Yves Boisset avait incarné par son œuvre, par son destin, par son tempérament l’idée d’un cinéma engagé et politique. Ses films avaient l’ambition d’agir pour la rédemption des injustices, pour la dénonciation des maux passés sous silence, pour un idéal de vérité et de liberté. Avec sa disparition notre pays perd un cinéaste majeur dont les Français ont aimé et aimeront pour longtemps les œuvres.
Né le 14 mars 1939, Yves Boisset dut batailler pour disposer de sa liberté. Fils de professeur, brillant, sportif, il croisa à quinze ans la route du cinéaste Claude Autant-Lara qui voulut l’engager pour interpréter le héros du « Blé en herbe ». Le refus de son père força Yves Boisset à renoncer. Pour lui, dès lors, le cinéma fut une histoire d’affirmation, d’interdit, de nécessité. Prenant très jeune son indépendance, Yves Boisset multiplia les métiers pour vivre. Embauché comme journaliste à « Paris Jour » sous la direction de Jacques Chancel, critique cinéma adepte des films de genre, il fut bientôt reçu premier au concours de l’IDHEC. Avec son tempérament, son talent, Yves Boisset fut ensuite recherché par les plus grands cinéastes de son temps et devint l’assistant de Claude Sautet, René Clément ou de Jean-Pierre Melville. Enfin à trente ans tout juste, il tourna en 1968 son premier film « Coplan sauve sa peau ».
Ce fut néanmoins avec son deuxième film « Cran d’arrêt », au scénario signé par Antoine Blondin, deux ans plus tard, qu’Yves Boisset s’imposa. Puis « Un condé », sorti la même année, avec Michel Bouquet et Françoise Fabian, fut son premier chef d’œuvre, contenant tout l’univers et le style d’Yves Boisset : une direction d’acteur exceptionnelle, une intrigue dénonçant les abus du pouvoir et l’hypocrisie sociale, une nervosité sans affectation. Le film valut à Yves Boisset la colère des autorités de l’époque qui exigèrent un montage différent avant la sortie en salles. Célébré, l’esprit toujours aussi indocile, Yves Boisset signa ensuite « L’Attentat » en 1972, transposition de l’affaire Ben Barka. Il réunissait une pléiade exceptionnelle d’acteurs : Jean-Louis Trintignant, Michel Piccoli, Gian Maria Volontè et Jean Seberg, attirés par un cinéaste capable de filmer l’ambiguïté morale et devenu le nouveau représentant du cinéma politique tel qu’incarné par Alan Pakula, Costa Gavras ou Elio Petri. Yves Boisset tourna ensuite « R.A.S » sur la guerre d’Algérie, puis « Dupont Lajoie » sorti en 1975. Inspiré de la vague de meurtres racistes frappant le sud de la France, tourné dans le Var dans un contexte houleux, l’œuvre marqua profondément son époque. Deux ans plus tard, Yves Boisset offrit à Patrick Dewaere un rôle inoubliable en magistrat obsédé par sa quête de vérité, avec le « juge Fayard », personnage inspiré du destin du juge Renaud aux prises avec la corruption et la violence politique.
Yves Boisset étendit sa palette en adaptant des succès littéraires : Jean-Patrick Manchette en 1975 avec « Folle à tuer », Michel Déon avec « Un taxi mauve » en 1977, « La Clé sur la porte » d’après le récit de Marie Cardinal, « Bleu comme l’enfer » de Philippe Djian...Pourtant le cinéaste ne quitta pas non plus tout à fait sa veine sociale avec des œuvres qui rencontrèrent un écho véritable telles « Allons z’enfants » en 1981 ou « Le Prix du danger », œuvre prophétique sur la société du spectacle. Enfin, Yves Boisset devint un grand cinéaste de la télévision populaire de qualité avec des films sur les pages sombres de l’histoire judiciaire française. Ainsi de l’Affaire Seznec (1993), l’Affaire Dreyfus (1995), Jean Moulin (2002) avec Charles Berling, ou l’Affaire Salengro (2009) avec Bernard-Pierre Donnadieu.
Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’un monument de notre cinéma français, qui porta au plus haut son amour des acteurs et sa détestation de l’injustice, qui filma notre Histoire française et l’écrivit aussi au nom de ses idéaux. Ils adressent à sa famille, à ses proches, à ceux qui l’aimaient leurs condoléances sincères.