Le Président Emmanuel Macron s'est rendu à Vassieux-en-Vercors ce mardi, dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Libération.

C’est la première fois qu’un chef de l’État préside une cérémonie en hommage aux résistants et aux victimes civiles du Vercors. Vassieux est l’une des cinq communes élevées à la dignité de Compagnon de la Libération, avec Paris, Nantes, l’Ile de Sein et Grenoble.

Les communes du plateau du Vercors accueillirent des réfugiés dès l’invasion de la zone sud. Le plateau est devenu un haut lieu de résistance et un point d’appui en vue d’un débarquement attendu en Provence, en vertu d’un plan validé par le général de Gaulle depuis Londres.

Organisé sous l'autorité d'un commissaire de la République et structuré par une chaîne de commandement militaire, le maquis a réaffirmé face à l’occupant et au régime de Vichy la permanence de la République.

Après avoir subi plusieurs offensives, le maquis sera submergé en juillet 1944 par 10 000 soldats allemands. Il s’agira de la plus grosse opération de répression menée par la Wehrmacht contre les résistants dans toute l’Europe de l’Ouest

Le Président de la République a rendu hommage à tous ceux qui se sont levés pour la liberté, et pour défendre les valeurs de la République. 

Revoir les cérémonies : 

16 avril 2024 - Seul le prononcé fait foi

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Hommage aux maquisards de la Résistance et de la Libération à Vassieux-en-Vercors.

« Les montagnards doivent continuer à gravir les cimes ».

Sur les ondes de la BBC, venu de Londres, le 25 février 1943, ce message portait l'approbation par le général de Gaulle du plan d'installation d'un maquis sur le Vercors.

Gravir les cimes, prendre la route du Vercors, viser plus haut et s'établir au plateau. Illumination venue dans une conversation presque muette, un an plus tôt, entre Pierre Dalloz et Jean Prévost, quand leurs regards tombèrent à travers les amandiers et les premiers nuages du soir, sur cette sorte d’île en terre ferme, formée de deux cantons de prairie protégée de tous côtés par une muraille de Chine. Oui, dès 1942, ils formèrent ce projet. Cette forteresse du Vercors pouvait devenir un cheval de Troie pour mettre à l'abri des hommes, réceptionner les armes, harceler l'ennemi.

Projet fou, mais projet dans lequel crurent aussitôt Daniel Cordier, Jean Moulin, le général Delestraint et tant d'autres. Projet qui recoupait le dessein formé plus tôt par un groupe de résistants de la vallée : Aimé Pupin, Eugène Samuel, des socialistes, des francs-maçons, des membres des Francs-tireurs.

Gravir ou périr. Alors, peu à peu, les chemins du Vercors se peuplèrent de silhouettes. Alors, marchèrent à travers la neige, la privation, la traque des compagnons de la liberté, une cordée des ombres. Montèrent vers le plateau ceux qui refusaient l'armistice signé par Pétain ou fuyaient les persécutions de son régime, des Français de toutes origines, de toutes conditions. Des réfractaires du STO cherchant ici un refuge. Des instituteurs et des professeurs, des gendarmes et des hommes d'Église, des anciens de l'école d'Uriage. Chemins français de camaraderie et de courage, silhouette fidèle à cet esprit de résistance que Michelet attribuait déjà au Vercors, car sur ce plateau, depuis toujours, la liberté est comme chez elle.

Gravir les cimes et ces grimpeurs de l'année 1943 pouvaient, depuis les sentes, contempler ce qu’ils abandonnaient au fond de la vallée. Un pays tombé dans le précipice de la défaite, éboulé dans l'abîme de la compromission.

À mesure que ces premiers résistants montaient, les relents de la collaboration et les vents sordides des crimes nazis se dissipaient. L'air était plus pur. Le souffle coupé par le froid, les premiers résistants du Vercors rencontraient peu à peu les gens de Vassieux ou de la Chapelle, ces Français étaient des leurs. Laitier, devenu ravitailleur et faisant sa tournée dans le maquis ; braconnier dépliant une carte pour indiquer les lieux sûrs ; artisans qui offraient leurs bras pour déblayer une piste d'atterrissage. Fraternité silencieuse des villages du Vercors, petite patrie où la France retrouvait sa grandeur. Celui qui montait au Vercors prenait son rang dans les camps établis en secret, où il s'aguerrissait au combat.

