Le Président de la République s'est rendu à Arras ce mercredi 19 novembre 2025.
Dans le cadre de l’initiative lancée le 28 octobre au Palais de l’Élysée, et dans la continuité de l’échange organisé le mercredi 12 novembre à Toulouse avec les lecteurs de La Dépêche du Midi, le chef de l’État poursuit le cycle de discussions consacré aux enjeux démocratiques à l’épreuve des réseaux sociaux et des algorithmes.
Le Président a échangé à cette occasion avec des lecteurs de La Voix du Nord, deuxième étape d’une série de rencontres avec les lecteurs de la presse quotidienne régionale destinée à nourrir ce débat au plus près des territoires.
Revoir les échanges :
19 novembre 2025 - Seul le prononcé fait foi
Face aux lecteurs de la Voix du Nord à Arras.
Bernard MARCHANT
Monsieur le Président, monsieur le ministre, on a beaucoup de chance de vous accueillir ici, mais je voudrais d'abord remercier nos lecteurs pour leur patience, parce que ce n'est pas toujours facile, mais aussi parce que — et il y a une étude récente, d'ailleurs, qui a mis ça en avant — les lecteurs de presse régionale en particulier sont souvent des citoyens actifs. C'est à ça qu'on les reconnaît. Je crois que c'est pour ça aussi que nous organisons ce genre de mobilisation aujourd'hui.
Donc, merci de participer à cette rencontre qui est relativement unique, je pense, rare. C'est une initiative qui a été partagée et qui a été prise par l'Élysée, d'avoir la possibilité de vous rencontrer sur des enjeux de société qui sont extrêmement importants, qui sont les fondements même de la démocratie, de la solidité de l'information, sa qualité de nos échanges, et bien sûr, la manière dont nous fabriquons du sens collectif au sein de nos sociétés.
Donc, le monde change. Il change très, très vite. On voit émerger des nouveaux rapports au niveau géopolitique. Des rapports de force qui sont importants, qui se traduisent à différents niveaux, malheureusement aussi sur la scène militaire. Donc ça nécessite évidemment de se réarmer et c'est important. Tout le monde n'est pas toujours prêt à ça, on avait peut-être un peu oublié. Mais les zones de conflit, aujourd'hui, ne sont pas toujours sur le champ militaire. Les choses ont fortement évolué. Nous faisons face à une guerre hybride, et je pense que c'est en partie pour ça que nous sommes aujourd'hui pour débattre, où chacun d'entre nous est concerné par ce qui se passe. Ça ne se passe pas qu'en Ukraine, ça se passe dans nos sociétés, et c'est important de bien comprendre les enjeux.
Depuis toujours, je dirais, l'arme la plus puissante, n'est pas, contrairement à ce que la plupart des gens pensent, l'arme atomique ou la bombe atomique. L'arme ultime, c'est le cerveau humain. C'est cette bombe humaine dont nous parlait le groupe Téléphone il y a quelques années. Cette arme, elle se façonne, elle se nourrit, elle s'oriente à travers des vastes écosystèmes de la communication et plus particulièrement de l'information. Donc, à côté des contenus qui sont éditorialement responsables, produits par des journalistes professionnels, dans des entreprises qui sont légalement responsables de ce qu'elles publient, ce que nous représentons, nous, au sein du groupe Rossel et au sein de La Voix du Nord, à côté de cette industrie de l'information, s'est développée une véritable industrie de la désinformation. Et ça, c'est neuf.
Cette industrie de la désinformation, elle est puissante, elle est tentaculaire, elle n'a pas de responsabilité, elle n'est pas régulée et elle dispose aujourd'hui de moyens financiers qui sont disproportionnés par rapport à ce que les médias d'information, que certains appellent traditionnels, dont nous disposons. C'est un sujet absolument passionnant, vital pour nos démocraties. C'est aujourd'hui, sur ce débat-là, que nous voulons vous amener, vous entraîner. Et donc, je pense que c'est une occasion unique.
Je remercie évidemment le Président Macron de donner cette opportunité, puisque c'est notre rôle, nous, en termes d'organes de presse, de mettre en lien nos lecteurs, qui sont, comme j'explique, des gens passionnés, qui lisent, qui s'informent, qui veulent rester des citoyens actifs, en liaison avec le chef de l'État, de façon à comprendre et pouvoir débattre sur ces enjeux de société qui sont fondamentaux pour nos démocraties. Merci pour votre présence, Monsieur le Président. Merci pour votre présence également dans un lieu assez symbolique à Arras. Merci.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Bonjour, Mesdames et Messieurs. Merci, Monsieur Marchant, à l’instant pour vos mots et l'accueil et l'organisation. Merci à l'ensemble des équipes de la rédaction de La Voix du Nord de nous accueillir et d'organiser ce débat. Je ne vais pas être long parce que je veux surtout pouvoir répondre à vos questions.
Je veux d'abord dire que c'est très émouvant pour moi d'être à vos côtés et d'être, pas simplement à Arras, mais dans ce lieu qui a marqué la vie de la nation ces dernières années, et deux ans presque jour pour jour, puisqu’on est maintenant passé au mois de novembre, mais personne n'a oublié ce jour d'octobre 2023, et on était avec une partie, évidemment, l'épouse de Dominique et une partie de l'équipe pédagogique, mais je veux d'ici dire combien tout ça a marqué la vie de la nation, cette attaque terroriste ici dans cette cité scolaire.
Et vous retrouver pour débattre justement de la force de notre démocratie à Arras dans cette cité scolaire, c'est pour moi tout un symbole. Ce que d'ailleurs les profs font, la famille, c'est un engagement qui est vraiment l'engagement de la République et de l'école, c'est-à-dire de dire qu'on ne doit rien céder à la barbarie et à l'obscurantisme.
Au fond, si je pense que le débat qu'on a commencé à avoir et qu'on va poursuivre ensemble aujourd'hui est important, c'est parce que je crois qu'il touche vraiment à la vie de la nation. Nous nous sommes installés, ces 10 dernières années, dans un système où, au fond, de plus en plus, on s'instruit, on échange, on s'informe, on construit parfois les savoirs et notre opinion publique à travers des plateformes, des réseaux sociaux, maintenant des agents d'intelligence artificielle, parce que tout ça est un continuum d'innovation, qui ont, des modèles, des intérêts économiques, des modèles économiques qu'on n'a pas tout à fait compris au début. Et je pense qu'il y a eu beaucoup de malentendus. Mais on a un peu délégué la vie de nos enfants, de nos adolescents, de notre démocratie à ces systèmes.
Alors, il y a du très bon dans ces systèmes, c'est pour ça qu'on les utilise. On peut accéder très facilement à de l'information, à l'autre bout du monde, à des savoirs. On peut y partager, d'ailleurs, des alertes et se faisant réussir à se protéger, à être une société plus en éveil. D'ailleurs, Internet, comme les réseaux sociaux, a été au début pensé par des gens qui voulaient avant tout propager du savoir et des expériences. Mais quand on finit par s'enfermer en quelque sorte dans ces bulles, et on va y revenir, je pense, dans le débat, quelque chose part de travers.
Je pense qu'il faut qu'on prenne collectivement conscience que pour nos enfants et nos adolescents, la situation devient problématique. Pour nous tous adultes, quelque chose est en train de changer dans notre vie démocratique, c'est-à-dire la manière même dont on est en train de se forger nos opinions, dont on est en train de construire nos opinions, dans notre rapport à ce qui est une vérité, un fait ou pas, c'est en train de bouger. On est de plus en plus vulnérables, à travers ces réseaux sociaux, mais aussi le rôle maintenant qu'a l'intelligence artificielle, on est de plus en plus vulnérable à des attaques informationnelles. Ce que vous venez de dire très bien, en effet, le cerveau humain, le fonctionnement de nos démocraties peut être manipulé par des ingérences qui utilisent ces informations. Sur tous ces sujets, je pense qu'on a besoin d'une prise de conscience, parce que tout ça a connu une accélération très forte. Et au fond, c'est autour des années 2015 qu'on a une ouverture, une démocratisation des grands réseaux sociaux. Donc, on a 10 ans de recul.
Moi, j'ai fait ma première campagne présidentielle en 2017. Pour les plus jeunes, ça doit leur sembler Mathusalem. Mais en vrai, on commençait sur les réseaux sociaux à faire campagne. C'était assez inédit. Aujourd'hui, ça vous semble totalement banal. Donc il y a eu, en 2015, la propagation : ça fait 10 ans qu'on a tous nos jeunes, nos ados. Et on a très peu régulé, ils ont été complètement ouverts à TikTok à Instagram, Snapchat, X, etc. Quelque chose s'est passé, on peut le mesurer. Puis, il y a une deuxième phase très importante qui a été le covid, où, étant renvoyé au confinement, à la solitude, le temps d'exposition aux écrans a beaucoup augmenté. Puis, il y a eu ces dernières années une accélération des ingérences informationnelles. 2022, la guerre d'agression russe en Ukraine, l'accélération des tensions internationales, tout ça a encore transformé les choses. Il faut qu'on voie qu'en 10 ans, il y a eu vraiment une révolution de ces usages et de ce qui s'est passé dans nos démocraties. Je crois que c'est vraiment aujourd'hui, le temps, à la fois de la prise de conscience, mais également de l'action. C'est pourquoi je trouve que ces débats sont très importants. Je ne veux pas être plus long. Je veux vous dire mes remerciements d'avoir organisé ce débat, d'être accueilli ici, devant ce mur d'escalade, qui est derrière votre écran, puisque je le découvre comme vous, et vous remercier tous et toutes, lecteurs et lectrices, d'avoir, je sais, parfois fait quelques trajets, pour être présents aujourd'hui et pouvoir débattre.
Animateur
Bonjour à toutes, bonjour à tous. Monsieur le Président de la République. Bonjour, Monsieur le Ministre. Bonjour à tous nos lecteurs venus nombreux aujourd'hui. Nous allons animer ce “face au lecteurs” exceptionnel, qui est dédié à la démocratie, à l'épreuve des réseaux sociaux et des algorithmes.
Pour commencer, je vais d'abord vous présenter le déroulé de ces deux heures que nous allons passer ensemble. On va commencer par une première demi-heure consacrée à la désinformation, au complotisme, aux bulles algorithmiques. Un thème numéro 2 qui sera dévolu aux ingérences, à la souveraineté et aux dépendances aux plateformes. En réalité, qui gouverne notre espace numérique ? On enchaînera ensuite avec les enfants, les adolescents, la santé mentale. Comment protéger les plus jeunes sans les couper du monde ? Et on prolongera ce thème-là par une quatrième partie sur l'éducation, l'esprit critique, l'intelligence artificielle. Comment peut-on armer les citoyens de demain ?
Monsieur le Président, nous vous proposons donc de répondre aux questions de nos lecteurs dans un échange direct et spontané, comme on aime le faire dans les “Face aux lecteurs” de La Voix du Nord. Une question, une réponse.
[Extrait vidéo]
Animatrice
Merci aux collègues pour cette petite vidéo. On le voit, Internet, c'est le Far West. Notre espace informationnel est déformé par des plateformes et des algorithmes qui jouent sur les peurs, qui attisent la haine, notamment via les réseaux sociaux.
Monsieur le Président, vous avez évoqué lors du forum de Paris pour la paix, il y a une quinzaine de jours, un phénomène de dégénérescence démocratique. Selon vous, les gens qui nous informent à travers ces réseaux ne sont pas des médias libres et indépendants, et les plateformes ne sont pas faites pour partager de l'information, mais pour vendre de la publicité individualisée, avec les conséquences que l'on connaît. On fait donc face à des algorithmes qui privilégient l'émotion, on constate la montée du complotisme et au final, les internautes, nos lecteurs, nous, on se retrouve dans la difficulté de distinguer le vrai du faux.
Hier encore, quelques jours après les commémorations des attentats du 13 novembre, nos collègues du Monde ont pointé qu'une rumeur faisant état d'acte de torture commis au Bataclan avait été exhumé par l'extrême droite et confirmé à tort par l'intelligence artificielle d'Elon Musk, Grok, qui a inventé de faux témoignages de victimes du 13 novembre. Voilà pour le contexte général.
Animateur
35%, c'est le pourcentage des Français qui croient à au moins une théorie du complot. Dans ce cadre, les journaux papiers restent les plus crédibles. C'est une bonne nouvelle pour La Voix du Nord. 66 % des Français nous font confiance, alors qu'ils ne sont que 35 % à faire confiance aux médias en ligne. Dernier chiffre pour cadrer ce débat, 51 %, c'est le pourcentage des Français qui ont été exposés à une infox au cours des 3 derniers mois.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour à tous. Merci à vous et à La Voix du Nord pour cette rencontre et pour ce débat. Voilà. De par mon métier, je rencontre beaucoup de personnes, toutes catégories sociales confondues, tout âge. Depuis l'après-covid, je m'aperçois que, de plus en plus, j'ai des personnes qui me font part de théories complotistes, en tout cas de leur crédulité par rapport à ça, en disant : « non, mais le covid ça n'a pas existé, on nous manipule ». Quand je m'informe d'où ils tiennent ces informations, bien évidemment, c'est sur Internet, sur les plateformes. Pareil, quand je fais un sondage de qui lit la presse, qui regarde les médias labellisés, on est aujourd'hui à 20 %.
D'où mon inquiétude par rapport à cette désinformation qui, pour moi, menace notre démocratie et cette liberté d'expression. Est-ce qu'on peut la laisser de toutes parts ? Donc, la question est : comment lutter contre cette désinformation, surtout au niveau des publics, je dirais, plus âgés qui n'ont pas été sensibilisés, je dirais, à une analyse critique de ces informations. Donc, pour moi, c'est une vraie préoccupation, et je vois vraiment une montée en puissance de cette crédulité par rapport à ces informations qui sont dispatchées sur le Net et lues par ces personnes qui croient effectivement ce qu'ils voient.
Emmanuel MACRON
Non, vous avez parfaitement raison. Ce que vous citez, c'est ce qu'on vit à peu près partout. On reviendra sur les plus jeunes. Vous avez raison de citer nos aînés. Parce que quand on regarde les comptes qui sont souvent les plus problématiques, contrairement à l'idée reçue, c'est souvent des gens de plus de 60 ans qui relaient massivement des fausses informations auxquelles ils croient sincèrement et qu'ils ont trouvé sur ces réseaux.
Alors, il n'y a pas une seule solution miracle pour répondre aux problèmes que vous évoquez. Il faut traiter à la fois les contenus, il faut accompagner, former, apprendre à tout le monde à se repérer dans l'espace numérique. C'est ça, notre défi. Donc, il y a à la fois de la régulation, de la responsabilité, et puis, il y a de l'éducation, de la formation à l'esprit critique.
Le premier élément, c'est de se dire : comment on traite les fausses informations. Notre problème, c'est que quand on parle des réseaux sociaux, il n'y a pas de responsable éditorial. Si La Voix du Nord diffuse une fausse information, je peux porter plainte. Je vais les attaquer et je vais leur dire, je vais demander un démenti, et voir si je peux les attaquer, ça va leur coûter de l'argent. C'est pour ça qu'ils essaient de tout faire chaque jour pour ne pas publier de fausses informations et qu'il y a une éthique, une déontologie pour le faire. Mais tout ça, on l'a construit. Ce sont nos lois sur la presse de la fin du 19e siècle. Sur Internet, vous ne l'avez pas. Si je suis X, si je suis TikTok ou autre, je n'ai aucune responsabilité.
La modération, nous, on a commencé en 2018, on s'est engagé avec cette plateforme, on avait fait quelque chose, pardon de l'anglicisme, qui s'appelait Tech for Good, pour dire vous devez modérer. Ils s'étaient un peu engagés. Alors, je peux vous dire, ceux qui avaient commencé à s'engager post-élection du président Trump, ils ont totalement arrêté. Parce qu'ils sont aujourd'hui dans une logique qu'ils appellent free speech. Mais ce n'est pas la liberté, le Far West. C'est la loi du plus fort. Donc aujourd'hui, on se bat pour essayer de faire de la modération. Vous avez des rédactions, parce que ça se passe sur leur site, qui le font. Mais aujourd'hui, il n'y a pas de modération.
Donc première chose, on veut faire retirer ces contenus. Donc là, on a pris une directive européenne, qui est la directive qui régule les services. On a commencé. Tout ça, c'est très lent, c'est trop lent. On l'a pris en 2022 à l'initiative de la France, mais on veut pouvoir les obliger à modérer et à retirer ces contenus qui sont faux. Premier point.
Le deuxième point, c'est que, et vous l'avez un peu dit tout à l'heure dans votre introduction, il faut savoir où on est. C'est-à-dire que quand j'achète un journal, je paye pour avoir de l'information. Ce journal va gagner, à côté de ça, de l'argent, peut-être, en ayant des annonces légales ou de la publicité, mais le cœur, c'est les abonnements ou le numéro que vous allez payer. Donc, cette information a de la valeur. Je sais comment il vit. Quand je vais sur Twitter, quand je vais sur X maintenant, quand je vais sur TikTok ou autre, je ne paye pas. Donc, il faut vous demander pourquoi ils me donnent tous ces contenus. Ce n'est pas des philanthropes. Ils le font parce qu'ils attrapent des informations sur moi pour les vendre, à des annonceurs parce qu'en fait, ils vont faire leur argent par de la publicité. Ce n'est pas un reproche. C'est comme ça qu'ils se sont constitués.
