous recréons des dépendances pour faire notre transition écologique. L'économie circulaire est clé pour ça. En matière de vieillissement et de régénération, défi immense de nos sociétés, en matière de nucléaire, d'énergie, de fusion, en matière de climat, qu'il s'agisse de la compréhension de la Terre ou de la recherche sur nos océans, en matière d'électronique, et des puces les plus avancées, et, pour en citer un dixième, en matière d'esprit critique et de lutte contre la désinformation, qu'il s'agisse de la santé, du climat ou des sciences.
Je n'ai cité là que 10 chantiers du siècle. Je ne suis sans doute pas exclusif, mais je pense que ces 10 chantiers sont fondamentaux, sur lesquels il nous faut investir massivement en Européens. Dans ces 10 chantiers, il y a les défis de nos sociétés. Société, nous le savons, qui vieillit, une société qui est dépendante d'énergies fossiles et de matériaux et terres rares qu'elle ne produit pas, et une société qui peut créer des dépendances sur les transitions de demain, sur quelques-unes de ces ruptures technologiques, et une société qui veut préserver son esprit critique et sa liberté académique. Sur ces 10 grands secteurs, investissons massivement, lançons 10 grands programmes européens, et essayons aussi de bâtir des coopérations entre pays.
Nous allons commencer dans quelques jours à le faire avec nos partenaires allemands, mais ouvrons-le aussi à tous nos partenaires hors de l'Union européenne, nos voisins britanniques, qui veulent, ô combien, revenir avec nous, mais de l'Inde à d'autres grands pays. Engageons plus largement autour de l'Europe la capacité à penser ces thématiques.
Au-delà de ces programmes, après les chercheurs, les plateformes, les données, il y a la question des infrastructures et de l'innovation. Vous l'avez rappelé, Madame la présidente, nous avons parmi les plus belles infrastructures au monde, le CERN, le synchrotron, en effet, nos accélérateurs, nos réacteurs expérimentaux qui ont permis de magnifiques succès industriels. Il nous faut réinvestir dedans, et ne pas oublier que ces magnifiques instruments de recherche, là aussi, coopératives et ouvertes, où le monde entier est autour de la table, sont des trésors. Nous avons à bâtir des infrastructures de demain, en même temps que nous avons à réinvestir sur ces dernières.
Vous avez annoncé, il y a quelques semaines, à Paris, lors du Sommet sur l'intelligence artificielle, votre volonté de financer des supercalculateurs européens, ouverts pour la recherche publique. Ce sont des infrastructures indispensables. Nous avons besoin aussi de bâtir des infrastructures de stockage pour les sciences du système Terre, pour les activités d'observation in situ de l'océan, nous y reviendrons lors de l'UNOC, ou en biosanté sur le génome notamment. Qu'il s'agisse de la Terre, de son observation des océans, de leur compréhension, de la santé et du génome, là aussi, nous avons des infrastructures extrêmement coûteuses que nous avons à financer et sur lesquelles nous devons créer de la pérennité, de la stabilité.
Enfin, au-delà de ces infrastructures, il y a le système d'innovation et son efficacité. Au fond, ça repose sur des choses assez simples : les talents, le capital et la capacité à aller vite. Je crois que vous l'avez parfaitement résumé ce matin, et c'est ce que les grands chefs d'entreprise et chercheurs qui sont là savent parfaitement. Alors, continuons à accélérer sur l'European Initiative Council que vous avez lancée, Madame la Présidente. Assumons des programmes plus indépendants et plus risqués afin de mobiliser aussi d'autres façons de procéder.
Simplifions et accélérons la capacité à transmettre entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les débouchés industriels. Là aussi, simplifions avec des contrats types de coopération entre industriel et laboratoire, parce que nos procédures, on le sait, sont trop longues, sont encore trop hétérogènes en Europe. Simplifions et accélérons toutes les procédures de transmission. Nous sommes encore beaucoup trop longs. Je pense aux essais cliniques et à d'autres. Regardons, on ne peut pas avoir six mois aux États-Unis et deux ans ou cinq ans en Europe. Ce n'est pas de l'argent, ça. C'est simplement de la simplification de la capacité à aller vite. Les meilleures équipes peuvent arriver sur la base de cette simplification et cette accélération.
Et puis, il nous faut investir, et ça, c'est de l'argent, public et privé, pour améliorer aussi certains segments de la recherche finalisée et leur capacité à se transférer en innovation et à accélérer. Le plan Deep Tech dans le cadre de France 2030 a permis la création de plus de 1 500 startups Deep Tech en cinq ans, doublant le rythme annuel de création qui atteint plus de 380 startups en 2024. Là aussi, je pense que nous devons et pouvons viser haut au niveau européen, avec des plans de financement de la Deep Tech et avec des plans aussi massifs de financement de la croissance de nos startups.
