Le Président de la République s'est rendu à Bruxelles pour participer au Conseil européen extraordinaire du jeudi 6 mars 2025.
Lors de cette réunion, les chefs d’Etat et de gouvernement ont échangé autour de deux grandes thématiques :
- le soutien à l'Ukraine ;
- le renforcement de la défense européenne.
Revoir la conférence de presse du Président :
6 mars 2025 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse du Président de la République à l'issue du Conseil européen extraordinaire.
Emmanuel MACRON
Bonsoir, mesdames et messieurs. Merci pour votre patience. Nous venons donc de conclure le Conseil exceptionnel qui se tenait aujourd'hui et, avec lui, une discussion essentielle pour l'affirmation des intérêts propres de l'Union européenne. D'abord, le soutien à l'Ukraine et pour la sécurité en Europe, puis pour accélérer sur notre agenda d'investissement dans la défense européenne. Il s’agissait des deux sujets de notre échange aujourd'hui.
J'ai eu l'occasion de le redire hier aux Françaises et aux Français : nous sommes entrés dans une nouvelle ère, et face aux incertitudes qui croissent, il faut que les Européens créent leurs propres certitudes, en quelque sorte, d'abord pour l'Ukraine, ce fut l'objet de notre discussion avec le président ZELENSKY, des conclusions adoptées, puis de la discussion ce soir, et évidemment pour la sécurité des Européens à court terme, et de manière plus structurelle, à travers le plan que nous avons adopté. Je veux à cet égard remercier le président du Conseil européen, Antonio COSTA, d'avoir permis cet échange et ces décisions du jour, et la présidente VON DER LEYEN pour le plan qui nous a été soumis. En effet, le moment que nous vivons est grave pour l'Europe, tout le monde en a conscience. Et nous avons fait, dès le premier jour, des choix forts, ceux de soutenir l'Ukraine face à la guerre d'agression de la Russie et, ce faisant, de soutenir son indépendance et sa liberté. Et ce qui se joue en Ukraine, c'est évidemment la sécurité et la souveraineté de ce pays, mais c'est également notre sécurité à tous.
Ce Conseil européen, donc, a acté la poursuite du soutien européen financier et militaire à l'Ukraine, et quelques principes fondamentaux qui doivent nous orienter sur le chemin d'une paix solide et durable. Et à ce titre, les grands principes que nous avions actés à la réunion de Paris le 17 février dernier, confirmés ensuite à Londres, ont été validés par tous. Nous voulons la paix pour l'Ukraine et par l'Ukraine, et les Ukrainiens la veulent plus encore. Le président ZELENSKY l'a lui-même redit ce midi. Nous voulons une paix solide et durable, c'est-à-dire une paix qui garantisse la souveraineté de l'Ukraine et qui ne soit pas une prime pour l'agresseur, ni une capitulation, ni un cessez-le-feu sans garantie, expérience que nous avons déjà vécue en 2014, je le rappelais là aussi hier.
C'est la raison pour laquelle l'idée d'une séquence que nous avons soutenue en lien direct avec le président ZELENSKY, avec le Premier ministre STARMER et le chancelier SCHOLZ; a été aussi longuement discutée aujourd'hui et approuvé par tous, l'idée que nous allions d'abord vers une trêve qui permette d'être mesurée et vérifiée, une trêve dans les airs, sur mer et sur les infrastructures civiles, qui puisse ensuite permettre de discuter ce qui constitue les garanties de sécurité au sens large, qui vont du renforcement de l'armée ukrainienne à la présence de forces européennes ou non européennes sur le sol ukrainien, jusqu'à d'autres types de garanties. À ce titre, j'ai invité l'ensemble des collègues qui souhaitaient y participer à la réunion qui se tiendra à Paris le 11 mars prochain avec nos chefs d'état-major.