Donc, là où on est tous collectivement, on s'est mis dans une situation un peu paradoxale, c'est qu'on s'informe de plus en plus sur des réseaux sociaux dont le modèle économique n'est pas du tout de nous informer, mais de vendre de la publicité individualisée. Comme ils sont malins et bien organisés, ils veulent en vendre un maximum. Pour en vendre un maximum, ils doivent créer de la dépendance, c'est-à-dire j'ai besoin que vous alliez de plus en plus sur mes réseaux, j'ai besoin d'avoir de plus en plus d'informations sur vous. Donc, je ne vais pas chercher à vous informer parce que ce n'est pas ce qui vous fera venir. Je vais plutôt créer de l'excitation, parce que c'est ça qui fait que vous allez rester. C'est vrai, les algorithmes sont conçus comme ça. Je vais m'assurer de vous pousser les contenus qui créent le plus d'excitation pour que vous restiez sur mon réseau. Ce qui fait que ce qu'on va vous pousser, c'est plutôt des contenus qui vont créer des émotions négatives parce que c'est celles qui créent le plus d'excitation. Donc, en vrai, ça ne peut pas marcher un système où le modèle économique des réseaux, c'est de créer de l'excitation pour vendre de la publicité individualisée. Sinon, on pense qu'on va s'informer. Il n'y a aucune chance. Donc, deuxième chose, il faut qu'on clarifie le débat au niveau européen en disant : « on doit avoir des réseaux qui informent et on doit avoir des réseaux qui vendent de la publicité individualisée ». Ça doit être clair, mais ça ne peut pas faire le même élément.
Troisième chose, on y reviendra, je ne veux pas être plus long, ce sont les algorithmes. C'est qu'en vrai, comme c'est pour vendre de la publicité individualisée, les contenus qui vont m'être poussés, il y a quelqu'un qui les pousse. Ce n'est pas une main invisible. Ce n'est pas vous qui allez les chercher, ils vous sont poussés. Vous avez mis un mot-clé. On a vu, il y a votre historique dans le réseau, donc on sait ce que vous allez plutôt chercher. D'ailleurs, bizarrement, vous retrouvez les choses. Parfois, vous allez avoir une pub qui correspond à quelque chose dont vous avez demandé la définition deux jours plus tôt, sur lequel vous vous êtes renseigné. Vous avez tous vécu cette expérience comme moi. Ce qui est la démonstration de ce que je viens de dire.
Il y a un algorithme derrière. Cet algorithme, il est totalement opaque. Quand j'achète La Voix du Nord, je sais la ligne éditoriale. Elle est signée, c'est clair. Et puis, il y a des tas de choses, ce n'est pas une ligne éditoriale, c'est des faits. Là, il y a un éditeur caché. C'est l'algorithme. Et cet algorithme, il est biaisé, parce qu'il va créer cette excitation. Parfois, d'ailleurs, il va créer des biais politiques, parce que j'ai cru comprendre que, par exemple, le propriétaire de X, il avait des opinions politiques et était même intervenu dans la scène politique. Dans d'autres fois, il peut faire de l'ingérence. Le propriétaire de TikTok, il est en Chine, il a des intérêts, ce n'est pas les mêmes que les miens. Et donc, troisième élément, on a besoin d'avoir une transparence de l'algorithme.
Donc par rapport à ce que vous avez décrit, il faut qu'on arrive à réguler pour faire retirer les fausses informations, il faut qu'on arrive à véritablement séparer informations et publicités individualisées, et il faut qu'on arrive à avoir de la transparence, ça ne veut pas dire les interdire, mais de la transparence pour qu'on sache où l'algorithme nous mène et que vous sachiez, vous, quand vous l'utilisez. À côté de ça, il faut continuer de former, on y reviendra tout à l'heure, j'ai cru comprendre pour les plus jeunes. Mais pour les aînés, il faut former justement à tout ça. Donc ça doit être ce qu'on est en train de faire, c'est un débat qu'on doit partager pour comprendre qu'il y a des biais.
Intervenant
Une petite anecdote, j'ai bien remarqué que les algorithmes, c'est bête et méchant, c'est produit par l'homme. Du coup, l'homme peut venir le contraindre quelque peu. Donc en fait, je like ou je suis des pages qui sont contraires à mes propres opinions. Comme ça, ça me permet d'avoir dans mon fil tout un tas de documentations qui sont complètement contraires à mon idée, mais au moins je ne suis pas suivi. Voilà, ça c'est la petite anecdote.
Je me permets de poser la question qui me vient. Je vais faire un parallèle avant entre la vie dite réelle et la vie numérique dans la vie dite numérique. Dans la vie réelle, notre entourage, plus ou moins proche, on a des opinions, quelquefois, qui divergent. Pour autant, on ne s'invective pas. En général, on ne se frappe pas dessus non plus. Alors que dans la vie numérique, surtout sur les réseaux sociaux, il y a comme un écran, c'est le cas de le dire, qui fait que tout de suite, ça part au clash, tout de suite, on menace jusqu'à la mort, la personne qu'on a en face de soi. En fait, il n'y a aucun espace, comment dire, de contrainte qui permet de se restreindre et de se dire, moi, je ne vais pas aller là, je ne ferai pas ça dans la vie. Pourquoi dans la vie numérique il y a ça ? Ça je ne sais pas. Alors il y a peut-être une piste, c'est ce qu'on a dans la poche. Quand on se balade dans la vie réelle, on a sa carte d'identité. Donc quand on fait des choses qui sont hors-la-loi, vous l’avez dit, on peut être poursuivi. Dans la vie numérique, ce n'est pas le cas.
Alors est-ce que la solution, ce ne serait pas d'aller vers une identité numérique pour pouvoir poursuivre les gens sans aller dans le cas extrême d'une super sécurisation de cet espace de liberté qui est importante. À titre personnel, je suis plutôt ravi que les parlementaires européens aient refusé la Directive Chat Control. C'est un débat. Mais vous, qu'est-ce que vous pensez de cet équilibre ? Comment parvenir à cet équilibre entre nécessaire anonymisation de l'espace numérique et répondre des actes que l'on peut faire et des paroles que l'on peut dire sur les réseaux ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. D'abord, c'est une bonne stratégie de contrariant, mais ça montre en quoi l'espace public est biaisé quand on est dans le numérique. Il est biaisé de manière simple parce qu'au-delà de ce que j'ai décrit tout à l'heure sur l'accès à l'information, il nous enferme dans des bulles cognitives. C'est-à-dire, il va avoir tendance à faire que nous, on va suivre les gens qui pensent comme nous et qu'on va être suivi par des gens qui pensent comme nous. Comme il y a ce mécanisme d'excitation, et on l'a tous vécu, on n'entend plus celui qui va aux extrêmes Ces bulles vont s'écarter. C’est un phénomène à la fois d'enfermement et de radicalisation auxquels on assiste, si on laisse spontanément la structure se faire. C'est comme si, dans cette salle, on se mettait à se taper dessus parce qu'on était tous cagoulés On va surtout suivre celui qui profère le plus d'insultes ou qui devient le plus violent. Très rapidement, ça ne s'appelle plus un débat. Donc, c'est la possibilité même d'avoir une délibération collective qui s'effondre.
À titre personnel, je ne suis pas contre lever l'anonymat, parce qu'on est une société démocratique et que je pense que c'est une bonne discipline. C'est un vrai débat quand on parle des services numériques, parce qu'il y a des pays où la liberté individuelle est moins protégée. Évidemment, dans des régimes autoritaires, mais, même en Europe, vous avez des journalistes, des académiques, parfois des gens qui s'expriment librement, qui sont ennuyés à raison de leurs idées. Certains me disent, en Hongrie, si vous êtes un universitaire et qu'il n'y a pas l'anonymat, vous allez peut-être vous faire ennuyer, donc ce n'est pas très bon. Ça, je l'entends. Maintenant, on ne peut pas avoir l'anonymat et une absence totale de modération. Ça rejoint la question de la responsabilité. Il y a une question de responsabilité individuelle. Ça a été très bien dit par vos collègues tout à l'heure.
Elle est activée, simplement elle prend beaucoup de temps. Si vous allez poster des contenus antisémites, homophobes ou appelant à la haine, je peux vous poursuivre. Mais ça va suivre le cours de la justice. Ça va être très long et il y aura une levée de votre anonymat à la demande de la justice auprès de la plateforme. Ça va prendre des mois et ça ne va pas du tout vous réguler. On a quelque chose qui s'appelle la plateforme PHAROS, ce qui fait que si vous publiez un contenu homophobe ou antisémite, je vais aller à la plateforme et dire qu'il faut le retirer. Elle va le faire, mais face au nombre de contenus qu'on a, c'est très dur. On voit bien que le seul moyen d'arriver à éviter ça, c'est soit la levée de l'anonymat, mais avec les défauts que j'évoquais, soit de créer un système de responsabilité des plateformes. On a le début de ça dans cette fameuse directive européenne qu'on a mise en place, c'est-à-dire, de demander aux plateformes le même travail que ce que fait une rédaction. Vous venez sur ma plateforme, j'ai une responsabilité. Si vous commencez à avoir des discours de haine, des discours qui menacent les autres ou l'ordre public, à ce moment-là, je vous fais taire. Aujourd'hui, ils ne le font pas parce que ça leur coûte de l'argent, parce que ça les ennuie, et parce que ça fait moins de pages de pub, puisqu'il y a moins d'excitation.
Même ceux qui étaient rentrés dans une logique de modération ont plutôt arrêté. Et ils ont réussi à inverser totalement les valeurs par une forme de perversité extrême, puisqu'ils disent, eux, ce sont les défenseurs du free speech, de la liberté de parole. Personne ne pense une seule seconde que la liberté de parole, c'est la capacité à invectiver, à humilier. Donc il faut juste rappeler à tout le monde qu'il n'y a pas de liberté sans responsabilité. C'est ce qu'on vit. On ne peut pas se parler librement autour de cette salle si on n'a pas tous la responsabilité de s'écouter, de ne pas s'insulter, de ne pas se frapper. On est en train d'accepter que quand on est sur les réseaux sociaux, il en serait autrement. Ça ne peut pas marcher. Voilà, levée de l'anonymat, mais avec les limites, responsabilité des plateformes et, par contre, très grande vigilance. Ça va avec la transparence de l'algorithme, sur le fait que quand vous êtes sur ces réseaux, vous êtes dans des bulles. Vous, vous avez une bonne stratégie de contournement qui est d'aller chercher des bulles où vous n'êtes pas bienvenus.
Intervenant
Bonjour, M. le Président, M. le Ministre. Effectivement, d'abord une réaction, puis ensuite une question qui a évoluée. Un témoignage dans le cadre de mes fonctions. Je reçois depuis maintenant 3 ans régulièrement des conseils d'enfants, élus démocratiquement par leurs compères, et on discute régulièrement de la démocratie. Surtout, j'aime beaucoup faire un petit tour de table pour connaître les enfants qui sont là et leur motivation pour être élus. J'ai pu constater que beaucoup d'entre eux étaient directement concernés par la question du harcèlement scolaire et surtout du cyberharcèlement, concernés directement ou par leurs proches également. C’était vraiment quelque chose dont je voulais vous parler parce qu'aujourd'hui, ils se sentent un peu démunis. Ils ne savent pas comment prendre en main la question à leur niveau. Evidemment, le corps professoral est là aussi pour les aiguiller, les représentants également. C'est vraiment comment on arrive à les aider, à trouver des solutions pour eux, pour leurs proches également. Ensuite, je voulais parler de la levée de l'anonymat et surtout de la modération sur les réseaux sociaux. Vous avez dressé le constat, et sur ça, je pense qu'on est tous d'accord. Mais maintenant, quelles solutions et surtout, quelles sanctions on peut appliquer contre toutes les plateformes, les réseaux sociaux ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Je pense que, pour être très concret par rapport à la réponse précédente, c'est la responsabilité des plateformes et la possibilité d'avoir des amendes pénales très élevées s'ils ne font pas la modération. Ce n’est que comme ça. Il y a tellement d'opérations à la seconde qu'on ne peut pas suivre avec une plateforme nationale, chacun pour dire qu'il faut les retirer. Il faut dire que c'est votre responsabilité. S'il y a des gens qui sont victimes, il y aura une action pénale et vous paierez très cher. On a commencé à mettre les bases. Maintenant, il faut le mettre en place beaucoup plus vite. Il faut que ça devienne une réalité. Ça, ça va être le combat qu'on mène au niveau européen. Mais c'est la responsabilité des plateformes avec des amendes très lourdes. Sur le harcèlement et le harcèlement en ligne, vous l'avez évoqué, c'est un des combats que porte le ministre de l'Éducation nationale. On sait bien qu'il y a un continuum. C'est-à-dire que souvent, les enfants qui sont cybers harcelés, c'est les copains de classe qui continuent par tel ou tel réseau. Parfois, certains qui sont très exposés sur les réseaux peuvent être harcelés même par des tiers qu'ils ne connaissent pas forcément et qu'ils vont avoir sur les réseaux.
La base de tout ça, c'est, là aussi, de pouvoir pénaliser et poursuivre et donc d'avoir une responsabilité des plateformes. On a mis en place, il y a plusieurs années, le laboratoire de protection. Ça fait partie des choses sur lesquelles on a demandé des modérations obligatoires et qu'elles tardent à mettre en place. Donc, elles ne le font pas volontairement. Il y a 4 ans, les plateformes nous suivaient, elles avaient dit « on va le faire volontairement ». C'était au Forum de Paris sur la paix en 2021. La réalité, ils ne l'ont pas fait. C'est pour ça que je suis pour mettre en œuvre à plein la directive sur les services et activer leurs responsabilités quand il y a du harcèlement qu'elles laissent faire contre tel ou tel jeune. Après, il faut redire ici à tous les plus jeunes, enfants, adolescents, jeunes adultes, il y a un numéro, le 3018, qui est porté par l'Éducation nationale avec e-Enfance, qui est l'association qui accompagne sur le plan national et qui s'occupe à la fois du harcèlement et du cyberharcèlement. Quand vous êtes victime de ça, dénoncez, il faut en parler, il ne faut pas laisser faire. En parler est très important. 3018, vos parents, vos enseignants, et, ensuite, débranchez tout.
Intervenant
Dans le cadre de mes fonctions professionnelles, je croise des gens d'horizons divers et variés, on a l'occasion de discuter de choses et d'autres, et je me rends compte que la désinformation, elle n'a pas d'origine sociale, c'est vraiment tout le monde. Mais avec un petit bémol sur nos aînés, qui n'ont pas forcément eu la formation numérique. C'est normal, puisque lorsqu'ils étaient jeunes, il n'y avait pas internet, encore moins les réseaux sociaux et encore moins l'IA. J'ai un exemple assez drôle. La semaine passée, avec Alain, qui était un de mes clients habitués au restaurant, 70 ans, et qui vient me dire « Boris, le Président Macron, il va déclarer la guerre à la Russie ». Bon, j'étais un peu surpris dans un premier temps, donc j'ai creusé un peu. Il s'avère qu'en fait, il était sur un obscur groupe Facebook et il avait cliqué sur un lien improbable qui disait que vous allez faire la guerre à la Russie. Je n'espère pas, personnellement, en tout cas. On a creusé ensemble et j'ai réussi à lui montrer par A plus B qu'effectivement, c'était une fausse information.
Donc j'ai fait mon devoir de citoyen, j'étais assez fier de moi, mais je me dis, finalement, les autres, tous les autres Alain, qui n'ont pas forcément cette capacité-là d'aller un peu au bout des choses. Il s'avère qu'il y a aussi quelque chose d'important dans un peu plus d'un an, je ne vous cache rien, il y a une grande échéance électorale qui va voir arriver dans l'isoloir, ces aînés, ces seniors qui eux votent massivement, c'est d'ailleurs très bien que ces gens-là votent, mais qui vont être un peu plus sensibles à la désinformation, notamment la désinformation qui vient des pays extérieurs au nôtre. Ma question est assez simple, M. le Président. Est-ce que quelque chose est envisagé ou envisageable pour nos aînés, pour leur permettre d'avoir les clés pour que, dans un peu plus d'un an, lorsqu'ils vont voter, ils aient toutes les clés pour comprendre la désinformation et les enjeux électoraux, parce qu'on parle quand même de plusieurs millions de personnes.
Emmanuel MACRON
Alors, merci beaucoup. Ça rejoint à ce qu'on se disait, et c'est tout à fait vrai, parce qu'il y a une génération, même des générations, qui ont été éduquées et accoutumées à dire quand c'est écrit, c'est que c'est vrai. Parce qu'elles ont été formées à s'informer sur la lecture de la presse et au rapport au sérieux. Et donc ça, c'est la première chose par rapport à ce qui s'écrit sur les réseaux. À ça s'ajoute en plus la révolution de l'IA, parce que je vois à peu près les fausses informations auxquelles vous faites référence. C'était assez bien fait, puisqu'il y avait même un reportage qui montrait le chef d'état-major de l'armée de terre qui se serait opposé au Président de la République, refusant d'aller en Russie. Ce qui a surpris, je vous le dis, évidemment, ledit général, mais c'était en plus, il y avait un peu d'IA dans leur affaire. Donc ça, il faut que ça rentre dans le débat.
