Le Président de la République, accompagné de son épouse Madame Brigitte Macron, s'est rendu au Mont Saint-Michel, ce lundi 5 juin, à l’occasion de la célébration du millénaire de l’église abbatiale. 

Au pied du Mont Saint-Michel, le Président Emmanuel Macron a d'abord échangé avec les acteurs locaux qui s'engagent au quotidien dans la conservation de ce monument français, à la fois en préservant son caractère maritime, mais également en protégeant la faune et la flore environnante

Au sein de l’abbaye emblématique, dont la silhouette symbolique est devenue en 1000 ans une icône mondiale, le Chef de l’État a ensuite prononcé un discours sur la permanence et la résilience de la France face à la maîtrise des éléments, à l’embellissement de la nature et la transmission de notre Histoire. Ce déplacement a également honoré le génie humain du passé, les artisans, manufactures d'art, institutions et passionnés d’aujourd’hui qui concourent à la préservation de ce symbole du patrimoine français et de sa baie.

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5 juin 2023 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République.

Mesdames et Messieurs, 
Chers amis,

Ici, depuis plus de 1 000 ans s’observe le spectacle d’un monde qui va, vient et pourtant ne bouge pas, celui de cette nature d'abord, où la mer s'en est allée avec le ciel et où le jeu des marées décline 1 000 nuances dans sa permanence. 

Celui de cette église millénaire et des logis abbatiaux, où encore aujourd'hui une fraternité monastique fait vivre sa foi. Ce cloître gothique ouvert sur la mer, qui dévoile par trois arches l'horizon de l'estuaire, ces doubles colonnes qui semblent soutenir l'étagement d'un ciel ici presque palpable, ce jardin suspendu au-dessus du scriptorium où les moines copiaient les plus grands textes de notre tradition humaniste et spirituelle. 

Comment ici ne pas considérer avec humilité les siècles qui s'enchâssent ? La vie spirituelle mêlée à la pierre et l'eau, la civilisation de l'esprit pour laquelle les éléments sont devenus des ornements, la beauté de la nature révélée, précisée, guidée par l'œil et la main de l'homme. Pour nous qui regardons aujourd'hui ce même cloître, c'est la perpétuelle volonté du peuple français qui nous apparaît car ce lieu est celui de la maîtrise du destin par la volonté. 

Dès Bernard de Chartres, nous savions que nous n'étions que des nains juchés sur les épaules des géants et les architectes successifs du Mont Saint-Michel retinrent cet enseignement. Chaque pilier d'un âge permet de soutenir le suivant. Le plafond d'un siècle constitue le plancher du prochain. Ici, les hommes vivent, meurent, demeurent à travers le Mont Saint-Michel et c'est ainsi que notre nation fut bâtie. 

Toujours, elle fut fondée, refondée et défendue, réinventée sur les ruines ou les exploits par chaque génération, rayonnant au-delà de nos frontières et carrefour des chemins du monde. L'Église abbatiale de l’An mil repose sur quatre cryptes, dont une héritée des temps anciens. L'Église romane fut ensuite munie d'un chœur gothique et ce fut un architecte de la République, Petitgrand, qui y ajouta une flèche de bois et d'ardoise, conquête ultime du monde en son élan vers les airs. 

Même au comble des malheurs de la nation, le Mont Saint-Michel parvint toujours à escalader le ciel, toujours plus haut à chaque époque. Oui, le Mont Saint-Michel s'éleva à mesure que la France grandit. D'abord simple oratoire, fondé en 709 par les chanoines envoyés sur le mont Tombe par l'évêque d'Avranches, au péril de la mer, premier point fixe, immobile dans le balancement des marées, quand notre nation trouvait dans le royaume des Francs son premier socle. Aussitôt lieu de pèlerinage de l'Europe chrétienne et destination inscrite dans l'imaginaire d'un pays en train de naître et de se reconnaître. Puis ici, il y a 1 000 ans, les moines bénédictins lancèrent les travaux de l'abbatiale et acheminèrent les pierres depuis les îles Chausey. Ils inventèrent avec génie le moyen d'agrandir le sommet du roc pour y déposer leur abbatiale. Volonté pour eux de maîtriser pleinement leur domaine au moment où la monarchie tentait d'agrandir le sien. 

