Il est des personnalités qui à elles seules semblent résumer leur art. Jeanne Moreau fut de celles-ci. Avec elle disparaît une artiste qui incarnait le cinéma dans sa complexité, sa mémoire, son exigence. La liste des réalisateurs qui la dirigèrent raconte l’histoire du cinéma au XXème siècle, de Louis Malle, Roger Vadim, François Truffaut à Amos Gitai et Wim Wenders en passant par Orson Welles, Joseph Losey, Michelangelo Antonioni, Jean-Luc Godard et tant d’autres.

Sa force fut de n’être jamais où on l’attendait, sachant s’échapper des catégories où trop vite on aurait voulu la ranger – la séductrice écervelée, la femme fatale – pour embrasser d’autres genres, d’autres récits. Elle travailla aussi bien avec Philippe de Broca qu’avec Bertrand Blier, avec Manoel de Oliveira qu’avec Luc Besson. Telle était sa liberté, constamment revendiquée, mise au service de causes auxquelles elle croyait, en femme de gauche ardente, toujours rebelle à l’ordre établi comme à la routine.

Ses incarnations cinématographiques ne sauraient faire oublier qu’elle fut, au théâtre, de l’aventure du TNP et d’Avignon, et qu’elle revint régulièrement sur les planches au service de textes immenses de Jean Cocteau, Tennessee Williams, Frank Wedekind, Heiner Müller, Fernando de Rojas, Jean Genet, en des mises en scène signées des plus grands (Brook, Vitez, Régy, Grüber). Qu’elle fut une chanteuse dont bien des chansons « disent tout » et résonnent encore dans notre tête. Qu’elle fut réalisatrice par deux fois. Qu’elle toucha les Français par la télévision en particulier dans les grandes sagas réalisées par Josée Dayan.

La reconnaissance des plus grands du métier comme du large public, les innombrables récompenses reçues en soixante-dix ans de carrière, ne firent jamais d’elle une artiste établie. Elle ne cessa, jusqu’à la fin, de chercher de nouvelles voies et de nouvelles collaborations. On aimerait dire à propos de Jeanne Moreau qu’une part de la légende du cinéma s’en va, mais tout son travail fut justement de ne jamais figer son art dans une mythologie et de ne jamais s’enfermer dans le respectable statut de la « grande actrice ». Elle avait dans l’œil un éclat qui déjouait la révérence et invitait à l’insolence, à la liberté, à ce tourbillon de la vie qu’elle aimait tant et que pour longtemps elle nous fera aimer.

Le Président de la République et son épouse présentent à sa famille, à ses amis, au monde du cinéma, du théâtre et de la télévision, leurs sincères condoléances.

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers