Le Président Emmanuel Macron s’est rendu en Andorre. Nous partageons bien plus avec cet État que les montagnes des Pyrénées. Vous ne le savez peut-être pas : lorsqu’il entre en fonction, le Président de la République française se voit attribuer le titre de Co-prince d’Andorre.

Plus qu’un symbole, le titre de Co-prince est une charge. C’est le témoignage d’un lien historique de la France avec le peuple andorran, et d’Andorre avec les Français.

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Après avoir visité les sept paroisses : Canillo, Encamp, Ordino, la Massana, Andora-la-Velle, Saint-Julia-de-Loria et Escales-Engordany, c’est en tant que Co-prince qu’Emmanuel Macron s’est adressé à l’ensemble des Andorrans. Le résumé de ses messages :

  1. Il a fait le serment d'exercer pleinement et complètement sa fonction en respectant les dirigeants élus et en veillant à ce que les liens avec l'Espagne et la France soient marqués du sceau de l'équilibre.
     
  2. Que nos liens passés s'écrivent d'avantage au futur : l'enseignement du français mériterait de retrouver une dynamique nouvelle.
     
  3. Le choix fait de l'ouverture par les Andorrans d'engager des négociations en vue d'un accord d'association avec l'Union européenne est courageux. Face aux inquiétudes suscitées par la crise de 2008, ce choix est celui de l'avenir. C'est une promesse pour tous les jeunes Andorrans.

Retrouvez le discours d'Emmanuel Macron aux Andorrans :

13 septembre 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République, en sa qualité de co-prince, à la population de la Principauté d'Andorre

Andorre-la-Vieille,

Madame la Syndic générale, monsieur le Chef de gouvernement, monsieur le représentant du Co-Prince épiscopal, mesdames et messieurs les Ministres, mesdames et messieurs les Conseillers généraux, mesdames et messieurs en vos grades et qualités, Andorranes, Andorrans,

Merci pour votre accueil. Je suis heureux d’être là, heureux de pouvoir m’exprimer devant vous dans cette belle Place del Poble, là où depuis des siècles bat le cœur de l’une des plus vieilles nations du monde : Andorre. Je ne sais, à vous dire vrai, si ce sont mes origines pour partie pyrénéennes ou mon statut de Co-Prince mais je dois vous confier que depuis hier soir que je suis parmi vous, je me sens chez moi dans ces vallées au pied de ces montagnes. Je me sens chez moi parce que depuis hier soir je retrouve ces Pyrénées, cet air qui m'est familier, ces enfants qui nous ont accompagnés, madame la Syndic générale, monsieur le Chef du gouvernement, durant le tour des sept paroisses. Et j'ai ressenti dès les premières minutes cette fraternité montagnarde que je connais bien et qui vous est chère, propre aux contrées élevées et encaissées où la nature en quelque sorte avait tout prévu pour que rien de ce qui est autour de nous ne puisse advenir. Et c'est bien parce que le peuple andorran l'a voulu, s'est battu, que nous sommes là, que nous pouvons voir ces installations, profiter de ce paysage et que vous pouvez vivre tel que vous l'avez décrit dans une nation forte avec une économie forte parce que vous avez conjuré pour partie le sort. Cette fraternité montagnarde ce n'est pas seulement cela.

En cette soirée, je veux vous dire l'honneur qui est le mien d'être votre Co-Prince depuis qu'il y a un peu plus de deux ans les Françaises et les Français m’ont fait confiance et que je suis devenu Président de la République française. Et si je tenais aujourd'hui à visiter chacune des sept paroisses andorranes – à visiter Canillo, Encamp, Ordino, La Massana, Andorra la Vella, San Julia de Loria et Escales-Engordany - c'est pour vous le dire en face. Et je veux ici remercier les maires, maires adjoints et l'ensemble des conseillers qui m'ont accueilli tout au long de ce parcours et, avec eux, leurs habitants. Merci à vous. Oui j'y tenais parce que ce lien qui nous unit, qui unit le peuple andorran à son Co-Prince je souhaite qu'il ne soit pas seulement statutaire mais concret, vivant. Je souhaite qu'il ait ce lien la densité que prodiguent les rencontres et les dialogues partagés. Il a aujourd'hui des visages, des noms, des présences croisés durant ces moments partagés.

Je crois profondément en l’institution des deux Co-Princes consacrée par les paréages dès 1278, renouvelée par Napoléon Bonaparte en 1806 et plébiscitée par le peuple andorran en 1993 avec l'adoption de la Constitution par référendum. Et devant vous je fais le serment d'exercer pleinement et complètement ma fonction telle que définie par ce texte fondamental. Ce qui signifie que je respecterai toujours les dirigeants que vous vous choisissez. Andorre est une co-principauté parlementaire avec un Chef de gouvernement et des ministres, un Syndic général et des Conseillers généraux que je remercie de m'avoir chaleureusement accueilli ce matin. Et c'est évidemment à eux qu'il incombe de faire, en votre nom, des choix pour le pays, pour la population, pour votre avenir.

J'ai vu à l'instant quelques-uns de nos amis qui militent – je le sais, j'ai vu les drapeaux qu'ils sortaient – pour le droit des femmes à disposer de leur corps et qui sont favorables à l'avortement. Et je veux vous expliquer le sens de ma parole et de mon engagement avec beaucoup de transparence. En tant qu'homme et citoyen j'ai toujours défendu le droit des femmes à disposer de leur corps ; en tant que Président de la République française élu par le peuple français, j'ai fait de l'égalité femmes-hommes la grande cause de mon quinquennat et des lois sont passées en France sur ce sujet. Mais je m'adresse à vous en tant que Co-Prince, garant de l'indépendance de votre nation qui est l'une des plus vieilles démocraties d'Europe. Qui serais-je pour dire à votre peuple ce qu'il est bon de faire, vous qui démocratiquement choisissez vos représentants qui ont à passer les lois ? Et donc je vous le dis, vous savez ce que je pense, vous savez ce que je fais là où je suis détenteur de la souveraineté du peuple et ça n'est que le peuple français. Mais je suis ici en tant que Co-Prince de par notre histoire, le garant de votre indépendance et de la possibilité que la démocratie andorrane continue à se faire. Il vous appartient lors de vos élections d'obtenir la majorité qui vous permettra de procéder aux évolutions auxquelles vous croyez. Et je vous le dis avec beaucoup de respect et d'amitié et je crois pouvoir vous dire que les deux Co-Princes tiennent à la stabilité des institutions et dans ces moments où la modernité nous bouscule à ce que chacune et chacun restent unis.

Et je dis à notre jeunesse que j'ai croisée à l’instant et qui elle aussi brandissait ces drapeaux verts de cet engagement climatique avec force. Ces vendredis pour le futur nous les avons aussi en France et dans tant de capitales européennes. Croyez-moi, votre engagement m'a beaucoup appris, m'a beaucoup fait réfléchir. Nous bousculerons beaucoup de choses pour la France et je sais que votre gouvernement veut le faire aussi. Et je serai toujours le garant vigilant des ambitions que nous vous devons. Nous ne sommes pas au rendez-vous. Dans quelques semaines je le défendrai à New York lors de l'Assemblée générale des Nations Unies, je continuerai de pousser le gouvernement français à être au rendez-vous de notre histoire et je sais que votre gouvernement a la même cause climatique attachée au cœur. Mais au fond, et c'est pour cela que je souhaitais en toute amitié et en toute transparence répondre à ces interpellations, exercer pleinement la fonction de Co-Prince c'est savoir quelle est ma place devant vous et rien que cette place. Mais c'est aussi accepter qu'elle n’est pas de pur protocole, c'est endosser tous les devoirs que cette belle charge implique, c'est accepter en particulier l'obligation constitutionnelle qui m'est faite comme Co-Prince de veiller à ce que les liens entre Andorre et les pays voisins, avec l'Espagne d'une part avec la France d'autre part, soient marqués du sceau de l'équilibre.