Commençait une vie de haute altitude : gravir les cimes, escalader pour planter le drapeau français sur un observatoire, aménager un repaire complice pour le largage des armes, grimper plus haut avant de fondre sur les vallées occupées. Une vie de montagnard, cloche des corvées le jour, bruit des radios clandestines la nuit, vie de chansons et de veillées, camaraderie du pain partagé dans ces troupes où les convictions, les âges, les nationalités se mêlaient. La vie dans le maquis du Vercors, une vie au grand-air, Français et libre.

Du haut du plateau, c'étaient les autres, les collaborateurs et leurs complices qui semblaient plonger dans les ténèbres du pays, mener une existence obscure et clandestine. Bientôt, le printemps s'annonçait. La sève de la liberté semblait commencer à réchauffer les hommes dissimulés dans l'hiver.

Et pourtant, pourtant, ce 16 avril 1944, il y a 80 ans, jour pour jour, ici même, la milice française sous le commandement de Raoul Dagostini, lançait la répression contre la résistance du Vercors. Pendant huit jours, les fermes seront pillées, incendiées, des habitants torturés, d'autres plus tard déportés et trois d'entre eux fusillés pour avoir été dénoncés par des Français.

Le 23 avril, 200 de ces miliciens assistaient à la messe. Le curé, avec courage, les interpella : « Vous êtes les premiers terroristes que nous accueillons ici. » Ici, il y a 80 ans, des Français ont tué d'autres Français, car ils refusaient cette certaine idée de la France ici rétablie. Mais malgré ces premiers martyrs, malgré ces trahisons, le maquis se réorganisait et guettait l'heure du grand combat.

Dès le début de juin 1944, celui qui montait au Vercors trouvait des centaines de nouveaux camarades. Le 8 juin, le Vercors répondait à l'ordre de mobilisation générale. Et vers le plateau, montaient avec lui des Polonais, des Sénégalais, des Français, tous ceux déterminés à rejoindre ce porte-avions naturel surgissant de la plaine, depuis lequel coupaient les lignes allemandes et libéraient la France.

En juin 1944, celui qui montait au Vercors, entendait un bruit nouveau. Un écho qui sourdait à travers les roches, bruissait au-dessus des sapins et se cognait aux falaises : le cri de la République et son écho. Sur le plateau du Vercors, les 4 000 combattants, désormais rassemblés, avec à leur tête Eugène Chavant et Yves Farge, avaient proclamé le retour de la République le 3 juillet. À La Chapelle, à Vassieux, les lois de Vichy furent jetées à terre. Des femmes et des hommes de bonne volonté redressèrent l'État républicain avec son administration, ses journaux libres, sa poste, son bonheur tranquille du 14 juillet. Les chemins du plateau montaient à nouveau vers des villages à l'heure de la République, alors qu'à l'entour, en contrebas, l'occupant faisait encore subir son joug. Le Vercors rayonnait d'espérance.

Puis vint le 21 juillet, jour du premier vol d'un avion allemand au-dessus d’eux, jours où ces chemins d'espoir devinrent chemins de mort. Ces derniers jours de juillet, de tous côtés, les troupes allemandes s'abattent sur le Vercors. Du ciel tombent les parachutistes, des crêtes affluent plus de 10 000 soldats du Reich. Les maquisards se retrouvent assiégés à un contre 10.

Gravir les cimes du courage et de l'esprit de sacrifice, tels les chasseurs alpins qui, au Belvédère, retiennent les avancées de l'armée allemande, tel leur chef, Chabal, qui, pipe au coin des lèvres, droit derrière son bazooka, prend le temps d'écrire « Vive la France ! » avant de mourir.

Héroïsme de ces 600 sacrifiés qui permettent aux civils de fuir et à leurs camarades d'entamer la dispersion. Celui qui montait au Vercors, après cette semaine de combat farouche et désespéré, était saisi. Oui, plus de 600 résistants, plus de 200 civils venaient d'être tués, des prisonniers, puis déportés, tant de maisons détruites. L'odeur, raconte l'un des premiers témoins, Maurice Rouchy, « L'odeur prenait à la gorge des kilomètres avant d'arriver au plateau. ». Les troupes allemandes avaient exterminé les combattants, allant les achever jusque dans la grotte de la Luire qui servait d'hôpital aux blessés.