À ce titre et au-delà, la priorité, évidemment, est de soutenir l'Ukraine et son armée à très court terme. C'est les choix que nous avons faits tous, de manière coordonnée, ces derniers jours, en renforçant ou en accélérant les paquets d'aides déjà décidés ou en mobilisant nos principaux opérateurs pour faire face aux besoins les plus brûlants de l'armée ukrainienne. En 2025, l'Union européenne fournira à l'Ukraine 30,6 milliards d'euros au titre de la facilité pour l'Ukraine et de l'initiative HERA du G7, financée par, vous le savez, les intérêts des actifs russes immobilisés. Et nous avons confirmé la disponibilité des Européens à accroître en urgence notre soutien militaire à l'Ukraine et à répondre à ses besoins les plus pressants en matériel, en examinant aussi toutes les initiatives pour y parvenir. Au-delà de ces éléments de court terme, ce Conseil européen a décidé d'accélérer sur l'investissement en soutien à la défense européenne, et cela en lien direct avec le contexte que je viens de rappeler et parce que l'analyse partagée par tous les États membres est en effet que la Russie, comme là aussi je le rappelais hier aux Françaises et aux Français, constitue dans la durée une menace existentielle pour l'ensemble des Européens, et donc aussi pour la France. Nous sommes aussi convaincus et nous respectons que beaucoup de nos alliés historiques ont aujourd'hui d'autres priorités que l'Europe et qu'en effet, nous ne pourrons plus toucher les dividendes de la paix. C'est ce constat qui nous a conduits, dès 2017, à lancer un exercice stratégique inédit, puis à faire voter deux lois de programmation militaire qui auront conduit à doubler le budget des armées françaises. Mais après le réveil de l'agenda de Versailles décidant de l'autonomie stratégique pour les Européens, ce sont maintenant des décisions qui marquent, sur le plan de la défense, un passage à l'action. Avec l'emprunt de 150 milliards d'euros de la Commission garanti sur le budget de l'Union, les États membres pourront se voir prêter aux meilleures conditions du marché des financements qui permettront des équipements de court terme, et donc de manière plus immédiate. La décision ensuite de règles plus flexibles du pacte de stabilité et de croissance permettra de libérer des investissements de défense au niveau national par les États membres. Plusieurs programmes du budget européen, notamment les fonds structurels, sont repriorisés par la Commission pour pouvoir être utilisés, là aussi, sur les dépenses en matière de défense. La Banque européenne d'investissement est mobilisée, ou plutôt remobilisée sur ses actifs et ses activités. Et évidemment, l'épargne européenne, que nous savons abondante, servira aussi et sera mobilisée pour la base industrielle de défense européenne, notamment par l'Union des marchés de capitaux.
Toutes ces actions de court terme, et je remercie encore une fois la Commission pour ce travail, ont été validées. Nous avons aussi donné des orientations supplémentaires pour le livre blanc, qui sera finalisé pour la mi-mars et qui permettra ensuite de préparer des décisions supplémentaires, en particulier de financement, parce qu'au-delà de la mesure de très court terme du prêt de 150 milliards, il faut trouver en effet des financements communs plus pérennes. J'ai pu là-dessus faire plusieurs propositions et je pourrai y revenir si vous le souhaitez dans les questions. Ce qui importe à mes yeux aussi, c'est la méthode derrière cela. C'est que nous avons évidemment besoin de dépenser davantage, d'investir davantage dans notre défense, mais ce que nous soutenons, c'est que ces dépenses ne soient pas de l'achat de matériel sur étagères qui, à nouveau, serait du matériel non européen. Et comme vous le savez, c'est ce que la France soutient depuis plusieurs années, ce qui a été là aussi acté, ce qui suppose de définir des domaines de priorité, ceux sur lesquels nous avons soit des dépendances, soit des concurrences entre des solutions européennes et non européennes, défense aérienne et antimissiles, systèmes d'artillerie, y inclues les capacités de frappe dans la profondeur, missiles et munitions, drones et systèmes anti-drones, facilitateurs stratégiques, y inclus pour le spatial et la protection des infrastructures critiques, mobilité militaire, cyber, intelligence artificielle et guerre électronique. Sur ces domaines-là, la méthode est d'identifier les meilleurs entrepreneurs et les meilleures entreprises que nous avons, les programmes déjà existants, essayer d'accélérer leur rythme et augmenter leurs capacités de production, et demander à chaque État membre de réexaminer les commandes en cours pour voir s'il peut prioriser des commandes européennes, revenir sur les règles aujourd'hui trop lourdes des procédures d'attribution, et donc simplifier les règles de passation de ces marchés, revenir aussi sur les règles très coûteuses et non compétitives du retour géographique qui existe pour beaucoup de nos programmes, le spatial étant sans doute l'un des premiers tests et, je le dis, un jour de succès spatial européen avec le tir d'Ariane 6. Nous y sommes donc, et c'est un véritable sursaut d'investissements européens qui est aujourd'hui décidé, qui n'est qu'une étape, avant donc le livre blanc, des décisions supplémentaires qui viendront dans ce semestre au niveau du Conseil, mais une articulation plus profonde, comme vous l'avez compris, de notre base industrielle et technologique de défense européenne.