Ce qu'on est en train de faire a une vertu pédagogique, c'est hyper important. Donc il faut montrer, l'expliquer et, en quelque sorte, collectivement éduquer la société. C'est un travail de vigilance et, en fait, la société doit refaire du muscle sur ce sujet, parce qu'une vie démocratique, c'est constamment ça. Et donc, c'est le travail qu'on est en train de faire. C'est un travail éminemment démocratique, républicain, qui est de reformer des citoyens à tous les âges pour dire : “ce risque existe, voilà ce qui est en train de se passer”. La deuxième chose, c'est de faire retirer ces fausses informations. C'est ce que je disais. C'est la question de la responsabilité. La troisième chose qu'on pousse, ça, on a commencé il y a plusieurs années, c'est en lien direct avec la presse et ça rejoint ce que je disais entre “on doit distinguer les réseaux et les sites qui font de l'argent avec la pub personnalisée et les réseaux, les sites d'information”. C'est qu'on va tout faire pour que soit mis en place un label. Ce n'est pas à l'État de dire, parce qu'il faut faire attention, c'est pas le Gouvernement ou l'État qui peut dire, “ceci est une information, ceci n'en est pas”. On n'a pas non plus envie de tomber là-dedans, parce que ce n'est pas ça, une démocratie. Ça devient assez rapidement, sinon, une autocratie. Ce n'est pas moi qui dis tous les matins, “l'information de La Voix du Nord est bonne ou pas bonne”. On reviendrait en arrière de 10 cases. Par contre, je pense que c'est important qu'il y ait une labellisation faite par des professionnels qui puisse dire ceci correspond à la déontologie de gens qui manipulent de l'information. C'est une matière dangereuse, en fait, l'information. Et donc, il y a des règles déontologiques.
Reporters Sans Frontières a mis en place, avec plusieurs autres partenaires, une telle initiative justement, sur démocratie et information, qui a proposé justement ce type de label. Les états généraux de l'information ont consolidé cela. Donc là, il y a un projet qui avance. La PQR, d'ailleurs, s'est beaucoup engagée sur ce projet, la presse quotidienne régionale, pardon, et la presse hebdomadaire régionale, pour dire qu'on doit avoir un processus de labellisation fait par les professionnels, en disant : “ça, c'est des gens qui sont sérieux ; ça, c'est pas des gens qui informent”. Et ça, je pense que c'est aussi très utile. Il faut les sensibiliser. Et après, on a aujourd'hui des acteurs, des sites qui sont en train de se mettre en place, des indicateurs qui sont en train d'évaluer la vulnérabilité de chacun à la crédulité. Alors ça, c'est des choses qui sont un peu plus avancées, mais en fait, aujourd'hui, on sait dire sur les réseaux sociaux, en fonction de votre comportement, si vous êtes plutôt un public à risque ou pas.
Intervenant
Mais il y a quand même une urgence avec les élections.
Emmanuel MACRON
L'urgence, c'est pour ça qu'on met en branle tout ce qu'on est en train de faire là et que je fais ce tour de France et autres, c'est d'abord conscience collective, réaction, et puis changement du droit européen et national pour qu'on ait justement ces mécanismes. Mais ça ne peut pas être descendant d'un coup. Si demain, je vous disais que je fais une série de lois, fort de ce qu'on se dit, il n'y aurait pas de confiance. Il faut que tout le monde prenne conscience du problème pour qu'on se dise tous qu'on doit réagir.
On a déjà mis en place en 2021 quelque chose qui s'appelle Viginum. Et là, je passe un peu la transition, si j'ai bien compris, avec le deuxième thème. C’est que tout ça, c'est la structure de la désinformation chez nous. Mais comme vous l'avez très bien dit, il y a des puissances qui peuvent l'utiliser. Et c'est ça qui vous inquiète pour les élections à venir. On a mis en place Viginum, qui est une instance nationale administrative qui, au moment des élections, passe sous l'autorité du Conseil constitutionnel et qui, justement, détecte ces ingérences informationnelles. Et donc quand vous avez une puissance étrangère qui vient et qui vient vous bousculer, elle fait “halte là”, elle met en place une alerte. On s'est inspiré à cet égard de l'exemple de Taïwan. Ça peut paraître bizarre, mais Taïwan, démocratie, mais à côté d'un géant qui n'en est pas une et qui ne lui veut pas du bien, et donc ils étaient habitués à avoir plein d'attaques informationnelles de la Chine. Ils ont mis en place des systèmes d'alerte, au début un peu comme Viginum, et puis qui se sont diffusés, ce qui fait qu'aujourd'hui, il y a une réactivité sur les réseaux sociaux. Les citoyens à Taïwan savent très vite, dès que c'est une fausse information. Un peu comme nous, on a l'alerte enlèvement, vous voyez. Il y a une alerte de désinformation qui devient hyper réactive. C'est ça qu'il faut qu'on arrive à faire.
Donc Viginum, c'est un très bon début. On va maintenant essayer de le monter en charge, mais on va créer des mécanismes qui détectent et dénoncent les ingérences informationnelles. Et c'est, à côté de ce que je dis, un des autres points clés. Donc responsabilité, là encore, retrait des fausses informations, éducation et sensibilisation des personnes qui ont été moins formées par le débat public, par un travail leur proposant aussi des médiations. On va essayer de mettre en place des analyses publiques pour alerter chacun en disant : “faites attention, vous êtes sensibles à ces manipulations”. Et puis, on va monter en puissance avec notre plateforme de lutte contre les ingérences informationnelles. Je crois que c'est le thème à venir, donc je vais y revenir.
Animateur
On va donc parler d’ingérence étrangère. Vous avez fait un parfait lien, Monsieur le Président, gérance étrangère, souveraineté et dépendance aux plateformes qui gouvernent notre espace numérique. Simplement deux exemples. Juin 2024, un faux site de campagne apparaît sur la toile sous l'identité de la coalition présidentielle. Il promet une prime Macron, vous connaissez bien, de 100 euros en échange d'un vote. Alors, vous vous en doutez, si c'était si simple de gagner une élection, ça se saurait. À la même période, une action orchestrée par des comptes pro-chinois accuse Raphaël Glucksmann, tête de liste PS place publique aux Européennes, d'être un cheval de Troie de la CIA en Europe. Ces opérations de guerre informationnelle ont un point commun : celui de vouloir fragiliser le processus démocratique en France. Vous l'avez cité, Viginum, qui est chargée de la lutte contre ces opérations, a lancé l'alerte début novembre. Les élections municipales, bien avant l'élection présidentielle, seront visées et font d'ores et déjà l'objet de tentatives de déstabilisation. La France est-elle armée pour contrecarrer les plans lancés depuis l'étranger ? Les ripostes de l'État ne risquent-elles pas d'être perçues comme des tentatives de délégitimer tout discours critique à son égard ? Ces nouvelles menaces posent également la question de la souveraineté numérique.
Monsieur le Président, vous revenez de Berlin où étaient réunis les ministres du Numérique. Vous nous direz évidemment ce qu'il en ressort. On a vu en tout cas que si l'Union européenne prenait le taureau par les cornes, les constats étaient alarmants. J'en rappelle simplement quelques-uns : 70 % des données françaises sont hébergées dans des clouds américains qui sont soumis aux cloud acts qui permettent à Washington d'y accéder même lorsqu'elles sont stockées sur le sol européen. Nos capacités de calcul pour l'intelligence artificielle, elles sont de 16 gigawatts, si je ne me trompe pas. Elles sont de 48 gigawatts aux États-Unis et de 38 en Chine. On a parlé à Berlin, de desserrer le carcan réglementaire pour développer le numérique. Mais quelle contrepartie, est-ce qu'on peut imaginer aussi qu'on perde un petit peu de réglementation et donc de débrider une machine qu'on sait parfois incontrôlable ?
Animatrice
Trois chiffres sur les questions d'ingérence, de souveraineté et de dépendance aux plateformes. D'abord, 77 opérations de manipulation entre 2023 et 2025 ont été orchestrées directement par le renseignement militaire russe. Autre chiffre à avoir en tête, c'est ces 3 millions de Français qui ont été exposés en 2023 à de fausses pages Facebook.
Et enfin, un dernier chiffre, c'est 300 milliards d'euros, dont 109 milliards pour la France. Ça, c'est le montant qui a été annoncé en février dernier pour développer les infrastructures numériques européennes.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Je suis régulièrement assesseur dans un bureau de vote de ma commune. J'ai du mal à m'empêcher de penser que de plus en plus de personnes, c'est un peu la suite de la question de Boris, viennent voter sur la base de fausses informations. Il y a une agence américaine qui a identifié plus de 140 sites web qui reprennent les codes visuels de la PQR, qui mélangent évidemment des vraies infos et des fausses infos. Ces sites sont toujours en ligne. Ils sont alimentés assez régulièrement, donc on peut les voir assez facilement. Cette agence américaine a prouvé qu'ils étaient financés par les renseignements militaires russes. Je crois que c'est l'agence CopyCop qui crée ces sites.
Ma question, elle est double. Quelle est la taille de la menace vis-à-vis de nos prochaines élections municipales et nos prochaines élections présidentielles ? Est-ce qu'on a une idée de la taille de cette menace ? Et ma seconde question est le fait que, vous en avez un peu parlé juste avant, mais la première information qu'on a sur un sujet, c'est souvent celle qui reste dans notre esprit de manière plus forte, c'est la primauté de l'information. En fait, j'ai le sentiment que quoi qu'on fasse, est-ce qu'il n'est pas de toute façon toujours trop tard quand on coupe ces sites parce que l'info a déjà été transmise et qu'on ne peut plus faire autre chose que ce qui a été fait ? Merci, Monsieur le Président.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. C'est le lien direct. Et vous avez parfaitement raison. J’ai trois remarques. La première, au fond, on a un sujet sur notre vie démocratique. On vient de parler avant de la déformation de l'espace public. Mais ça a une conséquence sur la vie démocratique et les élections. Pourquoi ? Une démocratie dans un État de droit comme le nôtre, c'est évidemment des équilibres entre les pouvoirs, pour qu'il y ait des pouvoirs et des contre-pouvoirs. C'est un processus d'élection libre et indépendante pour avoir des gens légitimes que vous choisissez ou que vous remplacez et à qui vous allez donner mandat de faire les lois en votre nom. Mais tout ça repose sur un terreau qui est l'opinion publique. C'est le dèmos, le peuple. On a sans doute négligé la forge de l'opinion publique. On a un point faible dans notre démocratie aujourd'hui, c'est que les opinions sont en train de se forger d'une manière devenue incontrôlée et avec des tas de falsifications possibles. Donc ça, c'est le premier point par rapport au processus démocratique et en quoi nos élections à venir peuvent être en risque, c'est comment on arrive à traiter vite les fausses informations.
Là, vous avez raison, on a fait l'expérience ces dernières années, tout le monde y a contribué, enfin a essayé d'apporter des réponses imparfaites. Le fact-checking, ce n'est pas efficace suffisamment. Pourquoi ? Parce que ça vient toujours trop tard. En fait, on n'arrive plus à pédaler après. Et je dis ça avec beaucoup de reconnaissance et vraiment de respect pour le travail des équipes qui font cela, et qui, d'ailleurs, ça a été dit, parfois avec un épuisement, c'est un peu harassant de voir tout ça, et on le voit tous, quand on regarde ces pages, ça va tellement vite que, laisser la rumeur se propager, vous pouvez dire que c'est faux, il en reste toujours quelque chose. Donc on voit bien qu'il faut traiter le mal à la racine. C'est tout ce qu'on vient de se dire dans la première partie. Responsabilité des plateformes, les obliger à retirer les fausses informations. Et pardon, parce que j'ai vu certains dans le débat public commencer à dire : « fausses informations, oh la la, c'est dangereux, on ne serait plus dans la démocratie ». Pardon, on sait ce que c'est une fausse information. S'il y a des responsables politiques aujourd'hui voulant défendre leurs amis du free speech, qui disent qu'une fausse information c'est quelque chose qu'on ne connaît pas, qu'ils aillent expliquer que ceux qui diffusent aujourd'hui des informations pour légitimer les attentats du 7 octobre 2023, ce n'est pas une fausse information. Je ne citerai pas les gens qui ont attaqué ce sujet il y a quelques jours, mais enfin...
Donc oui, on sait ce que c'est une fausse et une vraie information. Après, on doit le distinguer d'une opinion qu'on partage ou qu'on ne partage pas. Ce n'est pas la même chose. Le premier point, c'est ça. Et donc, il ne faut plus être que dans la réaction, il faut structurer cet espace pour que la fausse information, tout de suite, elle soit coupée ou qu'il y ait une alerte immédiate qui permette de se repérer.
Le deuxième élément, c'est que, cette faiblesse, elle est utilisée par des puissances étrangères. Vous l'avez rappelé dans vos chiffres ou dans les exemples cités. Pourquoi ? Parce qu'il est très facile, quand on a un espace qui fonctionne, comme on l'a dit depuis tout à l'heure, vous voulez déstabiliser la démocratie française, sur le soutien à la résistance ukrainienne ou sur une élection, c'est devenu très facile, parce qu'il suffit d'injecter un contenu qui vient saper la confiance, saper tel candidat ou autre, et puis après de l'encourager à se diffuser. Aujourd'hui, qu'est-ce qui fait qu'ils le diffusent ? C'est souvent à travers la multiplication de comptes et surtout de faux comptes.
Donc, si vous regardez comment les Russes et d'autres foncent sur notre espace informationnel, d'abord, ils poussent et ils accompagnent nos propres bêtises. Le premier point que je viens d'évoquer, ce qu'on dit depuis tout à l'heure, c'est notre propre dégénérescence. C'est nous-mêmes, on n'a pas su régler la chose. Donc, ils appuient là où ça fait mal. Mais en gros, ils le font comme, je dirais, n'importe qui. Mais ils sont mieux organisés que ça. Et donc, ils créent des armées de faux comptes, ces fermes à trolls, ces bots. Donc, ces faux comptes, ils les poussent, et donc, vous avez des volumes qui, du coup, impressionnent tout le monde et qui, d'ailleurs, reviennent après en boucle sur d'autres réseaux, sur des organes de presse qui disent : « Ça, c'est très important. C'est une information qui a été relayée un million, deux millions de fois ». Vous imaginez, quand même. Mais par qui ?
Donc, sur ce sujet, il y a un point qu'on doit voir, c'est que nous devons avoir la garantie que derrière chaque compte, il y a une vraie personne. Aujourd'hui, nous ne l'avons pas. Parce qu'aujourd'hui, quand vous dites qu'il y a deux millions de personnes qui ont liké ou il y a tant de millions de personnes qui ont relayé, vous ne savez pas dire si ce sont des vrais comptes ou des faux comptes. Quand on a des mécanismes d'ingérence, il y a une utilisation massive de faux comptes qui sont achetés, entretenus, pour pousser ces contenus. Donc, une autre chose qu'on veut faire, qu'on doit faire, c'est d'avoir la garantie auprès de toutes ces plateformes que derrière une expression et un compte, il y a une vraie personne. S'il n'y a pas de vraie personne, ça doit être supprimé. Si vous laissez un faux compte s'exprimer ou relayer une information, c'est votre responsabilité. Vous devez être puni. Qui veut vivre dans un espace numérique où, en fait, on débat, c'est comme si on avait une série d'émetteurs dans cette salle cachés qui crient plus fort que vous et moi. C'est exactement ce qu'ils font. Ils achètent des haut-parleurs. Ce n'est pas des vrais gens, mais ils achètent 200 haut-parleurs dans la salle, et ils se mettent à les faire marcher à tue-tête et à la fin, vous n'entendez plus que les haut-parleurs. C'est exactement ce qui se passe quand on a une attaque et une ingérence informationnelle.
Dons, là-dessus, transparence, interdiction des faux comptes et responsabilité des plateformes quand on a ces faux comptes. Et puis, à côté de ça, évidemment, c'est de passer à l'échelle notre VIGINUM qui doit alerter et vous sensibiliser hors des élections et en élection. J'insiste sur ces deux points. Cette vigilance par rapport à l'ingérence informationnelle, il ne faut pas qu'elle attende les élections. Ma dernière remarque, pour que tous, on réfléchisse quand même à ça, c'est que là, on parle des réseaux parce qu'on l'a vu s'opérer dans certains pays. C'est une question, on pourra y revenir aussi sur la Moldavie ou la Roumanie qui ont eu cette expérience, c'est des bons laboratoires récents.
Mais aux prochaines municipales, aux prochaines présidentielles, je vais vous dire ce qui va se passer. De plus en plus de nos compatriotes y vont aller sur leur IA, sur leur agent IA, et ils vont dire pour qui je dois voter. C'est ça, ce qui va se passer. Et là, on va rentrer, je vais vous le dire, dans un autre monde. Parce que moi, je ne sais pas ce que ChatGPT va recommander de voter. Ce que je sais, c'est que les gens qui possèdent ChatGPT, les intérêts qu'il y a derrière, je ne suis pas sûr que ce soit des intérêts démocratiquement neutres ou totalement alignés avec les intérêts de la France.