Quatre siècles plus tard, au moment où la royauté chancelait, le cœur roman de l’abbatiale s'effondra. En pleine guerre de 100 ans, le Mont fut assiégé par les troupes d'invasion anglaise, mais bientôt, l'élan ressurgit. Quand Charles, dauphin du trône, songeait même à fuir, il était des Français qui n'avaient cessé de croire en la France. Prêts au sacrifice, porté par l'idée du Mont Saint-Michel et retranché en ses murs, immuables, comme lui. Dans l'esprit de notre peuple, le Mont fut l'une des dernières redoutes d'un pays libre. 

En 1425, les défenseurs du Mont parvinrent une première fois à repousser une attaque anglaise. À quelques centaines de kilomètres de là, une jeune fille, prénommée Jeanne, disait entendre des voix qui charriait la pitié du royaume de France. Saint-Michel était apparu à la jeune bergère de Donrémy. Elle suscita et fortifia l'élan de libération du royaume. Et une fois la France reconquise, le cœur du Mont Saint-Michel fut reconstruit. 

Le Mont Saint-Michel connut les marées et les ressacs des révolutions successives. Comme un présage, en 1776, un incendie ravage l'abbaye qui tombait en déshérence qu'une monarchie affaiblie réservait à la détention par lettre de cachet. Un autre incendie, 60 ans plus tard, frappa un monument dont les moines avaient été chassés. Dans les murs de cette maison centrale de détention passèrent successivement les ennemis de la Révolution, prêtres réfractaires et soldats chouans, puis sous la monarchie restaurée, ceux qui entendaient rester fidèles à l'esprit de 1789, Raspail, Blanqui, Barbès et tant d'autres. 

Mais à chaque incendie, le Mont fut restauré. Il effaça la cendre des flammes et celle des divisions de la nation. Une fois encore, il effaça les calamités de son histoire. Et en 1897, enfin, avec sa nouvelle flèche, le Mont Saint-Michel trouva sa silhouette quand la République trouvait son assise. 

Il n'est pas de hasard si l'histoire du Mont Saint-Michel porte la trace de cette construction politique de notre pays. « C'est la France qui a fait la France », écrivait Michelet, « fille de sa liberté », pour signifier qu'il fallut un effort millénaire pour unifier, rassembler, défendre notre peuple et son destin. Ainsi, la France s'est-elle forgée contre les invasions et les éléments, les archaïsmes et les renoncements, surmontant les épreuves nées de la mer, de la terre, du feu et des airs. Oui, nous avons su toujours nous montrer bâtisseurs en maîtrisant le temps, l'espace, les éléments. À l'image du Mont Saint-Michel, les plus grandes créations de l'esprit viennent donner du sens à la beauté des choses. Elles viennent accomplir ce que suggèrent la géographie et la géologie. Elles viennent, comme dans ce cloître, parfaire l'ordre du monde par la main de l'homme. L'esprit français dont l'adversité et instaure la majesté. 

Charles Péguy disait des Français qu'ils sont un « peuple d'architectes et de créateurs ». Un peuple qui bêche, qui ratisse et ameublit la création même et qui, toujours, domestique la nature sans l'anéantir. Un peuple qui exauce l'environnement, canalise les excès, en sauvegarde les trésors, un peuple qui sait ouvrager, je cite Péguy encore, les plus merveilleux, les plus douloureux jardin, il sait construire un beau pont, une belle voûte, bien juste. Oui, architecte et créateur, c’est cela qui réconcilie le patrimoine et la création, l'art et la nature. Et c'est bien à travers cette préservation et cette transmission, mariée encore et toujours à la création contemporaine que nous pouvons ainsi bâtir des mondes nouveaux. 

L'Esprit français est empreint de clarté et comme ici au Mont-Saint-Michel, nous conférant une portée universelle à nos créations qui tracent des lignes claires entre le ciel, la mer et la terre. Et sans que nous maintenions cet équilibre entre le génie humain et la grandeur de la nature, que l'imaginaire français devient l'imaginaire universel, si bien que celui qui vient ici est toujours d'ici. 

Partout se lit l'empreinte de cette volonté française de maîtriser, embellir et transmettre. Et pour transmettre, il faut, comme ici, savoir préserver. Car le Mont Saint-Michel, menacé depuis des décennies d'être complètement ensablé : le vieux rêve des généraux anglais, pouvoir prendre le mont comme une colline au milieu des Landes, aurait été réalisé. Alors, une fois encore, il a fallu domestiquer les éléments en épousant la nature. Voilà 40 ans, des études étaient lancées pour recouvrer le caractère maritime du Mont, projet finalement amorcé en 1995. Et il a fallu, par la volonté commune de la région Bretagne et alors de la Basse Normandie, puis par la constance et la maîtrise des collectivités et de la puissance publique, mener à bien ce chantier finalement achevé en 2015. 

