Le Président Emmanuel Macron a présidé la seconde édition de la Journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme. 

Revoir la cérémonie depuis les Invalides.

Comme il l'avait affirmé l'an dernier, le devoir de la France est de rappeler que les femmes et les hommes qui ont été visés par des attaques terroristes demeurent au cœur de notre fraternité nationale et de notre souvenir, d’honorer leur mémoire et de faire vivre leurs histoires et leurs engagements.

Cette année, le Président de la République a souhaité laisser la parole à ceux qui ont été victimes ou qui combattent le terrorisme. 

Voici leur histoire :

Le 13 novembre 2015, je suis sorti rampant et seul du Bataclan.

Le 8 septembre 2021, lorsque s’ouvrira le procès des terroristes qui ont commis cet attentat, je ne serai plus seul et je n’aurai plus peur.

En presque 6 ans, l’association Life for Paris que je préside aura permis de rassembler plusieurs centaines de victimes des attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis et leurs proches. Participer à cette aventure associative m’a aidé à restaurer ma foi en l’humanité et a renforcé ma conviction que c’est collectivement que la résilience est la plus forte.

Égoïstement, essayer de se sentir utile en dirigeant une association aura aussi été une manière efficace de lutter contre ma culpabilité de survivant. Au fond, que l’on entre dans une association de victimes pour s’aider soi-même ou pour aider les autres, on finit inévitablement par faire les deux. Le partage, entre adhérents, de nos difficultés à renouer le fil de nos vies nous a permis de tisser des liens presque familiaux. Et face au poison terroriste qui cherche à nous diviser et à fomenter une guerre de tous contre tous, je n’ai pas vu de meilleure réponse que celle qui consiste à se regrouper pour tenter d’avancer. Nous le montrerons aux Assises.

Notre vie d’après, à nous victimes, passe par un difficile équilibre entre devoir de mémoire et besoin d’oubli. Car survivre à un attentat, c’est aussi témoigner perpétuellement de l’horreur inutile et cruelle du terrorisme. Que la République instaure une Journée Nationale d’Hommage aux Victimes du Terrorisme et crée bientôt un musée allège notre fardeau mémoriel. Ces deux projets sont aussi l’une des raisons pour lesquelles Life for Paris pourra se dissoudre un jour, car la société aura intégré et repris à son compte une grande part de notre message de paix.

Pouvoir écrire ces mots est une chance à plus d’un titre. Je peux le faire parce que j’ai survécu, parce que des victimes ont choisi de se rassembler, et parce que la France a décidé de ne pas oublier.

J’essaie de mon côté d’être aussi fidèle que possible à cette maxime que nous avons tirée de notre expérience avec Antoine Garapon : « La survie est la discipline du bonheur ».

Arthur Dénouveaux

Les victimes d’attentats peuvent être frappées plusieurs fois.

Une première fois lorsqu’elles font face à une violence inouïe, qu’elles sont déshumanisées par le terroriste. Une deuxième fois, pour les victimes qui en réchappent, lorsqu’elles doivent continuer à vivre avec des blessures, parfois profondes et indélébiles, dans leur chair comme dans leur esprit. Une troisième fois, pour celles qui sont blessées au visage, car il y a dans la défiguration une peine supplémentaire : celle de l'empêchement social. Lorsqu’on ne se ressemble plus, qu’on ne peut plus parler, qu’on ne peut plus manger, ni même respirer normalement, on perd une partie de sa vie sociale.

En tant que chirurgiens, au service de chirurgie maxillo-faciale de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, nous tâchons du mieux que nous le pouvons de ramener ces patients vers la vie sociale.

Tenter de réparer une bouche, une mâchoire, un regard, permettre à ceux qui ne le pouvaient plus de parler de nouveau, de se nourrir et de respirer le plus normalement possible, rétablir un visage « montrable », accepté par la société : notre travail est d’aider les victimes à se replacer parmi les humains. C’est cela le sens de notre engagement : faire notre maximum pour rendre aux victimes l’humanité que le terroriste a tenté de leur prendre.

Chloé Bertolus

Le soir du 11 décembre 2018, à Strasbourg, un homme est entré de force dans mon taxi. C’était un terroriste : il venait de commettre le pire.