La relation entre Andorre et la France est ancrée dans le temps long des siècles. J'évoquais l'année 1278 où l'évêque d’Urgell et le Comte de Foix unirent leurs signatures dans les paréages. Et en vérité les historiens et les légendes font remonter à bien plus loin encore ce lien profond, à Charlemagne, à sa traversée des Pyrénées. Et au fond comme s'il y avait une concomitance entre la naissance d'Andorre et celle même de la France. Grâce à l'institution des Co-Princes, grâce à la volonté des peuples, les destins des deux nations n'ont jamais cessé de se croiser. Jusqu'à aujourd'hui, les échanges entre Andorre et la France se sont multipliés tant sur le plan du commerce que sur celui des lettres, des arts. On a chanté les beautés d'Andorre dans la littérature française, Georges SAND et tant d'autres. Ces liens passés inestimables, donc, qui sont consubstantiels à l'identité andorrane, je sais qu'ils se conjuguent au présent mais je souhaite qu'ils s'écrivent encore davantage au futur. Et votre présence le montre, et la présence ici de nombreuses Françaises, de nombreux Français, de familles parfois venues d'en-deçà des Pyrénées le traduit aussi.

Je crois que l'enseignement du français, qui est la clé de voûte de la présence française en Andorre depuis plus de 100 ans, mériterait ainsi de retrouver une dynamique nouvelle. Je veux ici saluer nos enseignants, nos écoles, nos lycées et l'engagement de toutes celles et ceux qui font vivre ici les écoles françaises et le modèle éducatif français. Je veux remercier, monsieur le Chef de gouvernement, votre implication pour que les différents modèles ainsi se marient et se conjuguent. J'ai pu le voir dans toutes les paroisses. Nous continuerons d'être présents, et je demanderai dans les prochains mois au Ministre de l'Éducation nationale française de venir vous visiter pour s'assurer que tout est là, au rendez-vous. Nous continuerons d'investir, de renforcer.

Je souhaite aussi que nous puissions développer davantage les liens universitaires. J'ai constaté, malheureusement, que la place du français avait reculé ces dernières décennies, que souvent, le choix des jeunes Andorrans, quand vient l'âge des études supérieures, se tournait davantage vers l'Espagne que vers la France. C'est à nous, ensemble, de veiller à ce que l'équilibre se rétablisse en bâtissant des partenariats avec nos universités à Montpellier et Toulouse ou ailleurs, des parcours plus clairs, en facilitant encore davantage. Là aussi, nous y veillerons, nous y travaillerons avec le gouvernement.

Je souhaite aussi que nous puissions continuer les investissements en termes d'infrastructures qui rendent plus simple l'accès à la France. Je sais combien vous y êtes attachés. Je veux vous dire, en la matière, que vos meilleurs ambassadeurs sont vos frères ariégeois. Ils n'attendent que cela. Le Président du Conseil départemental de l'Ariège, qui m'a accueilli hier soir avec beaucoup d'amitié, c'est la première chose qu'il m'a demandé. C’est un ami, et nous serons là. Donc non seulement dans le cadre du contrat de plan État-Région, nous continuerons d'investir, mais nous inscrirons les crédits dans le prochain contrat pour continuer d'élargir la route nationale, de procéder aux travaux qui permettront de rejoindre plus rapidement Andorre, de sécuriser l'accès, de permettre aux étudiants d'aller plus facilement étudier, aux familles d'aller plus facilement les rejoindre, aux entreprises de commercer plus facilement, et aux touristes de plus rapidement venir rejoindre les stations. Nous avons un agenda partagé, et nous l'avons évoqué avec votre gouvernement, avec vos représentants et dans chaque paroisse.

Volonté de faire aussi davantage avec nos entreprises, c'est ce que nous allons faire en matière d'énergie, de manière forte, fondatrice. C'est ce que nous continuerons de faire sur le plan financier et commercial. Nous avons les mêmes défis. Nous avons inventé un nouveau modèle, notre modèle commercial est bousculé. Je sais qu'ici, plusieurs peut-être doutent qui sont engagés dans le commerce. Nous avons à inventer sur le plan de l'énergie, du développement durable, du secteur financier, de nos entreprises, parfois des nouveaux modèles, à coup sûr de nouveaux investissements. C'est une place offerte pour nos entreprises et pour des partenariats croisés. La France a, de son côté des Pyrénées, un défi de développement unique à relever, et chacun des départements frontaliers le souhaite, le veut, l'Ariège et les Pyrénées-Orientales au premier chef, mais tous les départements pyrénéens. Je souhaite que ces partenariats-là se fassent avec le gouvernement andorran. Je souhaite aussi que nos entreprises, qui vous aideront en matière environnementale, en matière de culture, en matière de développement économique ou financier puissent trouver leur place à côté de leurs frères andorrans pour un développement encore accru dans cet esprit d'équilibre. Au fond, ce à quoi j'aspire, comme Co-Prince, c'est que, au-delà de ces projets, au-delà des aventures qui ne sont pas écrites et que vous aurez à faire, que je veux que nous puissions vous aider à accomplir, c'est que la langue, la culture française retrouvent une place de choix dans l'imaginaire des jeunes andorrans, que de nouvelles légendes s'écrivent, que de nouveaux héros partagés contribuent aux légendes à venir, celles qui ont aussi tressé nos histoires. Et c'est à vous tous, femmes et hommes d'Andorre, élus, responsables économiques, éducatifs et culturels, qu'il appartient d'agir en fidélité à l'histoire du pays et à l'esprit de la Constitution que s'est choisie le peuple andorran.