Nous avons, il y a deux ans, lancé ce ScaleUP Europe, qui avait pour vocation de, en quelque sorte, européaniser ce qui avait très bien fonctionné en France, avec notre capacité à amener beaucoup plus d'argent du secteur privé sur l'innovation et sur la création de startups, mais aussi la croissance de ces dernières. C'est une révolution que nous avons à gagner au niveau européen. Et pour ça, la base, c'est en effet de mobiliser notre épargne sur plus de financements en fonds propres et plus de financements risqués. C'est au cœur de l'urgence des prochains mois et de votre agenda, la titrisation, la mobilisation des fonds privés, le marché unique de l'épargne et du financement européen, ou Capital Market Union en bon français. En tout cas, sur chacun de ces leviers, c'est une Europe qui innove davantage et qui accélère le transfert de technologies qui s'impose.
Voilà, mesdames et messieurs, les quelques axes sur lesquels il me semble que nous devons nous engager, et nous voulons nous engager avec Madame la Présidente de la Commission européenne, messieurs mesdames les vice-présidentes et commissaires, mais également avec tous nos collègues en Europe, car cette aventure est européenne et nous engage tous.
Au fond, aujourd'hui, c'est un appel de la Sorbonne que nous voulons lancer au-delà de ces financements, de ces annonces, de ces priorités. Un appel de la Sorbonne qui s'adresse à tous les esprits libres qui veulent œuvrer pour la science et défendre notre modèle, qui veulent faire le choix d’un certain modèle de sociétés contre un autre, qui ont une certaine idée de la liberté, un modèle fort d'une vision de l'égalité entre les femmes et les hommes, fort aussi de la place du rôle de la science, fort de la fraternité entre les peuples pour trouver des réponses aux défis du siècle.
Nous croyons très profondément que notre Europe s'est faite de la renaissance aux Lumières par cette capacité à nous émanciper de tous les dogmes et à créer la seule liberté vraie, celle qui commence là où l'ignorance s’arrête, pour paraphraser Hugo. J'appelle toutes les chercheuses et les chercheurs du monde entier à rejoindre ce grand projet européen, à s'unir pour et avec l'Europe, parce que nous croyons très profondément, oui, que nos démocraties sont plus fortes et que ce sont elles qui ont le mieux lutté contre le Covid il y a quelques années, par les controverses, les débats ouverts, mais une science aussi qui avance à ciel ouvert en cherchant, en tâtonnant, en innovant, en créant, en se contredisant et en contredisant.
Nous ne croyons pas à un modèle de décision qui ne serait basé que sur le diktat de quelques-uns, ou les décisions basées sur une science révélée, ou les choix de l'une ou de l'autre. Rejoignez cette Europe qui croit en effet que les démocraties seront demain plus fortes pour éradiquer le cancer, pour permettre la transition climatique, pour mieux comprendre l'espace comme les grands fonds marins, et au fond, bâtir une connaissance au service du progrès humain.
Unissez-vous pour ce modèle de liberté, de savoir, de connaissance qui est cette espérance européenne. Ce modèle, c’est celui dans lequel nous croyons, et cet appel est un appel aux chercheuses et aux chercheurs du monde entier, mais un appel aussi à la jeunesse. Oui, j'appelle ici tous les jeunes à rejoindre et à s'engager pour la science, et en particulier un appel aux jeunes filles. Notre nation a besoin d'attirer tous les talents vers la science, et en particulier d'attirer davantage de jeunes filles et de jeunes femmes vers les filières scientifiques et techniques.
C'est un appel pour cette science libre, indépendante à laquelle nous croyons, pour la lucidité, la raison, pour ce continent qui a su former plus de 500 prix Nobel et qui continuera d'en former encore davantage. L'Europe continuera de bâtir son indépendance, sa solidité, sa force par le savoir, la recherche libre, ouverte, et par les jeunes d'aujourd'hui et de demain qui le rejoindront.
Cet appel de la Sorbonne aujourd'hui que nous lançons avec Madame la présidente et avec vous toutes et tous, c'est au fond l'affirmation profonde que nous croyons dans ce qui nous a fait. Le savoir, la liberté, la capacité à ce que les plus jeunes dans nos nations continuent de revenir parfois sur les dogmes dans lesquels nous croyons, soient constamment menés par le doute, réinterrogent les fondamentaux qui étaient les nôtres, mais le fassent de manière libre, dans un dialogue permanent avec leurs pairs dans le monde entier, et le fasse au service de cette vision que nous avons de l'universalisme et de rien d'autre.
Vive la recherche, vive la science libre, ouverte, vive l'Europe, vive la République et vive la France. Merci beaucoup.
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