Dominique Baert, Jean Arthuis, Robert Hue, Vanik Berberian. Ils sont quatre. Quatre à s’être engagés pour un village ou une ville, pour un territoire, pour les Français, pour l’intérêt général. Tous les quatre sont animés d’une immense envie de faire, de servir les autres et d’améliorer leur commune, au point de gagner la confiance de leurs concitoyens qui leur ont donné une des plus belles responsabilités qui soient : celle d’être maire.

Le Président Emmanuel Macron a souhaité les remercier, au nom de la République française qu’ils ont tant et si bien servie.

(Re)voir le discours du Président Emmanuel Macron lors de la remise collective de Légions d'honneur au Palais de l'Elysée : 

18 novembre 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président Emmanuel Macron lors de la remise collective de Légions d'honneur

Monsieur le premier ministre, Monsieur le président de l’Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les ministres, Monsieur le Grand Chancelier de la Légion d’honneur, mon général, Mesdames Messieurs les parlementaires et les préfets, Monsieur l’ambassadeur, Monsieur le gouverneur de la Banque de France, Monsieur le président du Conseil départemental, Mesdames et Messieurs les maires, Mesdames Messieurs, chers amis, nous sommes réunis ce soir tous ensemble dans cette salle des fêtes parce que la République rend hommage à quatre destins, quatre personnalités hors du commun venant de territoires éloignés par la distance comme par les diversités de leurs atouts, de leurs contraintes aussi, qui ne partagent pas toujours les mêmes formations professionnelles, pas toujours les mêmes philosophies ou convictions politiques et donc dont la probabilité on aurait pu penser de se retrouver dans la même salle à l’Elysée un soir aurait pu être faible. Pourtant, ils sont tous quatre ce soir réunis au cœur de notre République qui les honore ensemble.

Car au-delà des différences, ce qui relie chacun d’entre eux est cela même qui fait avancer la France sur le chemin du progrès : leur engagement pour un village ou une ville, pour un territoire, pour les Français, pour l’intérêt général. Tous les quatre sont animés d’une immense envie de faire, de servir les autres, d’améliorer leur vie et ce qui a conduit à ce qu’ils gagnent chacun avec son destin particulier et sa trajectoire qui lui est propre, et je vais y revenir, la confiance de nos concitoyens. Et je dois dire que j’ai appris à connaître chacun des récipiendaires de ce soir dans une histoire chaque fois différente et j’ai toujours été un témoin admiratif de leur action au quotidien, de leur engagement tant pour leur territoire qu’au niveau national. Et ce soir à travers eux quatre c’est aussi plus largement toutes celles et ceux qui s’engagent pour notre République — nos élus comme les responsables qui prennent parfois des risques — que je souhaite ici honorer.

Cher Dominique BAERT, cher Dominique, partout où vous passez vous faites souffler une bourrasque d’énergie aussi puissante que le vent du Nord qui a forgé votre jeunesse. Vous avez été successivement ou simultanément un économiste patenté, un professeur passionnant, un conseiller passionné, un député et un maire que rien n’arrêtait.

Votre histoire d’amour avec Wattrelos, ancienne ville ouvrière enlacée par Tourcoing, Roubaix et la Belgique a commencé dès votre naissance. Vous y avez vu le jour en 1959 dans une famille modeste d'un père facteur et d'une mère couturière dans une usine.

On vous connaissait, je dois bien le dire, à 10 rues à la ronde comme l'enfant qui aimait tellement l'école qu'il pleurait les jeudis de ne pouvoir y aller. Sociable et curieux de tout, vous n'étiez pas pour autant de ces premiers de la classe solitaires qui préfèrent les livres aux gens. Vers 15 ans, vous avez été saisi par deux passions qui ne vous ont jamais quitté même si l'une et l'autre vous ont peut-être parfois un peu coûté : la politique et la moto. Quand vous n'étiez pas occupé au club d'échecs ou à rédiger le journal du lycée, vous signez la ville avec vos amis motards vos cheveux longs au vent, arborant fièrement vos pantalons pattes d'éléphant et vos blousons de cuir savamment copiés sur ceux de Johnny HALLYDAY, votre idole. Je laisse chacun se figurer la scène.

Un soir, le troquet du quartier fut en émoi. Monsieur BAERT père qui venait toujours à la fin de sa tournée de facteur y annonçait triomphalement à qui voulait l'entendre que son fils venait d'être admis à Sciences Po Paris juste après sa maîtrise d'économie à Lille. Il en avait les larmes aux yeux. Ses interlocuteurs n'étaient pas loin d'être gagnés par la même fierté de savoir un enfant du pays si brillant.

Mais Paris n'a jamais su voler votre cœur. Il était tout donné à Wattrelos, la belle ouvrière au teint de brique rouge frangée de cheminées d'usine. Et le fils prodige est aussi devenu le fils prodigue revenant vite sur ses terres parmi les siens dès les études finies pour travailler à la Banque de France, déjà Messieurs les gouverneurs, à Arras puis à Roubaix tout en devenant conseiller municipal de Wattrelos dès 1983. Les années passent.

Au début des années 90, la Banque de France s'est vue privée de vos services durant 3 ans par la chose publique : le cabinet du Premier ministre Edith CRESSON puis du ministre de la fonction publique et des réformes administratives Michel DELEBARRE, un autre homme de la région ayant eu le flair de s'accaparer votre expertise en macroéconomie. Vous avez également conseillé Pierre MAUROY lorsqu'il était premier secrétaire du Parti socialiste, une des figures politiques qui, je crois pouvoir le dire, vous a le plus marqué et que vous avez le plus admirée avec celle de François MITTERRAND. Loin de vous échauder, ces expériences ont confirmé votre appétence pour la politique et pour cette belle idée qu'est le socialisme.

En 1997, vous abandonnez à nouveau la Banque de France et troquez votre fauteuil de banquier pour les banquettes de velours rouge de l'Assemblée nationale. Vous devenez député PS du Nord. Durant vos trois mandats parlementaires, vos compétences économiques ont été pleinement utilisées au sein de la commission des finances ou encore lors de missions d'étude comme celle pour la simplification administrative pour les PME que vous avez confiée alors le premier ministre. Votre présence et votre implication vous ont valu le titre de meilleur député au nord de Paris dans le classement d'un grand magazine économique. J'ai pu moi-même constater dans une vie antérieure l'engagement, le savoir-faire, la compétence du député que vous étiez sur chacun des sujets fiscaux ou économiques mais plus largement sur tout ce qui fait le quotidien de l'Assemblée nationale.

Et pourtant dès 2000 vous portiez sur les épaules une magnifique et lourde responsabilité supplémentaire, celle enfin de la mairie de Wattrelos. Vous avez fait vôtre le combat d'un territoire, de son développement économique. Lorsque vous êtes arrivé à la mairie, les dernières industries de brasserie, de peignage, de filage, de tissage textile mettaient la clé sous la porte. Les friches et les panneaux « bail à céder » colonisaient le paysage. Face à la désindustrialisation de la région, à la fuite de la population vous n'avez pas baissé les bras. Vous avez refusé justement la fatalité des événements et vous avez comme quelques autres élus de cette région mis toute votre énergie pour justement conjurer cette fatalité. Vous avez lutté de toutes vos forces pour le logement et pour l'emploi déployant 70 hectares de parc d'activités, attirant les entreprises nouvelles (Jules, Transpole, Promod), obtenant le maintien de la plateforme logistique de La Redoute.