Vous le savez, l'amitié de la France est acquise à Andorre. Elle n'a jamais fait défaut par le passé. Elle ne fera pas défaut dans l'avenir. Je vous le dis avec beaucoup de clarté. Mais la faire vivre est essentiel. Cela sera un atout décisif pour affronter les défis du temps, et nous serons là.

J'ai pris, ce soir, quelques engagements. Je veux aussi, après vous avoir écouté les uns les autres, après avoir entendu le chef du gouvernement et croisé beaucoup d'entre vous, vous dire aussi que la France reconsidèrera un choix fait il y a quelques années. Je souhaite que nous puissions offrir à nouveau aux Françaises et aux Français ici présents les services consulaires auxquels ils ont droit. Je le dis parce que je vous ai écoutés. Je le dis parce que comment vous demander de restaurer de l'équilibre et de réinvestir si j'explique aux Françaises et Français présents en Andorre : si vous avez un problème consulaire, allez voir Barcelone ? Ce ne serait pas très logique.

Je sais, mesdames et messieurs, combien les années qui se sont écoulées depuis la crise de 2008 ont pu susciter des inquiétudes dans ces belles vallées, à la fois parce que la récession qui s'est ici installée pendant plusieurs années a été plus dure qu'ailleurs et a frappé durement l'activité touristique, mais aussi parce qu'il a fallu consentir des efforts importants en matière fiscale, ce qui a aussi parfois bousculé un autre grand secteur de l'économie andorrane, le secteur bancaire. Mais je sais une chose, c'est que face à ces chocs, ces défis, ces bouleversements, vous n'avez pas cédé à la tentation du repli, de la fermeture. C'est, pour moi, la leçon de la décennie qui vient de s'écouler et le choix profond d'Andorre.

Vous avez, vous, fait le choix courageux de l'ouverture, en décidant, dès 2015, d'engager des négociations en vue d'un accord d'association avec l'Union européenne. Et, si je puis me permettre, sans outrepasser là encore mes attributions de Co-Prince, je crois que ce choix d'ouverture est le bon parce que c'est le choix de l'évidence par son histoire, par sa géographie, par sa culture, parce que pour toutes ces raisons, Andorre est européenne, évidemment, résolument. Là encore, je sais toutes les difficultés d'un tel choix et les complexités du chemin que vous avez décidé de prendre. Je le sais puisque je vous parle d'un pays dont le rapport à l'Europe est à la fois fondateur, existentiel, mais souvent tumultueux. Et parfois la France lui a dit non à cette aventure européenne. Donc, je ne considère pas que ces chemins soient aisés. Et des moments peut-être difficiles viendront. Mais je vous le dis en amitié. Ce choix est je le crois le bon parce qu'il est celui de l'avenir. De la réinvention d'un modèle andorran, celui que vous avez à vivre. Qui ne sera pas celui des années 80 et 90, c'est sûr. Parce que nos concitoyens demandent autre chose parce que le climat est là, qui nous impose d'inventer de nouveau modèle. Parce que l'ouverture est là. Parce que la transparence démocratique financière est là. Parce que tout est à réinventer. Je crois que l'Europe fait partie des solutions. Mais je veux ici simplement partager quelques convictions.