Ces décisions, pour moi, sont un élément clé de ce que j'appelais hier de mes vœux, et ce sur quoi nous sommes aussi mobilisés au niveau national. C'est-à-dire que, compte tenu de la menace et quoi qu'il advienne en Ukraine, nous avons besoin d'augmenter nos capacités de défense et nous avons besoin de bâtir, sur les quelques années qui viennent, des capacités de défense autonomes pour les Européens. Je me félicite des choix qui ont été faits aujourd'hui, mais aussi du très large consensus qui a émergé de nos échanges et qui marque, à mes yeux, une grande lucidité des Européens et un réveil stratégique profond. Nous aurons donc, dans les semaines à venir, à en tirer toutes les conséquences, sur le plan économique lors du prochain Conseil, sur le plan de la défense et de la sécurité dans les semaines qui viennent, par de nouvelles décisions. Je vais maintenant répondre à vos questions.
Journaliste
Merci, M. le Président, vous avez évoqué cette réunion des chefs d'état-major des pays qui sont prêts à apporter des garanties dans le cadre d'un accord de paix en Ukraine, s'il advient, qui aura lieu mardi. Vous avez invité, si j'ai bien compris, aussi des chefs d'État et de gouvernement à y participer. Est-ce que vous pouvez nous dire combien de pays sont prêts à participer à cette réunion et, au-delà, à la coalition pour ces garanties de sécurité ? Et donc, est-ce que la coalition, le plan franco-britannique ou français soutenu par les Britanniques, je ne sais pas comment il faut l'appeler, commence à prendre forme ? Est-ce que vous pouvez nous dire où ça en est et à quel moment vous serez prêts à aller le présenter à nouveau au président TRUMP, notamment, à Washington ? Et sur ce point-là, est-ce que vous avez pu avancer sur le backstop, l'éventuel filet de sécurité que beaucoup de pays réclament des États-Unis pour pouvoir eux-mêmes s'engager à porter des garanties ? Merci.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Sur l'initiative que nous avons prise en lien avec le président ZELENSKY, avec le Premier ministre STARMER, avec aussi le chancelier SCHOLZ et plusieurs collègues qui sont en soutien, et je veux ici remercier aussi la Norvège, les Pays-Bas et plusieurs autres, nous avons, au fond, essayé, par une série de séquences qui ont été construites, d'éviter un cessez-le-feu qui serait négocié à la va-vite sans aucune garantie. Cette proposition de séquences, elle a été discutée en permanence durant les derniers jours, par des échanges avec nos amis ukrainiens, avec le président TRUMP et ses équipes, Vous l'avez vu, donc, dès la semaine prochaine, et c'est une très bonne chose, il y aura une reprise des discussions qui se fera. Et donc, l'idée est que ceci puisse avancer lors des pourparlers qui vont reprendre au niveau négociateur en Arabie saoudite dès le début de semaine prochaine. Et donc, pour la première fois depuis le début de ce processus, qui était aussi un de nos objectifs, il y a bien un processus qui existe entre les États-Unis et l'Ukraine au niveau de ces négociateurs pour pouvoir avancer sur ce schéma. Nous avançons de manière concrète pour voir ce qui est accepté par les uns et les autres et pour qu'en effet, cette séquence qui permette de construire d'abord une trêve mesurable, puis les conditions de garantie de sécurité, les mesures de confiance et, à la fin, une paix durable puisse être suivies. Et donc, c'est en temps réel en quelque sorte maintenant, mais il n'y aurait pas de plan caché ou de plan qui serait préparé. L'action se fait chaque jour et donc les contacts sont permanents. J'ai eu tout à l'heure un entretien bilatéral avec le président ZELENSKY sur ce sujet. Juste avant de vous retrouver après le Conseil, j'ai eu un échange avec le Premier ministre STARMER, et nous aurons les Américains dans les prochaines heures. Donc, nous avançons et nous verrons ce qui arrive à cheminer dans les prochains jours au niveau des négociateurs, à Riyad.