Je l'ai constaté moi-même sur le terrain : durant toutes ces années vous n'avez jamais cessé. A côté de ce volontarisme économique et industriel, vous avez aussi toujours eu l'exigence de solidarité chevillée au corps. Vous avez modernisé l'hôpital et la maison de retraite qui se sont également vus adjoindre un institut médicoéducatif. Vous vous êtes engagé pour toutes les générations, des crèches aux écoles jusqu'aux foyers logement pour nos aînés. La doyenne de la ville du haut de ses 105 ans attend avec impatience le café que vous ne manquerez pas de venir prendre avec elle le jour de son anniversaire comme chaque année. C'est cela Dominique BAERT, cet engagement et cette bienveillance au quotidien qui fait que vous voir déambuler dans votre ville c'est avoir la conviction que vous êtes partout chez vous. Et c'est ce qui explique aussi ce choix fait en 2017 de la ville, qu’elles qu’en soient les difficultés, précisément peutêtre à cause des difficultés et les plus politiques au cœur même de cette région qui vous a fait choisir la ville plutôt que l'Assemblée.

Vous avez lancé des chantiers d'insertion qui ont permis à plusieurs centaines de personnes de retrouver une place dans la société dans les espaces verts, les travaux d'entretien. Homme de lien, de contact, vous avez développé les associations locales qui permettent de danser la country aussi bien que de parler Chti et vous ne manqueriez une assemblée générale pour rien au monde. Et pour fédérer les énergies de la région vous avez pris la vice-présidence de Lille Métropole. Et à côté de cet engagement, il y a aussi l'Européen, l'Européen convaincu que vous êtes. La frontière belge n'est pas pour vous une barrière mais un pont, une force, un canal d'échanges et d'enrichissement. Aussi avez-vous renforcé, raccordé à la Belgique le réseau routier, peut-être aussi par souci d'échanges avec le pays d'Hergé et de Franklin, vous le passionné de bandes dessinées dont les murs de la maison sont recouverts de planches.

Vous qui avez enseigné l'économie dans les instituts de sciences politiques et d'administration publique durant une dizaine d'années, vous qui vouez un culte à l'histoire et vous passionnez pour Napoléon avez un sens profond de la transmission et les enjeux d'éducation sont sans doute parmi les plus importants dans votre engagement de maire. Parmi les 32 établissements scolaires de la commune il n'en est pas un qui n'ait été rénové ou reconstruit par vos soins. Votre première réserve parlementaire — oui Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, à l'époque cela existait — a servi à équiper les écoles d'ordinateurs auxquels s'ajoutent progressivement des tablettes. Les écoliers voient intervenir dans leurs cours des artistes, des animateurs sportifs, des professeurs du conservatoire de musique. Il fait bon être un enfant à Wattrelos. On peut même s'engager en politique grâce au conseil municipal des enfants que vous avez créé en 2005.

Vous veillez également aux enjeux de sécurité par la défense du budget du commissariat de police, le développement de la vidéoprotection de la ville faisant honneur à votre grade de colonel de réserve de la gendarmerie. En vous Wattrelos a trouvé un colonel en effet et s'est engouffré dans le sillage d'espoir que vous tracez, galvanisé par votre devise « Y croire toujours et renoncer jamais » Tous les grands soldats ont néanmoins une blessure. La vôtre vous a foudroyé un jour de juin 2015 lorsque vous avez été renversé à moto par un chauffard, accident qui vous a coûté une jambe et presque la vie. Plusieurs se souviennent dans cette salle des heures d'angoisse, des jours à attendre des nouvelles et du combat que vous avez durant toutes ces semaines et ces mois livré avec un courage infini. Avec une incroyable force de résilience, vous avez réussi à puiser dans cette épreuve douloureuse une espérance. En effet, par un magnifique retour du destin, la femme qui vous a sauvé la vie ce soir-là en comprimant l'hémorragie lorsque vous gisiez sur le trottoir était une femme au RSA que vous aviez aidée quelque temps plus tôt. Les médecins pensaient que vous mettriez un an à remarcher mais vous vous êtes battu comme toujours, avec le même acharnement que vous mettez dans toutes choses. Quelques jours après, vous dirigez déjà la mairie par coups de fil interposés depuis votre lit d'hôpital. Trois mois plus tard vous étiez debout, tôt revenu à la mairie comme à l'Assemblée. Et je me souviens d'une rentrée parlementaire dès les premiers jours de septembre où vous étiez bien là reparti à l'assaut.

L'émotion a été grande parmi les habitants de Wattrelos car vous appartenez un peu à chacun d'entre eux, je dois bien le dire, et cela a sans doute encore renforcé les liens dès ce moment. Et oui votre compétence, votre empathie, votre cordialité vous ont gagné tous les cœurs. Aussi lorsque l'année suivante j'ai eu la chance de vous accompagner lors de la fameuse fête des Berlouffes que je recommande à chacun n'en ayant pas fait l'expérience, un jour un dimanche de la fin du mois d'août, j'ai pu, pendant plusieurs heures, à vos côtés, passer de rue en rue, de jardin en jardin avant de célébrer, autour des moules frites puis du filet américain frites, la convivialité d'une terre qui nous est si chère, et pour réaliser combien ce que vous avez créé avec chacun des habitants, quels que soient d'ailleurs les désaccords, est un lien familial, parfois quasi filial.

Vous êtes un parfait représentant de cette chaleur légendaire des gens du Nord. Je m'en suis personnellement rendu compte, et je peux en effet en témoigner. Et au-delà de cet attachement, il y a, chez vos concitoyens aussi, de l'admiration, de l'admiration pour tout ce que vous avez fait, pour ce que vous avez porté, pour la manière dont vous les représentez, ne transigeant jamais sur vos convictions et les valeurs qui sont les vôtres, ne cédant à aucune facilité dans une terre où il eût été si facile de se laisser flatter par les extrêmes, quelques populismes. Non. C'est avec la même exigence, la même volonté de faire et d'aller de l'avant, que vous avez toujours administré la ville. Vous poussez d'ailleurs le souci du budget municipal jusqu'à mettre un point d'honneur à vous faire élire systématiquement au premier tour, évitant les frais d'un deuxième scrutin. Votre record personnel, à 69 % des voix en 2008, témoigne d'ailleurs de votre capacité à dépasser les clivages politiques. On entend, quand on se promène avec Monsieur le Maire, cette phrase de manière récurrente : « Je ne suis pas de gauche mais je suis pour BAERT ».

Vos 20 ans d'engagement ont porté des fruits manifestes et l'imperceptible reprise démographique de l'année dernière, alors que, depuis 1975, la ville avait perdu 20 00 habitants au gré de la fermeture de ses usines, semble être une hirondelle du printemps de Wattrelos. Le nouveau logo que vous lui avez donné montre une silhouette aux bras levés et au cœur rouge vif avec ce slogan : « une ville au cœur qui bat ». Cette silhouette, dans la force de son élan, de son dynamisme, vous ressemble. Le cœur battant de Wattrelos, c'est vous.

Cher Dominique, vous êtes tout à la fois un généreux et un fidèle. Vous avez tout sacrifié à vos engagements, pris tous les risques et jamais compté votre temps. Pour ces 20 ans d'abnégation totale de vous-même pour votre ville, pour la République, pour vos combats, pour cette capacité à incarner un territoire, à faire corps avec lui, à rassembler au-delà des partis ou des factions, pour tout cela, au nom de la République française, j'ai l'honneur et le bonheur de vous faire officier de la Légion d'honneur. Cher Jean ARTHUIS, vous avez été un serviteur du bien public, un grand intendant de la France, un père de l'euro et un héros de l'Europe. Vous êtes un engagé de notre République comme du combat européen. Vos mains ont pris le pouls économique d'une nation entière et tenue les cordons des bourses communales comme européennes avec toujours une droiture et une fermeté intangible. Vous avez, réunies en vous, des qualités qui se retrouvent rarement en un seul homme et qui vous rendent aussi à l'aise sur les sentiers de Mayenne que dans les couloirs de Bercy à gravir les marches des hémicycles qu'à arpenter les sentiers ruraux.