Les soldats allemands avaient aussi massacré les habitants de Vassieux et de La Chapelle. Ici, 65 cadavres abandonnés dans un champ. Là, des dizaines d'autres, comme assoupis, prostrés, immobiles, au milieu des ruines. Cette femme suppliant en vain d'épargner trois enfants et tous abattus d'une rafale. Ces deux hommes pendus, sept autres décapités, des vieillards et les plus jeunes emmêlés dans des flaques de sang répandues par le jet d'une grenade. Cette sœur venant au secours de son frère, paralysés dans leur maison en flammes et ensevelie avec lui dans les décombres. Les familles jetées avant la mort dans une loge à cochons. Leur fillette, que les Allemands laissèrent mendier du secours pendant cinq nuits, le pied coincé dans l’amas de gravats où reposaient les cadavres de ses parents. Partout, dans les buissons et les décombres, sur le seuil des maisons ou devant un calvaire, la mort hantait les chemins du Vercors. L'odeur de sang, de cendre et de charogne. La rumeur du massacre commis par la Wehrmacht s'engouffra alors dans les pentes du massif pour pétrifier une France en train d'être libérée.

Alors, aujourd'hui, celui qui monte au Vercors se souvient de ces Français, combattants, habitants, tués par les troupes allemandes et leurs complices. Il se souvient de leur courage et de leurs martyrs de Vassieux et des communes voisines. Le Vercors porte cette mémoire indissoluble de la cime et du châtiment.

Le Vercors, qui fut une petite France libre, fut aussi toute la France dans sa douleur et sa grandeur. Le Vercors et ce plateau où passent la gloire et les larmes, les maquis et les massacres, la citadelle et le charnier, les beaux jours et les heures sombres. Le Vercors incarne cet horizon rempli d'étoiles dans les yeux de Pierre Dalloz et de Jean Prévost, depuis leur jardin des côtes de Sassenage.

Celui qui montait au Vercors accomplissait alors un choix moral : résister ou collaborer. Et les hommes de la milice qui sont retournés dans la vallée, une fois commis leur crime à Vassieux, avaient tranché autrement ce dilemme. Serviteurs du régime de Pétain et Laval, soldats sous le commandement de Joseph Darnand, ces Français trahissaient la France par volonté de vengeance, par pulsion de pénitence.

Français prêts à tuer d'autres Français et avec eux, cette certaine idée de la France. Français rongés par l'esprit de défaite, inséparables de la haine de la République, car ce n'était pas seulement un temps où les Français ne s'aimaient pas.

C'était aussi un temps où des Français n'aimaient pas la France. Oui, ceux-là n'aimaient pas la France des Lumières, celle de 1789 et de l'an 2.

Ils n'aimaient pas Voltaire, Rousseau, Hugo et Zola.

Ils n'aimaient pas de Gaulle et l'esprit de résistance.

Non, ils n'aimaient pas la France, alors ils ne pouvaient aimer la République du Vercors.

Souvenons-nous aussi de ces Français, de leur choix et de leurs fautes. Dans l'âme de chaque Français, le chemin du Vercors doit être remémoré. Vertige de l'abaissement ou sursaut vers la cime ?

Ce chemin du Vercors est le nôtre, une route de montagne qui sépare l'adret et l'ubac. Le côté au soleil et le côté de l'ombre, telle est notre dette à l'égard de ceux du Vercors. Les résistants, ici, avaient choisi la France libre, notre soleil.

Les martyrs et les héros de Vassieux sont tombés pour la patrie. Et dès le jour d'après, les 1 500 maquisards reprirent les combats au sein des 6ᵉ BCA et 11ᵉ cuirassiers. Daniel HUILLIER, René HEREN, Alphonse TARAVELLO sont là, et avec eux quelques compagnons d'armes des vallées voisines et ce cortège de braves.

Dès août 1945, Vassieux-en-Vercors devint ville compagnon de la Libération aux côtés de Grenoble, Nantes, Paris et l'île-de-Sein.

Oui, ici, nous devons à ces femmes et ces hommes d'avoir choisi le bon chemin, gravir les cimes entre la liberté et le courage pour la République et pour la France.

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