Sur ensuite ce qu'on appelle les garanties de sécurité, il faut voir d'où on part. Les Russes ont très clairement dit quelle était leur volonté. Ils l'ont dit lors des négociations qui s'étaient tenues à Istanbul au printemps 2022, et ça a été rappelé par plusieurs officiels : pas d'OTAN, aucune armée étrangère et une démilitarisation de l'Ukraine que les Russes veulent voir comme un pays neutre, ce qui veut dire un format d'armée très réduit. Ces conditions sont évidemment inacceptables pour les Ukrainiens, mais pour nous tous, parce que c'est recréer en quelque sorte, et je dirais en pire, les conditions de 2014 et, à coup sûr, c'est permettre à la Russie de prendre quelques années pour se réorganiser et lancer à nouveau une opération qui menacerait la sécurité et la souveraineté de l'Ukraine, et, ce faisant, la nôtre. Et donc, quand on dit garanties de sécurité, il y a, si je puis dire, plusieurs options qui existent. Il y a d'abord l'idée de dire : nous soutenons tous l'idée d'une armée ukrainienne de taille et de nature à pouvoir résister à une agression russe, c'est-à-dire un format d'armée de plusieurs centaines de milliers d'hommes avec des équipements de meilleure qualité et, en particulier, une défense solaire et toute une catégorie de capacités qui permettent de résister. Sur ce volet-là, je crois pouvoir dire qu'il y a unanimité des alliés. Je n'ai entendu aucun des alliés, c'est-à-dire Européens et non Européens, dire : "On ne veut pas participer à ces garanties de sécurité."
Il y a vraiment un consensus très fort, tout le monde est d'accord. Il y a ensuite l'idée de dire que comme il y a un refus aujourd'hui américain de rentrer dans l'OTAN, la meilleure garantie de sécurité, c'est l'adhésion à l'OTAN. Nous la soutenons. C'est des mécanismes de type adhésion dans l'OTAN. Plusieurs pays ou commentateurs ont proposé des mécanismes type article 5 ou des solidarités. Jusqu'à présent, les États-Unis d'Amérique ont refusé tous ces mécanismes de type otaniens. Et donc, il y a une autre catégorie qui consiste à déployer, sur une base et sur des décisions totalement nationales, une série d'armées, pas sur la ligne de front, pas en zone occupée, mais le jour d'après la paix dans des zones justement calmes, leurs armées, pour sécuriser pleinement celles-ci, marquer une signature stratégique et créer une solidarité de fait de nations membres de l'OTAN. Et donc, ça, c'est un des schémas qui a été travaillé en franco-britannique, élargi à d'autres, et il y a plusieurs pays, et vous avez raison que pour tous, la condition, c'est la nature du soutien américain. Et donc, il y aura des premières discussions exploratoires sur toute cette gamme d'options qui se tiendront avec les chefs d'état-major de toutes les armées alliées, ils seront tous sollicités, et donc il appartiendra à chacun ensuite de se mobiliser au niveau souhaité, en étroite coordination avec l'OTAN et le commandement militaire de l'OTAN, qui sera aussi associé à cette démarche. Là, l'idée, c'est de donner de la visibilité au maximum aux Ukrainiens et de marquer aussi un signal sur la nature de notre soutien.