Après, il y a des tas d'IA et selon ce que vous allez avoir et les garanties. Moi, je n'ai pas de garantie. On ne sait pas comment elles fonctionnent, on ne sait pas les règles. Mais il y a des gens qui sont en train, aujourd'hui, on a de plus en plus de nos compatriotes, qui sont en train de construire une relation intime avec leur IA, qui posent des questions parfois intimes, de plus en plus, qui demandent des conseils intimes. Le matin d'aller voter, avant de vous retrouver comme assesseur au bureau de vote, ils vont dire, pour qui je dois voter ce matin ? Ça, c'est presque plus inquiétant que sur les réseaux, parce que les chiffres sur les réseaux montrent que nos compatriotes, malgré tout ce qu'on se dit, ils ont moins confiance dans leur réseau social que dans leur journal du matin, c'est encore une chance qu'on a. Mais ils ont énormément confiance dans leur IA.
Parce que leur IA est vue comme quelque chose qui leur apporte un savoir. Et en plus, vous avez des IA qui sont très bien faites dans les modèles génératifs qu'on a et qu'on partage, parce qu'ils sont anthropomorphiques, c'est-à-dire qu'ils miment un peu le dialogue d'un ami, ils vous tutoient, ils connaissent vos habitudes au bout de 4, 5 questions, et donc ils créent une intimité. Et là, on rentre, je peux vous le dire, dans un autre monde. Et donc là, on va devoir faire la transparence sur ce sujet et faire très attention à ce qui se passe sur ces modèles.
Animateur
Monsieur le Président, vous parliez des exemples moldaves et roumains. Juste en quelques mots, puisque vous les citez, est-ce que la France a tiré les leçons des expériences de la Moldavie et de la Roumanie ?
Emmanuel MACRON
Oui. D'abord, on a aidé la Moldavie. C'est un bon exemple parce qu'on a envoyé les équipes de VIGINUM en Moldavie. La Moldavie a eu des élections présidentielles puis législatives, et les législatives étaient très importantes. Il y avait des attaques quotidiennes des Russes. Vous savez, la Moldavie, c'est ce pays qui est à la frontière de l'Ukraine, et il y a une partie, une région qui est à la main des Russes. Donc c'est vraiment une cible pour eux.
En Roumanie, vous vous souvenez peut-être qu'il y a une élection présidentielle qui a été annulée après le premier tour. Vous vous imaginez, en Roumanie, dans l'Union européenne, après le premier tour, annulation de cette élection par la Cour suprême parce qu'il y avait des manipulations de l'information. Donc ça, c'est ce qui s'est passé. Deux exemples en Europe ces derniers mois.
Donc non seulement on les a aidés, on a fait un retour d'expérience. Dans les deux cas, c'est les Russes, avec des soutiens locaux. Et dans les deux cas, c'est très bien organisé. Je vais vous donner un petit exemple, par exemple, je pense de ce qu'il a été le mieux fait, c'est ce candidat qui a été annulé en Roumanie, pour faire un rapide résumé de ce qui s'est passé. Un an avant, ils ont identifié les publics vulnérables. Justement, ils ont fait, par rapport à ce qu'on se disait, une analyse. Ils ont regardé les thématiques sur lesquelles allaient ces publics les plus vulnérables à la fausse information. D'abord, ils ont identifié que c'étaient plutôt des publics âgés. Et c'est des gens qui allaient voir les sites de religion, de guerre, de médecine parallèle et donc, c'est les gens qui n'avaient plus trop confiance, suivez mon regard, sur le vaccin et compagnie, qui se disaient qu'il y avait d'autres trucs. Ils ont produit des faux sites, des milliers de pages de contenu sur ces thématiques, des faux comptes, des tas de réseaux sociaux qui entretenaient les gens sur ces thématiques. Donc, ils ont fidélisé une clientèle sur des thématiques totalement hors de la politique, mais en créant des hashtags, des références et des boucles entre ces différentes thématiques.
Puis, quand le candidat est arrivé, ils lui ont fait faire des contenus TikTok avec des références, des hashtags, qui renvoyaient à ces contenus et à ces sites. En quelque sorte, ils ont créé une boucle qui s'est totalement enflammée, et ça a super bien marché, donc ils ont créé un mécanisme de viralité. En vrai, comme un virus peut se diffuser quand on a annihilé tous les anticorps, ce candidat qui venait de nulle part, qui faisait ses vidéos avec des contenus qui étaient bien faits, il était relayé sur tous ces sites. Donc, vous aviez des gens qui n'étaient pas dans la politique, qui disaient, moi, ça ne m'intéresse pas, mais ils étaient depuis deux ans sur leur site de médecine parallèle ou leur site de religion. Et puis, ils voyaient ce candidat sortir de nulle part et on poussait ces vidéos TikTok, on poussait ces informations. Le truc s'est emballé en quelques mois de campagne. Ce candidat que personne ne connaissait, il était plus suivi sur TikTok que Taylor Swift. Donc là, on a quand même vu qu'il y avait un problème, quelque chose se passait. Ce n'était manifestement pas simplement ce qu'ils disaient qui faisait qu'il y avait une telle viralité.
Mais ils ont très bien analysé les mécanismes, d'abord de la vulnérabilité informationnelle, à partir de thématiques et de publics qu'ils ont ciblés. Ils l'ont entretenu en les fidélisant à des sites ou à des comptes. Et ensuite, ils ont viralisé des contenus en les relayant par ces publics. Et puis après, une fois que vous avez quelqu'un qui est suivi par plusieurs millions, qui devient un phénomène de société, il y a une partie du reste de l'opinion que vous emmenez, parce qu'elle est impressionnée, donc elle suit. Ce type, c'est extraordinaire. D'ailleurs, même nous, au début, on en parlait. C'est incroyable, il y a un type qui est sorti de nulle part. Là, il s'exprime. Il y a des millions de gens qui le suivent, un espoir se lève. Et hop, vous créez le deuxième moteur.
Ça a été très savamment préparé. Donc tout ça pour vous dire que les faiblesses de notre infrastructure d'information, elles sont très bien vues par nos ennemis, elles sont très bien utilisées et méthodiquement utilisées. C'est pour ça qu'il ne faut pas le voir comme des signaux faibles. Mais par exemple, j'ai eu déjà l'occasion d'en parler, quand on avait eu cette polémique sur les punaises de lits, il y avait des sujets de punaises de lits, c'était au début pas une fausse information, mais elle a été un peu gonflée. Elle a été viralisée par les Russes, qui voulaient faire quoi ? Montrer qu'on avait un problème dans tout le pays avec les punaises de lits, écraser à ce moment-là le sujet en Ukraine et ridiculiser la démocratie française. On a établi, il y a eu une note très bien faite de VIGINUM qui a montré qu'ils avaient réussi à faire de ce sujet qui était tout à fait légitime, qu'il fallait régler, qui va avec l'habitat indigne et dégradé, etc., ils l'avaient transformé en sujet de débat de société qui était une forme de déliquescence, si je puis dire, de la France et la manière dont elle se tenait. Mais ils l'avaient fait avec des centaines de milliers de faux comptes. Ça, c'est des banderilles qu'ils mettent et ils préparent et à un moment donné, ils vont embrayer au moment des élections. Donc, comme on sait à peu près comment ça va se passer, voilà, il faut qu'on mette les anticorps. C'est un peu tout ce qu'on se dit depuis tout à l'heure.
Intervenant
Oui, c'est ça. Enchantée, Monsieur le Président, Monsieur le ministre. Je suis étudiante à ESPOL, une école européenne de sciences politiques, et je suis également membre du comité Première Voix, qui est un comité mis en place par La Voix du Nord, qui est un comité de jeunes pour décrypter les élections municipales à venir en 2026, notamment dans la région de Lille. Ma question sur la réglementation européenne est la suivante, pardon : Pensez-vous que la réglementation européenne, notamment le Digital Services Act, peut être efficace pour lutter contre la propagation des courants masculinistes qui agissent souvent comme une porte d'entrée des jeunes hommes vers les courants plus extrémistes d'extrême droite, notamment ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Merci et merci de cet engagement. Et vous avez raison que c'est une stratégie, un peu comme ce que j'évoquais tout à l'heure avec le cas de la Roumanie. On voit bien que les forces plutôt d'extrême droite, en effet il y a ce biais par ce qu'on appelle le masculinisme, le virilisme, et elles rentrent par là pour propager leurs idées. Ça, c'est quelque chose qu'on suit évidemment également avec beaucoup de soin et on fait attention que les mécanismes d'ingérence n'utilisent pas aussi cette voie, même s'il faut toujours distinguer des stratégies électorales que des formations politiques dans une démocratie peuvent avoir. Là, on peut les dénoncer, on peut les combattre démocratiquement, c'est un débat, des ingérences étrangères. Ce n'est pas la même chose et je veux bien faire le distinguo.
Ce que vous avez évoqué, qui est donc le Digital Services Act, c'est une des régulations européennes qui existent. Il faut voir que l'Europe est le seul continent qui a commencé à réguler tout ce qu'on se dit depuis tout à l'heure. On a créé d'abord un règlement qui protège vos données, ce qu'on appelle le RGPD, et qui protège justement la sécurisation de vos données individuelles. On veut améliorer son effectivité, ce qui a été dit tout à l'heure à juste titre, parce qu'il faut que les données soient protégées, conservées en Europe pour qu'ils soient actifs. Mais c'est ce règlement qui fait d'ailleurs que parfois, vous cochez des cas, peut-être quelques fois trop vite, mais en tout cas, il y a des règles qui permettent de protéger contre l'usage de données par des tiers lorsque vous les soumettez à l'espace numérique. Ça, on va continuer d'élaborer, mais on a cette base. On clarifie sur des points, mais c'est important.
Ensuite, quand la France a eu la présidence de l'Union européenne, on a poussé deux directives : la directive sur les services numériques, dite DSA, et la directive sur le marché numérique, dite DMA. Elle a pour but de réguler les choses. DSA, elle nous donne la base pour, justement, créer un mécanisme de responsabilité des plateformes pour pouvoir aller les chercher quand elles ne retirent pas les contenus problématiques ou qu'elles laissent des dérives se faire. Donc, on a la structure.
Aujourd'hui, notre problème, c'est qu'elle est beaucoup trop lente, enfin, en tout cas, l'utilisation de cette directive est trop lente. Il y a plusieurs actions qui ont commencé à être menées, ça fait deux ans d'enquête. Donc vous voyez bien que ce n'est pas au bon rythme. Et comme on n'a pas encore créé de jurisprudence, ce n'est pas efficace. Donc un des défis qui est le nôtre, ce qu'on pousse là auprès de la Commission et autres, c'est que des premières actions soient prises avec des amendes lourdes sur des cas très concrets pour que la responsabilité de ces plateformes, le retrait des contenus problématiques, en particulier dans les temps électoraux, puissent être activés et que ça devienne une réalité. Ça, c'est la base sur laquelle on va s'appuyer pour faire ce qu'on se dit depuis tout à l'heure : responsabilité des plateformes et lutte contre les fausses informations.
Et puis, la directive sur les marchés numériques, elle, la Commission vient d'activer avant-hier une action sur cette base qui est de s'assurer que les grandes plateformes, parce qu'il y a quelques acteurs, n'utilisent pas leur position de force pour écraser les autres et les empêcher d'exister. Elles le font. Et donc là, les premières poursuites vont se mettre en place. Donc, on a la base.
Maintenant, en fait, notre défi, c'est que ça se mette en place beaucoup plus vite. Et donc nous, sur certains sujets, on y reviendra tout à l'heure, pour les plus jeunes, on va le faire au niveau national. Là, on accélère et on est en train de créer une coalition avec d'autres pays européens pour pouvoir, justement, utiliser cette directive pour lutter contre les excès et les faux contenus.
Après, pour être très précis sur le cas que vous avez évoqué, il est beaucoup plus gris, si je puis dire, c'est-à-dire les fausses informations évidentes, ça rentre dans le champ de DSA et de sa responsabilité. Les ingérences, on peut réussir à les bloquer. Mais les stratégies électorales de certains partis, y compris des extrêmes, d'aller chercher des publics et de les ramener par d'autres thématiques, ce n'est pas exactement la même chose, pour être très précis sur votre point. Ça, je pense que le vrai combat, il faut plutôt le faire avec des arguments dans l'espace public. Je pense qu'il faut expliquer l'importance, justement, du sujet de l'égalité femmes-hommes, du respect dans une société démocratique ouverte comme la nôtre. Et c'est là où il faut toujours… il y a l'aspect régulation, mais il y a des sujets où il faut se dire, la bonne réponse, ce n'est pas forcément la régulation, c'est le combat politique, c'est-à-dire intellectuel, d'idées, de valeurs qu'il faut porter.
Intervenant
Alors, vous avez parlé du DSA, du DMA, qui sont donc des tentatives de régulation à l'échelle européenne. Et moi, j'ai peur de leur effectivité. En fait, on se rend bien compte actuellement que les tentatives de régulation, elles peuvent se heurter à des barrières qui seraient liées à des difficultés techniques, donc des arguments qui seraient invoqués de la part de ces géants du numérique pour amoindrir l'effet de ces régulations. Vous avez abordé le fait qu'il y avait des sanctions, des amendes qui pouvaient être imposées à ces géants du numérique. Mais finalement, le pouvoir qui est accordé à ces plateformes-là pour faire de l'ingérence étrangère, peut-être ne les pousserait-il pas à accepter les amendes et à invoquer tout simplement des problèmes de boîtes noires, d'algorithmes, et qu'ils n'arriveraient pas à mettre en œuvre efficacement les tentatives de régulation qu'on a à l'échelle européenne.
En somme, c'est la question en fait de savoir si la mainmise de ces géants du numérique, la mainmise totale sur leur propre technologie ne créerait pas une sorte d'enclave dans laquelle le droit aurait du mal à s'appliquer. Voilà, ça me pose problème parce que je vois bien qu'on se bat avec le langage humain, le langage juridique, et qu'eux se battent avec le langage de la machine. Et ce langage de la machine, nous, nous n'avons pas de contrôle dessus. Merci, Monsieur le Président.
Emmanuel MACRON
Vous avez parfaitement raison. Mais après, c'est la bataille qu'on doit mener, et c'est une bataille. Le DSA et le DMA, c'est le début. Et on s'est beaucoup battus. Je peux vous dire que la France y a joué les avant-postes, mais c'est chaque jour menacé. D'abord, parce qu'il y a d'autres États en Europe qui pensent qu'il ne faut pas réguler. Ensuite, parce que vous avez une bataille idéologique américaine. Il n'y a pas un discours aujourd'hui à Washington qui se fait sans l'influence de ces grandes compagnies, qui sont des soutiens d'administration actuelles, pour dire : il faut nous supprimer ça. Ça nous ennuie.
Il y a aujourd'hui une bataille géopolitique contre ces régulations. Mais pourquoi c'est essentiel ? Parce que ce qu'on se dit depuis tout à l'heure, c'est que nos jeunes passent en moyenne quatre heures et demie, et on va y venir juste après, quatre heures et demie par jour sur ces réseaux, que de plus en plus de nos compatriotes s'informent sur ces réseaux, construisent leur opinion, peut-être leur décision de vote, que de plus en plus de dirigeants s'expriment sur ces réseaux. On le fait aussi, là où on est. Et on les a délégués à 100 % à des acteurs non européens. Parce que c'est ceux qui ont innové le plus vite et qui ont pris la place, mais ils sont tous américains ou chinois. Est-ce qu'on peut dire : ils ne respectent aucune de nos règles ? Non. Donc, il faut faire des règles, s'assurer qu'elles soient effectives et construire notre propre souveraineté numérique, elle passe par là. Et c'est encore possible, mais si on tient et qu'on est forts.
Un sur les données. C'est pour ça que la France se bat pour avoir un cloud souverain. Nous, on a nos propres solutions souveraines avec un cahier des charges. Il peut y avoir des acteurs américains, mais ils doivent respecter nos règles. Ça veut dire que les données des Européens restent détenues en Europe et les lois extraterritoriales américaines ne s'appliquent pas sur ces données. Et ça, c'est un combat qu'on continue de mener et on essaie de convaincre nos partenaires. Il n'y a pas unanimité aujourd'hui en Europe, mais on avance et nous, c'est ce qu'on fait.
Deuxième chose, c'est ce système de responsabilité. On a la base. C'est pour ça que les prochains mois sont clés. C'est la mise en œuvre de cette directive sur les services numériques. Et si on y arrive et qu'on a les premières pénalités, et on a la base pour le faire, c'est un truc formidable. Sur la transparence des algorithmes, sur le retrait des fausses informations, sur le retrait des faux comptes. Et c'est un combat politique qu'on doit mener ici, avec la Commission, au Parlement européen. Mais on peut le gagner. Personne n'a envie de vivre dans une société où tout ça est falsifié par des intérêts privés. Et il s'est quand même passé quelque chose, y compris depuis que, sous présidence française début 2022, on a porté ça. C'est que ces plateformes qui étaient vues comme des grands acteurs ont pris une place supplémentaire et qu'elles se sont surtout engagées maintenant dans le débat politique. L'acquisition par quelqu'un qui a fait explicitement la campagne de Donald Trump et qui a aujourd'hui la propriété de X, c'est un changement complet. Et donc, vous voyez bien que nous, on a créé des tas de règles pour notre vie démocratique, des responsabilités de la presse, du temps d'audience, d'équilibre, etc. Et eux, ils disent, free speech, tu parles free speech, far west total et je te pousse les contenus qui me plaisent. Ils ont leur agenda. Donc ça, on doit le réguler.
