Le Président Emmanuel Macron a présidé une cérémonie d'adieu aux armes du général d'armée François Lecointre.

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22 juillet 2021 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON À L'OCCASION DE L'ADIEU AUX ARMES DU GÉNÉRAL D’ARMÉE FRANÇOIS LECOINTRE.

Monsieur le président du Sénat, mesdames et messieurs les Ministres, messieurs les Premiers ministres, messieurs les Officiers généraux, monsieur le Préfet de police, officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, quartiers maîtres et marins, aviateurs, personnels civils des armées, parlementaires élus, mesdames, messieurs. 

Nous sommes rassemblés pour saluer le départ d’un soldat d’exception, d’un grand serviteur de la République, le Général d’armée François LECOINTRE. Il est des familles où chaque génération se consacre au service des armes de la France. L’arrière-grand-père de François LECOINTRE, officier d'infanterie, est mort pour la France en 1914. Son grand-père, officier de cavalerie, est mort des suites de ses blessures reçues au cours de la Seconde guerre mondiale. Son père, officier de marine, a commandé le sous-marin nucléaire lanceur d’engins « Le Redoutable ». A cette ascendance prestigieuse s’ajoute la figure tutélaire quasi mystique d’un oncle lieutenant saint-cyrien officier de cavalerie mort pour la France en Algérie en 1959. En convoquant toutes ces figures mon Général, je vous pose la question, mais s’est-elle finalement jamais posée. 

Vous entrez à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr en 1984, après en avoir préparé le concours d’entrée au Prytanée National de La Flèche. Il n’y avait pourtant là nul automatisme, nul atavisme, au contraire. Cette vocation, vous l’embrassez en conscience, fort de l’enthousiasme de la jeunesse, d’une foi ardente, et d’une inextinguible volonté de servir. À Saint-Cyr, vous présidez votre promotion, la promotion général MONCLAR, marquant déjà vos chefs et vos camarades par votre charisme et votre finesse d'esprit. Vous choisissez les troupes de marine, et rejoignez en 1988 le 3ème régiment d'infanterie de marine, le « grand 3 » à Vannes. 

Vous y connaissez l'épreuve du feu. Déployé en République Centrafricaine en 1989, puis dans le Golfe en 1991 dans le cadre de l'opération Tempête du désert, vous êtes pour la première fois confronté à la violence de l'homme, celle de l'adversaire, mais aussi peut-être la vôtre. Après une affectation au 5ème régiment interarmes d'outre-mer à Djibouti, marquée par les opérations Oryx en Somalie, puis Iskoutir à Djibouti, vous retrouvez le 3ème RIMA et participez à deux opérations qui vous marquent au plus profond comme tous ceux qui y participent et au-delà, une grande part des armées françaises. En 1994, déployé au Rwanda dans le cadre de l'opération Turquoise, vous êtes confronté à l'indicible horreur, aux atrocités commises par des gens ordinaires. Deux ans plus tard, en Bosnie-Herzégovine, à la tête des forbans de la première compagnie du troisième RIMA, vous prenez d'assaut le pont de Verbanja. Au prix de deux morts : les marsouins Amaru et Humblot, et de nombreux blessés, les Casques bleus français reprennent la position occupée par les Serbes et libèrent les otages. Cette action de guerre, dernière charge à la baïonnette de l'armée française, est saluée par le président Chirac comme le symbole de la dignité retrouvée, du refus de toutes les humiliations. 

Breveté de l'enseignement militaire supérieur en 2001, vous devenez plume du Chef d'état-major de l'armée de terre et rédigeant pour votre chef une directive visant à définir le style de commandement qui convient à une véritable armée professionnelle, vous reprenez les principes éprouvés au feu des combats au plus près de vos hommes. Discipline librement consentie, autorité grandissante et dépendance mutuelle acceptée. Tout cela fonde la fraternité d'armes qui ne saurait s'épanouir en dehors de l'expression sans faiblesse d'une profonde humanité. Le 8 juillet 2005, vous prenez le commandement du 3ème RIMA. Vous êtes, une fois encore, engagé en opérations l'année suivante en Côte d'Ivoire dans le cadre de l'opération Licorne. Auditeur du Centre des hautes études militaires et de l'Institut des hautes études de la défense nationale à Paris, vous rejoignez en 2009, le cabinet militaire du ministre de la Défense. Là, chargé des questions liées au territoire national, vous vous distinguez par votre intelligence des relations politico-militaires. Témoin privilégié de la mise en œuvre des politiques conduites par le ministre, vous y fraternisez alors avec un marin, Jean CASABIANCA. Ce ne sera pas la dernière fois que vous travaillerez ensemble. En prenant la tête de la neuvième brigade d'infanterie de marine, vous retrouvez avec plaisir une fonction pleinement opérationnelle. De janvier à juillet 2013, vous commandez la mission de formation de l'Union européenne au Mali. La diplomatie et la pédagogie que vous déployez alors contribuent largement à la réussite de cette mission européenne lourde d'enjeux, au Mali, bien sûr, mais aussi à Bruxelles. Vous servez ensuite à l'état-major de l'armée de terre, jouant un rôle de premier plan dans la conception, puis la mise en œuvre du modèle au contact et dans la préparation de l'avenir aussi avec l'actualisation de la programmation militaire. 

