23 mars 2018 - Seul le prononcé fait foi
Transcription de la Conférence de presse conjointe du Président de la République et de la Chancelière Angela Merkel au Conseil Européen
Bruxelles – Vendredi 23 mars 2018
Madame la Chancelière, chère Angela,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaitais tout d’abord dire quelques mots, une fois n’est pas coutume, sur les circonstances de ce qui vient de se passer en France.
Une attaque en effet et une prise d’otages se sont déroulées ce matin et sont en cours à Trèbes dans l’Aude, dans notre pays. Et tout porte à croire qu’il s’agit d’une attaque terroriste qui continue actuellement à se dérouler.
Les forces de l’ordre, en particulier de la gendarmerie, sont intervenues de manière extrêmement rapide et coordonnée, après l’attaque dont ont été victimes d’abord des CRS.
Je veux avant toute chose assurer de mon soutien tous ceux qui ont eu à affronter et qui affrontent encore cette situation.
Je ne dresserai à cette heure aucun bilan officiel, le procureur de Paris donnera dès que possible tous les éléments relatifs au début de cette enquête.
Il a d’ores et déjà saisi la section antiterroriste du Parquet de Paris et a confié l’enquête à la DGSI et à la SDAT. Les premiers magistrats sont en train de se rendre sur place.
Je veux ici assurer les habitants de Trèbes de l’entière mobilisation des services de l’Etat et, en particulier, des forces de l’ordre qui à cette heure sécurisent les lieux où l’individu s’est retranché et sécurisent tous les environs.
Je viens d’avoir en ligne le ministre de l’Intérieur qui arrive sur place, le Premier ministre a quant à lui interrompu son déplacement et est à Paris.
Je serai dans quelques heures à Paris pour suivre et coordonner l’ensemble des mesures à prendre.
Nous avons donc tenu ces deux jours un Conseil et je suis très heureux qu’avec la Chancelière, nous puissions tenir ensemble cette conférence de presse commune une fois encore, tant le travail conjoint a été durant ces deux jours important et a été permis par le travail et les échanges que nous avons eus la semaine dernière à Paris, quelques jours après son élection à nouveau comme Chancelière, ce dont je tiens à la reféliciter.
Ce Conseil européen était important parce qu’il a permis de couvrir un grand nombre de sujets qui touchent au fond à la fois au modèle et à la souveraineté de l’Europe.
Nous avons en effet eu hier un échange approfondi sur des sujets internationaux éminemment stratégiques. Comme vous le savez, je m’étais rendu mercredi au siège de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques à la Haye. Et la France avait pris en janvier l’initiative d’un nouveau partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques.
Et donc nous avons pu rediscuter, qu’il s’agisse de la Syrie comme des événements qui se sont déroulés en Grande Bretagne, de l’importance de poursuivre notre lutte contre l’utilisation de ces armes chimiques.
Hier soir Theresa MAY, après une réunion avec la Chancelière et moi-même, a informé le Conseil européen des circonstances de l’attaque de Salisbury et de l’avancée de l’enquête.
Tous les Etats membres ont exprimé leur entière solidarité avec leur allié britannique, tous sont convenus que, conformément à l’évaluation britannique, il n’y a pas d’autre explication plausible que la responsabilité de la Russie.
Nous considérons cette attaque comme un défi sérieux pour notre sécurité et comme une atteinte à la souveraineté européenne. Elle appelle donc une réponse coordonnée et déterminée de l’Union européenne et de ses Etats membres.
Plusieurs Etats – dont l’Allemagne et la France – arrêteront rapidement des mesures coordonnées.
Par ailleurs, lors de notre entretien à trois avec Theresa MAY, nous avons confirmé et approfondi notre position commune en faveur du maintien de l’accord nucléaire avec l’Iran ; et des actions qu’ensemble nous prendrons à l’égard des Etats-Unis et de l’ensemble des parties prenantes et signataires de cet accord.
A quelques jours d’une rencontre des présidents TUSK, JUNCKER et du Premier ministre BORISSOV avec le président ERDOGAN, nous avons également discuté hier soir de la Turquie et rappelé fermement la préoccupation de l’Union européenne à l’égard de l’attitude turque aujourd’hui dans les eaux territoriales chypriotes et en mer Egée, ainsi que quant à son action sur le territoire syrien dans le canton d’Afrin.
