Avec la disparition de Marcel Boiteux, économiste et mathématicien, directeur et président d’EDF, la France perd un grand serviteur de l’Etat, qui fut l’architecte du programme nucléaire français et par-là, un bâtisseur infatigable de la souveraineté de la Nation et du rayonnement de la France. 

Né en 1922 à Niort, dans une famille de Normaliens et de Polytechniciens, Marcel Boiteux fit le choix de rejoindre les rangs des premiers, alors même qu’il allait, par la suite, être appelé à diriger les seconds. Reçu rue d’Ulm en Sciences en 1942, sa trajectoire académique éclatante fut brutalement interrompue. Ainsi, en 1943, pour s’affranchir du STO, il dût franchir la Méditerranée en direction du Maroc, traversant clandestinement la frontière espagnole par le pays basque. Engagé dans l’Armée d’Afrique, il témoigna d’un courage exemplaire, pendant la campagne d’Italie puis lors de la libération de la France, actes de bravoure qui lui valurent la Croix de Guerre. 

Aux lendemains du conflit, Marcel Boiteux reprit le cours de ses études. Son intérêt à parts égales pour la science des nombres et l’art de l’administration lui fit décrocher successivement en 1946 et en 1947, l’agrégation de mathématiques et son diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris. Il rejoignit alors les rangs du CNRS, puis, en 1949, ceux de « l’EDF » nouvellement nationalisée, sur recommandation de son mentor, ami, et futur prix Nobel d’économie Maurice Allais.

A EDF, à qui il resta fidèle pendant quatre décennies, Marcel Boiteux gravit chaque pallier grâce à un mélange de force de travail, de détermination et d’effervescence théorique. Son souci constant de rationalité économique fut rendu célèbre par sa théorie des monopoles publics et un théorème éponyme, le problème de Ramsey-Boiteux. Cette préoccupation, surtout, fut mise en pratique au service des Français. Marcel Boiteux inventa, ainsi, avec succès, la distinction des heures de pointes et des heures creuses, fondement de la tarification de l’énergie, qui composa même un chapitre entier du programme énergétique du président Carter, adopté par le Congrès américain en 1978.

Directeur général d’EDF depuis 1967, Marcel Boiteux portait depuis longtemps auprès des pouvoirs publics l’option d’un virage vers le « tout-nucléaire » et le choix résolu de l’uranium enrichi et des réacteurs à eau pressurisée, plus sûrs et plus compétitifs. La crise pétrolière entérina cette stratégie, accélérée par le Plan Messmer de 1974. Chef d’orchestre du déploiement du nouveau parc français, Marcel Boiteux fit le choix de modèles standardisés sur tout le territoire, qui permirent des économies d’échelles, d’entretien, et des facilités de livraison considérables.

Inlassable défenseur de l’atome, cette conviction faillit coûter à Marcel Boiteux sa vie, en 1977, au cours d’un attentat à son domicile. Successeur en 1977 comme PDG d’EDF d’un autre artisan de l’Etat stratège, Paul Delouvrier, Marcel Boiteux continua d’approfondir et de déployer pendant dix ans sa vision et son ambition pour la Nation. A son départ de l’entreprise en 1987, 58 réacteurs électronucléaires étaient en activité ou en construction, véritable performance technologique, économique et humaine.  

« J’ai toujours répugné à me lancer dans une action dont je ne puisse penser que d’une façon ou d’une autre, elle pourrait contribuer au bien public », écrivait, dans sa correspondance, Marcel Boiteux. 

En effet, tout au long de sa vie, il s’imposa tout autant comme un dirigeant d’exception que comme scientifique à l’autorité incontestée. Il assura avec succès la présidence du « Siècle », de 1972 à 1974, puis celle de l’Institut Pasteur de 1973 à 1985, avant de rejoindre les rangs de l’Académie des sciences morales et politiques en 1992, dont il prit la présidence dix ans plus tard. 

Fort de plus d’une cinquantaine d’articles scientifiques publiés, il assura dès 1959 la présidence de la Société mondiale d’économétrie, succédant aux prix Nobel Kenneth Arrow et Paul Samuelson. Quelques années plus tard, c’est dans l’exercice d’un autre mandat, à la présidence du Conseil mondial de l’énergie qu’il put encore œuvrer pour ses idéaux. 

Le Président de la République et son épouse saluent la figure d’un théoricien et praticien du bien public, d’un combattant qui voua toutes ses forces pour l’indépendance du pays, d’un stratège qui changea le quotidien et prépara l’avenir de tous nos concitoyens. Ils adressent leurs plus sincères condoléances à ses proches, sa famille, et à ses anciens collaborateurs. 

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