Tous les pays seront invités mardi, puisque le premier étage, c'est vraiment l'unanimité, comme je l'ai dit. Et donc, ce qui est important pour nous dans les travaux aussi, ce sont des travaux techniques qui seront menés, ce n'est pas au niveau des chefs d'État et de gouvernement, je pense que je dirais sans doute quelques mots, puisque nous sommes à l'initiative, mais c'est aussi techniquement de voir quel type d'organisation et quel coût pour un soutien durable d'une armée ukrainienne à un format crédible. Et ça, ce sont des travaux qui n'ont pas commencé, donc il faut qu'ils soient menés.
L'objectif est que le travail continue et donc nous continuerons ensuite en lien étroit avec l'OTAN et les uns et les autres. Mais tout ça se fera en transparence complet. D'ailleurs, il y aura sans doute des représentants du commandement américain, en tout cas de l'OTAN, qui permettront de partager ces informations.
Journaliste
Bonsoir, à propos des débats de ce soir, est-ce que vous pouvez nous préciser vos idées concernant les financements innovants supplémentaires que vous appelez de vos vœux dans le cadre du Livret blanc sur la défense au niveau communautaire ? Est-ce que c'est, par exemple, un grand emprunt européen nouveau, un véhicule spécial intergouvernemental ? Est-ce que ce sont des idées que vous avez déjà discutées, notamment avec Friedrich MERZ, futur chancelier allemand ? Et savez-vous ce qu'il en pense déjà ? Et puis, relativement à ce que vous avez dit hier sur la dissuasion nucléaire française que vous proposez d'élargir, disons, à disposition d'autres États européens, en avez-vous parlé ce soir avec vos homologues du Conseil européen ? Quelles ont été leurs questions sur le sujet ? Comment voyez-vous ce débat évoluer ? Merci.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. En effet, je pense qu'aujourd'hui, on utilise, vous le voyez bien, ce qui n'a pas été pris à la fois du plan précédent et d'autres fonds existants non utilisés. Et donc, la Commission a fait ce qu'il fallait faire. Elle a réagi très vite sur une base légale qui lui permettait de faire ça et de mobiliser ces financements. C'est très utile parce que ça permet des décisions rapides, des commandes rapides, et donc d'accélérer les programmes qui sont aujourd'hui dans la main de nos grands industriels en Europe, mais ce n'est pas suffisant. Nous, ce que nous allons soutenir, c'est en effet l'idée qu'ensuite, on puisse avoir un financement commun parce que je pense que la liberté, l'espace budgétaire qui est laissé au niveau national n'est pas une solution satisfaisante parce qu'il y a beaucoup de différences entre les États membres. Et si on veut vraiment avoir des grands programmes européens et avoir une base industrielle européenne, il faut un financement européen.
Et donc, ce que nous allons soutenir, c'est en effet qu'on puisse aller vers des financements innovants. Les uns proposent d'avoir comme sous-jacent l'ESM, je suis, pour ma part, favorable à regarder cette solution, mais à regarder aussi celle d'un emprunt européen pour la défense, qui permettrait d'ailleurs plus largement de regarder pour le financement des grands efforts de défense comme d'intelligence artificielle, les deux étant liés et les deux étant clés pour notre souveraineté stratégique et notre autonomie. Et je pense qu'un tel financement est d'autant plus pertinent qu'il permettrait d'enjamber, ce qui va sinon arriver très vite sur nos économies, qui est le début du remboursement de l'emprunt fait pendant la période covid, qui va arriver à partir de 2028. Et donc, vous voyez bien que le défi pour nos pays, c'est aujourd'hui d'accroître leur financement national sur des sujets de priorité et leurs grands investissements, dont la défense.
