Georges Kiejman est mort à Paris à l’âge de 90 ans. Le grand pénaliste et spécialiste en droit d’auteur, ancien ministre de François Mitterrand, avait plongé dans la houle de son siècle, avec ses drames et ses tourments, et fait le tour de l’âme humaine en quatre-vingts procès.
« Malgré toutes les joies que j’ai pu connaître, je resterai jusqu’à la fin ce petit juif polonais né en France dans le drame et la misère. Un petit chose, né sans culture qui a grandi avec peu de mots », écrivait-il dans ses mémoires. Car son enfance commença dans une famille immigrée pauvre, entre un père artisan et une mère analphabète, qui avaient trouvé en France un asile face à la misère et aux pogroms.
Il passa ses années de guerre dans le Berry, où il fut garçon de ferme comme tous les petits paysans qu’il côtoyait, et à Toulouse, où il servit la messe avec autant de zèle que ses camarades. Puis ce fut l’effroyable douleur de la déportation de son père, assassiné à Auschwitz en 1943, suivie par des années d’adolescence difficiles à Paris, où il multiplia les petits métiers de serveur ou de cloueur de fourrure.
D’avoir dû ainsi se battre pour survivre, il en garda toujours une pugnacité chevillée au corps, qui fit s’envoler sa carrière d’avocat. Très vite, il s’affirma comme l’un des meilleurs orateurs de sa génération, couronné par la coupe d'éloquence de l'Union des jeunes avocats en 1954, puis par la Conférence des avocats du barreau deux ans plus tard, à 23 ans à peine.
Dès lors son existence fut une succession de dossiers majeurs défendus avec passion, panache et mordant, le procès du militant d’extrême-gauche Pierre Goldman, le révolutionnaire communiste Georges Ibrahim Abdallah, l'affaire Bettencourt, le dossier Marie Trintignant. Passionné de cinéma, il défendit face aux censeurs la liberté créative des grands noms du septième art, Godard, Truffaut, Demy, puis entra dans les méandres des droits d’auteur au profit des éditions Gallimard, d’Eugène Ionesco, d’Henry de Montherlant ou des héritiers d'Albert Camus.
Mais ce juriste avait l’étoffe d’un politique. Ses années de secrétariat particulier auprès de Pierre Mendès France affermirent ses convictions de gauche progressiste, au fur et à mesure que l’ancien président du conseil devenait son ami et son mentor, l’impliquant dans ses campagnes électorales. François Mitterrand l’adouba parmi ses fidèles, et lui offrit une carrière ministérielle en trois actes. Désigné ministre délégué à la Justice, aux côtés d'Henri Nallet, garde des Sceaux, il s’attela à la titanesque réécriture du Code de procédure pénale, puis fut un an ministre délégué à la Communication, et un an ministre délégué à la Coopération internationale et au Développement.
Revenu à la robe, il retrouva le chemin de son cabinet du boulevard Saint-Germain, qui ne désemplissait pas. Lui qui avait été l’avocat des arts et des lettres devint en 2007 celui de la liberté d’expression, endossant avec Richard Malka la défense de Charlie Hebdo lors du procès des caricatures de Mahomet, qui se conclut par la relaxe du journal.
Le Président de la République salue le parcours d’un ténor du barreau qui servit sans relâche la justice et l’État. Il adresse à sa famille, ses proches, ainsi qu’à tous ceux qui entendirent un jour résonner dans les prétoires son verbe inimitable, ses condoléances attristées.