Pris en otage, j’ai réussi à rester vivant, à faire face, et même aidé à faire cesser son terrible périple meurtrier. Des femmes, des hommes, des enfants venaient d’être touchés dans leur chair. Notre pays venait d’être frappé au cœur.

Je resterai à jamais marqué par ce jour d’horreur.

On se pense plus fort que cela, mais la réalité vous rattrape et le traumatisme est bien là, réel. Quelque chose vous ronge de l’intérieur. Heureusement, on vous tend la main. Le travail des professionnels et des associations est essentiel, je dirais même : vital.

Je suis papa. C’est ce qui m’a permis de tenir, de rester debout.

Ce n’est pas facile car lorsqu’on est touché par le terrorisme, c'est toute la famille qui subit. Les problèmes font des dégâts en ricochet. On a besoin d’être aidé et accompagné. Alors je me suis moi-même engagé : j’ai créé mon association pour venir en aide aux victimes comme moi, pour faciliter les échanges et la circulation d’informations. Ça a été une décision importante pour moi, qui m’a aidé, qui m’aide toujours, à me reconstruire, aux côtés d’autres victimes, à l’écoute de celles et ceux qui souffrent aussi, en dialogue avec elles.

Avec ceux qui m’entourent, nous allons aussi sur le terrain que les terroristes voient comme un terrain de chasse, là où ils tentent de détourner notre jeunesse de son avenir. Nous y allons, nous y témoignons avec détermination, pour éviter que les jeunes ne tombent dans le piège de cette idéologie funeste. Nous y rappelons combien être Français est une chance !

Les terroristes veulent la division, la haine et la peur, et comptent l’instaurer par la violence et le sang. Nous leur opposons le vivre-ensemble et toutes les valeurs de notre République. 

Mon engagement est une manière de répondre à ceux qui veulent détruire cette cohésion qui fait de nous une Nation : vous nous avez touchés, mais nous sommes debout et nous serons toujours du côté de la République, unis, tolérants, dans la paix.

Mostafa Sahlane

Le 13 novembre 2015 devait être la fin d’une semaine éprouvante. Nous venions d’être mobilisés sur un kidnapping. Mais le soir, mes camarades de la BRI et moi sommes appelés au Bataclan.

C’est un charnier. Et il y a des blessés. Ils nous regardent et clignent les yeux pour se signaler à nous. On se comprend sans se parler. Les tirs viennent nous rappeler que le danger est tout proche.

Alors que des collègues progressent à l’étage, où les terroristes sont réfugiés, nous tirons les corps de blessés pour les sortir du chaos. On nous appelle ensuite pour prendre le relais de nos camarades à l’étage.

Je me retrouve derrière le bouclier Ramsès qui sert à protéger la colonne. A quelques mètres, dans ce couloir sombre, une porte. Derrière elle, ceux qui viennent de tirer sur des centaines d’innocents.

Alors que tout est sombre, une lueur, un espoir : des otages sont encore en vie. Leur présence accroit notre courage. Il nous faut les sauver.

Nous sommes entraînés à combattre, mais rien ne prépare à cela. Nous connaissons les plans, mais la position des otages et des terroristes est aléatoire. Une chose est sûre : nous sommes déterminés. On doit agir.

L’assaut est donné, je pousse la porte. Un déluge de feu blesse grièvement un collègue, extrait par la colonne d’assaut. Pendant la progression, je tire et blesse le premier terroriste. Un collègue me rejoint, passe devant moi. Le terroriste se fait exploser à cet instant. Nous allons vers l’autre assaillant. Mon collègue le neutralise.

Les otages sont en vie. Ils donnent sens à notre action.

Je pense aux victimes qui ne sont plus là, à celles qui sont blessées, qui seront toujours en reconstruction. Ce sont elles qui m’ont donné la force de tenir. C’est l’élan de solidarité de tous ceux qui sont intervenus, des médecins, pompiers, gardiens d’immeuble, voisins… C’est aussi le soutien de nos proches, pour qui cette épreuve a parfois été plus dure à vivre que pour nous-mêmes. 

Car nous étions là pour faire notre travail, du mieux possible.