Mais ça n'est pas, en quelque sorte, répondre au remboursement d'emprunts qui date d'hier. On a besoin de se donner de la profondeur de champ. Et quand on regarde au niveau agrégé l'Union européenne ou même la zone euro, on a un sous-endettement de cet espace par rapport aux États-Unis d'Amérique qui nous donne beaucoup d'espace. Et j'insiste là-dessus, les 5 à 10 ans qui viennent, le rapport DRAGHI comme le rapport LETTA l'ont très bien montré, et la situation géopolitique accélère cela, ce sont les 5 à 10 ans où nous avons des investissements massifs à faire si nous, Européens, nous voulons nous élever à la hauteur de la menace, si nous voulons répondre aux besoins d'investissement en matière d'intelligence artificielle, parce que la course est maintenant, et si nous voulons répondre aux défis de la décarbonation de nos économies sur, justement, tout ce qu'on appelle les technologies vertes. Et donc la priorité, c'est de mobiliser un financement commun pour le faire maintenant et avoir plutôt des échéances de remboursement qui viendront quand on aura passé cette bosse, si je puis dire, et quand on aura sécurisé des équipements qui nous permettent d'être crédibles pour nous-mêmes, quand on tirera les dividendes de la décarbonation, parce que dans quelques années, on va avoir ces dividendes. On est en train d'investir massivement sur nos interconnexions, sur nos réseaux, sur nos programmes nucléaires et renouvelables. Tout ça va nous permettre d'être beaucoup moins dépendants du coût des fossiles. Et donc ça, on aura le dividende, si je puis dire, ou le retour sur investissement dans 5 à 10 ans. Et donc, je pense que la bonne solution pour les Européens, c'est en effet de mobiliser massivement des financements par les marchés, en commun, de montrer cette signature commune et de pouvoir le faire en particulier pour aller plus loin en matière de défense. En parallèle, je suis favorable à ce qu'il y ait des ressources propres. J'ai évoqué ce soir plusieurs pistes, dont la fameuse taxe numérique évoquée depuis plusieurs années. Je pense que le moment est opportun pour enfin y venir. Ça devrait être une ressource propre européenne, mais on doit avoir des ressources propres aussi pour faire face à cela. On a besoin d'un nouveau saut, comme on a su le faire dans le temps du covid. Sur tout ça, j'ai évidemment commencé la discussion avec le futur chancelier MERZ, et donc nous avançons. Nos équipes échangent en temps réel. Je pense que c'est, en effet, un moment important de la convergence franco-allemande, et j'aurai l'occasion de rééchanger avec lui dans les prochaines semaines.
J'ai vu quand même, entre la période du covid et aujourd'hui, beaucoup d'évolutions sur ce sujet. Et vous l'avez d'ailleurs vu vous-même : beaucoup d'États ou de responsables politiques qui étaient naguère totalement hostiles à toute forme d'endettements communs les soutiennent s'il y a derrière, justement, les programmes que j'évoquais. Sur la dissuasion nucléaire, j'ai expliqué hier de quoi il en retournait. Ce que j'ai proposé, c'est d'ouvrir une conversation stratégique avec les États membres qui étaient intéressés à, justement, avancer sur ce sujet. Plusieurs de mes collègues sont venus me voir, et donc, maintenant, on va ouvrir une phase où nos techniciens vont échanger. On va regarder exactement… On va ouvrir un dialogue à la fois stratégique et technique et se suivront des échanges au niveau des chefs d'État et de gouvernement pour regarder d'ici la fin du semestre s'il y a des coopérations nouvelles qui peuvent voir le jour.
Regardons quand même avec lucidité la situation que nous vivons depuis trois ans. Pourquoi les Européens, et tous, plus largement, sont dans cette situation face à l'Ukraine ? Parce que vous avez une puissance nucléaire qui est l'agresseur. Et donc, de manière assez légitime, l'Europe doit se poser la question de la dissuasion nucléaire pour elle-même, au sens large.
