(Re)voir le discours du Président Emmanuel Macron lors de la cérémonie franco-américaine au cimetière américain de Colleville-sur-Mer :
6 juin 2019 - Seul le prononcé fait foi
Transcription du discours du Président de la République
Monsieur le président des Etats-Unis d’Amérique, cher Donald TRUMP, Messieurs les combattants du Débarquement, chers vétérans, Mesdames, Messieurs,
Cette nuit du 5 au 6 juin 44, la Manche n’était pas seulement troublée par la brume naissante, par la houle soutenue qui agitait les flots salés. Depuis quelques heures en effet, depuis que le général EISENHOWER avait lancé son fameux « let’s go », ce sont 1200 bâtiments de guerre, 5700 navires de transport contenant canons et camions, chars et barges d’assaut qui gagnaient, précédés de 25 flottilles, le sud de l’île de Wight, en ce point baptisé par l’état-major de l’opération Overlord « Piccadilly Circus ».
Devant les dizaines de milliers de soldats qui avaient ainsi pris la mer : rien d’autre que l’immensité noire, à peine éclairée par les lueurs des navires et par la pleine lune. Devant ces soldats surtout, l’angoisse de l’inconnu.
Quelques heures plus tôt ils avaient appris l’objectif de leur mission mais leurs destinations – Utah, Omaha, Juno, Gold et Sword Beach – sonnaient comme autant d’incertitudes. Seuls ceux qui avaient participé quelques mois plus tôt au débarquement de Sicile pressentaient peut-être ce qui les attendait alors : un combat âpre, difficile, à coup sûr sanglant. Ces milliers de soldats donc, conscrits, engagés volontaires, avaient pour la plupart une vingtaine d’années.
Et pourtant ils semblaient déjà loin les jours heureux de leur jeunesse.
Loin les plaines vallonnées de Pennsylvanie, du Kentucky ou du New Jersey, loin les années d’étude où ils apprirent un métier qu’ils n’eurent parfois jamais l’occasion d’exercer, loin les entraînements exigeants commencés sur les monts de Géorgie et poursuivis, à mesure que l’opération Boléro les conduisait à traverser l’Atlantique, au sud de l’Angleterre. Loin les mois passés auprès des Britanniques dans l’attente d’une opération dont ils ne savaient rien. Loin les regards inquiets de leurs parents au moment de leur départ. Loin les au-revoir déchirants de leurs fiancées - tant et tant, en quittant les côtes anglaises leur avaient écrit, à la flamme d’une bougie ou d’un briquet une ultime lettre poignante.
À quoi songeaient durant ces heures ces jeunes gens glacés par le froid des nuits des mers du Nord ? Nul ne le sait. Nul ne pénètre l'épaisseur des consciences. Mais ce qui frappe encore, 75 après, c'est le courage inouï, la générosité dont ils firent preuve. Il y eut, durant ces heures-là, comme une force qui allait et qui portait chacun vers son destin.
C'est cette force d'âme qui les conduisit là, à des milliers de kilomètres de chez eux, pour porter secours à des femmes et des hommes qu'ils ne connaissaient pas, pour libérer une terre qu'ils n'avaient pour la plupart jamais foulée, sans autre boussole qu'une cause qu'ils savaient plus importante qu'eux : celle de la Liberté, celle de la Démocratie.
Alors aujourd'hui, la France n'oublie pas. La France n'oublie pas tous ces combattants à qui elle doit de vivre libre.
La France n'oublie pas les 135 000 combattants américains, britanniques, canadiens qui, appuyés par des contingents belges, luxembourgeois, néerlandais, norvégiens, danois, polonais, tchécoslovaques, australiens, néo-zélandais, sud-africains et français, ont débarqué ce 6 juin sur les plages de Normandie et ont fait basculer le destin de l'Europe et du monde.
La France n'oublie pas les milliers de parachutistes qui, quelques heures plus tôt, avaient été largués à quelques kilomètres et qui, avec l'appui de la résistance intérieure, tinrent les ponts stratégiques, conquirent les routes, les voies ferrées, servirent bientôt de relai à ceux de leurs frères d'armes qui se sortirent vivants des rivages émeraudes rougis par le sang versé.
La France n'oublie pas les 2 millions de soldats qui, ce jour le plus long enfin expiré, s'engagèrent des semaines durant dans les terres normandes, pour libérer ces villes et subirent l'enfer de la bataille du bocage, plus meurtrière encore que celle des plages.
Alors, au nom de la France, au nom de notre Nation, je m'incline ce jour devant leur bravoure. Je m'incline devant le sacrifice immense des 37 000 tués, des 19 000 disparus qui tombèrent en héros sur ces terres normandes entre juin et août 1944 et, pour la plupart, y reposent pour l'éternité.
Je m'incline, et à nos vétérans et à leurs nations.
Je dis merci.
We know what we owe to you, veterans, our freedom. On behalf of my nation, I just want to say : thank you.
Nombre d’entre eux nous font face dans ce cimetière d’égaux morts pour notre liberté : vos frères d’armes.
Ceux que, cher Vincent HYNES, vous avez tenté de sauver, vous qui vous êtes porté volontaire pour faire partie de la seconde vague d’Omaha et qui, ce 6 juin, avez pris tous les risques pour extraire les blessés de la plage alors que l’intensité des tirs allemands était maximale.
Ceux avec qui, cher Paul WIRTH, vous avez combattu depuis cette même plage d’Omaha jusqu’aux terres wallonnes de Bastogne, en passant par la bataille de Carentan et cette percée d’Avranches qui libéra la Bretagne.
Vos frères d’armes. Ceux qui, cher Charles JUROE, vous ont accompagné dans l’enfer des haies normandes, vous qui avez combattu sans discontinuer entre le 7 juin et le 8 juillet, et qui, pour certains, vous ont suivi dans les Ardennes, au Luxembourg, et même dans la campagne de Tchécoslovaquie.