La ferme angevine où vous êtes né s’appelait la Fleur de Lys, un comble pour quelqu'un qui a consacré sa vie aux institutions républicaines. Mais c'est dans cette école familiale que vous avez reçu vos premières leçons de microéconomie, si je puis dire, à côté de vos grands-parents paysans et de vos parents volailler à Château-Gontier. En livrant les dindes et les chapons sur votre Solex, vous vous êtes probablement endurci aux futurs coups de bec de la vie politique et vous y avez pris le pli du travail bien fait. Vos parents voyaient mal, au début, l'utilité des longues études, mais chaque année, vos brillants résultats scolaires et l'insistance de vos professeurs arrivaient à les convaincre de vous laisser continuer un an de plus.

Tout cela vous conduisit jusqu'au baccalauréat de philosophie ainsi emporté, et c'est cette année de votre bac de philo que vous vous êtes passionné pour la pensée de TEILHARD DE CHARDIN, ce scientifique et prêtre du début du XXème siècle qui voit la politique comme le garde-fou de la terre contre la folie destructrice de l'homme. Cette philosophie, d'ailleurs, et plus largement l'inspiration de ce philosophe, à qui nombre de philosophie politique du XXème siècle doivent beaucoup au demeurant, vous a toujours accompagné. Vous poursuivez ainsi les études, continuant ce travail de conviction familiale qui vous conduise jusqu'à Sup' de Co Nantes, dont vous sortez major, tout comme Sciences Po Paris. La conviction continue. De Nantes à Paris, vous excellez d'abord dans les études de commerce puis sur des sujets plus larges appris à Sciences Po, et vous entrez dans un cabinet d'audit. Vous faites vos premières armes. Mais la conscience d'une responsabilité politique semée en vous par TEILHARD germait déjà, peut-être aussi abreuvée par l'esprit de mai 1968, en tout cas de ces évènements.

Aussi, dès 1971, vous vous présentez aux élections municipales de la ville qui vous a vu grandir, Château-Gontier. Et alors que tout le monde vous prédisait l'échec, avec un brin de commisération dans la voix, vous êtes élu à 73 % des voix. Du haut de vos 26 ans, vous étiez ainsi, à l'époque, le plus jeune maire de France, porté par une triple aura, celle de votre nom familier aux oreilles locales, de votre jeunesse et de votre compétence. 1971, d'ailleurs, fut, si je puis dire ainsi, l'année des trois glorieuses. Vous remportez la mairie, vous épousez Brigitte, vous aussi, votre épouse, et pour garder votre indépendance financière, vous créez votre propre cabinet d'expertise comptable à Paris, que vous êtes parvenu à diriger en parallèle au prix d'allers-retours fréquents, d'un travail de spartiate auquel contribuait largement votre épouse.

Vous avez occupé ce poste de maire pendant 30 ans, 30 ans qui vous ont offert vos plus beaux souvenirs politiques. À l'échelle municipale, dites-vous, pas de place pour la mise en scène et les faux semblants. La relation est directe. On accorde sa confiance, on passe tout de suite du discours aux actes. Pour qui vous connaît, cela n'a pas de prix. C'est sans doute cette passion du travail de maire qui vous a enseigné cette salutaire impatience que je vous ai toujours vu avoir devant la procrastination, la lenteur des rapports ou des décisions publiques qui, à d'autres échelles, tardent à agir, font tarder à agir. Vous avez aussi acquis un sens très vif de l'authenticité politique, le dégoût de tous les faux semblants.

La trentaine d'usines relais que vous avez créé a offert aux Castel-Gontériens un quasi plein emploi. Votre marché aux veaux fut longtemps le plus grand d'Europe. Vous vous êtes préoccupé de santé, de sport, de culture, développant un nouveau pôle hospitalier, construisant une piscine couverte, un refuge pour les animaux maltraités, un théâtre à l'italienne de 500 places dans l'ancien couvent des Ursulines, devenu une scène nationale au large rayonnement. De l'économie au social en passant par la culture et au sport, ces 30 années de mandat furent 30 années de projets, de réalisation, d'actions.

Pour vous, la politique est au service du citoyen. Si vous vous reconnaissez dans des convictions centristes mâtinées de démocratie chrétienne, nulle logique partisane, je dois dire, nul plan de carrière ne vous a guidé. C'est d'ailleurs toujours pour mieux servir que vous avez accepté de compléter ce mandat de maire d'autres engagements, qui vous ont ensuite conduit progressivement vers de nouveaux combats. C'est pour mieux servir les Mayennais que vous êtes devenu conseiller général en 1976, puis vice-président du conseil général en 1982, et que vous avez poussé les portes du Sénat l'année suivante. Vous y avez été un des plus actifs contributeurs de la vie parlementaire, rapporteur général du budget de 1995 à 1998, directeur de commission d'enquêtes économique, président de la commission des finances de 2002 à 2011.

Je ne pourrais ici lister l'ensemble de vos œuvres parlementaires, mais tous ceux qui ont pu passer des auditions, ou qui vous affrontaient, qui avoir à vous répondre, ont toujours eu à apprécier la précision du travail et l'exigence mise en œuvre, la même exigence que celle que vous aviez eu à Château-Gontier. Travailleur impénitent, vous menez tout de front, vous le petit-fils de paysan, vous ne devez vos réussites qu'à la force de votre labeur acharné, de vos talents, des jours, des soirées, des nuits même passées à parapher et étudier des dossiers, un labeur que vous adoucissez souvent par un fond sonore de musique classique ou par quelques chansons de vos amis, Alain SOUCHON ou Laurent VOULZY.

Votre efficacité prodigieuse et votre capacité à jongler entre toutes vos charges d'élu feraient presque hésiter les adversaires les plus convaincus du cumul des mandats. Le sablier du XVIIIème siècle qui trône sur votre bureau, un cadeau des Augustines de Château-Gontier, vous rappelle d'ailleurs sans cesse la valeur du temps. C'est peut-être à l'emploi de ces instruments de mesure un peu archaïques que vous devez d'ailleurs votre réputation de retardataire récidiviste. D'aucuns pourtant ont le prosaïsme de prétendre que c'est plutôt parce que vous partez à l'heure où vous devriez arriver à vos rendez-vous. Je veux ici vous rassurer, cette maladie, vous n'êtes pas le seul à l'avoir contractée, et elle n'est pas rédhibitoire.

Ce n'est donc peut-être pas votre ponctualité, mais c'est bien votre talent qui vous a valu d'être appelé au gouvernement à 42 ans. En 1986, vous avez été nommé par Jacques CHIRAC, alors Premier ministre de François MITTERRAND, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires sociales et de la Santé, puis secrétaire d'Etat à la consommation et à la concurrence. Lorsque Jacques CHIRAC fut élu président, vous êtes ensuite devenu ministre de l'Economie et des Finances dans le gouvernement que dirigeait Alain JUPPÉ.

Commença alors une des missions les plus difficiles et exaltantes de votre vie, et je dois le dire, beaucoup l'ont oublié aujourd'hui, mais l'un des défis aussi les plus exaltants que ce gouvernement avait à gérer : la préparation du passage à l'euro. Et sans le travail acharné de ces années, nous n'aurions pas aujourd'hui le luxe de discuter certaines des politiques et parfois de nous diviser autour de la table entre Européens. Vous avez réussi, à l'époque, la prouesse de baisser le déficit de 6 à 3 % du produit intérieur brut et avec vos 15 homologues européens, vous êtes parvenu à la conclusion d'un pacte de stabilité et de croissance pour harmoniser les comptes publics de chaque Etat.