Un nouveau barrage permet désormais de guider la puissance du Couesnon pour qu'il chasse les sédiments de la baie. Une nouvelle digue sur pilotis mène au Mont Saint-Michel, dont l'architecture rend toute son ampleur au paysage. En quelques années, l'ensablement a été interrompu. Ici a été restaurée la possibilité d'une île. Si depuis le haut de cette flèche, plus de 1 000 ans d'histoire se déclinent, une part de notre avenir semble tout autant se dessiner devant nous. Car ce nouveau chantier du rétablissement du caractère maritime visait à restituer l'insularité du monument. Il s'ajoutait dans la chaîne des temps à tous les chantiers. Celui des premiers moines sur un monde pelé par les tempêtes, celui d'il y a 1 000 ans où l'ingéniosité humaine triompha encore de la pente, de la gravité et de la pesanteur. Tous les autres, au fil des destructions et des reconstructions. Cette nouvelle œuvre de restauration de l'environnement permet à nouveau à un lieu connu dès le Moyen  ge pour la profusion des poissons, la richesse de sa flore et de sa faune, d'abriter au sein de cette baie les merveilles de notre nature et de nos paysages. La baie de la Cité des livres est redevenue cette encyclopédie botanique et animale qu'elle était depuis des siècles. Ce chantier s'est accompagné d'un effort collectif pour unir toutes les bonnes volontés. Celle du Centre des monuments nationaux, des collectivités locales, de l'État au sein d'un établissement public qui porte la trace de cette alliance unique et œuvre aujourd'hui avec tant de partenaires ici présents. 

Aussi à l'heure où nous craignons de voir disparaître nos paysages sensibles et aimés charnellement, le Mont est la preuve que rien n'est impossible si nous adaptons notre usage du monde aux éléments qui changent. Ne redoutons pas l'avenir, car notre grande et vieille Nation a toujours su relever les défis du temps et la légende de nos siècles nous y oblige. Le Mont Saint-Michel est là pour signifier que notre pays a toutes les raisons d’espérer une nouvelle fois trouver l’équilibre entre notre art d’être français et les contraintes de notre époque. Nous allons poursuivre notre œuvre de bâtisseurs. Nous l’avons fait au péril de la mer et en pleine maîtrise de la terre, du feu et de l’air. Et nous ferons ainsi face au changement climatique, en affrontant l’épreuve par l’ambition et le travail, la fidélité à ce qui précède et la force de nous jucher plus haut encore. Le Mont Saint-Michel est un lieu de permanence mais aussi de passage. Passage entre Bretagne et Normandie, entre France et Angleterre, entre le ciel, la terre et la mer presque confondus aux heures comme à présent du crépuscule ou du petit matin, passage entre féodalité et Etat moderne, entre temporel et spirituel. 

Dans une époque où nous avons d’autres passages à franchir, vers une civilisation plus durable, un humanisme ​​réinventé, nous devons engager ce chemin en nous retrouvant, comme ici, confiants quant à notre force et humbles devant les éléments. Le Mont Saint-Michel est un lieu du dépassement, une métaphore faite de nature et de génie gothique toujours renouvelée qui dit combien notre France est ce dépassement et combien ce dépassement est notre force. Et là où confondant parfois clarté et simplisme on voudrait nous faire choisir entre une prétendue identité française figée et nostalgique et une modernité qui exigerait l'effacement de pans entiers de notre passé, ce lieu nous dit notre syncrétisme et nous ramène à ce qui seulement rend justice à notre peuple, notre histoire, à ces confluences du passé qui seulement nous permettent d'embrasser l'avenir sans nous diviser. 

Notre identité est ce palimpseste, ce récit encore en cours, ce mariage du génie de l'homme et de la nature réconciliant nos propres paradoxes, où l'humain cherche sa place entre le temporel et le spirituel, le naturel et l'artificiel, la liberté et la règle. Récit de dépassement pour bâtir un universalisme humaniste au service duquel chacun se réalise parce qu'il œuvre pour quelque chose de plus grand que lui. Telle est la leçon du Mont Saint-Michel, alliage de l'enracinement et de l'audace de l'homme, de la nature et du savoir, du génie individuel et de l'humilité fraternelle du collectif, du travail et de la contemplation, des hommes et du sacré. 

Ici, refusons de choisir, retrouvons la complexité et la richesse de ce que nous sommes, cette histoire qui va, qui réunit dans la tension de ses propres contraires et nous donne seul le droit d'espérer avec ambition, joie et confiance. 

Vive la République et vive la France !

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