La première, c'est que l'Europe, comme je le disais ce matin à vos représentants, ne vous privera jamais de votre identité, de votre singularité. Au contraire, l'Union européenne est une invention historique unique qui repose sur les équilibres, sur le respect de chacun, sur le fait que la culture de chacun est plus forte par cette aventure politique commune. C'est le choix fait de défendre les singularités en sortant l'Europe d'une fatalité millénaire qui était celle de la guerre civile Européenne. C'est une construction politique non hégémonique, inédite, que nous avons depuis 70 ans. Et comme je vous le disais ce matin, nous sommes un continent unique où cet équilibre a été trouvé entre tant de langue, tant de culture, tant de systèmes politiques. L'Europe est un espace de traduction, de respect où chaque singularité est respectée.

La deuxième conviction, c'est que l'Europe est le choix de l'avenir parce que pour une nation comme la vôtre, c'est l'accès à un marché de plus de 500 millions de personnes. Ce sont des opportunités exceptionnelles. C'est la possibilité de partager une aventure et de défendre sa souveraineté en appartenant à une souveraineté plus grande sur les choix qu'on a décidé de partager. Dans ce monde qui partout est bousculé, dans cette grande transformation qui est en jeu, quelle est la meilleure façon de défendre ? L'indépendance profonde, les choix souverains d'Andorre. En appartenant à une souveraineté plus large quand il s'agit des choix stratégiques de notre continent. C'est cela l'Europe. C'est cela. C'est la possibilité de parler d'une voix, de défendre nos intérêts parce que nous avons une histoire, des valeurs, des cultures, des choix, des préférences collectives qui ne sont ni celles de l'Asie fascinante, ni celle de l'outre Atlantique. Nous sommes plus forts ensemble. Je le crois très profondément.

La troisième conviction que je voulais partager, c'est que je pense que vous avez choisi la bonne méthode. Vous avez eu un débat transparent, multi-partisan. Vous avez une discussion qui cheminera avec la Commission européenne et dans le rôle qui est le mien à la place qui est la mienne. Je ferai tout pour qu'elle puisse prospérer et que vous puissiez vous conformer aux exigences indispensables de l'accord qui à un moment je l'espère se scellera et que les singularités légitimes que vous défendez chaque jour soient respectées. Mais je crois surtout que vous avez choisi la voie du dialogue, de la délibération, de l'explication. C'est la seule à laquelle je crois. Dans nos démocraties parfois si troublées, je ne crois pas à la décision rapide, brusque, cachée. Cela n'existe plus. Je ne crois pas non plus à la décision qui ne vient jamais parce qu'on voudrait s'en remettre toujours à la décision d'un autre et qu'on ne prend pas ses responsabilités. Mais je pense que sur des sujets aussi complexes que celui du rapport à l'Europe, l'engagement de vos dirigeants, de vos représentants d'expliquer, de délibérer, de porter vos craintes mais d'expliquer les opportunités et ce qui est fait en toute transparence est le bon choix. Je crois que cette démocratie délibérative où la force du débat comme procédure vivante, concrète et la force de nos démocraties est tout particulièrement d'une belle et grande démocratie comme la vôtre qui a tant à apprendre à nombre de démocraties ou d'autres pays européens sur le plan du parlementarisme et de son rapport au débat raisonné et respectueux.

Alors, pour toutes ces raisons, je suis confiant et je crois que ce choix est le bon. Et le temps n'est pas si lointain, vous le savez, où les industries métallurgiques et textiles andorranes exportaient massivement en Europe. Et je veux croire que ce temps n'a pas disparu. Même si les services, les produits exportés seront évidemment différents et prendront de nouvelles formes. L'Europe, c'est une promesse pour l'ensemble de la jeunesse que je vois en nombre sur cette place ce soir et que j'ai vu tout au long de la journée. La promesse d'horizons infinis avec la possibilité toujours de revenir dans ces vallées pour faire bénéficier le pays natal du savoir-faire acquis. C'est cela un ancrage, une fierté, une singularité et des possibles nouveaux.