Journaliste
Bonsoir, monsieur le Président. Je suis journaliste russe en exil, ici, en France, merci à la République française de nous accueillir ici, en Europe. J'ai une question sur la réaction. Monsieur le Président, merci pour vos efforts, et vos initiatives inspirent l'optimisme, mais pas pour tout le monde. Avez-vous entendu la réaction de Moscou, par exemple. M. POUTINE s'est vexé après votre discours d'hier et a déclaré, je le cite : "Il y a encore des gens qui veulent revenir à l'époque de Napoléon en oubliant comment cela s'est terminé." Qu'est-ce que vous pensez sur ce sujet ? Et M. TRUMP aussi a réagi sur le sujet de l'OTAN. Je le cite : "Mon plus grand problème avec l'OTAN, c'est que si les États-Unis avaient un problème et qu'on appelait la France, vous pensez qu'ils viendraient nous aider ?" C'est la question de M. TRUMP. Qu'est- ce que vous pensez de cette réaction ? Et j'ai une question plus sérieusement, monsieur le Président. Donald TRUMP, légitime aujourd'hui M.POUTINE. Il a rétabli des relations avec M. POUTINE, avec la Russie. Mais vous, en tant que leader de l'Europe aujourd'hui, êtes-vous personnellement prêt à parler à nouveau avec M. POUTINE ? Et quand ? Parce qu'à Washington, vous avez également évoqué qu'après Boutcha, c'était impossible. Et maintenant, c'est possible ? Le moment n'est-il pas encore venu pour parler avec M. POUTINE ? Merci, monsieur le Président.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Sur votre première question, je connais bien le président POUTINE, donc s'il réagit comme ça, c'est qu'il sait que j'ai dit vrai et que je sais qu'il peut trahir les accords qu'il signe, et qu'il l'a déjà fait, et que je suis là pour en témoigner, puisque nous étions avec la chancelière MERKEL les garants, par le processus de Normandie, d'accords de Minsk qu'il a délibérément violés. Ensuite, je pense qu'il fait un contresens historique, et ça m'étonne de lui. Napoléon menait des conquêtes. La seule puissance impériale que je vois aujourd'hui en Europe s'appelle la Russie, et c'est un impérialiste révisionniste de l'histoire et de l'identité des peuples. Notre volonté, nous, c'est d'être une puissance de paix et d'équilibre. Au fond, tout ce que nous faisons, par les choix y compris, d'ailleurs, de nous armer pour éviter la guerre de demain, ce sont des choix de paix. Et donc, je pense que le président POUTINE devrait revenir à cette vision-là. En tout cas, c'est un contresens historique dans la référence. C'est sans doute qu'il fut piqué du fait que nous avons démasqué son jeu. S'il y a un cessez-le-feu, ce n'est pas pour faire la paix durablement, ce sera pour mieux reprendre la guerre. À la question de savoir si la France viendrait aider les États-Unis d'Amérique, je convoquerai notre histoire séculaire. LA FAYETTE est venu, PERSHING a fait le trajet dans le sens inverse en convoquant cette mémoire. J'étais, il y a encore quelques jours, aux côtés de vétérans américains qui avaient fait le chemin jusqu'à Omaha Beach, et tant d'autres l'ont fait. Nous avons toujours été là l'un pour l'autre. Mais oserais-je rappeler que, pas simplement les Français, les Européens étaient là quand l'Afghanistan fut sonné. Et d'ailleurs, on ne les a pas prévenus poliment quand l'Afghanistan cessa. Donc, nous sommes des alliés loyaux et fidèles. Que quiconque ose en douter regarde simplement l'histoire contemporaine qui est la nôtre. Elle justifie tout simplement ce que nous avons pour les États-Unis d'Amérique, ce que j'ai pour ses dirigeants, respect et amitié. Et je pense qu'on est en droit de réclamer la même chose, parce que notre histoire montre qu'on le mérite. Je suis prêt à parler au président POUTINE quand nous aurons considéré, avec à la fois le président ZELENSKY et nos partenaires européens, que c'est le bon moment. Mais là, on rentre dans une phase de discussion, de pourparlers qui, à un moment, justifiera pleinement qu'il y ait des discussions avec les négociateurs et les dirigeants. Donc la réponse est oui. Je vais prendre une dernière question avant de filer. Allez-y.