Ce projet titanesque, que vous menez aux côtés du Premier ministre avec brio, était à la mesure de votre stature de bâtisseur, de réformateur. Avec un œil d'une acuité implacable sous ce sourcil gauche toujours imperceptiblement froncé, vous discernez immédiatement les faiblesses, les failles, les fautes, et n'avez de cesse de les dénoncer et de les pallier. Vous avez lutté contre la désertification de la France, les délocalisations, les surrémunérations d'élus, vous battant pour sauver l'emploi industriel français en particulier dans les PME pour instaurer une TVA sociale, un de vos chevaux de bataille, avec le franc parler qui vous caractérise et la ténacité que chacun ici vous connaît. Vous n’avez pas hésité non plus à exprimer le bilan que vous considériez comme mitigé de vos années de parlementaires, que vous jugiez comme trop timoré mais à redoubler d’effort lorsque précisément vous êtes aux manettes. Je dois dire que durant ces années au gouvernement, le travail fait fut décisif pour notre pays et que les acquis de ces deux années en termes de sérieux budgétaire, de réformes souvent difficiles à conduire dont certains d’ailleurs ne veulent retenir que les combats qu’ils ont suscité en oubliant les résultats qu’ils ont permis d’obtenir ont été décisifs pour la crédibilité de la France et la construction de la zone euro.

En politique, dites-vous, la lucidité ne sert à rien sans le courage des actes. Or le courage cela n’est pas ce qui vous manque. Plutôt que de clore paisiblement votre mandat de sénateur sous les dorures du Palais du Luxembourg vous faites campagne en effet dans les années qui suivront, en 2014, pour devenir député européen afin d’agir plus efficacement sur les finances nationales et de conquérir de nouveaux horizons. L’idée européenne est d’autant plus profondément ancrée en vous que vous avez été, comme je le disais, un de ses architectes dans les coulisses de Bercy. Sous la bannière des Européens qui réunit l’UDI de Jean-Louis BORLOO et le Modem de François BAYROU vous gagniez à votre cause une circonscription Grand-Ouest et devenez en 2014 un député européen et président de la commission européenne des budgets.

Vous défendez là une certaine idée de l’Europe, une Europe dont vous voulez renforcer la gouvernance politique, l’infléchissant vers plus de fédéralisme avec un budget et de moyens forts, une diplomatie commune, une politique de défense, une armée car le partage d’une même monnaie implique à vos yeux une meilleure intégration politique. Vous défendez des idées qu’on n’osait plus défendre et qui ne sont pas toujours les plus populaires. Mais vous les défendez pas simplement dans les hémicycles bruxellois, non, mais dans les cours de ferme aussi et j’ai pu le voir.

Au milieu des crises multiples que vous avez traversées durant votre mandat vous parvenez à mener à bien vos réformes, à faire voter des lois de protection des droits d’auteur, des données privées, des lanceurs d’alerte, des ressources halieutiques, combattez le chômage des jeunes en promouvant la mobilité Erasmus des apprentis. Et je vous ai vu en effet constamment mener avec courage et opiniâtreté ces grands combats européens qui vous sont si chers : celui pour l’apprentissage et celui pour la clarté d’une zone euro plus intégrée. Vous continuez à porter d’ailleurs ce combat d’un Erasmus des apprentis au-delà même de votre mandat en travaillant à la création d’une fondation dédiée et en continuant l’engagement aux côtés de notre gouvernement.

Vous avez démontré que les échelles politiques et les strates géographiques ne s’excluent nullement, qu’on peut être profondément Castel-Gontérien résolument français et ardemment européen. De bout en bout de ce cursus honorum que je viens de rappeler vous êtes resté fidèle à vous-même : un homme d’ancrage, fidèle à vos engagements, à vos amitiés, à votre territoire. Quand vous étiez député européen vous avez toujours réussi à consacrer vos vendredis et samedis à votre circonscription, délaissant pour quelques heures Strasbourg et Bruxelles.

Quitter la mairie de Château-Gontier après 30 ans de mandat fut pour vous un véritable déchirement. Il fallait choisir, et vous êtes encore je dois d’ailleurs le dire président du conseil de l’hôpital depuis 47 ans. Vous élevez trois poulinières dans la ferme de vos parents car l'équitation est chez vous une passion aussi vivace que la politique. Vous n'êtes pas le seul au demeurant ici même. Le rapport que vous avez remis au Premier ministre l'an dernier pour redynamiser la filière équine française unissait d'ailleurs ces deux amours. Vous qui aviez hésité à devenir jockey et concourriez à des courses de trotteurs entre deux commissions des finances montez encore régulièrement. L'équitation comme l'économie est au demeurant une question d'équilibre et je ne doute pas que celui qui a harmonisé tant d'assiettes économiques ait aussi une très harmonieuse assiette à cheval.

Cher Jean, votre équilibre personnel lui doit beaucoup au regard de vos proches rarement éblouis par la pompe républicaine. Quand vous étiez ministre des finances vous êtes rentré chez vos parents en Mayenne juste après avoir annoncé la baisse d'un point de rémunération du Livret A. Je crois que votre mère alors avait su vous accueillir. Vous n'avez jamais gardé (sic) ce contact avec le terrain et je dois dire que c'est ce qui est admirable dans vos convictions qu'elles soient nationales ou européennes. Vous défendez des idées qui sont parfois partagées dans des cercles restreints mais vous les défendez avec force et conviction au plus près du terrain. Et parce que sans doute vous comptez depuis 48 ans sur le juste recul et le soutien de votre épouse, sur vos enfants, Emilie et Guillaume, tous deux entrepreneurs, sur vos quatre petits-enfants, ce bon sens de vos grands-parents et de vos parents qui vous a fait (sic) forgé comme ce socle familial que vous protégez plus que tout est je crois aussi ce qui vous a permis de mener tous ces combats avec un engagement qui ne comptait pas mais une stabilité qui savait où étaient les racines et à qui on devait les vraies choses. Cet épanouissement est sans doute le socle de votre force tranquille, de ce calme olympien que 20 heures d'affilée de débats budgétaires au Sénat ne peuvent pas même troubler.

Cher Jean, toute votre vie vous avez fait vôtre au fond cette pensée de TEILHARD qui affirme que « notre devoir en tant qu'être humain est de procéder comme si les limites de nos capacités n'existaient pas ». Comme si, sans jamais oublier l'humilité qu'un tel volontarisme doit accompagner. A force d'agir selon cette maxime, vous avez repoussé souvent vos limites très loin. Et je dois dire que je dois beaucoup à la force de cet engagement, à ses convictions, à cette volonté et cette capacité de prendre des risques. Rien ne vous obligeait alors que le jeune ministre démissionnaire que j'étais s’engageait dans une campagne incertaine vous-même à prendre des engagements à mes côtés, à vous exposer dans les terres qui étaient les vôtres où vous étiez respecté et connu de tous pour expliquer où nous pouvions aller ensemble et ce que nous pouvions faire. Alors je dois le dire pour ces capacités hors normes que vous avez déployées durant ces décennies et mises à chaque fois au profit de l'intérêt général, pour tous ces risques pris, pour ces combats emportés, pour cet amour de votre ville ainsi transformée et ses réussites comme pour l'amour du combat européen qui n'est pas encore terminé, inlassable chez vous, pour un demi-siècle de service de la France à toutes les échelles de son organisation politique, du territoire au continent, pour ce dévouement corps et âme à l'idée démocratique, à l'idée républicaine, à l'idée européenne j'ai l'honneur, cher Jean ARTHUIS, de vous faire Chevalier de la Légion d'honneur.

Monsieur Robert HUE, cher Robert, votre vie au fond s'est épanouie au soleil d'un idéal. Cet idéal ne s'est jamais accompli mais il aura accompli l'homme que vous êtes. Car c'est dans la lumière éclatante d'un idéal d'égalité, dans la chaleur douce d'un rêve de fraternité que s'est forgée cette voie singulière que vous portez dans la politique française depuis plus de 50 ans.

Au Parti communiste que vous avez rejoint à 16 ans, vous avez gravi tous les échelons. Vous, le fils d'ouvrier, vous qui n'avez pas eu les moyens de faire médecine avait été maire, député, député européen, sénateur, président d’un parti politique, candidat aux élections présidentielles sous ses couleurs.