Et donc, au-delà de ça, on doit aussi réguler les acteurs, c'est le DMA. Et ça va passer par quoi ? Des capacités comme on en a avec la politique de concurrence, de mettre des stops et des pénalités très fortes. Et on a montré ces dernières années qu'on savait le faire. Parce qu'on avait mis en place juste avant une politique, par exemple, contre la vente liée et les biais de marché que, par exemple, des Google et autres, des grands acteurs pouvaient avoir, qui troublaient le fonctionnement des marchés. Ils vous faisaient de la vente forcée, vous avez des avantages. On a mis des milliards d'euros de pénalités. Donc, on sait le faire, nous, Européens.
Et donc moi, je ne lâcherai pas ce combat, je ne pense pas du tout qu'il soit perdu. En parallèle de ça, il faut qu'on continue, nous, de créer des acteurs européens pour avoir de la souveraineté et des alternatives. C'est pour ça que vous me voyez parfois me battre quand on parle d'intelligence artificielle et de modèles d'intelligence artificielle générative ou de ce qu'on appelle les « large language model », les concurrents de ChatGPT. Le Chat, il est créé par une entreprise française qui s'appelle Mistral AI. C'est pour ça que je me bats pour que Le Chat réussisse. Parce que c'est bien beau de dire je veux réguler OpenAI et ChatGPT. On va pouvoir le réguler. C'est une urgence.
Mais s'il n'y a pas d'autres options, on va être ennuyé. Donc il faut aussi créer des alternatives européennes de confiance avec des gens qui nativement suivent nos règles. Mais ce combat, il est totalement possible. Simplement, il élimine moins le cas. C'est-à-dire que si on ne le mène pas aujourd'hui avec beaucoup de force, et la grande difficulté qu'on a, c'est qu'on a beaucoup de formations politiques en Europe qui, sincèrement, étaient pour le free speech et vivent dans un monde un peu d'avant, qui était pour une parole non régulée. Vous avez des extrêmes qui voient leur avantage parce qu'elles sont structurellement avantagées par ces réseaux qui vont aux extrêmes. Et puis, vous avez des puissances étrangères. Et là, la première économie au monde, on ne sait pas l'intérêt. Et donc, elles nous donnent des coups de boutoir. Et là, c'est un vrai choix, pour moi, existentiel des Européens.
Si l'Europe veut être souveraine, indépendante, libre, elle doit se faire respecter sur le numérique. Et donc, elle doit réussir à ce que ses valeurs, à ce que les principes d'organisation, du débat public, de la vie démocratique qui sont les nôtres, soient respectés sur l'espace numérique. Mais c'est possible de le faire. Ce n'est qu'une question de volonté politique.
Animateur
Merci, Monsieur le Président. Minuit moins un quart, vous le dites, et je vois l'heure qui tourne également chez nous. Vous êtes étudiante en Master à l'École supérieure de journalisme. Une petite question à propos de la réglementation, peut-être un projet presque utopique, mais décrivez-le-nous.
Intervenant
D'abord, bonjour, Monsieur le Président, bonjour, Monsieur le ministre, et bonjour à toutes, à tous. Avant de commencer, je voulais simplement vous remercier pour votre présence, remercier La Voix du Nord pour cette conférence, puisque c'est une superbe opportunité, et remercier toutes les personnes présentes aujourd'hui.
Ma question, elle concerne plus le niveau international. Je voulais savoir comment une instance internationale, par exemple, comme pour l'Organisation mondiale du commerce, elle pourrait permettre de créer justement un cadre commun pour tous ces enjeux liés aux ingérences, à la souveraineté et à la dépendance numérique ? Et dans le prolongement, aujourd'hui, c'est quoi les freins à la mise en place d'une telle organisation et comment on pourrait les lever ? Merci.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Alors, la grande difficulté, c'est qu'on n'a pas la même approche au niveau international. Donc, on a des forums qui existent. Sur la gouvernance numérique, donc ça, ça existe, on a des formes de discussions qui sont abritées par l'ONU. Il y a eu un gros travail qui a été fait par les Nations unies sur le numérique et sur ces sujets, sur l'intelligence artificielle et les réseaux, mais on n'a pas formellement un traité qui délègue à une organisation la régulation de tout ce qu'on se dit.
D'ailleurs, pour une partie, il ne faut pas que ce soit régulé par des États ou autres, pour des raisons que j'évoquais tout à l'heure, parce qu'il n'y a pas de consensus non plus. Et donc aujourd'hui, c'est quoi l'ordre international sur les questions qu'on évoque depuis tout à l'heure ? Les États-Unis, en fait, ils ont de facto décidé le Far West. Est-ce que c'est soutenable ? Moi, je ne crois pas. Mais je ne suis pas ni élu aux États-Unis ni citoyen américain. J'ai beaucoup de respect pour cette démocratie et bon courage à eux.
Mais eux, ils ont décidé qu'en fait, c'était ce qu'on appelle les « Seven Magnificents », les 7 très grandes boîtes qui, d'ailleurs, font toute la création de richesses des dernières années dans leur indice boursier, qui ont pris tout le pouvoir et qui ont des gens qui accumulent la richesse. En fait, ils leur ont dit : allez-y, faites le job. Et ils ont décidé d'être un peu copains avec eux, si je schématisais les choses. Est-ce que c'est soutenable pour une démocratie ? Non. Et le parallèle de ça, vous avez un bon symptôme que ce n'est pas un très bon signe pour la vie démocratique et informationnelle, c'est que les États-Unis, ont tué des milliers de journaux, en particulier de presse quotidienne, sur les dernières années, parce qu'ils sont installés dans un système où il n'y a plus de valeur pour l'information indépendante, libre, déontologique. Donc ça, c'est un modèle américain qui est, au fond, ultralibéral, mais qui se pare, à mes yeux aujourd'hui, de valeurs qui correspondent à notre démocratie, c'est-à-dire liberté de parole, et on ne régule pas.
De l'autre côté, à l'opposé, la deuxième grande économie au monde, la Chine, elle a décidé de tout contrôler, et c'est dans la main du Gouvernement. Elle a fermé beaucoup de ses plateformes. Et puis, quand elle en a, par exemple, leur TikTok à eux, puisque c'est une entreprise chinoise, n'a rien à voir avec notre TikTok à nous, il est limité en heures d'exposition par jour, et c'est du contenu pédagogique pour les enfants. Donc eux, ils ont totalement intégré que c'était une guerre cognitive dans laquelle on a été lancé. Et leur stratégie, c'est de dire : « ce qui rend les jeunes mabouls, je vais leur envoyer, et ce qui rend mes jeunes plus intelligents, je vais me le faire chez moi ». Je schématise, mais c'est exactement ce qu'ils font. Et nous, on est les couillons au milieu du service à dire : « allez-y, les jeunes, mangez ça. Ils n'en mangent pas chez eux, mais ils nous l'exportent ». Fou ! Ça, c'est la Chine. Après, vous avez d'autres puissances autoritaires au milieu qui disent : « Nous, pas d'Internet chez nous, les Russes et d'autres ». Alors, ils sont très malins pour intervenir.
Et puis, au milieu, vous avez, les grands émergents et les démocraties libérales, et on se débat avec nos principes, nos traditions, et c'est le débat qu'on appuie tout à l'heure, c'est-à-dire par le débat public, sans doute imparfait, parfois trop lent, etc., mais on va construire, on est en train de construire, de fait, des mécanismes pour commencer à mettre de la régulation. Donc, je pense qu'on ne peut pas aujourd'hui, à court terme, faire une organisation internationale qui régule, mais je pense que, un, on peut le faire monter dans les démocraties occidentales et peut-être construire une coalition d'acteurs. Sans doute les Européens, je pense que les Latino-Américains, l'Asie du Sud-Est et le Pacifique et une partie du continent Africain peuvent nous suivre sur cet agenda. Ça, je pense que ça doit être notre priorité. Mais déjà, il faut foncer sur l'Europe pour mettre en œuvre.
La deuxième chose, c'est que je pense qu'il y a des acteurs qui peuvent nous aider, et je pense que les journalistes et les universitaires ont un rôle très important parce que ce sont des professions qui ont un rapport à la nature de l'information et qui n'est pas liée au pouvoir politique. Et ça, c'est très important de ne pas perdre de vue ce point. Je l'ai fait à plusieurs reprises dans notre échange. Mais au moment où on doit lutter contre la désinformation, au moment où on doit lutter et retrouver de l'esprit critique, le rôle de l'État, c'est de donner un cadre sincère et impartial. Mais ça ne doit jamais être de dire : « ceci est vrai ou faux ». Parce que là, le grand risque, c'est de redevenir des régimes autoritaires. Par contre, le rôle des journalistes partout dans le monde est de travailler autour d'initiatives de labellisation, comme je l'évoquais tout à l'heure. Et ça, c'est ce que Reporters sans frontières a commencé à bâtir, je pense que c'est très, très fécond, de se dire à travers le monde : on a un label et on dit ceci est fait par des journalistes, ceci n'est pas fait par des journalistes, ce qui vous donne quand même une orientation. Et la deuxième chose, c'est les universitaires. Et je pense qu'on doit y aller de plus en plus, quand on parle de science, quand on parle d'autre chose, pour là aussi qu'il y ait une validation par des gens qui ont une autorité académique. Ils peuvent être d'accord ou pas d'accord, mais même dans leur désaccord, des universitaires savent dire ceci est une information scientifiquement établie ou ceci n'en est pas. Et donc ça aussi, c'est quelque chose qu'on doit continuer à consolider. Voilà à peu près la géographie des rapports de force.
Intervenant
On enchaîne avec, en effet, une troisième partie qui est dédiée à la jeunesse hyper exposée aux écrans. Alors, en avril 2024, Monsieur le Président de la République, vous aviez chargé une commission d'évaluer l'impact de l'exposition des enfants et des adolescents aux écrans. On a eu Servane Mouton au téléphone il y a quelques jours, neurologue et coprésidente de ce groupe d'experts. Et Servane Mouton nous disait que plus d'un an après ce rapport, il reste encore beaucoup à faire. Alors, pourtant, il y a eu un consensus très net sur les effets négatifs des écrans. Elle nous glissait à l'oreille que l'instabilité politique n'aide pas au suivi des dossiers quand les ministres s'enchaînent. Heureusement, quand même, des mesures ont été prises. On pense notamment à l'interdiction des écrans dans le collectif pour les moins de 3 ans, depuis le 3 juillet dernier.
Mais on se pose la question : est-ce qu'il ne faut pas aller un peu plus loin ? Hier, les députés macronistes ont déposé une proposition de loi pour interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Je pense qu'il y en a qui vont râler dans la salle. Ce texte propose également d'établir un couvre-feu numérique pour les 15-18 ans entre 22h et 08h du matin, ainsi que l'interdiction des smartphones dans les lycées. Je pense que c'est pareil, ça va un peu grincer des dents. Il est question, au milieu de tout ça, de la santé de nos ados qui sont touchés par des contenus violents, des contenus pornographiques, par du cyberharcèlement, parfois par de la propagande d'embrigadement.
Face à cela, on retrouve des parents qui se demandent un peu comment protéger leurs enfants, qui sont un peu perdus. Donc, on se demande comment l'État peut les aider. À titre d'exemple, votre ancienne ministre, Clara Chappaz, avait engagé un combat face à TikTok au moment du skinny tok. Ça doit parler notamment chez les jeunes. Cet hashtag qui avait été lancé et qui invitait les jeunes filles vers des conseils extrêmes pour maigrir. La ministre Clara Chappaz a réussi, après un combat acharné, dit-elle, à faire retirer ce hashtag, mais visiblement, ça a été très, très laborieux. Donc, on se demande comment l'État peut aussi aider sur ces combats. Quelques chiffres, Julien.
Animateur
4h11, c'est le temps quotidien. Vous l'avez mentionné tout à l'heure, Monsieur le Président, le temps quotidien moyen passé devant les écrans par les enfants et adolescents de 6 à 17 ans. 9 Français sur 10 sont favorables à l'interdiction des écrans dans les lieux collectifs de la petite enfance ou dans les écoles maternelles. Ça a commencé, mais le combat est loin d'être gagné. 84 % des Français seraient prêts à renoncer à l'achat d'un portable avec ou sans accès Internet, à un enfant avant l'âge de 11 ans. Et là aussi, on imagine déjà les batailles domestiques.
Animatrice
Pour commencer cette partie dédiée à la jeunesse, on voulait donner la parole à un jeune, pour un témoignage, puisqu'il a été victime de cyberharcèlement. Bravo à lui, parce qu'il accepte de nous raconter ceci.
Intervenant
Monsieur le Président, en avril 2020, en plein confinement, dans une séquence tournée par un média local, j'expliquais simplement comment se déroulait mon confinement, en prenant des nouvelles des personnes isolées, en m'inscrivant sur la plateforme de la réserve civique, je passe la suite, et aussitôt le reportage s'est mis à circuler sur les réseaux sociaux.
Ces réseaux sociaux qui n'ont pas tardé à me harceler, du fait peut-être de mon style différent, de ma différence invisible, notamment sous des pseudos, une période que j'ai vécue très difficilement, vous vous en doutez. Des jours, des nuits difficiles, même des idées noires. Des questions que je me suis posé et que se posent également les personnes touchées par ce fléau. Pourquoi ? Pourquoi un tel cyberharcèlement ? Le cyberharcèlement, c'est une forme de harcèlement. Les personnes qui cyberharcèlent, elles, sont derrière un écran. Les mots ont un énorme impact.
Emmanuel MACRON
Merci de témoigner et d'avoir le courage de le dire. Je crois que l'émotion est perçue par tout le monde. Le harcèlement, c'est un comportement de meute cruelle. C'est des jeunes ou des moins jeunes, il n'y a pas besoin forcément d'être jeune pour harceler, qui vont se mettre contre quelqu'un pour le faire souffrir, l'humilier. Et tout ce qu'on se dit depuis tout à l'heure, on voit bien le grand risque des réseaux sociaux. C'est comme, on est caché. Comme c'est déréalisé, eh bien, ça pousse plutôt aux extrêmes, ça incite à la montée, ça donne encore plus de voix à ceux qui sont plus bêtes. Et au fond, ça nous ramène largement en arrière à des comportements qui sont les plus grégaires. C'est le pire des foules. Et donc, oui, sur le numérique, vous avez des comportements de meute. Donc je suis, comme tout le monde, je pense, ici, très ému de ce que vous venez de dire et de ce que vous avez vécu, et merci à la fois de témoigner pour beaucoup.
C'est pour ça que le harcèlement, c'est quelque chose contre quoi on doit lutter avec force. On le fait à l'école, je le rappelais tout à l'heure, le ministre le porte, et c'est quelque chose qu'on avait lancé avec Jean-Michel Blanquer, qu'on n'a jamais lâché. Lutte contre le harcèlement à l'école, avec des références, je sais qu'il y en a plusieurs qui sont ici, qui sont engagés dans leur collège ou leur lycée avec leur prof comme ambassadeur et comme vigie. Et ça continue en ligne, et donc c'est pour ça que c'est un des sujets sur lesquels on veut activer à la fois la modération obligatoire, le retrait immédiat des contenus et, évidemment, la responsabilité des plateformes. On a changé la loi, comme vous le savez, sur le cyberharcèlement en particulier pour nos élèves, puisqu'on a mis en place des systèmes d'éloignement, si je puis dire, du harceleur, pas seulement de son école et de son lycée, je parle sous le contrôle de notre ministre, mais de fermeture des comptes de celui qui harcèle. Et s'il reprend, ça peut se fermer pendant des mois, voire être définitif pour les récidivistes, parce que c'était un des grands problèmes qu'on avait.
Maintenant, celui qui harcèle en ligne, il est poursuivi, il est puni, il peut voir son compte fermer. Donc on a créé comme ça des obligations. Mais là aussi, ça court tellement vite, compte tenu du fonctionnement des réseaux, qu'il ne faut rien lâcher. Et je pense que ça passe également par la sensibilisation. Et donc, je veux simplement, à travers vous, pouvoir dire à tous ceux qui en sont victimes, enfants, adolescents ou adultes qui ne sont pas seuls, qu'il faut tout de suite dénoncer, le dire aux proches, se protéger, et se protéger, ça peut être aussi se déconnecter, ne pas lire, mais tout de suite porter plainte et se protéger avec les uns et les autres. Merci à vous pour le témoignage.
Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. Donc j'ai la chance d'avoir deux enfants ados et donc je suis en plein dedans, on va dire. Je constate, ce que je déplore, c'est effectivement, comme vous l'avez dit, c'est le retard dans la prise de conscience de tout ça. Parce que moi, ma fille a eu son premier portable à 12 ans et demi. Et encore parce que j'ai tenu bon, on va dire. Parce que sinon, elle avait déjà des amis qui l'avaient en CM1. CM1, c'est très, très jeune. Et donc, l'interdiction en soi, c'est formidable, j'ai vu ça en début de semaine. Je me dis, super, c'est youpi. Sauf que malheureusement, l'interdiction va être détournée, c'est que les parents vont donner leur téléphone portable et que ce sera aussi la porte ouverte à l'accès aux réseaux sociaux, parce que quand ils sont petits, par exemple, on a la paix, on leur donne et puis ils sont dans leur coin et ils sont tranquilles. On fait ce qu'on veut pendant ce temps-là.
Donc la question, ce serait aussi d'éduquer les parents au danger des réseaux sociaux. Je pense que même dès la maternelle, quand il y a les réunions d'instituteurs, enfin de parents-profs… Voilà, d’instituteurs, de tout de suite mettre ça dans les débats, de dire, le réseau social, ce n'est pas pour un enfant. C'est pour plus tard, parce qu'il y a une addiction qui va se créer. Après, on ne dort pas très bien. Et là, effectivement, je vous rejoins sur le fait de la coupure nocturne. C'est indispensable. J'ai la chance que pour les miens, ils coupent d'eux-mêmes. Ils savent. Je ne me bats pas sur ça, heureusement. Mais j'ai des amis qui n'en peuvent plus non plus, parce que c'est très difficile de leur enlever des mains. Donc comment faire pour que les parents puissent être sensibilisés à cette préservation de la santé mentale de leurs tout-petits ? Parce que c'est surtout ça le problème. Dès qu'un petit l'a dans les mains, c'est fini, voilà.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup, Madame. Vous décrivez bien un peu la solitude des parents. Mais c'est normal, parce qu'il y a eu une accélération technologique folle. On n'a pas rien fait. On est en train, là, d'accélérer parce qu'il y a aussi un consensus scientifique qui s'est établi. Et Madame, à juste titre, vous a dit ce qu'elle pensait. Pour avoir reçu le rapport, ce n'était pas unanime il y a un an chez ceux qui ont écrit le rapport. Donc on fait converger tout ça.
Qu'est-ce qu'on a fait ces dernières années ? On a d'abord commencé par les portables. Ce n'était pas gagné. Donc on s'est battus pour enlever le portable à l'école, pour dire qu'il faut des règles. On a mis des lois pour qu'il y ait un contrôle parental, pour que, justement, pour nos enfants et nos jeunes ados, il ne puisse pas y avoir tous les réseaux sociaux sur le portable, et qu'on mette en place d'autres téléphones qu'on vend, qu'il y ait un contrôle des parents. Ça, c'est les lois de ces dernières années, faites par les ministres et parlementaires successifs. On a expérimenté, on a commencé le retrait du portable dans les collèges, généralisé à cette rentrée. Je crois que tout le monde peut dire, ça marche super bien, les retours sont bons, je pense, sur le contrôle de notre ministre. Donc ça, il faut vraiment le consolider parce que ça marche très bien. Et je demande à tous les parents d'être avec nous. Je pense qu'il y a plutôt une adhésion, mais il y avait une habitude qui était liée à l'inquiétude. Il a son portable ou elle a son portable, donc ça me rassure. Mais quand la cloche sonne jusqu'à ce qu'elle sonne pour la fin des cours, pas de portable.
Ça fait du bien à tout le monde, et c'est la seule manière de pouvoir apprendre à l'école. On veut le compléter, et le ministre est en train de travailler sur le lycée, et puis on veut le compléter, en effet, par une pause numérique, qui est une bonne chose. Mais ça, j'ai envie de dire, quand vous me parlez du contournement, la pause numérique comme la fin des réseaux sociaux, oui, les parents qui veulent bricoler, ils peuvent le détourner. Mais vous savez quoi ? Vous pouvez donner de la bière à votre nourrisson aussi. Donc, simplement, quand l'État pose une règle, ça aide tout le monde parce que ça fixe un interdit. Là, aujourd'hui, jusqu'à présent, on n'avait pas fixé de règles. Donc il y avait une forme de... La norme n'était pas connue, si je puis dire, ce qui est bon ou pas bon, donc les familles étaient un peu livrées à elles-mêmes.
Maintenant, qu'est-ce qu'on peut dire ? 1) le portable, ce n'est pas bon quand on est jeune. Quand on est ado, en tout cas, ce n'est pas quand on est en cours, et ça ne peut pas être le soir. Et avant 15 ans, ce n’est pas bon d'avoir un portable qui a des réseaux sociaux. 2) les écrans, parce que la Commission a d'abord rendu sa conclusion là-dessus. Là, c'est pareil, ce n'est pas une loi qui va interdire, mais ce qu'on dit, la préconisation partout, maintenant, on la généralise, avant 3 ans, ce n'est pas bon de mettre un écran. Avant 3 ans. Donc, c'est ce qu'on va diffuser à travers tous ceux qui accompagnent les jeunes enfants et leurs familles. Pas d'écran avant 3 ans.
Animatrice
Et à quand le pas d'écran avant 6 ans ?
Emmanuel MACRON
Pour proscrire. Ensuite, c'est un usage très réduit avant 6 ans. Je dis le consensus scientifique, c'est-à-dire que ce n'est pas une décision qui est politique et arbitraire. Elle a été nourrie par un travail scientifique, ensuite le plus réduit jusqu'à 6 ans. On est d'ailleurs en train — mais la France était plutôt dans un modèle intermédiaire, de bien regarder l'usage des écrans dans la pratique pédagogique — mais des modèles qui étaient allés au tout écran, par exemple comme les Scandinaves, sont en train de revenir en arrière, en marche forcée, parce qu'ils voient bien les perversités de ce modèle. Ce n'est pas très bon. Et nous-mêmes, on fait très attention, avec les pronotes et autres, sur les horaires, pour respecter une pause numérique, avec les parents et les enfants, tous ceux qui en ont ou qui connaissent, c'est-à-dire l'actualisation à 23h00, ce n'était pas une bonne idée. Donc ça aussi, on revient et, en fait, on se régule tous. Donc ça, c'est ce qu'on est en train de faire.
Après, au-delà de la pause numérique le soir, je crois que ce à quoi il faut aller, pas je crois, ce qu'on veut faire, c'est d'interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Et donc là, il y a un consensus scientifique qu'on a bâti progressivement, il y a un an. Il y a eu la commission Écran. Mais sur cette base-là, moi, qu'est-ce que j'ai commencé à faire ? 1) je leur ai dit, vous devez diffuser, bâtir. 2) on a commencé une campagne européenne, parce que la France ne peut pas être totalement seule en Europe à faire ça. Je ne vais pas rentrer dans la technique parce que sinon, on peut contourner très facilement en passant par des VPN ou autre. Et donc, qu'est-ce qu'on fait ? On a commencé à créer une coalition. Plusieurs États nous ont rejoints, du Sud au Nord. Donc là, on commence à être une petite dizaine d'États.
Ce que je souhaite, mais je veux aussi bâtir du consensus, pour moi, c'est là où ces débats sont importants, c'est de pouvoir, début d'année prochaine, arriver à un texte qui porte en effet. C'est pour ça que c'est très bien, là, je demandais au député qui lance aussi le débat parlementaire, mais un texte qui permette de dire, aux moins de 15 ans, plus de réseaux sociaux. On a déjà tout ce qu'on a fait sur les portables. Continuer au lycée, et puis pause numérique le soir et des mécanismes de protection. Après, on a encore quelques sujets auxquels il faut réfléchir qui ne sont pas neutres. On dit réseaux sociaux. Les boucles de messagerie ne sont pas des réseaux sociaux. Donc aujourd'hui, dans le texte tel qu'il est fait, ce qu'on a fait avancer, on peut le faire. Pourquoi ? C'est quelque chose que me permet le DSA, pour revenir à la question de Lila tout à l'heure. Parce que la directive sur les services numériques, elle me permet de demander la vérification de l'âge aux plateformes. Et donc en juillet dernier, c'est aussi pour ça que ça nous a pris du temps par rapport à la Commission. On a fait tout ce travail juridique, on a eu la réponse de la Commission, mais ça m'a pris un an, qui nous a dit, vous pouvez demander, comme on l'a fait pour les sites pornographiques, de vérifier l'âge sur les réseaux sociaux. Elle a dit, par ailleurs, c'est la responsabilité des États de définir une majorité numérique. Sur la base de ce qu'on a obtenu en juillet dernier au niveau européen, je rentre dans la technique pour que vous compreniez pourquoi ça prend du temps.
Moi, j'ai eu cette réponse à l'été. Maintenant, je construis ma coalition avec d'autres partenaires pour dire, on va pouvoir passer des lois au niveau national pour dire à des plateformes : tu dois vérifier l'âge de qui rentre sur ta plateforme. S'il a moins de 15 ans, tu ne peux pas lui donner accès. Donc maintenant, on a la base. C'est ce qu'on veut pouvoir faire en janvier. Mais il y a, je le disais à WhatsApp, un angle mort, c'est que ces messageries – qui ne sont pas des réseaux sociaux – ne sont pas dans ce texte. WhatsApp, elles ont mis maintenant des IA. Vous avez un agent IA sur votre WhatsApp. Ça n'a échappé à personne. Pour un jeune de 13 ans, si vous lui laissez le WhatsApp, ce n'est pas mieux qu'un réseau social, parce qu'il a un agent avec lequel il converse et qui peut rentrer dans des logiques qui ne sont pas bonnes non plus. Donc ça aussi, on doit réussir à l'attraper.
Voilà un peu la ligne. J'ai conscience de tout ce que vous vivez. En vrai, il y a un universitaire américain, M. Hart, qui a fait un livre qui s'appelle « Lost Generation ». Les générations qui ont eu l'expérience des réseaux sociaux quand on le découvrait tous en temps réel, c'est elles qui nous ont appris, elles ont appris avec nous, et c'est vrai que, du coup, ça a été beaucoup plus dur pour les familles. Moi, je considère que ma responsabilité, notre responsabilité, c'est maintenant, compte tenu de ce qu'on sait, de dire voilà les règles, de ne plus laisser les familles toutes seules, de mettre des règles, de poser des interdits, et après, si elles veulent contourner, OK, mais ça changera quand même beaucoup de choses.
Quand on voit le constat, je vais m'arrêter là-dessus, vous l'avez un peu évoqué, mais je le dis pour que tout le monde prenne conscience, y compris les plus jeunes – parce que j'ai conscience, ce n'est pas forcément drôle de dire : vous n'aurez plus droit aux réseaux sociaux – c'est que dans la génération qui est rentrée avec les réseaux sociaux en 2015, on a vu une épidémie de troubles du comportement alimentaire, surtout chez les jeunes filles, parce qu'exposition à des réseaux et des normes de corps, de beauté qui vous poussent à ça, une épidémie de troubles de l'attention. Pourquoi ? Parce que quand vous scrollez, vous êtes habitués à être excité par une vidéo qui dure quelques secondes, et tout de suite, il faut en chercher un. Et des jeunes qui vous disent, d'ailleurs, qu'ils ne peuvent plus rester.
Donc il y a une perte de lecture dans toute cette génération. Et même des jeunes qui vous disent, dans les verbatims, où moi, j'en ai vu beaucoup en débat, qui vous disent, moi, je n'arrive plus à regarder un film, c'est trop long. Donc vous avez une société au fond, où on a détruit la capacité à être attentif, et donc à apprendre, et donc à supporter l'autre et à vivre en société, et donc à pouvoir mener une délibération, un débat. Tout ça, il faut qu'on arrive à le corriger à travers ces mécanismes de régulation pour protéger nos jeunes.
En fait, on sait maintenant qu'avant 15 ans, ce n'est pas bon d'être exposé à tout ça. Et après, il faut accompagner les plus de 15 ans, et on y reviendra, je pense, dans le dernier thème, mais il faut apprendre à aller sur ces réseaux, il faut avoir des réflexes, il faut être habitué, parce que ce n'est pas innocent.
Animatrice
Sur la logique de l'attention, Monsieur le Président, vous voyez qu'ils sont encore tous attentifs. C'est une très bonne nouvelle. Thème que souhaitait aborder, vous êtes directeur général de l'Association Au Mieux à Lille. Vous venez en aide aux familles en difficulté sociale. Par ce prisme-là, vous rencontrez pas mal de jeunes et vous vouliez nous parler d'enrôlement des jeunes.
Intervenant
Merci. Bonjour à toutes et tous. Bonjour, M. le Président. Oui, pour compléter en quelques secondes mon travail, c'est qu'on intervient dans des familles en difficulté sociale de la métropole lilloise. Ces familles n'ont plus de repères. Donc, on essaie de recréer un lien, bien sûr, social, mais un lien surtout parental. Et on essaie de recréer une autorité parentale, ou en tout cas aider à retrouver une autorité parentale parmi ces jeunes. Et effectivement, la question qu'on peut se poser, qu'on se pose... J'entendais Céline Berton, la semaine dernière, sur France Info, qui est DG de la DGSI, parler de l'enrôlement du mouvement islamiste sur les réseaux sociaux, et que de plus en plus, de jeunes étaient attirés ou étaient conditionnés par ces publicités, enfin, je vais les appeler comme ça, par ces publicités, et elles citaient des jeunes qui étaient très jeunes. Ça a commencé à 10 ans, 12 ans, 15 ans, vous en parliez à l'instant.
Comment fait-on, comment peut-on faire au niveau de l'État français pour protéger ces jeunes, surtout dans mon cas où ils n'ont plus tellement de repères familiaux, où vous parliez d'arrêter, de stopper les réseaux jusqu'à 15 ans à partir d'une certaine heure, il n'y a plus de réseau. Les jeunes qui sont dans l'aide sociale à l'enfance, que font-ils ? Les jeunes qui sont encore à 22 heures dans la rue parce que les parents ne sont plus là, comment fait-on ? Comment peut-on aider ces jeunes à ne pas être enrôlés et à commettre l'irréparable ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup, Monsieur, et merci pour cet engagement. D'abord, deux choses. Pour être très précis, ce que je décrivais sur l'interdiction pour les moins de 15 ans, comment on va faire ? On va mettre en place une obligation pour toutes les plateformes de vérifier votre âge, pour tous les utilisateurs de ces plateformes. Alors, ça pourra se faire très simplement par un selfie, par des mécanismes de code, etc. Ce qui veut dire qu'un moins de 15 ans ne pourra pas rentrer sur ladite plateforme. Ce n'est pas une question d'autorisation parentale. C'est une interdiction avec des mécanismes de vérification.
C'est techniquement faisable, puisqu'on l'a testé depuis maintenant plusieurs années sur les sites pornographiques, ça leur pose beaucoup de contraintes, on aura beaucoup de résistance, mais on sait que ça marche, que c'est faisable et que c'est fiable. Donc c'est une interdiction stricte sur les moins de 15 ans vers laquelle on veut aller pour qu'un jeune, même quand il est à l'aide sociale à l'enfance ou même quand il est, en effet, dans une famille de placement, dans une famille qui a éclaté, qui est en souffrance, eh bien ça s'applique aussi à lui. La deuxième chose sur l'enrôlement, ce qu'a décrit la directrice générale de la sécurité intérieure, ce que vous avez rappelé, c'est des choses qu'on a maintenant clairement établies.
Et donc, au-delà de l'interdiction pour les moins de 15 ans, ça, nous, on veut y mettre fin en ayant la transparence de l'algorithme et le mécanisme de responsabilité, et leur dire, ces contenus-là, pas chez nous. Et comme ces contenus-là, nous les interdisons, et on a même pris une loi en 2021 pour lutter contre eux, permettre de fermer les établissements qui les promeuvent. On vous demande de les retirer, sinon vous êtes en infraction avec notre texte. C'est les deux leviers.
À côté de ça, ce que vous décrivez est très juste, et beaucoup n'ont pas voulu le voir et ont voulu être, en quelque sorte, dans la caricature, mais je pense que chacun ici se souvient des émeutes qu'on avait eues à l'été 2023. Lors de ces émeutes, l'embrasement s'est fait sur des jeunes qui, pour une écrasante majorité, venaient de familles monoparentales ou de l'aide sociale à l'enfance et qui étaient tous exposés aux réseaux sociaux. L'organisation des émeutes s'est faite par les réseaux sociaux la plupart du temps. Et donc, c'est aussi pour ça que c'est devenu un mécanisme de déréalisation. Quand vous avez un jeune de 13 ans qui se met à aller tout brûler, tout casser, et même la bibliothèque ou l'école et autres, et quand, après, on a repris leurs paroles, en punissant, vous vous apercevez que vous aviez des jeunes qui vivaient dans un autre monde, parce que ces réseaux sociaux déréalisent les choses. Ils vous font vivre dans une réalité d'à côté, et surtout, ils vous désensibilisent.
D'ailleurs, les professeurs avec qui j'étais tout à l'heure me disaient ce qui les frappait le plus dans leur expérience au collège, c'est parfois l'insensibilité de certains jeunes à laquelle ils étaient confrontés. Et c'est à chaque fois l'expérience des réseaux qui fait ça. Parce que quand vous passez 4 heures par jour à voir des contenus violents, à entendre des horreurs, vous êtes plus choqués, vous êtes désensibilisés. Il n'y a plus de normes communes quand vous vivez là-dedans. Donc voilà, on va lutter avec ces deux leviers.
