Avec le décès d’Henri Weber, c’est à la fois un acteur et un penseur de l’histoire de la gauche qui disparaît, lui qui fut l’un des visages de mai 68 et qui était devenu une grande voix du Parti socialiste.
De la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’approfondissement de l’aventure européenne en passant par mai 68, son destin aura épousé l’histoire du siècle, traversé les kilomètres, les frontières des pays et des idées. Ses parents étaient des juifs polonais qui vivaient à quelques kilomètres d’Auschwitz et avaient fui la menace nazie en URSS. C’est là, sur les rives d’un fleuve sibérien, près du camp de travail où vivent ses parents, qu’Henri Weber voit le jour en 1944, dans la pénombre de l’histoire. Avec la fin de la guerre sonne l’heure du retour familial en Pologne mais la haine antisémite n’a pas été balayée par la chute du nazisme et elle force finalement les Weber à émigrer en France.
Encore enfant, le jeune Henri se politise au sein de l’Hachomer Hatzaïr, un mouvement de « la jeune garde » sioniste et socialiste qui abrite ses premiers combats, notamment contre la guerre d’Algérie. Jeune sorbonnard, il ancre ensuite son action politique dans les rangs de l’UNEF et de l’Union des étudiants communistes (UEC), où il se lie d’amitié avec Alain Krivine. Sa génération est en ébullition. Avec ses camarades, Weber enflamme les débats et échauffe les esprits, soufflant sur les braises de la révolte pour faire exploser les idées et les élans qui couvent dans les universités. Au sein de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) nouvellement créée, il devient l’un des leaders de Mai 68, de ceux qui passent leur journées dans les amphithéâtres à échafauder un monde meilleur et leurs nuits dans les rues à édifier des barricades.
Il n’abandonnera jamais ce tressage permanent de la pensée et de l’action. Le grand acteur de mai 68 en devient aussi l’un des penseurs phares : il lui consacrera plusieurs ouvrages, entretient son feu en créant et dirigeant l’hebdomadaire Rouge puis la revue Critique Communiste, et accepte la proposition que lui fait Michel Foucault d’enseigner la philosophie politique dans la toute nouvelle université de Vincennes, bastion des intellectuels de gauche. Henri Weber n’abandonne pas pour autant le militantisme : en 1969, il participe à faire naître la Ligue Communiste sur les cendres de la JCR, structure le parti par ses lectures, ses réflexions, mais aussi par son sens aigu de l’organisation.
Néanmoins, le rebelle, peu à peu, s’assagit. Il ne baisse pas le poing mais il remise les pavés et c’est désormais sa plume qu’il brandit avec le plus d’ardeur. Ses recherches universitaires, ses réflexions politiques, la distance critique qu’elles lui imposent, l’éloignent des impétuosités révolutionnaires de ses camarades. Contre les grands soirs qui flamboient en mettant les sociétés à feu et à sang, contre les totalitarismes où les idéaux des uns écrasent la liberté des autres, il choisit résolument la voie du réformisme et de la social-démocratie.
Sa pensée rouge se teinte progressivement de rose, s’harmonisant avec celle du Parti socialiste, où il entre au milieu des années 80, et qui restera jusqu’au bout sa maison politique. Il y noue avec Laurent Fabius des liens d’amitié et de confiance qui lui ouvrent un poste de conseiller à ses côtés lorsque Laurent Fabius prend la présidence de l’Assemblée nationale en 1988. Son parcours d’élu débute la même année, d’abord comme adjoint au maire de Saint-Denis, puis en tant que conseiller municipal de Dieppe de 1995 à 2001, et sénateur de la Seine-Maritime de 1995 à 2004. Fervent européen, il remplit ensuite deux mandats au Parlement de Strasbourg, avec la même passion et la même exigence.
Pendant près de trente ans, il aura aussi été l’une des têtes pensantes du PS à la direction du Parti : en pointe sur tous les sujets de la formation et de la culture comme sur les questions européennes et internationales, il savait convoquer avec érudition l’histoire de la gauche pour mieux imaginer son avenir comme lorsque, de congrès en tribunes, il interrogeait ces dernières années les nouvelles formes d’organisation politique et d’engagement militant.
Le Président de la République salue une grande figure politique qui alliait la force de l’engagement et la subtilité de la pensée, un esprit libre, généreux et européen. Il adresse à son épouse Fabienne, ses enfants, ses proches et tous ses compagnons en politique ses sincères condoléances.
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