"Le sol de mon pays sans la chèvre et la ronce ainsi qu'un aigle au ciel, il est seul, il est haut comme le clairon d'un héros. A l'aurore il brille et annonce l'impérial essor d'une force qui naît." Ces vers, mesdames et messieurs, sont ceux d'Isabelle Sandy qui, née en France, a tant aimé Andorre et l'a si bien célébrée qu'elle fut je crois même un temps l'effigie de certains timbres. En se tournant vers l'Europe sous la protection de ses Co-Princes, Andorre peut-être cette force qui naît. Alors mesdames et messieurs avant de vous quitter dans quelques instants je veux vous dire combien j'ai été heureux et fier d'être avec vous depuis hier. J'y ai vu beaucoup de fierté pour cette grande nation, son histoire. J'y ai vu beaucoup d'enthousiasme d'une jeunesse qui me rend plein d'optimisme. J'y ai vu aussi beaucoup de visages de montagnards et de générations plus anciennes à qui nous devons tant et auxquels je veux rendre aussi hommage ce soir. Si ce soir vous avez le choix de l'Europe que je viens d'évoquer, si Andorre peut choisir son avenir, c'est parce qu'il y a des générations auxquelles nous devons beaucoup qui avec courage, force, labeur, dans une montagne qui était parfois hostile, ont construit l'Andorre d'aujourd'hui, en bravant les éléments – la neige, l'altitude – et en inventant ce qui était un avenir est devenu votre présent. Andorre est grande de toutes ces générations. Mais n'oublions jamais le courage, l'audace, la capacité à regarder l'avenir en face de celles et ceux qui nous ont précédés et ont bâti cette nation où nous sommes. Alors je vous le dis ce soir avec force, amitié : n'ayez pas peur de l'avenir qui s'ouvre. N'ayez pas peur parce que vous êtes ces montagnards et les héritiers de celles et ceux qui ont regardé leur avenir sans faiblir et ont bâti. Il vous appartient de bâtir l'avenir d'Andorre, ici, avec la France, l'Espagne, je le crois profondément, en Europe, avec la protection de vos deux Co-Princes. Mais n'ayez pas peur de cela. Vous avez la force d'âme pour relever ce défi. Vous l'avez toujours fait. Alors croyez-moi : vous y arriverez.
Voilà mes amis ce que je voulais vous dire ce soir. Je reviendrai sur cette place d'Andorre la Vieille parmi vous, parmi les miens. Vive Andorre. Visca Andorra. Je vous remercie.

Le Président de la République, en sa qualité de co-prince, a prononcé un discours lors de la session solennelle du Conseil Général en présence des autorités andorranes. Écoutez-le :

13 septembre 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République, en sa qualité de co-prince, lors de la session solennelle du Conseil Général en présence des autorités andorranes

Andorre, Maison des Vallées,

Madame la Syndic générale, Monsieur le chef du gouvernement, Mesdames, Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les conseillers généraux, Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur de m’adresser à vous ce matin, vous qui représentez le peuple andorran autant que ses 7 paroisses : Canillo, Encamp, Ordino, La Massana, Andorra la Vella, San Julian de Loria et Escalades-Engordany que j’aurai eues tout à l’heure le bonheur de visiter toutes et que j’ai déjà commencé à vos côtés à visiter depuis ce matin. Pénétrer dans cette Casa de la Val, ce lieu vieux de plus de 4 siècles, dans cet édifice construit quelques années seulement avant qu’Henri IV, le lointain successeur du Comte de Foix, ne fasse du chef de l’Etat français le co-prince d’Andorre, c’est avant tout, et vous l’avez aussi rappelé, mesurer le poids de l’histoire. L’histoire d’un pays qui a traversé les secousses des temps sans jamais se défaire, l’histoire d’un peuple qui à plus de 1 000 mètres d’altitude, à l’écart des grandes routes de circulation européenne a affronté fièrement la rugosité de la géographie ; l’histoire d’une nation qui à l’abri de ces montagnes n’a jamais perdu son âme, cultivant toujours sa singularité.

Les personnalités françaises qui ont veillé sur Andorre et dont par fonction je suis aujourd’hui l’héritier sont particulièrement illustres : Charlemagne le premier par son passage et sa légende, Napoléon Ier qui en 1806 mis fin à la parenthèse révolutionnaire qui avait délié le destin d’Andorre et de la France, Charles DE GAULLE qui fut le premier chef d’État français à venir dans cette vallée après plus de 6 siècles de paréage, François MITTERRAND qui soutînt, je dois bien le dire, contre l’avis de certains membres de son gouvernement le projet de constitution andorrane ratifiée par référendum en 1993. C’est donc avec beaucoup d’humilité que je m’inscris dans leurs pas ce jour pour dire à mon tour l’attachement qui est le mien à cette co-principauté que je partage avec l’Evêque d’Urgell et ma volonté d’exercer pleinement la charge qui est la mienne.