Entre temps la société s'est transformée, le rêve premier s'est abîmé contre la butée de l'histoire. Si l'horizon vers lequel vous avancez n'a pas tant changé les chemins que vous tracez pour le rejoindre ne sont plus tout à fait les mêmes. Et sur ce parcours d'engagement qui n'est pas linéaire vous ne vous êtes jamais essoufflé, porté vous aussi par cet élan resté intact d'améliorer la vie des gens. Parce qu'au fond, si je puis dire, chez vous c'était un vrai idéal. Il n'y a jamais eu de cynisme. Et cet idéal s'est forgé au cœur d'un engagement familial, amical, à hauteur d'homme et jamais en surplomb. A hauteur d'homme, en se frottant chair contre chair, destin contre destin, difficultés contre difficultés. Jamais en étant protégé ou en laissant prendre les risques aux autres, en étant hors sol, jamais.

Il y a en vous un peu d’Etienne LANTIER du « Germinal » de ZOLA et du docteur RIEUX de « La Peste » de CAMUS au fond : des personnages qui choisissent de se battre au nom de la fraternité humaine mais qui le font au réel, au contact des hommes. Notre histoire politique est faite de tas de destins où les gens se sont souvent battus pour des idéaux à la condition de ne jamais vivre avec les autres. C'est même souvent une posture politique et un choix assumé. Vous c'est tout l'inverse, c'est votre vie au milieu des autres qui vous a fait aimer l'humanité et la force de cet idéal. Votre vie résonne des pages d'espoir d'un ARAGON, des lignes de la désillusion d'un KUNDERA, des vers de René CHAR, de la voix tendre de Jean FERRAT.

La politique française ne fabrique peut-être plus assez de grands destins républicains comme le vôtre. Né au lendemain de la Libération, vous avez grandi dans les années 50 et 60 à Cormeillesen-Parisis, une petite commune du Val d'Oise. Vous venez je le disais d'une famille modeste : votre père était maçon et votre mère ouvrière textile. Dans ce foyer, on manquait parfois d'argent mais, je crois pouvoir le dire, jamais de courage ni d'amour. Vous avez été bercé dans les bras d'un héros de la Résistance. Enfant, vous déceliez dans son regard les traces d'une guerre que vous n'avez pas vécue, l'ombre de ceux qui ne sont pas revenus et que vous ne connaîtrez jamais. Et dans ces récits vous avez admiré ceux qui ont dit non et ont pris le maquis. Ce sont ces histoires, je crois pouvoir le dire ici, qui vous ont forgé la mythologie personnelle comme le tempérament.

La guerre finie, les armes posées, le combat de ce héros de la Résistance n'a pas cessé. Il a simplement changé de nature et d'objet. Il se battait sous l'étendard rouge du communisme et tous les dimanches matin vous l'accompagniez vendre L'Humanité à l'entrée des cités ouvrières. Votre père, oui, votre père vous a transmis l'engagement en héritage. Toute votre vie a été comme aiguillonnée par ce désir d'être à la hauteur de ses actes, des sacrifices du résistant et des combats du militant. Toute votre vie, je pense a été forgée par le respect profond du militant parce que c'est lui qui vous a élevé, éduqué, parce que vous connaissiez le prix de cet engagement, le coût de ces luttes, les sacrifices de ses dimanches, de ses soirées, leur coût pour la vie familiale.

D'autres figures vous ont aussi servi de modèle ou de boussole. Il y eut cet instituteur, Claude WEBER, qui était aussi député du Val d'Oise. Il incarnait à vos yeux la fraternité, le combat pour l'égalité, cette fidélité à la voix du peuple qu'il portait haut dans l'hémicycle. Vous avez placé vos pas dans les siens en occupant son siège lorsque vous devenez à votre tour député en 199. Il y eut aussi celui qui vous appelait affectueusement petit frère, un ouvrier qui se battait pour ses droits et celui de ses pairs et qui est mort de sa condition, Michel COURRIC, le visage de ceux que vous avez voulu défendre et protéger toute votre vie en luttant contre les inégalités.

Auprès de ces hommes, dans la lumière de leurs engagements, vous aviez déjà fourni vos armes de militant mais vous avez eu envie d'entrer pleinement dans le champ de bataille de la politique après un événement qui, vous révoltant, vous a donné la force d'aller au front. Le 8 février 1962, vous preniez part à une manifestation pour la paix en Algérie, rue Charonne, à Paris. 11 manifestants sont alors tués. C'était plus d'injustice, d'horreur, de racisme insidieux que vous ne pouviez supporter. Le lendemain, vous adhériez aux Jeunesses communistes, et ce fut le début, comme inexorable, de ce destin politique. Un an après, vous adhériez au parti. Cette soif d'agir concrètement, d'améliorer sensiblement le quotidien des hommes et des femmes dont vous connaissez les difficultés vous pousse aussi à vous engager en politique locale. Avec vos camarades, vous avez construit, pierre à pierre, la maison du communisme de Cormeilles, qui se tient toujours fièrement debout. À seulement 31 ans, vous devenez maire de Montigny-lèsCormeilles, et pendant un peu plus de trois décennies, vous développez une relation de confiance avec ses habitants, créant du lien dans une ville confrontée aux difficultés du périurbain et de son évolution.

Vous avez connu l'époque où l'on entrait dans un parti comme on entre en religion, mais jamais vous ne vous êtes laissé aveugler par le système auquel vous apparteniez, jamais, sans doute parce que tout cela procédait d'une histoire très intime, celle que je viens de rappeler. Jeune maire communiste, vous ne vous laissez pas, contrairement à la majorité de vos camarades de l'époque, méduser par le mirage soviétique. L'admiration pour ce régime, qui avait vaincu le nazisme, se transforme en désillusion en 1968, lors de l'invasion de Prague. Vous croyez en une liberté qu'il bafoue. Vous prenez vos distances avec ce régime dès lors que vous découvrez qu'il est celui de la répression, et faites vôtres les paroles de votre ami Jean FERRAT qui, dans sa chanson « Camarade », dit que ce beau mot de camarade était devenu dès lors un nom terrible qui avait le goût d'une mascarade. Durant toutes ces années, vous construisez une action locale, au contact, efficace, pragmatique et courageuse dans une banlieue difficile, constamment, là aussi, dévoué.

En 1989, lorsque le mur de Berlin tombe, entraînant bientôt dans sa chute celle du régime qui l'avait construit, vous n'y voyez pas l'effondrement du communisme. Votre communisme à vous n'est pas celui de l'archipel du goulag qui disparaît, mais celui des grandes luttes d'émancipation du Front populaire, de la résistance, de l'anticolonialisme. Au contraire, le crépuscule du soviétisme était pour vous une chance à saisir pour réinventer l'organisation du Parti communiste français, adapter son projet à l'époque et aux attentes de nos concitoyens.

Quand, je dois bien le dire, à la surprise de tous et surtout à la vôtre, Georges MARCHAIS fait de vous son successeur à la tête du Parti communiste en 1994, vous entamez avec courage une mutation du parti. Pour être utile au présent et penser l'avenir, le parti doit se réformer en interne, pensez-vous. Mais si vous êtes déjà prêt à ces changements, bon nombre de vos camarades ne le sont pas encore tout à fait. Néanmoins, vous menez ce combat avec détermination et courage durant toutes ces années.

Candidat aux élections présidentielles de 1995 et de 2002, vous vous lancez à la conquête des Français en leur proposant un Parti communiste qui change et qui progresse. Vous leur promettez d'être davantage défendus, entendus, respectés. Des blocages en interne et l'évolution de la perception du communisme par les citoyens ont raison de l'ambition visionnaire que vous vouliez insuffler au sein de ce parti, auquel vous avez consacré votre jeunesse militante et 10 années d'engagement à sa tête. Peut-être au fond arriviez-vous presque un peu tard dans cette mutation et avez-vous payé, dans cette perception, quelques évolutions qui avaient tardé.

