Il savait conjuguer l’économie avec toutes les disciplines, pour dénouer les énigmes du passé, prédire les métamorphoses de demain, et faire vivre aujourd’hui, ses idéaux. Daniel Cohen savait aussi et surtout transmettre la passion de l’économie à ses étudiants et à ses dizaines de milliers de lecteurs. Sa disparition ce 20 août, à l’âge de 70 ans, est ainsi celle d’un professeur engagé dans la vie de la cité, et d’un acteur passionné et reconnu du débat d’idées.

Né le 16 juin 1953 à Tunis, Daniel Cohen intègre l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm en 1973. Doublement agrégé de mathématiques et de sciences économiques, professeur invité à Harvard au milieu des années 1980, Daniel Cohen croisa la route de Jeffrey Sachs, spécialiste des mécanismes d’endettement, qui l’enjoignit à éprouver sa virtuosité théorique au contact du réel. Ensemble, les deux économistes conseillèrent de nombreux pays en voie de développement. Daniel Cohen, surtout, forgea au cours de ces années ce qui ferait son identité intellectuelle : une science économique sans cesse mesurée à sa validité empirique, une haute ambition pour changer le monde, combinée avec le goût du pragmatisme. De retour en France comme enseignant, Daniel Cohen transmit par exemple à Esther Duflo, future « Prix Nobel » d’économie en 2019, cette exigence de trouver sur le terrain une part de la réponse aux débats scientifiques.

Car surtout, Daniel Cohen fut un professeur, un pédagogue qui donnait cours mais accompagnait, ensuite, chaque parcours et chaque destin. Et ce furent quelques promotions de ses étudiants, devenus les plus grands noms de la recherche française, qui contractèrent une dette intellectuelle auprès de ce spécialiste de l’endettement souverain. Les cours de Daniel Cohen échappaient aux excès du formalisme mathématique, invitant l’histoire, la littérature, l’art du récit aux courbes et aux fonctions logiques. Daniel Cohen disposait de toute l’envergure, l’humour et l’autorité douce pour faire ressortir les joies et les pouvoirs théoriques de la science économique. Il forma dès lors une génération d’esprits libres, pétris des humanités classiques et soucieux des enjeux contemporains autour des inégalités et de la soutenabilité de la croissance, des économistes reconnus pour l’originalité de leur approche et leur excellence théorique :  Gabriel Zucman, Antoine Bozio, Camille Landais, Augustin Landier, Emmanuel Farhi, Emmanuel Saez, Pascaline Dupas ou Xavier Gabaix. Directeur du centre pour la recherche économique et ses applications, le CEPREMAP, il prit la tête de l’Ecole d’économie de Paris (PSE) en 2021 dont il avait été l’un des fondateurs.

Peu à peu, ce pédagogue élargit son audience à des dizaines de milliers de lecteurs, au rythme de publications rencontrant un succès croissant. « Richesse du monde, pauvreté des nations » paru en 1997 marqua ainsi son apparition médiatique, Daniel Cohen se faisant l’écho critique des insuccès de la mondialisation au tournant du siècle. Proche de la deuxième gauche, signature du « Nouvel Observateur », Daniel Cohen concourut aussi à l’animation de la vie des idées en devenant président du conseil scientifique de la Fondation Jean Jaurès, aux côtés de son directeur général, Gilles Finchelstein. Son dernier essai, « Homo Numericus », paru en 2022, témoignait de sa lucidité face aux défis d’un monde où la révolution numérique risque d’entraîner l’affaissement des grands idéaux humanistes, d’une idée même de l’homme, faite de culture et d’émancipation, auquel ce grand professeur tenait tant.

Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’une figure de la vie universitaire, économique, intellectuelle et médiatique française, celle d’un homme qui partait du réel pour aller vers l’idéal, avec la générosité et la passion d’un grand professeur. Ils adressent à sa famille et à ses proches leurs condoléances émues.

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