Je rappelle que cette intervention turque est en contravention évidente avec la résolution 2401 des Nations unies.
Nous avons également durant ce Conseil parlé de sujets commerciaux, autre élément sur un autre plan qui évidemment touche à la souveraineté de notre Europe.
Bien entendu, en raison de l’actualité que vous connaissez et à la suite des annonces de l’administration américaine de taxer les importations d’acier et d’aluminium, qui prévoit une exemption très temporaire de l’Union européenne, la solution ne nous est pas apparue comme satisfaisante et le Conseil a tenu un langage extrêmement clair sur ce sujet.
A cet égard, trois principes doivent nous guider. Le premier c’est que l’Europe ne cherche pas la guerre commerciale qui n’est bonne pour personne, c’est pourquoi nous entretenons le dialogue.
Le deuxième c’est que l’Europe croit à une régulation mondiale, multilatérale du commerce et agira dans le cadre des règles de l’OMC, qu’il nous faut moderniser et non pas affaiblir.
Le troisième c’est que l’Europe doit être unie et déterminée, elle n’est pas la variable d’ajustement du commerce mondial, elle n’en est non plus pas le maillon faible ou le défenseur naïf.
Aussi si nous sommes attaqués, nous réagirons sans faiblesse, chacun doit en être conscient et, je crois pouvoir le dire, la stratégie américaine est une mauvaise stratégie qui répond à un vrai problème, que nous avons d’ailleurs à plusieurs reprises abordé, celui du dumping commercial et des surcapacités dans certains secteurs comme l’acier.
Et face à ce défi, ce sont les positions que nous avons défendues au G20, c’est l’action que nous conduisons, l’Union européenne en particulier avec la Chine et plusieurs autres puissances, qui convient d’être poursuivie et non pas des mesures unilatérales excessives.
Cela renvoie à une question plus large sur le commerce et la mondialisation. Si nous voulons écarter et éviter le protectionnisme, il nous faut protéger nos travailleurs, nos entreprises.
Et c’est exactement le cœur de l’agenda qui est le nôtre, que nous avons d’ailleurs réaffirmé, défendant un contrôle européen des investissements stratégiques, défendant également des règles de réciprocité dans le cadre des négociations et compte tenu de nos contraintes.
J’ai d’ailleurs pu rappeler hier, lors de la réunion organisée par la Commission européenne pour présenter sa stratégie sur la finance durable, qu'à mes yeux il n’était pas souhaitable de signer des accords commerciaux avec des puissances qui n’étaient pas signataires de l’Accord de Paris.
Parce que nous ne pouvons pas avoir des négociations commerciales qui méconnaissent les règles que nous nous fixons à nous-mêmes et justement ce besoin de protection que nous avons pleinement reconnu.
Le modèle européen se construit aussi dans la révolution numérique, ce que nous avons évoqué au cours de ce Conseil. Il s’agit là aussi d’affirmer nos valeurs et nos intérêts spécifiquement européens. Et en tant qu’Européens, nous devons articuler l’innovation, la protection de l’individu et la juste solidarité.
C’est la raison pour laquelle, nous avons ensemble poussé l’idée d’une Agence européenne pour l’innovation de rupture, qui rencontre un large soutien et qui fera l’objet de propositions concrètes dans les prochaines semaines.
Nous avons ensemble défendu une régulation efficace qui permet d’encadrer l’activité des plateformes, de retirer les contenus illicites, notamment ceux qui font l’apologie du terrorisme, et également de protéger les données personnelles.
C’est au cœur de cette réglementation, que nous devons parachever dans les prochains mois, qui permettra de mettre en œuvre un marché unique du numérique.
Nous avons également eu hier un premier débat dans le détail sur la fiscalité du numérique, sur la base des propositions faites par la Commission européenne. La France soutient pleinement la proposition de la Commission de mettre en place à court terme une taxe sur le chiffre d’affaires des grandes entreprises du numérique, d’empêcher les abus, sans freiner l’innovation et sans bouleverser le cadre de la fiscalité de notre production en Europe.
Et donc ça ne peut être qu’une solution temporaire, mais il est clair qu’aujourd’hui notre fonctionnement ou plus exactement le comportement de certains acteurs ne permet pas d’avoir des justes conditions de concurrence, ni une contribution souhaitable au budget européen et à nos budgets de la part de ces derniers.