Je parle à dessein d'une ambition visionnaire, car vous vous êtes rendu compte plus tôt que la plupart d'entre nous que, pendant des années, le manège de la vie politique, de ces partis nés au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de ces élus et de ces élections, tournait à vide, qu'il ne se préoccupait plus que de ses intérêts et non plus de ceux des Français. Vous êtes parmi les premiers ayant occupé de telles fonctions à avoir justement annoncé les changements profonds que notre vie politique allait connaître. Dans un livre que vous avez publié en 2014, vous livriez en titre cette prophétie qui est le fruit d'une singulière clairvoyance : les partis vont mourir et ils ne le savent pas.

Votre fidélité néanmoins à la défense de la liberté est, je dois pouvoir le dire, à l'origine de cette évolution de votre propre mutation. Dans la genèse de cette inflexion se trouve aussi le séisme qui vous a ébranlé le 21 avril 2002, lorsque Jean-Marie LE PEN arrive au second tour de l'élection présidentielle. Ce fut un déchirement pour vous comme pour beaucoup ici dans cette salle. Vous qui vous souveniez de la promesse qu'avait faite votre ami Jean FERRAT, à ces nus et maigres et tremblants de la déportation, vous n'oubliez pas et vous savez le prix des possibles trahisons.

En effet, à peine 50 ans après ces promesses, ses enfants l'oubliaient déjà et portaient leurs suffrages à un parti d'extrême-droite et à son candidat négationniste. Vous qui étiez candidat à cette élection avez vu une partie de l'électorat populaire dès ce moment, et, avec lucidité, l'avez dit et combattu. Vous avez vu les Michel COURRIC de votre enfance parfois se détourner du communisme et donner leur voix au Front national. Vous l'avez dénoncé et l'avez combattu. Ce constat a renforcé votre détermination à renouveler la manière de faire de la politique et d'engager les citoyens. De là est venue précisément votre volonté de sortir progressivement d'un système qui ne voulait pas se réformer pour fonder, en 2009, votre propre mouvement : le Mouvement unitaire progressiste. De là est venue votre force d'agir par-delà les clivages politiques, de faire front, à mes côtés, pendant la campagne présidentielle de 2017.

Votre parcours est singulier, unique dans la vie politique des dernières décennies, mais il est le fruit de cet engagement familial, amical, et d'un homme qui s'est frotté aux événements et aux morsures de l'histoire, que je n'ai rappelées à l'instant qu'à coups de cavalcades. Mais je veux que chacun ici mesure la responsabilité qui fut la vôtre durant toutes ces années, ces décennies, celle de porter la voix d'un communisme français qui s'est tôt distingué du soviétisme et a voulu revenir à des fondements français, à un goût de la liberté et de l'égalité qui étaient au cœur de ce qu'était ce parti dans notre pays.

Vous qui avez pris les responsabilités en tant que dirigeant, candidat à deux reprises à l'élection présidentielle, parlementaire et dirigeant de ce parti, de nouer des alliances, y compris pour participer à une gauche de gouvernement dans des temps où il était plus facile de critiquer au balcon, vous qui avez su, durant toutes ces années, mener l'exigence du progressisme, l'exigence de l'égalité et les convictions du communisme en étant toujours républicain, vous qui avez su mener toutes les luttes en ayant, chevillé au corps, ce qu'impliquent les libertés de la République, c'est à dire la lutte contre la haine, le respect de l'autre, la condamnation de toute violence, je veux que chacun mesure dans cette salle ce que cela veut dire.

Nous manquons de dirigeants comme vous. Aujourd'hui, à une époque où, lorsque la haine s'abat et qu'au nom d'idéaux, la destruction se joue dans la rue, trop de voix se taisent, qui deviennent alors complices. Trop de voix laissent confondre des idéaux avec le nihilisme de la violence. Vous avez toujours eu ce discernement qui, toujours, accompagne la liberté vraie et la force des grands engagements. Cet engagement ne s'est pas arrêté aux portes de la politique. Et si, en homme de parole que vous êtes, vous avez laissé la place à une nouvelle génération politique, vous avez su promouvoir des dirigeants nouveaux, former des parlementaires à venir et des élus locaux, l'engagement coule toujours dans vos veines.

Désormais, vous avez décidé de vous consacrer à des engagements au-delà de nos frontières, à des causes. Je veux ici en citer une qui, je le sais, vous tient à cœur : la lutte contre la drépanocytose, une maladie génétique très répandue sur le continent africain. Avec la même énergie, le même talent, c'est ce combat que vous menez aujourd'hui en lien avec notre pays, les organisations internationales, les grands dirigeants du continent africain, et ce faisant, vous renouez un peu avec votre première vocation, la médecine, ce qui n'a rien d'étonnant. Quoi de plus concret pour améliorer là aussi la vie des gens que de les sauver ou les soigner ? Et vous réconciliez ou renouez nombre de fils de votre vie politique, ce soin de l'autre, ce goût pour la médecine, ce goût pour l'international, cet engagement pour le continent africain.

Laisser la place, ce n'est donc pas renoncer à s'engager, c'est sans doute faire un peu plus de place aussi à sa famille et ses proches, car nous le savons tous ici, la politique est une cruelle voleuse de temps aujourd'hui. Vous vengez aussi un peu le butin qu'elle s'était accaparé auprès de votre épouse Edith, de vos deux enfants, Charles et Cécilia, et de vos quatre petits-enfants. Vous leur devez tant de temps et d'engagement. Et vous qui, jeune, chantiez dans un groupe de rock, donnez de la voix lors des grands moments de famille comme le mariage de votre fille, on s'étonne d'ailleurs d'apprendre que ce groupe de jeunesse s'appelait Les Rapaces, ce qui n'est pas exactement conforme aux gestes de votre vie qui seraient plutôt le contraire, celui d'une main perpétuellement tendue vers les autres.

Cher Robert HUE, cher Robert, vous avez, durant ces décennies d'engagement, su concilier cette force de l'idéal avec un humanisme véritable. Vous avez su conjuguer la sincérité d'un engagement et de combats absolus avec la bienveillance en politique, le culte du sourire et la capacité à ouvrir les bras, là aussi parfois si rare. Pour ce destin exemplaire et votre engagement sans faille, pour la dette jamais oubliée à l'égard de tous les Michel COURRIC et de tous les résistants, au premier titre desquels celui qui vous a élevé, pour votre action au plus près de nos concitoyens et votre apport aux grands débats idéologiques de notre temps, pour ce courage et cette clairvoyance, je suis heureux, ce soir, de vous faire chevalier de la Légion d'honneur.

Monsieur Vanik BERBERIAN, cher Vanik, je dois dire qu'en préparant cette soirée, les souvenirs d'une journée froide mais ensoleillée du mois de février dernier se sont pressés dans ma mémoire, les images d'un village superbe, dont les toitures pentues se dressent au cœur d'une vallée luxuriante, les noms de tous ces artistes qui ont trouvé au fil des siècles un foyer et l'inspiration, les visages et les voix aussi de tous nos concitoyens qui sont venus à ma rencontre pour me faire part de leurs craintes, leurs attentes, leurs espoirs me sont revenus. Ces moments passés ensemble dans votre mairie, où tous les cadres se multipliaient, les paysages de la commune comme les titres de gloire de celle-ci.

Ce village, cher Vanik, c’est le vôtre : Gargilesse-Dampierre, avec sa mairie, son église, son château, son auberge et son bistrot, mais aussi un musée riche d’objets littéraires et insolites, avec les souvenirs et l’ombre de George SAND, les méandres de la rivière, il est sans conteste et fut reconnu comme tel, l’un des plus beaux villages de France. Depuis 30 ans, vous en êtes le maire, la sentinelle amoureuse de ses pierres et de ses âmes.