Je veux dire également ma fierté d’être le co-prince d’un Etat qui depuis 1993 et l’adoption de la constitution par le peuple andorran a évolué constamment dans le sens du progrès, un pays qui est de nombreux combats dans les instances internationales, un pays qui a récemment placé une femme à la tête de cette assemblée. Je suis honoré, Madame la Syndic générale, d’être accueilli par la première femme de l’histoire andorrane à accéder aux fonctions qui sont les vôtres. Mais le co-prince que je suis ne remplirait pas pleinement sa fonction, son rôle s’il se contentait de célébrer l’histoire ancienne, même récente, d’Andorre.

J’ai une haute conscience des exigences que constitutionnellement je me dois de remplir. Je pense aux nominations auxquelles il m’incombe de procéder et sachez que je le ferai toujours dans le strict respect de la souveraineté du peuple andorran. Je pense surtout au devoir qui est le nôtre avec Monseigneur VIVES de veiller, je cite, “au maintien du traditionnel esprit de parité et d’équilibre dans les relations avec les États voisins.”

Mesdames et Messieurs, je ne serais pas fidèle à ce devoir si je ne tenais pas devant vous le langage de la vérité, de l’ambition et de l’avenir. Je crois qu’il existe actuellement un risque à ce que l’esprit d’équilibre qui a toujours prévalu dans la société andorrane, en particulier dans ses relations avec l’Espagne et la France, s’affaiblisse. Les relations économiques avec la France sont en effet en reflux depuis quelques années et de là où je suis je veillerai aussi à ce que nous prenions toutes les décisions pour que les relations économiques, les choix d’infrastructures, de connexion soient pris pour que ces flux se rééquilibrent et que ces relations se renforcent. Je souhaite que les élites andorranes continuent à se former dans le système d’enseignement supérieur français. Et même si l’usage de la langue française décline là où pourtant elle était si vivante, si foisonnante, je pense qu’il n’y a aucune fatalité et il nous appartient aussi de veiller — l'enseignement français et les écoles françaises, j’ai pu le voir ce matin tout au long de mes déplacements, sont vivaces, ambitieuses — mais il nous appartient de veiller à cet équilibre. Bien sûr l’histoire commune unissant Andorre et la France a créé entre ces deux nations un lien inaltérable, bien sûr la France et Andorre — et comment ne pas citer cette belle ambition que nous portons avec l’Espagne, cette belle ambition de faire inscrire au patrimoine mondial de l’humanité ces joyaux que sont le château de Foix, la basilique, les onze magnifiques chapelles d’Andorre, tous ces édifices seigneuriaux qui sont notre héritage commun — mais je crois qu’il faut faire plus.

Je crois très profondément qu’il est nécessaire de régénérer cette histoire pluriséculaire unissant Andorre et la France et je compte sur vous, élus du peuple andorran, de ses paroisses, pour y contribuer pour que dans les domaines de l’économie, de l’éducation, de la culture, France et Andorre se rapprochent encore davantage.

Permettez-moi également d’évoquer la dynamique de rapprochement amorcé avec l'Union européenne. Et vous venez d'en parler. Vous connaissez mon combat pour l'Europe. Andorre est Européenne par son histoire, par sa géographie, par sa culture. Et donc, je ne peux que me réjouir que voici 4 ans, le gouvernement Andorran a décidé avec votre assentiment d'entamer des négociations en vue d'un accord d'association avec l'Union. Enclencher cette démarche, ce n'est pas renoncer à la souveraineté du peuple andorran. Ce n'est pas non plus diluer son identité. Non. Et je crois même qu'on peut revendiquer une identité forte en assumant d'être pleinement européen. L'Europe n'est que ce dialogue. Umberto Eco  le disait et la séance de ce jour le montre que la langue de l'Europe était la traduction. Ce qui veut dire que l'Europe n'est pas un espace où on voudrait diluer les identités, les cultures, les langues, les traditions mais plutôt celui qui consiste à construire et bâtir une ambition commune en les préservant. La France est-elle moins française depuis qu'elle a signé le traité de Rome en 1957 ou l'Espagne moins espagnole depuis 1986 ? Je ne le crois pas. Au contraire.