Je veux dire à tous ceux qui nous ont envoyé des mots et des dessins à la brigade, de toute la France, un immense merci. Quelques années après, j’y pense encore.

A.
 

Le 14 juillet 2016, ma fille Camille Murris était assassinée sur la Promenade des Anglais à Nice. En l’espace de quelques heures ma vie a été anéantie. Comment allais-je pouvoir survivre sans mon enfant, moi qui avais tant souffert, corps et âme, pour pouvoir être mère ?

Mon errance, mon désarroi, ma souffrance ne m’ont pas aveuglée. L’amour pour ma fille m’a apporté une force et une lucidité extrêmement concrètes : personne ne devrait supporter une telle douleur. 

Ainsi, je me suis sentie porteuse d’une responsabilité. Dès 2016, j’ai décidé de m’investir. Je voulais faire tout mon possible pour éviter de pareils drames. Pour ceux qui sont partis, pour ceux qui restent, et même pour ceux qui sont responsables. Car quelle mère n’aurait pas souhaité qu’on empêche son enfant de sombrer dans le terrorisme ?

Très vite une conviction m’a habitée : lutter pour la mémoire. Oublier revenait à trahir, me trahir et, pire que tout pour moi, trahir l'honneur de mon enfant. La mémoire est douloureuse mais l’oubli est insupportable. J’en ai fait mon combat. Mon objectif n'est pas juste que l’on se souvienne, mais de faire exister dans le présent les traces de ces abominations, et mettre la mémoire des victimes au service d’un modèle de société. Envoyer des messages d’espérance, un hymne à la vie pour EUX, pour NOUS, est devenu mon credo.

Pour les victimes du 14 juillet 2016, j’ai fait rayonner 86 faisceaux dans le ciel et contribué à l'édification d'un lieu de mémoire à Nice. J'ai aussi imaginé une aventure pour porter haut leur mémoire : 86 galets déposés dans la chaîne de l’Himalaya, chacun au nom d'une des victimes. 

Pour toutes les victimes du terrorisme en France, je porte depuis 2016 le projet du Mémorial Musée, à Nice. Pour l’accueillir, reconstruire le Casino de la Jetée Promenade démantelé par les nazis permettrait de conjuguer notre résistance et notre résilience. C’est le sens de Mémorial des Anges, mon association.
Cet engagement est ma manière de participer au bien commun, de transcender ma souffrance et de vivre.

Anne Murris
 

Enfant, mon rêve était de devenir pompier de Paris.

Mes parents, eux, voulaient absolument que je fasse de longues études. Je me suis donc dis : je serai médecin… chez les pompiers de Paris ! 

Une quinzaine d’années plus tard, un soir de garde, je suis appelée au Stade de France pour une intervention. 

C’était le 13 novembre 2015.

Nous sommes les premiers sur les lieux. C’est le choc. Mais nous n’imaginons pas ce qui nous attend. Peu après, notre équipe est appelée à nouveau, cette fois en renfort. Direction le Bataclan.

Toute la nuit, j’ai porté secours à une dizaine de victimes dans des conditions inimaginables. On s’entraîne toute notre vie à faire de la médecine de guerre mais on ne s’attend pas à la pratiquer sur le territoire national. À ce moment-là, on se rend compte que notre formation est essentielle pour sauver des vies, mais on ne peut jamais être préparé à affronter tant de violence.

En 2018, je décide de poursuivre mon engagement autrement. Je suis sélectionnée pour intégrer les unités des forces spéciales. 

Depuis plusieurs mois, aux côtés d’infirmiers, je suis déployée en opération extérieure au Sahel, au sein de la Task force européenne Takuba. Nous combattons les groupes armés terroristes qui n’ont qu’un seul but : la destruction.

La médecine de guerre, on n’en fait pas souvent mais le jour où il y en a besoin, on n’a pas le droit à l’erreur. 

Je suis engagée pour sauver des vies, pour être aux côtés de mes camarades qui prennent tous les risques pour protéger les Français.

Commandant Alix
 

Le soir du 23 décembre 1983, alors que nous dînions avec mon mari dans un restaurant parisien, nous avons été victimes d’un attentat. J’ai été grièvement blessée.