Cette journée, vous vous en souvenez, a eu lieu dans un moment particulier de l’histoire de notre pays. Depuis plusieurs semaines, des Français se réunissaient sur les ronds-points pour exprimer une colère qui couvait depuis longtemps, une colère qui s’est drapée dans le jaune de la détresse. Le premier, vous avez proposé d’ouvrir grand les portes des mairies, avec l’Association des Maires Ruraux de France, que vous présidez depuis plus de 10 ans. Dans un moment où, je le sais, vous n’auriez dû vous soucier que de vous et de votre santé, vous avez consacré tout votre temps au pays. Surtout, je dois le dire, il eût été si facile de dire pour vous, beaucoup plus que pour beaucoup d’autres qui, alors, l’ont dit : « je l’avais bien dit, je l’avais prédit, je l’avais vu, ils sont tant à ne pas m’avoir écouté… Le pays se dénoue, et nous l’avions vu, nous, maires ruraux qui n’étions pas suivis. » Non, vous vous êtes engagé, vous avez tôt dit, tout de suite : « ce combat est le nôtre. Les gens sont sur les ronds-points ? Qu’ils reviennent dans les mairies. Ils s’insultent ? Qu’ils viennent écrire. » Et vous avez ouvert ces fameux cahiers, sur lesquels les concitoyens de tant de villages, puis tant de villes sont venus écrire, qui leur colère, qui leur détresse, qui leurs propositions. Vous avez redonné un cadre républicain à la colère. Ces cahiers, que vous avez ouverts dans vos mairies, vous me les avez remis à l’Elysée, avec vos collègues maires. Ils ont tous été lus, mais c’est cette démarche, cette première initiative qui m’a convaincu que ce cadre-là était le bon, qu’il fallait prendre ce risque avec vous, ou plus exactement qu’il fallait prendre le mien, à ce moment-là, parce qu’il y avait cette force d’âme, et que le Grand débat s’est ainsi lancé. Et ce moment, qui je crois, restera de la vie de notre République, où à la colère, nous avons collectivement répondu par le dialogue, un cadre donné, une écoute, une considération, vous doit immensément.

De cette journée à vos côtés, je garde en moi comme une boussole les propos des passants qui m’ont dit leurs préoccupations. Je me rappelle aussi de votre proximité avec chacun des habitants, qui vous font confiance depuis tant et tant d’années, de ces liens que vous avez su tisser par l’écoute et l’action. Et dans cette période de révolte et de déchirement, vous avez joué un rôle essentiel, vital dans notre démocratie. Vous avez été un médiateur en chef, un grand conciliateur.

Il semble, au demeurant, que cette capacité à jeter des ponts entre les territoires et entre les hommes puise sa source dans votre histoire familiale. Vous êtes l’arrière-petit-fils de Rétéos BERBERIAN, poète et fondateur du prestigieux Collège BERBERIAN de Constantinople, le petit-fils de Schan BERBERIAN, philosophe qui a fui le génocide arménien, et le fils d’Ardavast BERBERIAN, peintre qui a laissé l’empreinte de son talent, d’ailleurs, non loin d’ici, puisque la lumière du ciel s’immisce dans la cathédrale arménienne Saint-Jean-Baptiste, par le filtre coloré de ses vitraux. Toute votre famille, au fond, est celle d'une histoire d'amour tressée avec l'Arménie et la France. Vous êtes aussi le fils de Paule PASCHKE, laborantine à l'institut Jules Verne dont le frère unique est un résistant fusillé lors de la Seconde Guerre mondiale. Des artistes, des intellectuels, des héros : telle est la noblesse de votre lignage et la grandeur de votre nom. Certains de vos aïeux ont traversé les heures les plus sombres du XXe siècle. Tous pourtant ont été à leur manière des bâtisseurs de culture, apportant chacun leur pierre à l'édifice de notre civilisation. C'est pourquoi il y a comme une évidence dans votre engagement et comme un prolongement de cette histoire familiale.

Dans ce qui est aujourd'hui votre quotidien, cette histoire est aussi celle, au fond, d'un arrachement puisque le génocide arménien a poussé votre famille à l'exil et parce que votre famille a dû quitter la terre qui les avait vus naître, grandir et mourir en paix depuis des générations. Vous avez toujours été à la recherche, au fond, d'un enracinement perdu. Après votre scolarité, des études supérieures en économie et gestion, avec une spécialité déjà en gestion des collectivités locales. C'est, je crois, presque par le hasard que vous découvrez votre commune, par un ami qui vous conduit là. Et lorsque, dans les années 80, pour la première fois, vos yeux se posent sur les belles maisons de pierre qui s'enroulent autour de la Creuse et de la Gargilesse, vous, vous le petit-fils d'immigré arménien, le Parisien de naissance plus que de cœur, avez enfin le sentiment d'arriver en terre promise, sur un sol où vous alliez pouvoir plonger de nouvelles racines.

Et en vous voyant sur les hauteurs de Gargilesse-Dampierre, je me remémorais cette phrase que BRETON a eue lorsqu’il découvre Saint-Cirq-Lapopie, après avoir erré dans tant de villes, de Nantes à Paris en passant par beaucoup d'autres. Il a cette phrase sublime, je cite de mémoire, donc à peu près. Il dit : « Alors, j'ai cessé de me désirer ailleurs. » Il en fut ainsi de vous. Vous vous installez là, vous décidez que vos racines sont là et vous avez cette foi - si je puis dire - du converti qui fait que vous êtes plus attaché à Gargilesse-Dampierre que quelques natifs depuis plusieurs générations du village. Cette quête de l'enracinement, c'est celle de votre engagement sans faille pour cette maison que vous vous êtes choisie. C'est aussi l'explication de l'énergie que vous consacrez à protéger et défendre les « chez soi » d'autrui et au premier chef, tous ces villages français menacés d'abandon et de désertification. Au fond, vous avez cet attachement à nos villages, non pas comme ceux que dénonçait BRASSENS, les « imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Au contraire, comme les républicains qui sèment quelque part parce qu'on habite là et parce que cet endroit est lié à d'autres, mais parce que là, déjà, se joue la République et une part de son destin.

Vous qui avez choisi la ruralité savez mieux que personne l'attrait que ces territoires peuvent exercer sur des citoyens urbains. Ils sont 100 000 chaque année à faire, comme vous, le chemin inverse de leurs ancêtres qui, eux, avaient quitté la campagne française de leur enfance, en quête d'un destin dans une grande ville. S’il a beaucoup dépeuplé nos campagnes, le développement urbain en a aussi renforcé le charme. Dans une France qui étend ses villes et ses centres commerciaux, qui étire ses logements, le village, avec son église, sa mairie, son monument aux morts, ses temporalités moins frénétiques et ses communautés plus soudées, se pare dans l'imaginaire des Français des couleurs chaudes, au fond, d'un bonheur simple et intemporel. Il redonne du sens à la République perceptible.

C'est ce que vous avez tôt compris et ce que vous avez su porter. Mais les femmes et les hommes qui habitent, travaillent et se déplacent, se soignent ou se forment en milieu rural ne vivent pas dans une carte postale. Ils ont des besoins concrets et réels. Ils se sentent délaissés et ce sentiment vous est familier. Vous l'avez vous-même éprouvé au fil du temps, à travers la dégradation de la petite ligne de train que vous avez l'habitude d'emprunter pour vous rendre à Gargilesse-Dampierre.

Ces revendications, vous ne cessez de les entendre chez vous, dans l'Indre, comme partout en France lorsque vous vous déplacez à Gargilesse-Dampierre, vous répondez à ces préoccupations en vous battant pour le développement local, en protégeant le patrimoine bâti, en développant la vie culturelle et touristique de la commune et en tâchant de préserver les services publics, tous, je vous ai vu à l'œuvre. Chaque maison qui menace de tomber, c'est un engagement du maire. Le café qui ferme, c'est un engagement du maire. La notion de service public à l'échelle de GargilesseDampierre s'étend aux confins des lois qui avaient défini la liberté d'entreprendre à la fin du XIXème siècle parce qu'il en va ainsi du dynamisme du territoire. Vous êtes infatigable. Une école qui ferme est inacceptable, mais je n'oublie pas l'enseignement alors reçu : l'école qui ferme, c'est grave, mais le bistrot, ça l'est au moins tout autant.

