Il avait fait du monde gréco-romain son terrain de jeu et d’exploration, prenant plaisir à rendre intelligibles des aspects jusque-là inconnus des sociétés antiques. Historien et professeur honoraire au Collège de France, Paul Veyne est décédé hier à l’âge de 92 ans. 

Né à Aix-en-Provence, le jeune Paul fut moins fasciné par les trésors de lumière du ciel de Provence, chers à son homonyme et compatriote Paul Cézanne, que par les richesses millénaires de ses terres : un tesson d’amphore romaine découvert à l’âge de huit ans sur la colline de Cavaillon et des épitaphes gallo-romaines admirées dans les vitrines du musée archéologique de Nîmes furent les pointes émergées d’un passé antique englouti que l’adolescent voulut très tôt sonder. Il se passionna pour l’Odyssée et se pencha sur les énigmes des caractères grecs ; il vibra à la lecture de L’Histoire de Rome d’André Piganiol et apprit les secrets de l’épigraphie latine.

Issu d’un milieu modeste, il fut un élève brillant de l’école républicaine : après le baccalauréat, qu’il fut le premier de sa famille à obtenir, il poursuivit ses études et intégra l’École normale supérieure en 1951. Agrégé de grammaire, il quitta les murs de ce qu’il avait baptisé le « monastère laïc de la rue d’Ulm » pour rejoindre ceux du palais Farnèse, qui hébergeaient l’École française de Rome. 

Dès lors, il put se consacrer pleinement à sa passion, l’histoire de l’Antiquité. À l’heure où l’école des Annales refondait la science historique, Paul Veyne l’enrichit en 1971 par la publication de Comment on écrit l’histoire, un ouvrage qui fit date : aux « lois » de l’histoire, il substitua les « intrigues », ce qui était une « science » devint sous sa plume un « roman vrai ». 

De ce roman, il écrivit plusieurs chapitres essentiels, consacrés à la Rome antique, qui le fascinait par sa vitalité artistique et par l’absence de « susceptibilité identitaire » dont elle faisait preuve. Dans Le Pain et le Cirque, Sexe et Pouvoir à Rome, ou Quand notre monde est devenu chrétien, il mêlait érudition et liberté de ton, saisissant l’histoire romaine par son envers, non par une excursion dans ses péripéties militaires mais par une immersion dans ses aspects les plus intimes, y compris son rapport à la chair, l’autorité, la religion. Élargissant sa réflexion à tout le bassin antique, son essai Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? révolutionna l’approche de la mythologie.

Après avoir enseigné pendant près de quinze ans à l’université d’Aix-en-Provence, il fut remarqué par Raymond Aron, élu en 1975 au Collège de France, et devint le titulaire de la chaire d’histoire de Rome. S’ouvrit alors une période de rencontres intellectuelles et amicales déterminantes, en particulier avec Michel Foucault, auquel il consacra un essai, et René Char dont il aimait inconditionnellement la poésie. 
Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas : le titre de ses mémoires reflète la curiosité universelle de cette personnalité pleine d’élans, de fantaisie et de fougue, capable de tous les sommets, y compris les plus périlleux près de Chamonix, et qui prenait encore la plume à 85 ans pour dire son indignation face à la destruction de Palmyre par Daech. 

Le Président de la République salue la vie et l’œuvre d’un homme pour qui la recherche fut une vocation ludique, l’histoire une affaire de réflexion, la transmission une passion. Il adresse ses condoléances à sa famille, ses proches, ses élèves et disciples, ainsi qu’à tous les lecteurs de ce nocher de l’Antiquité qui leur avait fait remonter le cours des temps, et qui franchit aujourd’hui son Achéron.

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