En 2016, vous devenez chef du cabinet militaire du Premier ministre, conseiller et collaborateur militaire de 3 premiers ministres successifs. Vous y donnez la mesure de votre hauteur de vue. Penseur, stratège, conseiller. Mon Général, je vous ai choisi en 2017 pour exercer les fonctions de chef d'état-major des armées parce que je voulais donner du sens au commandement des armées de la nation. Je savais que votre compétence, votre autorité, votre loyauté vous permettraient, sous mon autorité, d'assumer la lourde charge de l'emploi des forces armées et du commandement de l'ensemble des opérations militaires. Sur terre, en mer, sous les mers, dans les airs, dans les nouveaux espaces où la conflictualité s'étend à l'étranger comme sur le territoire national, les armées françaises ont déployé jusqu'à 30 000 militaires simultanément. Auprès de la ministre des Armées, vous avez plaidé sans relâche, en lien avec nos alliés, pour le renforcement des capacités de défense au niveau européen et international et développé avec énergie des coopérations opérationnelles et capacitaires. Vous avez redéfini le contrat opérationnel des armées et les capacités des forces françaises en tenant compte des spécificités des engagements actuels et surtout à venir. Vous avez durant 4 années parfaitement répondu à toutes mes attentes en tant que chef des armées. À mes côtés, vous avez œuvré à pleinement restaurer la singularité de nos armées. Péchez si vous voulez, mais ne corrompez pas les principes. Vos maîtres sont là qui vous ont enseigné l'importance de cette maxime. Elle ne vous a jamais quitté. Cette singularité se fonde sur le caractère unique du rôle du soldat qui, au nom de la France, met en œuvre la force de manière délibérée et donne la mort sur ordre dans un cadre éthique très strict et sur l'importance du chef dont le premier devoir est de donner du sens à la mission.

Ma conviction était qu'il fallait redonner aux armées des moyens en adéquation avec l'ambition stratégique de la France, avec l'évolution des conflictualités à travers le monde. C'est la raison pour laquelle nous avons préparé et voulu cette loi de programmation qui répare et modernise nos capacités militaires. Et vous avez, sous la responsabilité de la ministre des Armées, su faire le meilleur usage de ces moyens. Nos armées sont reconnues dans le monde entier pour leur excellence opérationnelle et leur rénovation est lancée, faisant écho à une France puissance d'équilibre dans un monde toujours plus instable. Vous pouvez aujourd'hui, mon Général, partir avec la satisfaction du devoir accompli. 

Par ma voix, la France vous exprime sa profonde reconnaissance. Vous avez toute notre admiration pour ces 37 années passées à servir. Dès demain, vous allez retrouver un luxe qui vous a parfois semblé inaccessible : le temps. Je sais que vous prévoyez d'en faire bon usage. Dès demain, vous pourrez ainsi profiter pleinement de votre famille et en premier lieu des femmes de votre vie. Votre mère, qui a tenu la barre face à l'adversité après la mort de votre père et qui nous fait l'honneur de sa présence aujourd'hui. Votre épouse Isabelle, complice et confidente, qui vous a soutenu tout au long de ce parcours extraordinairement exigeant et qui attend avec une impatience non dissimulée votre liberté retrouvée. Vos 4 filles, enfin : Ariane, Victoire, Daphné et France. Je les salue et rend hommage au rôle essentiel qu'elles ont joué et aux sacrifices qu'elles ont consentis. Je salue également vos proches, la famille, les amis, les frères d'armes depuis le Prytanée pour certains et tous les autres. Mon général, La Hire, le compagnon de Jeanne d’Arc disait : « J'ai fait tout ce qu'un soldat a l'habitude de faire et pour le reste, j'ai fait ce que j'ai pu ». Il ne faut pas prendre à la légère la modestie de cette parole qui révèle un peu de l'essentiel de la condition militaire. Vous avez fait, mon général, tout ce qu'un soldat a l'habitude de faire : obéir, commander, exposer sa vie et aussi celle de ses subordonnés, affronter dans la solitude d'une conscience de chefs militaires, les conséquences intimes du déchaînement d'une violence ordonnée pour le succès des armes de la France, comme le dit la belle formule de passation de commandement. Mais qu'est-ce que cette habitude ? C'est une habitude morale, celle de ne demander aucun sacrifice qu'on ne serait prêts soi-même à consentir, une habitude existentielle, celle d'une vie sous l'uniforme, où l'on est à la fois contraint par sa rigueur et rappelé à l'égalité devant le péril de tous les soldats sans condition de grade et où l'on se souvient jusqu'à la fin de ceux qui sont tombés sous vos ordres. Et je sais qu'en cet instant, ces deux marsouins n'ont jamais quitté votre mémoire et qu'ils sont là aujourd'hui à côté de vous, avec leurs camarades vivants, les anciens de Verbanja, ombres invisibles qui nous rappellent la grandeur imprescriptible du métier des armes. 

Car votre caractère, mon général, n'a jamais changé. Vous êtes resté ce lieutenant, ce capitaine, ce colonel commandant un régiment. Vous êtes resté ce jeune homme qui a décidé un jour de servir sous cette ancre que Mac Orlan appelait l'Ancre de miséricorde. De cette arme, vous avez pris et incarné le meilleur, cette humanité qui passe les barrières des races comme des origines. Le Maréchal Juin a écrit ses souvenirs dans un petit livre qui porte un titre simple et qui vous définit tout entier : « Je suis soldat ». Et c'est en soldat que vous quittez le service sans avoir rien demandé, sollicité, exigé pour vous-même, pour connaître de nouvelles aventures au service de la dignité des autres. Le cavalier de l'orage que vous avez été n'aura jamais perdu son regard d'enfant qui, dans un monde cynique, hostile et froid, remet à chaque fois les choses à leur place. 

Vous n'avez pas seulement servi, vous avez donné l'exemple comme on le donne à ceux qui servent sous vos ordres. Vous l'avez aussi donné à ce que la République avait placé au-dessus de vous. 

Vive la République, vive la France !
 
 

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