Mais, au-delà de Gargilesse-Dampierre, les années passent et le fossé se creuse entre une France rurale menacée par l'isolement et la déréliction et une France urbaine tournée vers le monde. Dès votre premier mandat, commencé en 1989, vous vous êtes engagé auprès des maires ruraux pour soutenir leur engagement de chaque instant pour des gens dont ils connaissent intimement les visages et les noms, dont ils partagent charnellement les peurs et les rêves. En 2008, vous devenez président de l'Association des maires ruraux de France, cette confrérie d'irréductibles Gaulois, comme vous l'appelez, qui résiste à l'extension du domaine de la ville à la prolifération contemporaine de l'urbain. Depuis, vous n'avez pas cessé de parcourir le territoire, d'écouter chacun et de porter ces revendications auprès des pouvoirs publics. Je suis bien placé pour le savoir.

Vous honorez en cela la vocation première de l'AMRF, créée en 1971. Cette fondation fut en effet un cri d'alerte des maires ruraux face à une loi, la loi Marcellin à l'époque, qu'on leur imposait sans les consulter. Inlassablement, vous vous battez pour une reconnaissance du statut de l'élu, nous en avons parlé et le sujet est désormais à l'Assemblée nationale. Ceci doit aussi beaucoup à votre engagement. Inlassablement, vous vous battez pour le maintien des services publics dans les zones rurales. Inlassablement, vous promouvez la notion d'équilibre du territoire, pointant les injustices dont souffrent les territoires ruraux tout en répétant ce que vous croyez profondément : ils sont une chance pour l'avenir de la France, et je le crois aussi.

Ce combat, nous l'avons entendu, et j'ai souhaité que l'agenda rural que vous appeliez de vos vœux devienne enfin une réalité. Elaboré en concertation avec les acteurs de la ruralité grâce à l'engagement de la ministre, fort de plus de 170 mesures, il a surtout vocation à donner une autre image de la ruralité, celle de territoires attractifs, indispensables à l'équilibre de la France, de son développement futur, de sa transition écologique et solidaire, de la construction d'un nouvel aménagement de notre espace, de nos territoires, un aménagement géographique mais aussi culturel et de sens auquel je crois profondément. Nous sommes à un point d'inflexion du pays, et c'est cette voie nouvelle que nous sommes en train de bâtir.

Cette détermination à faire entendre la voix de ceux qu'on entend moins sur la scène politique et médiatique est, au fond, au cœur même de votre tempérament, et ne date pas d'hier. Elle était déjà présente chez le jeune homme de 20 ans, jeune militaire à Besançon, à qui, comme tous les militaires, quelle que soit leur condition sociale, on avait voulu faire payer de sa poche un écusson pourtant obligatoire. Révolté par cette injustice, vous avez alors haussé la voix et fini par faire plier l'armée. L'écusson est devenu gratuit. Nous aurions dû nous méfier, dès ce moment-là, de ce jeune intrépide. Mais cette expérience fut un véritable viatique politique. Vous aviez compris qu'il n'y a pas d'évidences qui ne puissent être contestées, qu'il n'y a pas de pratiques qui ne puissent être remises en cause, et qu'il n'y a aucune absurdité que l'entêtement ne saurait faire céder. Si l'on demande aux habitants de Gargilesse-Dampierre qui est leur maire, beaucoup évoquent un homme qui, tous les matins, prend son café au bistrot du village, ce bistrot que j'évoquais à l'instant comme faisant partie de vos engagements, ce lieu où les gens se réunissent. On y échange les nouvelles, les rires, les bons mots, les idées. C'est l'âme du village. C'est aussi ce qui nous a inspiré en déployant ces 1 000 cafés qui visent à réanimer le cœur de 1 000 villages français. L'une des choses que je retiens de la crise qui a secoué notre pays, c'est cette aspiration française de nos concitoyens à la communauté. Au-delà des revendications auxquelles nous avons apporté des réponses, les Français, en sortant de chez eux en se réunissant sur des rondspoints, ont, au fond, redécouvert dans bien des endroits la fraternité, la chaleur des liens  humains, de l'échange, de l'entraide. D'aucuns ont perverti cela et ne cherchent que l'anomie ou la violence solitaire, mais je ne veux pas oublier ce mouvement spontané aussi, qui est celui que vous avez su percevoir et qui, au cœur de la politique que nous voulons désormais conduire, est essentiel.

Cher Vanik, vous qui vivez tourné vers l'autre, à commencer par votre famille, votre frère Schahan, votre sœur Karine, votre beau-frère, votre belle-sœur et vos neveux et nièces, vous qui savez les mettre en joie en leur jouant des airs d'accordéon, en leur parlant de peinture ou d'Arménie, avez beaucoup fait pour recréer des liens entre les citoyens. Vous qui, en tant que maire, avez l'habitude d'être à portée d'engueulades des habitants de Gargilesse. Vous qui, depuis des mois, sentiez la colère monter et qui, en septembre 2018, parliez d'un risque d'insurrection déjà, avez joué ce rôle clé que je rappelais tout à l'heure pour notre histoire. Vous n'avez pas seulement compris, vous avez agi, par les mairies ouvertes, par les cahiers, en prenant aussi le risque de vous engager.

Le grand débat national, dont vous avez contribué à inventer les formes, a permis de mettre les revendications de chacun sur la table et d'y apporter des réponses concrètes, mais la transformation entamée ne pourra pleinement s'accomplir que sur le long terme et qu'avec des engagés comme vous, des femmes et des hommes qui, au quotidien, ne comptent pas leur temps, qui réparent parfois les injustices de la vie, les absurdités de certaines décisions, se battent avec entêtement. Et au cœur de la réinvention du rapport entre le pouvoir public et le citoyen, en effet, au-delà des décisions de toutes les lois, de tous les textes et de tous les décrets, se trouvent bien les maires, des engagés qui, pendant un temps, sont les premiers de la commune parce qu'ils ont décidé de s'y engager. Beaucoup ici ont vécu cet engagement, parfois aussi pendant des décennies dans les communes de France. Ils savent ce que cela représente de satisfaction de transformer la vie de nos concitoyens, parfois de l'ingratitude qui accompagne cela mais de ce que la République se joue bien à cet endroit, en cet endroit où le buste de Marianne trône et où la parole qui est donnée est celle qui nous engage tous.

C'est pourquoi demain, encore plus qu'aujourd'hui, vous pourrez engager et encourager les jeunes maires par ces quelques mots que vous avez confié à François PAOUR, alors dirigeant de la Fédération nationale des maires ruraux, lorsque le hasard d'une rame de métro avait poussé le jeune maire que vous étiez à croiser sa route : « tu verras, maire, c'est un boulot très difficile mais c'est passionnant. » Vous en êtes plus que convaincu. Cette passion, cette vocation a fait votre vie. Vous l'avez, je dois le dire, profondément transformée. Vous lui avez donné ses lettres de noblesse par votre action et votre sens des responsabilités.

Cher Vanik, pour votre vie consacrée à votre commune et aux territoires ruraux qui sont le ciment de notre pays, pour le rôle de tout premier ordre que vous jouez dans un moment décisif de notre histoire nationale, pour la générosité de l'engagement que vous avez depuis plus de 30 ans dans votre commune et depuis plus de 10 ans pour les maires ruraux de France, et pour la pudeur qui accompagne cet engagement, pour tout ce que je ne peux pas dire et qui le justifie plus encore, je suis particulièrement heureux, ce soir, de vous faire chevalier de la Légion d'honneur.

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