Intervenant
Vous êtes très inquiet, Monsieur le Président ?
Emmanuel MACRON
Mon métier, ce n'est pas d'être inquiet. Je vois beaucoup de gens dans le débat public, beaucoup de décideurs publics qui pensent qu'on doit tous être des lanceurs d'alerte. Moi, je suis conscient, déterminé et je veux agir. Mais je veux, avec force, convaincre tout le monde qu'on ne peut plus traîner. En vrai, c'est ça. Et on a bâti beaucoup de temps. Moi, j'ai passé beaucoup de temps à voir des scientifiques, à commander des commissions, des rapports, à les revoir, à voir d'autres pays européens. J'ai fait tout ce travail durant ces dernières années, au-delà de ce qu'on avait déjà fait sur les portables et autres. Face aux résistances, c'est là que j'ai pris conscience, il y a quelques mois, qu'il fallait lancer le travail citoyen, parce que je trouvais qu'il y avait une déconnexion entre la volonté de bouger des uns pour des tas de raisons, et le désarroi de beaucoup de jeunes, le désarroi de beaucoup d'associations, de gens de l'éducation populaire, de beaucoup de profs, et la solitude des familles, que Madame a exprimée. Nous, on ne sait plus quoi faire. Et quel que soit d'ailleurs le milieu socioprofessionnel, mais avec une très grande injustice, c'est que les familles qui sont explosées ou des jeunes tout seuls, c'est terrible.
Intervenant
C'était quoi, votre déclencheur ?
Emmanuel MACRON
C'est une série de rencontres comme ça, et surtout, la conviction, à partir du rapport que m'avait rendu Monsieur Bronner sur les lumières à l'âge du numérique, qui est sur l'esprit critique, thème qu'on va aborder maintenant, et la commission écran. Se dire, il se passe quelque chose. Il y a eu un très bon livre qui a été fait par Monsieur Haidt, qui a été, là aussi, une révélation pour beaucoup de gens, et les témoignages. Aujourd'hui, c'est impossible d'aller dans une école ou un collège sans qu'on vous parle de ça. Quand j'ai fait, il y a un an et demi, des déplacements, que je fais régulièrement en lycée professionnel, j'étais venu pour parler de la carte des formations. J'avais des jeunes qui ne me parlaient que de leur fatigue d'être devant les écrans, et qui, d'ailleurs, maintenant, la verbalisent, parce qu'il y a une maturité des lycéens qui ont été la génération qui s'est fait tout le collège avec ça. Il y a des jeunes qui vous disent : “moi, j'étais en 3e, je passais 6 heures 30 par jour sur les réseaux.” J'en ai connu. Et qui m’ont dit : “j'ai demandé à mon prof de me fermer mon TikTok, parce que moi, je n'y arrivais pas.” Collectivement, insidieusement, on a laissé s'installer un système, d'addiction, de dépendance chez nos jeunes. Et je dis ça, c'est la faute de personne et notre responsabilité à tous. En tout cas, on n'a pas le droit de ne pas regarder cette situation en face. Simplement, tout ce qu'on est en train de faire, ça ne peut pas juste être des lois et des décrets. S'il n'y a pas d'adhésion des jeunes, des familles, des profs, des associations qui sont les partenaires des élus, ça ne marchera pas. Donc il faut qu'il y ait un peu un sursaut collectif.
Intervenant
Monsieur le Président, Monsieur le ministre. Je suis lycéen, bénévole à l'association Backados, qui a pour but d'aider les jeunes à vivre plus longtemps et en meilleure santé. Je vois tous les jours comment les réseaux sociaux influencent nos émotions et propagent parfois de fausses informations, surtout sur des sujets sensibles comme la santé mentale. Ma question est : comment l'État peut-il protéger les jeunes et la démocratie face à ces algorithmes sans restreindre notre liberté d'expression ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. C'est ce qu'on a dit tout à l'heure. Merci pour l'engagement, pour le dire. D'abord, la liberté d'expression existe hors des réseaux sociaux. Et il se trouve qu'il y a, depuis des décennies, des tas de générations qui ont acquis, défendu et pratiqué la liberté d'expression, et il n'y avait pas les réseaux sociaux. Donc, il ne faudrait pas laisser s'installer l'idée que si on n'a pas accès aux réseaux sociaux, il n'y a plus de liberté d'expression. Les réseaux sociaux, comme on le dit depuis tout à l'heure, ils ont quand même un danger. D'abord, le fait qu'il n'y ait pas de règles. Pierre, il est plus âgé que vous, me semble-t-il. Je pense que lui, il n'a pas été exposé aux réseaux sociaux quand il avait 11 ans ou 12 ans. Donc, ce qu'il a dit tout à l'heure, c'est déjà une maturité de quelqu'un qui n'a pas envie de se faire insulter toute la journée ou d'être enfermé avec les gens, donc il arrive aux réseaux sociaux en étant armé. Moi aussi, tous ceux de nos générations, on était armés.
Vous, en 5e, vous n'êtes pas armés pour rentrer sur les réseaux sociaux, parce que vous rentrez sur un truc où on peut tout dire. Vous êtes exposés à des gens qui disent tout et n'importe quoi, qui vont vous propager des doutes sur ce qu'on vous enseigne, qui ne sont pas du tout légitimes, faits par n'importe qui, qui n'a pas l'autorité académique ou scientifique, et qui va créer une nature du débat à laquelle il va vous accoutumer, qui est souvent celle de l'invective, de l'insulte, de la violence langagière. Notre conviction, c'est qu’avant un certain âge, et maintenant, c'est acquis, c'est-à-dire un âge auquel on est à peu près stabilisé d'un point de vue intellectuel, émotionnel, sensible, psychologique, il vaut mieux ne pas être exposé aux réseaux sociaux. D'ailleurs, il y a un débat chez les scientifiques, toujours entre 15 ans et 16 ans. On a fait 15 ans, 16 ans, c'est l'âge de majorité sexuelle dans notre pays. 15 ans, c'est raisonnable, proportionné. Il y a plutôt un consensus avec les autres pays européens pour dire 15 ans. Pour vous protéger, mon premier point, c'est de vous dire : avant 15 ans, le bon endroit pour la liberté d'expression, ce n'est pas les réseaux sociaux ; c'est d'abord d'acquérir des savoirs, par la famille, puis par l'école.
Je pense qu'il ne faut pas lâcher tout ça. On est tous heureux de transmettre une parole, d'échanger librement. Mais la clé de la clé, si on veut être des républicains et des citoyens éclairés, il y a d'abord une transmission. C'est-à-dire, qu’au début, on sait quand même moins de choses que nos aînés. Il ne faut pas perdre de vue ça non plus. Le rôle de l'école, c'est de transmettre des savoirs, des certitudes qui sont établies scientifiquement et d'avoir l'acquisition de ces connaissances. En même temps, l'école, elle nous transmet un esprit critique, c'est-à-dire elle nous apprend à apprendre et, à savoir associer ces connaissances, à apprendre le doute et la méthode du doute, ce qui n'est pas la défiance. Et c'est là où vous êtes trop jeunes pour douter de tout. Le doute méthodologique, c'est de se dire, il y a un moment donné, des choses que j'ai apprises, qui sont sûres, peuvent être remises en cause parce que l'état de la science va changer. Mais il y a une méthode pour ce faire. C'est différent de la défiance qui est de se mettre de douter de tout, parce que n'importe qui dit n'importe quoi sur tout sur les réseaux sociaux. Donc, vous devez d'abord consolider des savoirs, des certitudes, la transmission, l'apprentissage, l'apprentissage de l'esprit critique et la bienveillance avec l'autre.
C'est ça aussi que fait l'école. Être bien dans votre peau et être sympa avec les autres, parce que c'est comme ça que marche une société, c'est-à-dire respecter les règles, respecter vos maîtres et vos parents et respecter les autres quand on fait du sport, quand on est en classe, savoir s'écouter et échanger. Ça, il faut le consolider. Ce n'est pas inné. Si on ne vous donne pas le temps de le consolider, on vous met en risque et vous allez être super malheureux. Donc, les savoirs, l'esprit critique, le respect, la bienveillance, c'est le rôle des parents, de l'école de le faire et de tous ceux qui participent à la mission éducative. Je pense toujours aux associations et à l'enseignement populaire qui sont des partenaires importants. Il faut se dire qu'avant 15 ans, vous n'êtes pas prêts à être exposés aux réseaux sociaux. Mais vous pouvez commencer dans les débats en classe, dans les débats familiaux, dans les débats entre vous. Vous avez une liberté d'expression. À partir de 15 ans, il y a une maturité suffisante, une préparation pour pouvoir rentrer dans ces réseaux.
L'idée, c'est aussi de vous préparer à ces réseaux pour qu'ils aient des systèmes de responsabilité et que vous, parce qu'on vous aura appris tout ça, que vous soyez des acteurs responsables sur ces réseaux. Et qu'on ait réussi à faire des républicains qui arrivent à cet âge-là, à maturité, pour, quand ils vont sur les réseaux, ne pas se mettre à insulter tout le monde ou diffuser n'importe quoi, mais être des co-dépositaires, avec nous, de la capacité à délibérer. Tout ce qu'on fait depuis tout à l'heure, c'est, me semble-t-il, des exercices comme ce que font, dans les mairies, nos élus, c'est un exercice utile pour la démocratie, ça s'appelle une délibération. On pose des questions, on confronte des idées, peut-être des accords ou des désaccords. On peut se faire une idée dans le respect. Ce qu'on vit depuis tout à l'heure, c'est l'exact inverse de ce que sont les réseaux sociaux. Nous voyons nos visages, on s'écoute, on structure des propos et on essaie de répondre de manière argumentée. Pour toutes ces raisons, je pense que c'est comme ça qu'on doit faire les choses dans le bon ordre, pour d'abord vous apprendre, vous permettre de devenir adultes d'un point de vue émotionnel, affectif, intellectuel, vous transmettre des valeurs et des connaissances, et ensuite vous permettre d'être prêts, à la fois protégés et prêts, à arriver dans les réseaux sociaux.
Animateur
Je vous propose de passer très rapidement à la quatrième et dernière partie qui concerne l'éducation. Simplement rappeler qu'il y a une question vertigineuse : comment l'école peut encore transmettre des savoirs fondamentaux et former l'esprit critique de nos enfants quand des algorithmes opaques captent leur attention bien plus efficacement parfois que leur professeur, aussi doués soient-ils. La France a pourtant pris des mesures ambitieuses. Dès la rentrée de cette année, tous les élèves de quatrième et de seconde doivent suivre une formation obligatoire à l'intelligence artificielle. Mais comment intégrer cette intelligence artificielle dans l'éducation de manière éthique et réfléchie ? Enfin, il y aura peut-être une lueur d'espoir à offrir. Vous nous direz, Monsieur le Président, en quelques mots, comment aider les initiatives de réseaux sociaux éthiques, mais aussi aider la presse de manière générale, la presse de qualité, qui offre une information qualifiée. Et peut-être, quelques chiffres.
Intervenante
86 % des étudiants de 16 pays utilisent régulièrement l'intelligence artificielle pour leurs études. 55 % des enfants en France déclarent avoir déjà rencontré des fausses images et 94 % des Français se trompent au moins une fois quand on leur présente 5 photos, 5 deepfakes.
Intervenante
Bonjour Monsieur le Président, bonjour Monsieur le ministre. Ma question est : Pensez-vous que l'éducation nationale doit former les citoyens dès le plus jeune âge à un usage critique et responsable de l'intelligence artificielle, au même titre que la lecture ou encore les mathématiques, afin de les préparer aux métiers de demain ?
Intervenante
Bonjour, Monsieur le Président. Je vous parle en tant qu'aspirante journaliste inquiète pour le monde médiatique et pour ses impacts sur notre société et nos citoyens. Aujourd'hui, la majorité des médias en France sont possédés par des millionnaires, 9 en l'occurrence. Tout à l'heure, vous disiez que les propriétaires des réseaux sociaux n'étaient pas forcément très philanthropiques. Je crois malheureusement qu'ils ne le sont pas non plus. Face à ça, on a peut-être une arme en France qui est précieuse, c'est celle de notre service public audiovisuel. Pourtant, vous parliez aussi beaucoup de RSF, Reporters Sans Frontières. La France a baissé dans le classement parce que RSF considère que le service public est fragilisé, notamment depuis la suppression de la redevance télévisuelle, qui a un petit peu cassé le lien direct entre les citoyens et ce service. Donc comment on peut faire ? Comment on peut faire pour lutter contre la concentration ? Vincent Bolloré possède à la fois des écoles, des médias ou encore des maisons d'édition, quand notre service public est de plus en plus fragilisé.
Emmanuel MACRON
Sur la première question, d'abord, notre Éducation nationale, et Monsieur le ministre est là et le porter avec beaucoup de force, elle a mis en place, a consolidé un enseignement à la fois des valeurs de la République, de développement de l'esprit critique. Il y a eu une refonte de ces programmes, vous le savez sans doute. Ça fait partie du bagage qu'on a acquis. La deuxième chose, on est en train de consolider, dès le collège et encore plus au lycée, une formation à l'esprit critique à l'ère du numérique, la préparation à l'IA dans le cadre des enseignements. On le voit à la fois dans la maquette de l'enseignement général comme dans les options qui sont prises, renforcer cette capacité à former nos jeunes, nos élèves. Ça, je vous confirme que c'est quelque chose qu'on va faire. En parallèle, dans les chantiers que nous avons ouverts, il y a la formation des maîtres. Parce qu'il ne faut pas sous-estimer le fait que beaucoup des enseignants aujourd'hui doivent aussi être formés à cela. C'est aussi pour ça qu'un des chantiers prioritaires, c'est la formation des enseignants à travers le programme qu'on est en train de déployer pour ce faire. Ça, c'est une base.
Est-ce que ça doit être enseigné comme la lecture ou les maths ? Je distinguerai deux choses : la transmission de connaissances et inculquer l'esprit critique. Ce sont deux choses différentes. Je le dis, c'est important : le premier rôle de l'école, c'est de transmettre des connaissances de base qui vous permettent de repérer, c'est-à-dire aussi des bases de certitude. C'est quand vous avez ces bases-là qui sont consolidées, vous pouvez avoir, après, manipulé des instruments pour douter, pour avoir un esprit critique, pour les remettre en cause. Mais si vous ne le faites pas dans le bon ordre : moi, je n'ai pas appris Descartes avant d'apprendre les additions. Vous pouvez comprendre le cogito cartésien, et il est très important, à un âge où vous avez ce recul-là, où vous avez consolidé des connaissances. Je pense qu'il faut qu'on fasse attention à garder quand même un socle de connaissances et ne pas avoir une grande confusion entre tout ça.
L'école, elle doit continuer de transmettre des savoirs, et ils sont nécessaires pour pouvoir en acquérir d'autres, parce que vous n'êtes pas fini à la fin de l'école. L'objectif, c'est de faire de vous des citoyennes et des citoyens libres, des femmes et des hommes qui vont se former peut-être après l'école, mais qui pourront changer de vie, réapprendre des choses et à la fois maîtriser des savoirs, des environnements professionnels, mais être des citoyens éclairés. Il y a ces savoirs, et puis il y a l'esprit critique à travers les enseignements, la méthode et la formation des enseignants. Je distinguerai les deux. Simplement, une toute petite remarque pour un peu faire réfléchir tout le monde. Il y a un recul de la lecture qu'on voit, qui est lié à tout ce qu'on se dit depuis tout à l'heure. En interdisant les réseaux sociaux, en sensibilisant, et avec l'aide des profs qui font un travail formidable, on veut défendre la lecture, la remettre au cœur. Lecture et théâtre sont au cœur de ce qu'on veut faire pour l'école. Mais je veux juste faire réfléchir tout le monde.
L'intelligence artificielle, c'est la meilleure démonstration que la lecture est la solution. Parce qu'un modèle d'intelligence artificielle générative, ça n'est autre qu'un super modèle de calcul qui a lu beaucoup de livres. Donc dites-vous, si vous voulez être comme ChatGPT ou si vous voulez ressembler à Le Chat, il faut juste lire énormément de livres. Parce qu'en fait, c'est juste ça. Ce sont des super-ordinateurs dotés de capacités de calcul à qui on a fait ingurgiter tous les livres possibles. Mais c'est une ode à la lecture, l'intelligence artificielle, si on la regarde par cet angle. Si on vient au journalisme, d'abord, on a des règles aujourd'hui qui permettent de protéger notre presse. Il existe d'abord encore beaucoup de titres de presse. La Voix du Nord en est un très bel exemple, et la presse quotidienne, d'ailleurs, et hebdomadaire régionale en est aussi un très bel exemple. Simplement, on a une crise du modèle économique ces dernières années qui fait qu'en effet, de plus en plus de grandes fortunes ont acheté de la presse. Souvent, d'ailleurs, des grandes fortunes qui ne font pas l'argent à travers la presse, ce qui est un mauvais signe. Et moi, j'ai un réflexe tout bête. C'est un peu comme ce que je vous disais tout à l'heure sur les réseaux sociaux. Quand quelqu'un m'informe, mais ne gagne pas de l'argent vendant cette information, c'est qu'il l'a gagné autrement. Donc il faut toujours comprendre comment il gagne de l'argent parce qu'il n'y a personne qui fait ça gratuit. Donc les réseaux sociaux, moi, j'ai compris qu'ils gagnaient leur argent en vendant sur mon dos de la pub individualisée. Donc eux, ils ne veulent pas m'informer. Et quand des gens qui perdent de l'argent ont un titre de presse, ça veut dire que ça leur apporte autre chose. Mais ce n'est pas de m'informer, c'est jouer sur l'opinion, c'est d'avoir de l'influence. Là, ce n'est pas bon.
