Il était une figure estimée du théâtre français et un visage familier de notre cinéma populaire. Jacques Sereys, sociétaire honoraire de la Comédie-Française, avait voué sa vie aux auteurs du répertoire, mais c’est son destin même, brillant et inattendu, à travers les milieux, les époques et les tempéraments, qui semblait tiré d’une pièce de Carlo Goldoni. 

Né en 1928, Jacques Sereys fut élevé, à Marseille, par sa mère, brodeuse. Afin d’aider cette dernière, à quatorze ans, celui qu’on appelait alors « Jacky » trouva à s’employer au Crédit Lyonnais. Pourtant, il était moins attiré par les livres de compte et leurs chiffres, que par des auteurs dont les mots, bientôt, l’obsédèrent. Doté d’une faconde et d’un esprit libre, il se sentit appelé par une vocation, celle d’acteur. Il « monta » à la capitale, en prenant le soin d’effacer son accent méridional et d’accentuer sa rigueur dans l’étude. A dix-neuf ans, Jacques Sereys passa le concours du Conservatoire où il fut admis.

Mais, ce fut à la Comédie-Française où il entra en 1955 et où il resta jusqu’en 1965, qu’il devint, élégant, faussement discret, étourdissant d’érudition, l’acteur qu’il sera tout au long de décennies de carrière. Jacques Sereys arriva alors qu’une génération étincelante se partageait déjà la scène de la maison de Molière. Dans ce jeu de l’amitié et du hasard, Sereys croisa Jean Piat ou Robert Hirsch, Jacques Charon. Il y trouva également l’amour, en la personne de la comédienne Philippine de Rothschild, jouant sur scène sous le nom de Philippine Pascale, qu’il épousa et avec qui il eut deux enfants.

À la Comédie Française, où Jacques Sereys revint de 1977 à 1997, et où on le surnommait « Mouchy », il n’hésitait pas à passer de la tragédie au boulevard. Il les offrait au grand public, sur la scène du Palais-Royal et, plus tard, aussi, sous les caméras d’ «Au théâtre ce soir ». Il marqua l’institution par sa longévité, son éclectisme, son enthousiasme. C’est ainsi Jacques Sereys qui permit à Giraudoux d’intégrer le répertoire. Lors de la saison 2007-2008, un grand hommage fut rendu à ce « sociétaire honoraire » au théâtre du Vieux-Colombier. 

Jacques Sereys fit également des incursions au cinéma. Lui, l’enfant d’un Marseille populaire et chaleureux, raffolait d’interpréter les éminences parisiennes : ministre de la Défense chez Jean-Marie Poiré (« « L’opération Corned-Beef », 1990) ou Premier ministre chez Francis Girod (« L’Etat sauvage », 1977). Il fut aussi l’adversaire machiavélique d’Yves Montand dans « I… comme Icare » d’Henri Verneuil en 1979. Au total, de ses rôles chez Louis Malle ou Claude Sautet à ses apparitions chez Rappeneau ou Pascal Thomas quarante ans plus tard, Jacques Sereys tourna plus de vingt-cinq films.

Mais c’est pour le théâtre que Jacques Sereys se consumait. Il adapta les textes de ses auteurs favoris, pour des seul-en-scène : « Du côté de chez Proust », qui lui valut un Molière du meilleur comédien en 2006, « Cocteau-Marais » autour de Jean Cocteau en 2009, ou « Si Guitry m’était conté », créé en 2014. Entre la lucidité du premier, la fantaisie heureuse du deuxième, et l’ironie joyeuse du troisième, Sereys composait un autoportrait sur les planches.

Jacques Sereys servait des textes qui, par leur mélancolie ou leur panache, leur verve ou leur subtilité, disaient tout d’un certain esprit français. De ses premiers rôles à ses mises en scène, il fut l’infatigable acteur et auteur d’un répertoire exigeant mais populaire. Le Président de la République et son épouse saluent un homme qui avait voué sa vie au théâtre, un art dont il avait interprété bien des rôles et expérimenté presque tous les métiers. Ils adressent leurs condoléances émues à ses enfants, Camille et Philippe, ainsi qu’à ses proches. 

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