Donc nous soutiendrons l’initiative prise par la Commission et la France souhaite très clairement que nous puissions poursuivre, non seulement la première proposition de directive pour une mesure provisoire, mais que nous allions au bout d’une réforme de notre fiscalité collective qui permettra de normaliser la fiscalité de tous les acteurs du numérique.
Ce modèle européen, c’est aussi l’exigence climatique. Je le disais, j’ai participé hier à une conférence sur la finance verte, mais nous avons également réinsisté durant ce Conseil sur la nécessité de proposer une nouvelle stratégie européenne pour le climat plus ambitieuse.
C’est la même volonté qui a été à l’œuvre sur les sujets sociaux, où nous avons insisté sur la nécessité d’avoir davantage de convergences sociales. Et au-delà des avancées de ces derniers mois que nous avons ensemble poussées, en particulier la réforme du travail détaché, qui s’est même améliorée par rapport au mois d’octobre avec un bon accord trouvé au Parlement ces derniers jours - et qui en particulier permettra à la réforme d’entrer en vigueur d’ici 2 ans et non pas 4 ans - nous avons souhaité qu’il y ait davantage de coordinations entre les contrôles qui sont effectués, pour lutter contre toutes les entreprises boîtes aux lettres, toutes celles et ceux qui jouent avec les règles européennes.
Cette convergence que j’évoquais pour les sujets climatiques ou sociaux, c’est aussi celle qui doit renforcer notre union économique et monétaire.
Nous avons eu à l'instant un sommet de la zone euro à 19, point d’étape pour identifier les blocages et les voies de passage avec un seul objectif : faire mieux converger les économies de la zone euro, éviter les crises et permettre à la zone euro d’être plus compétitive.
Nous avons beaucoup discuté avec la Chancelière la semaine dernière sur ce sujet, cette première discussion était exploratoire mais nous avons pu identifier la nécessité de parachever les accords qui sont d‘ores et déjà prévus sur l’union bancaire d’ici au mois de juin ; aussi de poursuivre, continuer ensemble ce travail pour avoir une zone euro à la fois plus responsable et solidaire.
Il y a beaucoup de sujets techniques qui demeurent à aborder, mais nous allons le faire ensemble. Je me rendrai dans les prochaines semaines à Berlin pour avoir une nouvelle séance de travail avec la Chancelière.
Nous aurons des nouvelles séances donc en avril et en mai sur ce sujet, pour pouvoir ensemble présenter une feuille de route commune sur l’avenir que nous voulons pour l’union économique et monétaire.
Et j’attache beaucoup d’importance à ce travail conjoint que nous avons commencé et en particulier dès la semaine dernière, qui a marqué de réelles avancées.
Enfin, nous avons évoqué ce matin le Brexit. Comme vous le savez, deux sujets doivent progresser en parallèle : l’accord de retrait avec des avancées importantes qui ont été enregistrées sur les droits des citoyens, le règlement financier et la période de transition ; et puis un travail qui commence désormais, avec un mandat clair pour notre négociateur Michel BARNIER, sur la relation future.
De manière très claire, nous avons réaffirmé ce matin notre confiance à Michel BARNIER, d’évidence, mais nous avons tous insisté pour dire qu’il n’y avait aucun accord tant qu’il n’y avait pas un accord sur tout, qu’en particulier les éléments sur la période transitoire étaient liés à un accord dans son ensemble.
Ensuite, nous avons je crois tous réaffirmé notre attachement au marché unique : il faut rappeler que celui-ci ne peut pas être découpé et qu’il n’y a pas de choix entre différents secteurs du marché unique. Quand on est à l’extérieur du marché unique, on est à l’extérieur sur tous les secteurs.
Cela ne signifie pas qu’un accord ambitieux ne soit pas possible, mais cela évite les ambiguïtés, et l’intégrité du marché unique, la préservation de l’Union restent notre boussole avec cette volonté d’œuvrer de manière unie.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais à ce stade dire pour rendre compte de notre Conseil, qui comme vous le voyez a abordé de nombreux sujets, avec des réunions qui se tiendront dans les prochaines semaines et les prochains mois et avec un point de rendez-vous extrêmement important qui arrivera au mois de juin prochain.
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