Il avait connu l’horreur, en avait réchappé, ne se lassait plus de la raconter : Robert Hébras, le dernier rescapé du massacre d’Oradour-sur-Glane, s’est éteint à l’âge de 97 ans. 

Né le 29 juin 1925 à Oradour-sur-Glane, Robert Hébras avait grandi dans ce village de 1500 habitants, au cœur de la Haute-Vienne, à quelques encablures de Limoges. Son père, électricien, travaillait pour la compagnie de tramway, et sa mère s’occupait des quatre enfants du couple. Oradour était pour Robert Hébras un monde familier et comme sa petite patrie. Il en connaissait chaque rue et chaque demeure, celles devant lesquelles il passait en se rendant à l’école communale et celles que, adolescent, il regardait depuis le tramway qui le conduisait à Limoges, où il travaillait comme garagiste : la maison de son ami Maurice, celle du charron et du teinturier, celle du coiffeur, qui avait l’habitude de déjeuner d’une soupe sur les marches de son commerce les jours de beau temps.

Autant de visages familiers, autant de lieux connus et aimés qui furent réduits en poussière le 10 juin 1944, lorsque s’écrivit l’une des pires pages de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, le massacre d’Oradour-sur-Glane : 643 personnes fusillées et brûlées par la division SS « Das Reich », un village entier complètement anéanti. 

Robert Hébras avait alors 19 ans. Son patron lui avait donné un jour de congé qu’il passait au village et discutait de football avec ses amis. Il ne savait pas ce qu’était la guerre, et voyait pour la première fois des soldats entrer dans Oradour : ils parlaient allemand, portaient l’uniforme noir de la SS, et ordonnèrent à tous les habitants de se rassembler sur la place du village. Peu inquiet – personne n’avait alors entendu parler des 99 hommes pendus à Tulle la veille par la même division SS –, Robert s’y rendit avec sa mère et deux de ses sœurs. Les hommes furent séparés des femmes et des enfants, et emmenés dans des granges devant lesquelles les SS installèrent des mitrailleuses. Le jeune homme ne prit conscience du danger qui les menaçait tous que lorsqu’il entendit une grande détonation dans le village : le massacre avait commencé. Tous les villageois tombèrent d’un coup, lui compris, car il fut blessé au visage, à la cuisse et à la poitrine. Il ne dut son salut qu’au rempart que formaient les corps amassés sur le sien, qui le cachèrent aux yeux des SS. Lorsque ces derniers mirent le feu à la grange, sentant son bras gauche s’enflammer et ses cheveux roussir, Robert Hébras prit la fuite, et parvint à gagner un hameau voisin. Il était l’un de ses seuls survivants.

Le 10 juin 1944, à Oradour, Robert Hébras perdit sa mère, deux de ses sœurs, ses amis, sa maison, son village. Toute trace visible de la vie immuable et heureuse avait été détruite. Fin juin 1944, il rejoignit le maquis, résistant à l’oppresseur les armes à la main. A la Libération, il reprit son travail de garagiste à Limoges, se maria et fonda une famille. Par son courage et sa soif de bonheur tranquille, il avait inventé son destin.

Longtemps, Robert Hébras garda le silence, se sentant coupable d’avoir survécu au massacre. Il ne le rompit que pour intervenir en qualité de témoin lors du procès de Bordeaux en 1953, au cours duquel étaient jugés les SS présents à Oradour le 10 juin 1944, et en 1983 lors du procès à Berlin-Est de l'un des bourreaux d’Oradour, l’officier allemand Heinz Barth. Puis, à partir de 1985, date à laquelle il fut invité par le chancelier allemand Willy Brandt à la Conférence internationale sur la paix, il prit la parole afin de témoigner devant l’histoire et d’œuvrer à la réconciliation franco-allemande. Inlassablement, il arpentait avec les groupes de collégiens ou lycéens les rues d’Oradour, s’arrêtait devant les ruines des maisons incendiées, en nommait les habitants, redonnait vie au village-martyr, et retraçait heure par heure la journée du 10 juin 1944. Son témoignage était aussi un hommage aux 643 victimes du massacre. Faire vivre leur souvenir était devenu l’une de ses raisons d’être.

Avant que ma voix ne s’éteigne était le titre du récit qu’il avait livré et publié en 2014, voulant inscrire par écrit les paroles qui menaçaient de s’envoler ou d’être déformées par l’écho et le temps. Désormais, la voix rocailleuse de Robert Hébras, comme fêlée par la tragédie, s’est éteinte, mais son témoignage restera la trace imprescriptible de son histoire. Depuis plusieurs années, c’est aux côtés de sa petite-fille Agathe qu’il publiait et témoignait, tel un symbole de son œuvre de mémoire et de transmission.

Le Président et son épouse saluent le destin d’un homme qui fut victime de l’horreur nazie, témoin d’un assassinat de masse, acteur de l’entreprise de libération puis de réconciliation. Ils adressent à sa famille et ses proches leurs plus sincères condoléances. 

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