Alors, on a des mécanismes, malgré tout, et je veux défendre les rédactions de ces journaux que vous avez pu citer, parce qu'il y a une déontologie journalistique, il y a des chartes, et donc il y a quand même une indépendance des rédactions face à leurs actionnaires. Et ça, c'est une chance du modèle français. Il y a aussi une responsabilité éditoriale qui appartient aux journalistes. Et donc, je veux aussi défendre les journalistes qui appartiennent parfois aux titres de presse, qui peuvent être détenus par ces gens, c'est qu'ils peuvent tout à fait, si le cadre est bien respecté, agir en indépendance. Et il y a une charte déontologique. Donc, on peut avoir un modèle où des journaux, des chaînes sont détenus par des gens très riches si la déontologie y est respectée, s'ils ont des chartes d'indépendance. Vous avez des rédactions qui savent les préserver. Et ça, c'est à vous comme lecteurs, comme journalistes aussi de le défendre, de le faire valoir. Il y a des différences de culture. Je ne vais pas aller plus loin entre les titres et entre les organes. Et c'est aussi ce qui doit créer la différence dans la confiance. Je serais en désaccord avec ce que vous avez dit sur l'audiovisuel public. Moi, je pense que la redevance, qui d'ailleurs n'était plus payée par tout le monde, ce serait... Il n'y a pas que les gens qui payaient la redevance qui avaient un rapport de confiance avec l'audiovisuel public. Et si je n'avais pas sanctuarisé le montant de l'audiovisuel public par les engagements pris, vous pourriez me dire ça, mais il est sanctuarisé. Et donc, nous restons un pays où l'audiovisuel public… C'était honnêtement devenu une anomalie de la redevance. Supprimant la taxe d'habitation, on n'allait pas garder la redevance ; ça coûtait un argent fou à prélever. Il y a eu un engagement et il a été tenu de maintenir, justement, l'engagement pour un audiovisuel public de qualité. Et quand vous regardez la France et que vous la comparez avec les autres Européens, je pense qu'on peut dire qu'on a un modèle fort d'audiovisuel public dont on peut être fiers. Mais faites attention, on ne peut pas réduire le pluralisme au modèle de service public. Et donc, dans le pluralisme, il y a un acteur de service public qui doit pouvoir faire des missions d'intérêt général de service public, avoir un cahier des charges particuliers que lui demande le législateur, parce qu'il est financé par le contribuable, et il l'est de toute façon, selon le principe d'universalité budgétaire. Ce n'est pas parce qu'on paye une taxe affectée que ça a plus de valeur ou pas. Il a du budget de l’État, donc ça a une valeur, donc il a une responsabilité.
Mais le pluralisme va au-delà de l'audiovisuel public. La clé derrière votre question, me semble-t-il, c'est 1) on doit continuer d'être très vigilants sur les règles et l'indépendance journalistique dans tous les titres, quelles que soient leurs détentions capitalistiques, mais 2) la clé pour cela, c'est qu'on doit consolider le modèle économique de la presse en France. Et c'est tout le débat qu'on mène en parallèle avec les acteurs de la presse quotidienne, de la presse nationale, de la presse quotidienne régionale, de la presse quotidienne nationale et des presses hebdomadaires. C'est de voir comment on arrive à restabiliser le modèle économique. Alors, en ayant d'ailleurs des partenariats de confiance avec des acteurs de l'IA comme Mistral, qui peuvent être des partenaires de confiance qui aident et qui développent des solutions, y compris de modération, mais en resincérisant les chiffres, parce qu'on ne peut pas accepter d'être dans un pays qui va vivre, qui devrait vivre, je l’ai mis au conditionnel parce qu'on veut l'endiguer, ce que les États-Unis d'Amérique ont connu. Mais ce qui veut dire que nous tous, citoyens, on doit aussi accepter de se dire que ça n'est pas possible de s'informer de manière libre et démocratique totalement gratuitement. Et donc, vous avez accès à de l'information par l'audiovisuel public parce que vous le payez comme contribuable, mais vous devez aussi avoir accès à de l'information libre parce que vous la payez comme consommateur de cette information en étant citoyen. Et on s'est un peu acculturés ces dernières années à s'informer pour rien, gratuitement. Ça n'est pas un bon réflexe, parce que ça veut dire, de fait, que vous allez laisser faire l'information par des gens qui ne sont pas payés pour ça. Et la clé pour continuer d'avoir des journalistes indépendants, c'est, nous, comme citoyens, d'accepter de s'informer en payant ce qu'il faut pour s'informer. C’est une somme modique, mais il me semble que c'est ce qui va avec la démocratie. Et à côté, nous, de construire le cadre pour que le modèle économique soit soutenable. Il y a tout un tas de sujets techniques derrière.
Animateur
Merci, Monsieur le Président, et merci de rappeler que la différence entre certains groupes de presse et un groupe comme celui de Rossel, un groupe de presse indépendant à qui appartient La Voix du Nord. Dernière question, hélas, puisqu'il faudra nous quitter. En quelques mots, il faudra être très rapide, mais ça nous semblait important que vous soyez là tous les deux, parce que vous êtes à l'origine de la création d'une application très importante, très utile, et vous venez en plus de gagner un prix européen. En quelques mots, vous expliquez votre initiative et la petite question qui servira de conclusion. Merci.
Intervenant
Merci beaucoup. Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour, Monsieur le Ministre. On a effectivement cofondé avec Éloïse, il y a maintenant 2 ans et demi, l'application Pol, qui est une application vraiment de politique avec comme principe de poser des questions tous les jours à nos utilisateurs. Ce sont des questions qui sont soit relatives à des textes qui sont étudiés à l'Assemblée nationale, soit des questions d'opinion. On rédige à chaque fois en dessous de la question un court contexte neutre et on note les avis pour et contre de tous les camps politiques. L'objectif étant que les utilisateurs puissent se forger un avis sur une pluralité d'opinions disponibles. Le lendemain, on propose de relier ces votes du coup, votes de son propre député dans sa circonscription et de pouvoir avoir les votes de tous les gens dans leur circonscription, aux votes de l'Assemblée nationale et aux votes de tous les utilisateurs à l'échelle du pays. On a récemment gagné un hackathon Google européen qui était dédié à la lutte contre la désinformation, donc on souhaite continuer dans ce sens et à innover pour lutter contre la désinformation et une démocratie permanente. Éloise, je te laisse…
Intervenante
Et effectivement, nos utilisateurs ont une inquiétude. Ils ont la crainte que, justement, l'information et l'éducation à l'information et à l'intelligence artificielle ne bénéficient qu'à ceux qui sont entourés par des personnes qui, justement, savent s'informer. Et donc, une question : comment éviter que cela crée de nouvelles inégalités et, autrement dit aussi, une nouvelle fracture, une fracture de la société française ? Merci.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Bravo pour votre initiative et plus que ça pour déjà ce que vous avez structuré. Je pense que ça montre bien comment on crée de l'esprit critique dans le débat, c'est-à-dire comment on engage les citoyens et comment on arrive à ce que cet engagement soit pleinement actif, mais avec un recul critique qui permet de confronter les opinions en l'espèce des textes, mais de l'actualité. Le grand risque pour l'intelligence artificielle, comme pour toute rupture technologique, c'est en effet, parmi les risques, celui des inégalités, des inégalités sociales, mais aussi de l'inégalité en termes d'usage et de la séparation dans notre société.
C'est pour ça que ce qu'on pense, d'abord, un, il ne faut pas y rentrer trop tôt et trop vite. Il faut être préparé à cela. 2) dans le bagage d'ensemble, il faut préparer nos jeunes à s'y repérer. Et donc, ça, c'est ce qu'on a dit sur la mission de l'éducation nationale. 3) il faut mettre des règles claires pour tout le monde d'usage et d'acquisition. Et ça, c'est tout le cadre qu'on va devoir mettre en place dans les années qui viennent sur l'intelligence artificielle et en particulier les agents d'IA, et qui est quelque chose qu'on a peu abordé aujourd'hui, mais qui sera de toute façon un continent, en plus des réseaux sociaux, qu'il va falloir réguler. Et 4) je pense que ce travail d'éducation, à la fois de médiation, si je puis dire, et d'appropriation, il va falloir le faire sur les adultes, parce que ce qu'on a dit sur les réseaux sociaux tout à l'heure et ce que vous observez chez les plus de 60 ans, qui est tout à fait vrai et qui est mesuré quand on regarde les comptes les plus problématiques sur les diffusions des fausses informations, c'est souvent des énigmes. C'est exactement la même chose qu'on va avoir sur l'IA. Et la crédulité, par exemple, sur les contenus d'intelligence artificielle, on sait bien que des gens qui ne seront pas préparés, pas formés, ils seront beaucoup plus exposés, mais des publics qui sont beaucoup moins acculturés à cela et qui sont plus âgés, vont se faire avoir beaucoup plus vite. Et donc, si on veut éviter cette nouvelle fracture, là aussi, on va devoir mettre en place un vrai programme national pour former, si je puis dire, à cet esprit critique autant du numérique, qu'il s'agisse des réseaux ou de l'IA, il va falloir intégrer l'IA.
En parallèle de ça, on va devoir aussi durcir les règles et, en particulier, de signatures ou d'identifications des contenus qui sont faits par l'IA. Puisque c'est en sous-jacent dans votre question, si on veut éviter la fracture, il faut aussi qu'il soit lisible pour tout le monde qu'un contenu, une vidéo, une image est produite par de l'intelligence artificielle et n'est pas le fruit d'une situation réelle. Et ça, c'est un des vrais défis. Aujourd'hui, vous avez vu, vous l'avez d'ailleurs bien mis tout à l'heure dans vos chiffres et vous avez confié vous-même que vous vous faites avoir parce qu'il y a beaucoup d'images ou de vidéos qui circulent sans qu'elles ne soient taguées ou identifiées comme étant produites par de l'IA. Et il faut qu'on arrive à avoir cette obligation qui permettra quand même plus simplement à tout le monde de s'identifier. Mais il en va, la démocratie et le fonctionnement de la République et votre initiative, je trouve, montrent très bien que l'éducation comme la régulation, qui sont deux leviers qu'on a beaucoup évoqués ce soir, ça ne règle jamais tout. Il y a la nécessité d'avoir une délibération, un travail permanent et, en quelque sorte, d'entretenir le muscle démocratique par des initiatives comme la vôtre. Et ça, ce sera aussi indispensable pour éviter la fracture.
Animateur
Merci, Monsieur le Président. Il ne me reste comme dernière mission que de conclure, de vous remercier évidemment pour ce long échange, de savoir si vous souhaitez conclure de quelques mots ou si pour vous tout a été dit.
Emmanuel MACRON
Merci. Écoutez, moi, d'abord, j'ai des remerciements à vous faire, l'un et à l'autre, pour avoir modéré ce débat. Au ministre de l'Éducation nationale pour tout le travail qu'il mène et tous les chantiers qu'il conduit à la tête de ce magnifique ministère. Et, évidemment, Madame la rectrice, Monsieur le préfet à ses côtés pour mener cette action avec toutes celles et ceux qui mènent l'action de l'État, et puis, évidemment, vous remercier, La Voix du Nord, l'ensemble de la rédaction, le groupe pour l'accueil, le débat, et vous remercier toutes et tous. J'espère que ça aura un peu éclairé les choses pour vous, mais moi, ce que je souhaite plus que tout, c'est qu'à l'issue de ces échanges, vous puissiez continuer d'alimenter, justement, in vivo cet esprit critique. Et si ça a fait naître en vous beaucoup de doutes ou de questions, c'est formidable, parce que je ne prétends pas qu'on ait les réponses à tout. Mais ce dont j'ai la conviction, c'est qu'on doit agir et que les réseaux sociaux, comme l'intelligence artificielle, c'est une formidable opportunité, ne nous trompons pas.
C'est un changement technologique, et même plus que ça, d'organisation du savoir, des usages pour nos générations, qui sont une chance. Et donc, il faut garder ce bon côté. C'est comme ça que c'est arrivé. Je ne voudrais pas qu'il y ait de caricatures. Simplement, on doit les domestiquer. C'est-à-dire, on doit, au fond, se rappeler ce qu'est l'humanisme. C'est que l'innovation technologique doit toujours être au service de l'humain, c'est-à-dire de la dignité des femmes et des hommes qui font notre société et du progrès de notre société. Et à chaque fois qu'on laisse une technologie prendre le devant sur nous, ne pas être maîtrisée, on court le risque de nous abîmer, de se blesser, ou de laisser l'évolution de notre société à la main de ceux qui ont la maîtrise de cette technologie. Et c'est exactement ce qui est en train de se passer. Et donc, je crois qu'il faut qu'on ait vraiment un réveil collectif pour se dire, on doit protéger nos enfants et nos ados beaucoup mieux qu'on ne l'a fait jusqu'alors. Et là, on n'a pas le droit d'attendre ; les écrans, les portables, les réseaux sociaux, les agents d'IA, avec tout ce que j'ai dit depuis tout à l'heure. Et donc là, il faut assez vite agir et il faudra tous qu'on soit dans une société de la mobilisation pour le faire. Ensuite, on doit beaucoup plus se former, préparer nos jeunes et nos moins jeunes à cette transformation pour se repérer, avoir des savoirs solidement établis et le recul pour, dans ce nouvel espace, distinguer le vrai du faux. Et c'est faisable. C'est simplement ce qu'on avait appris à faire en République dans un espace, je dirais, physique-humain. Voilà, on va continuer à faire des Républicains, mais dans cet espace numérique où il y a, je dirais, plus de faux-semblants. Mais c'est possible, avec de la régulation, de la préparation, de l'éducation, du travail journalistique. 3) on doit consolider, consolider absolument les piliers de notre République et de nos démocraties. Et ça veut dire qu'il faut aussi en même temps qu'on a le doute, l'esprit critique, remettre un peu de confiance dans le fonctionnement de notre démocratie. Parce que si on laisse les réseaux sociaux faire comme ils font aujourd'hui, c'est un mécanisme à défiance généralisée. Et donc, la confiance dans les maîtres, qui, à l'école, donnent le savoir et le respect des maîtres, la confiance dans l'autorité scientifique et dans la science, parce qu'elle est établie par des femmes et des hommes qui, selon une méthode, définissent justement à savoir, et l'autorité dans ceux qui représentent légitimement l'État démocratique, et c'est le respect des maires, des élus, etc., et du rôle de celles et ceux qui informent et des journalistes.
Remettre ce principe d'autorité est essentiel à l'époque des réseaux sociaux qui nivellent tout. Toutes les paroles ne se valent pas. Ce n'est pas vrai. Parce qu'il y a simplement un espace qui doit être structuré si on veut vivre en société. Et donc, notre défi, c'est aussi de préserver l'organisation d'une société démocratique qui doit pouvoir délibérer de manière calme, être dans le respect, préparer des élections libres et continuer d'avancer avec un rapport à la vérité, au faux et la forge d'une opinion publique qui ne soit pas biaisée. Ça, ça va passer par la régulation de ces réseaux sociaux, des mécanismes de responsabilité, un changement de nos lois nationales et européennes, mais aussi la consolidation des piliers de notre République, comme je viens de le dire. Et donc, on doit remettre de l'énergie à faire de la délibération sur le terrain, mais aussi à redonner de l'autorité à tous ceux qui sont les dépositaires, de ces digues, mais aussi de cette fabrique de la République.
Et puis, dernier point, on va accélérer, évidemment, tout le travail, comme on se l'est dit, face à nos ennemis de l'extérieur et ces risques d'ingérence, parce que vos exemples l'ont très bien montré, notre discussion l'a illustré. Mais au-delà de tout ce qu'on s'est dit, on a aussi un risque que ces faiblesses d'un moment dans notre organisation nous mettent à la merci de telle ou telle attaque informationnelle. Et la conflictualité d'aujourd'hui, elle ne se fait pas uniquement par les bombes, c'est une continuité, mais elle commence aussi par les cerveaux. Et donc ça, on doit le protéger. Je ne veux pas être plus long, mais merci de m'avoir offert l'opportunité d'échanger avec vous sur ce point. Mais moi, j'ai besoin de vous pour que vous continuiez de faire vivre ces débats, de réfléchir à tout cela, parce que ça ne marchera que si nous sommes une société qui, en quelque sorte, porte ces débats elle-même. De là où je suis, avec le Gouvernement, on va tâcher de faire cheminer des textes au niveau européen et national, mais ils ne sont qu'une partie du combat. Le reste est un combat de principe, de valeur, de confiance dans notre démocratie et notre République. Et au fond, c'est le plus beau, c'est celui qui nous amène ici, dans cet établissement scolaire.
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