Ceux qui, cher Stanley FRIDAY, vous ont secouru, vous qui avez été blessé à deux reprises dans la région de Saint-Lô puis dans les Ardennes, et qui vous ont donné la force de repartir au combat jusqu’à franchir le Rhin pour participer à la libération des camps de concentration et croiser les regards, les regards des survivants et les regards des bourreaux. Alors peut-être avez-vous compris, dans la vérité crue de ce moment, pourquoi vous vous étiez battu.
Vos frères d'armes à vous aussi, cher Harold TERENS, vous qui, d'abord opérateur radio, avez choisi en conscience de gagner le sol de France pour mener des opérations militaires en Normandie, à Reims, à Nancy puis autour du Rhin.
Cher Vincent HYNES, cher Paul WIRTH, cher Charles JUROE, cher Stanley FRIDAY, cher Harold TERENS, en reconnaissance de votre engagement infaillible pour que la France recouvre sa liberté, je vous ferai, dans quelques instants, chevalier dans l'ordre national de la Légion d'honneur. Cette distinction, la plus élevée que délivre la République française, vient bien sûr saluer vos actes exceptionnels, votre courage, votre contribution à la libération de notre pays. C'est aussi pour la nation française une manière de redire, 75 ans après, que nous savons ce que nous devons à l'Amérique.
L'Amérique, cher président TRUMP, qui n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle se bat pour la liberté des autres ; l'Amérique qui n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle se montre fidèle aux valeurs universelles que défendaient ses pères fondateurs, lorsqu'il y a près de 2 siècles et demi, la France vint soutenir son indépendance.
Mais nous vous devons plus. Nous vous devons, Messieurs, nous devons à tous ceux qui se sont battus, aux milliers de civils qui sont tombés, que je n’oublie pas, plus que des médailles et plus que des mots. Nous devons nous montrer dignes de l’héritage de paix que nous avons en héritage, notre dette, dignes de la promesse de Normandie. Et être dignes de la promesse de Normandie, c’est ne jamais oublier que les peuples libres, lorsqu’ils s’unissent, peuvent relever tous les défis.
La victoire contre la barbarie aurait été impossible sans l’apport décisif des Etats-Unis d’Amérique, sans les millions d’hommes et de femmes engagés, sans la mobilisation de l’appareil industriel et de toute la population américaine.
Et sur les plages de la Manche dans le vert bocage normand comme au plus haut niveau des états-majors il y eu l’union, l’union toujours, des armées alliées. C’est parce que la Royal Air Force prêta main forte à l’infanterie canadienne, parce que la Résistance française su ouvrir en Normandie, en Bretagne et ailleurs la voie à l’armée américaine, c’est parce que dans des moments décisifs de la bataille intervinrent les marins australiens, néo-zélandais ou danois et norvégiens, les aviateurs néerlandais, parce que dans l’enlisement de la bataille de la poche, de Falaise les blindés polonais firent la différence, que ce pari fou de faire libérer l'Europe du joug nazi par la mer pu être tenu.
Et donc : oui nous ne devons jamais cesser de faire vivre l’alliance des peuples libres.
C’est ce que firent les vainqueurs dès le lendemain de la capitulation allemande et japonaise en créant les Nations Unies.
C’est ce que firent les Etats-Unis, en créant l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
C’est ce que firent quelques années plus tard les dirigeants de ce continent en faisant advenir l’Union européenne.
Cette promesse de Normandie nous devons en retrouver le sel, saisir à nouveau les raisons de cet engagement, ce qu’on doit à sa patrie, ce qu’on doit à l’alliance des pays qui partagent les mêmes valeurs, celles de la démocratie et de la liberté.
La leçon de Colleville-sur-mer, c’est que ces deux raisons sont inséparables. Ces jeunes Américains sont morts ici pour leur pays et pour la liberté du monde, ensemble. Ils le savaient. Et les Français qui sont morts sur les mêmes plages, à leurs côtés, tombés pour la libération de leur pays, sont aussi tombés pour que leur nation revienne, une fois la tâche accomplie, à sa tradition de liberté.
Être fidèle à leur mémoire c’est d’abord ne jamais séparer ce que leur sacrifice a uni. Cette promesse de Normandie, la France continuera de la porter de toutes ses forces, j’en fais ici le serment, et elle est au cœur de la destinée américaine véritable, monsieur le président des Etats-Unis d’Amérique.
Mesdames et Messieurs, le long des routes de France, des plages du Cotentin à Cherbourg, de Cherbourg à Avranches, d’Avranches à Metz, de Metz à Bastogne, sur tous ces chemins que les héros que nous célébrons aujourd’hui ont emprunté à partir de l’été 44, on trouve des centaines de bornes ornées des étoiles du drapeau américain et de la flamme de cette statue de la Liberté qu’un jour un de nos plus grands sculpteurs offrit à la ville de New York.
Ces monuments de pierre sont des jalons de mémoire comme le souvenir indélébile inscrit dans les terres de France, de ce que notre pays doit à l’Amérique. Leur présence résonne aussi comme une invitation à renouveler sans cesse ce pacte séculaire unissant la France, l’Amérique et la liberté.
J’y suis prêt Monsieur le président des Etats-Unis, cher Donald TRUMP.
Le peuple de France y est prêt. Prêt à faire vivre cette amitié entre nos nations, qui a tant apporté à l’histoire des hommes et dont le monde d’aujourd’hui attend encore tant.
Nous sommes prêts et nous le ferons.
Alors : merci.
Vive les Etats-Unis d’Amérique.
Vive la République.
Vive la France.
Et vive l’amitié entre nos deux nations.
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