À cette période, il n’existait ni dispositif ni structure pour aider les victimes comme moi. Il n’y avait aucune reconnaissance de notre statut. On ne peut imaginer toutes les difficultés que rencontrent les victimes. Je les ai vécues. Alors en tant que juriste, j’ai décidé de faire tout mon possible pour changer les choses. En 1986, j’ai créé l'association SOS Attentats.

Engagée et déterminée, j’ai participé à la rédaction de plusieurs lois qui ont permis de créer un fonds d’indemnisation en 1986. C’est aujourd’hui le Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d'autres Infractions (FGTI).

Je me suis battue pour accorder aux victimes d’attentat le statut de victime civile de guerre. Le 23 janvier 1990, la loi a reconnu le terrorisme comme une nouvelle forme de guerre, en temps de paix.

J’ai accompagné plusieurs autres lois, dont une pour assurer la présence des victimes dans les procédures judiciaires. C’était indispensable pour lutter contre le terrorisme.

Il y a la reconstruction, le travail difficile de retour à une vie normale, et il y a la mémoire.

Alors qu’il n’en existait aucun dans le monde, j’ai œuvré pour qu’un mémorial soit érigé pour toutes les victimes du terrorisme. En 1998, le Président Chirac l’a inauguré aux Invalides, un lieu porteur de sens. C’est aux Invalides que nous honorons les victimes du terrorisme, que nous soignons les blessés dans la durée, et que nous accompagnons la reconnaissance, avec l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONACVG.

Ce mémorial est une statue : « Parole portée à la mémoire des victimes du terrorisme ». Elle représente une femme anonyme décapitée. Mais, alors qu’elle tient sa tête entre ses mains, ses paroles continuent de sortir de sa bouche. Cette parole que les victimes continuent à transmettre aux vivants, par-delà leur mort. Cette parole est un appel à la paix, à la justice, à l’espoir et à la résilience.

Françoise Rudetzki
 

Le 13 novembre 2015, sous-officier, je participais à l’opération Sentinelle à Paris avec un escadron de mon régiment. Nous étions dans le 11ème arrondissement lorsque nous avons appris que des tirs étaient survenus quelques rues plus loin.

Nous avons été déployés rapidement au bar La Belle Equipe, où nous sommes arrivés au même moment que les pompiers. Nous avons tragiquement constaté les décès d’innocents, avons porté assistance aux personnes blessées et sécurisé la rue.

Nous sommes restés engagés toute la nuit. 

Je n’oublierai jamais les regards que j’ai croisés ce soir-là.

Un mois plus tard, je passais le concours de l’Ecole militaire interarmes et débutais ma carrière d’officier. Je suis fièrement rentré au 1er Régiment de chasseurs comme chef de peloton de chars Leclerc, à la tête d’une trentaine d’hommes. 

Mon rôle est d’assurer l’instruction générale, technique et tactique des soldats et leur entraînement. C’est avec ce groupe d’hommes que je suis venu au Mali. J’y suis engagé depuis novembre 2020.

Nous assurons des missions de contrôle de zones visant à neutraliser les groupes armés terroristes dans leurs zones refuge. Le peloton sert également d’escorte à des convois logistiques vitaux pour le ravitaillement de la force.

Ces mois loin de chez nous renforcent notre cohésion et nous permettent d’affronter les évènements ensemble. C’est ce qui nous a permis de ne pas abandonner lorsque le peloton a été victime d’une attaque à l’engin explosif le 28 décembre dernier, causant le décès de trois de nos camarades, collègues et amis. Tirant notre force du collectif, nous avons tenu bon malgré les circonstances, et rempli notre mission jusqu’au bout. En tant que chef, il m’a fallu montrer l’exemple et guider les plus jeunes. La cohésion du groupe a été cruciale. 

Je pense qu’il y a plusieurs héros. Nos trois camarades qui ont accompli leur mission jusqu’au sacrifice ultime, et ceux qui restent et continuent de se battre comme les soldats de mon équipe qui sont allés au bout de leur engagement, malgré leur jeune âge. 

Lieutenant Joffrey 
 

Illustrations : Titwane

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