Journaliste
Bonsoir, dans la suite de ce que vous venez de dire, il y a eu une déclaration il y a quelques heures de Marco RUBIO, secrétaire d'État américain, sur la profondeur de cette guerre, d'où vient-elle, etc., avec ce message qu'il a dit. C'est-à-dire que pour lui, on est dans une guerre entre les États-Unis et la Russie. En fait, l'Ukraine ne serait qu'une sorte de proxy. C'est le terme qu'il a employé à la télévision. C'est une rhétorique qui est également employée par Moscou. Quelle est votre réaction à cette façon de parler de ceux que vous qualifiez encore aujourd'hui, évidemment, comme nos alliés, mais donc cette espèce de rhétorique qui est en train de changer ? Je vous remercie.
Emmanuel MACRON
Je crois que c'est impropre. Je crois d'abord que cette guerre a été déclenchée de manière unilatérale par la Russie. Il n'y avait aucune volonté ni de l'OTAN, ni de quelque allié, ni des Européens, de menacer la sécurité de la Russie à travers l'Ukraine. Je peux vous le dire, et aucun de mes prédécesseurs, d'ailleurs, ne dirait le contraire : nous avons toujours veillé à cela, et lorsque des propositions sont venues, par exemple pour étendre l'OTAN, c'est la France et l'Allemagne qui l'ont rejeté en 2008 à Bucarest, et ça n'a plus été ensuite réenvisagé. Et donc, est-ce que ces dernières années, il y avait une forme de pression, de tension ou de projet, comme j'entends parfois, d'extension qui aurait justifié une réaction russe ? C'est faux. Ceci est un conte, un mauvais conte. Il n'y a qu'un agresseur, il est russe, et il a décidé de le faire par impérialisme, par volonté d'extension et une volonté de conquérir l'Ukraine. Rappelez-vous, d'ailleurs, il y a trois ans, on nous expliquait que ce serait une opération spéciale qui prendrait trois semaines. Et cette opération, d'ailleurs, était menée à l'est et par le nord, avec plusieurs centaines de milliers de soldats qui venaient sur Kiev, laquelle fut libérée, ainsi que le nord du pays, par les Ukrainiens.
Ensuite, je crois que c'est impropre de qualifier cela, parce qu'en quelque sorte, ça déresponsabilise les responsables ukrainiens. Depuis trois ans, que je ne sache, il n'y a eu aucun combattant, ni européen, ni américain, sur le sol ukrainien. Nous avons aidé, nous avons financé, nous avons donné des capacités, mais les braves qui se sont battus pour leur territoire et pour leur souveraineté sont les Ukrainiens, pas nous, ni Américains, ni Européens. Et donc, vouloir dire en quelque sorte aujourd'hui que ce serait simplement une discussion entre Américains et Russes, c'est déposséder un peuple qui a résisté pour sa survie de sa dignité et de son combat. Je crois que ce n'est pas ce que nous devons faire. Donc, non, c'est une guerre de résistance de l'Ukraine face à l'agression russe. Ça n'est que cela, et je crois qu'il faut continuer de bien la nommer. Ensuite, la paix impliquera d'abord les Ukrainiens avec les Russes autour de la table, mais également les Européens, en tant qu'ils sont des soutiens et qu'il s'agit aussi de la sécurité européenne, et évidemment, les Américains et les autres alliés qui sont venus à leur côté et qui sont des contributeurs importants sur le plan financier et militaire. Voilà. Je pense qu'en nommant bien les choses, on peut trouver une solution utile. Sinon, on avance de travers. Je voulais rétablir les choses. Je vais devoir partir. Je vous remercie, merci beaucoup.





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