S'associer plus étroitement à l'Union européenne c'est se donner une chance de faire valoir ses choix, sa culture au sein d'une identité plus forte qui pèse davantage dans le monde qui influe sur le cours du monde. C'est étendre sa souveraineté grâce et par la souveraineté européenne. Alors je sais parce que je m'en tiens informé que les négociations peuvent être difficiles. Je sais le courage dont il vous faut faire preuve pour tenir face parfois aux voix du repli qui ne manquent jamais de faire de Bruxelles la cause de tous les maux. Je sais aussi quelles sont vos attentes à l'endroit de la Commission. Prendre en compte des spécificités andorrane, ménager des périodes de transition, répondre aux peurs, aux angoisses et bâtir l'avenir de votre nation. Et soyez sûrs que dans la mesure du possible, nous parviendrons sur cette voie et j'y veillerai.

Je tiens là encore à être aussi clair que vous l'avez été. Nous ne pouvons pas non plus être dans le statu quo. Le gouvernement en est conscient comme d'ailleurs les gouvernements précédents. Il faut mener des réformes, procéder à des adaptations. Au fond, continuer à bâtir une nation forte, indépendante, fière de son histoire et de son passé mais qui doit regarder l'avenir en face. Dans le rassemblement, dans l'unité nationale. Mais il faut ces réformes pour que le processus de rapprochement avec l'Union puisse être mené à son terme tout en défendant les intérêts légitimes dans le cadre de cette discussion sans outrepasser bien sûr mes attributions de co-prince, je ne peux donc que vous encourager à persévérer et à tenir le cap. Cela me semble essentiel. Pour Andorre en effet, le choix de l'Europe, c'est le choix de l'ouverture. Le choix de la poursuite du mouvement d'ouverture amorcé avec l'accord commercial en 1990. Continué avec l'accord de coopération en 2004, l'accord monétaire de 2012, poursuivi avec l'accord relatif à l'échange d'informations fiscales de 2016 pour Andorre. Le choix de l'Europe, c'est la chance donnée à l'invention d'un nouveau modèle économique qui ne repose pas sur des exemptions ou des facilités mais sur la beauté de ses paysages, le raffinement de ses savoir-faire, l'innovation de la population, la force de son tissu économique.

Pour Andorre, le choix de l'Europe, c'est le choix de l'avenir. C'est le choix d'anticiper les mutations contemporaines plutôt que de les subir. Les défis du pays sont immenses. Vous le savez mieux que moi. Diversification de l'économie, montée en gamme du secteur touristique, réforme des systèmes de santé et de retraite, prix du logement, niveau des salaires et des pensions. Mais je vois aussi tout le chemin parcouru ces dernières décennies. Rien n'était écrit. Et la force de votre nation, les choix courageux qui ont été fait, le travail opiniâtre des Andorranes et des Andorrans, ont construit cette nation qui se tient debout au milieu des montagnes et qui a bâti forte et fière son avenir. 

J'ai confiance. Andorre à travers les siècles a toujours su affronter les bourrasques et les enjeux des temps avec détermination. Je suis sûr qu'elle saura se montrer à la hauteur de cette histoire avec l'Europe bien sûr, avec la France aussi. Parce que s’il y a une part de France en Andorre, il y aura toujours une part d'Andorre dans le cœur des Français. Et c'est ce que je voulais aussi aujourd'hui vous dire. Avec raison, vous avez évoqué dans votre discours Madame la Syndic générale la force des parlements et la beauté de dialoguer pour faire émerger la raison. Je crois que l'un des enseignements de votre nation à toute l'Europe est cette tradition multiséculaire de dialogue, de parlementarisme raisonné, de construction démocratique stable. Et cette force, cette indépendance, de là où je suis, j'y veillerai.

Voilà mesdames et messieurs ce que je voulais vous dire avant de poursuivre cette visite et de m'exprimer ce soir devant le peuple Andorran. Vous pourrez toujours compter sur tout mon engagement et sur tout mon soutien en tant que co-prince et peut-être tout autant en tant qu'ami d'Andorre.

Vivet Andorre. Visca Andora. Je vous remercie.

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