8 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing accordée au journal "Le Parisien Libéré" notamment sur le bilan du septennat, son programme pour l'emploi, l'enjeu du deuxième tour, Paris, vendredi 8 mai 1981.

LE PARISIEN libéré. - Vous vous retrouver comme il y a sept ans face à François Mitterrand pour le deuxième tour de l'élection présidentielle. Qu'y a-t-il de changé depuis 1974 ? Pour vous ? Pour votre concurrent ? Mais aussi pour la France ?
Valéry Giscard d'Estaing. - J'ai acquis sept ans d'expérience supplémentaire et si je devais exprimer l'essentiel de cette expérience, je ferais trois constatations.
Je suis encore plus conscient qu'en 1974 des bienfaits et de la nécessité de la solidarité entre les Français. Nous avons fait un effort considérable pour les personnes âgées. La crise doit nous inciter à poursuivre cet effort, à maintenir la solidarité et à mettre l'accent sur l'emploi des jeunes.
J'ai mesuré combien il fallait poursuivre l'effort dans la lutte pour les libertés. Nous avons libéré les prix, étape décisive dans la lutte contre les contrôles administratifs. Par la loi soumise au Parlement, nous préparons la liberté totale des collectivités locales, mais il faut aller encore plus loin. Il faut supprimer les derniers contrôles tatillons de l'administration, qui subsistent dans les différents domaines de la vie économique, sociale et culturelle.
Enfin, ces sept années m'ont rendu conscient d'un danger qu'au début des années soixante-dix l'on ne percevait pas encore : les menaces contre notre sécurité. Menaces d'origine criminelle, d'origine terroriste, ou d'origine internationale. Elles affectent profondément nos villes et notre pays. Il importe donc de tout faire, dans le domaine national comme dans le domaine international, pour renforcer la sécurité.
Quant à mon concurrent, je suis frappé de son obstination. Je trouve qu'il n'a guère changé. Il avait fait un certain nombre de paris, il les a tous perdus... Il continue d'en faire et escamote toutes les difficultés, comme un illusionniste escamote les lapins. Il considérait que le Parti communiste était devenu un parti démocratique, indépendant de l'Union soviétique. Les faits lui ont donné tort. Il feint de prendre ses distances par rapport au programme commun, mais adopte un projet socialiste qui ne réduit en rien le délire bureaucratique de ce programme. Il masque d'une tranquille assurance le vide de sa démarche politique : quels accords le Parti socialiste passera-t-il aux élections législatives qu'il envisage ? Quel comportement adoptera-t-il à l'égard du Parti communiste avant et après ces élections ? Acceptera-t-il de gouverner avec des ministres communistes ? La France est menacée par ces prudences et ces silences.
P.L. - Que vous a apporté cette campagne présidentielle ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Beaucoup de choses. D'abord des contacts directs, vivants et chaleureux avec des Français appartenant à toutes la catégories sociales et vivant dans toutes les régions de France. Ces contacts, je m'étais efforcé de les entretenir tout au long de mon septennat et j'avais pris, vous vous en souvenez, des initiatives en ce sens. Mais cette campagne m'a permis de multiplier ces contacts dans des proportions considérables et je m'en réjouis.
En second lieu, cette campagne m'a apporté des enseignements. J'ai toujours été hostile, chacun le sait, à un type de société étatique et bureaucratique. Je l'ai dit dans mon ouvrage intitulé Démocratie française et cette conviction a inspiré l'action que j'ai menée au cours de ce septennat. Puis-je vous rappeler que c'est pendant cette période que, avec mon accord, le Premier ministre a pris la décision historique de libérer les prix.
Ainsi notre pays a abandonné sans esprit de retour une pratique contraignante et inefficace caractéristique des pays " socialistes " et inconnue dans les sociétés de liberté.
Cela dit, les dernières semaines m'ont permis de constater à quel point est profond le désir de voir l'économie libérée des contraintes de l'état. Je suis donc encouragé à aller plus loin encore dans cette direction. Je suis en particulier décidé à tout mettre est oeuvre pour ramener en dessous de 40 % le taux des prélèvements fiscaux et sociaux.
Enfin, il est bien clair que, si je suis réélu, la confiance que le pays m'aura témoignée encore une fois donnera à mon action un nouvel élan. C'est pourquoi j'ai dit que mon second septennat ne serait pas seulement un nouveau septennat mais un septennat nouveau. L'élection présidentielle aura été pour moi ce qu'elle doit être : un retour aux sources ou plutôt à la seule source qui compte en régime démocratique, le suffrage universel. Une réélection n'est jamais une simple répétition plus encore qu'une confirmation, elle est un recommencement.
P.L. - Êtes-vous satisfait des résultats du premier tour ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Les résultats du premier tour m'ont placé en tête des dix candidats. Lorsqu'il y a dix candidats, il y a une certaine dispersion des voix. Néanmoins, malgré ce que l'on appelle l'usure du pouvoir et malgré l'ouragan des critiques, j'ai eu plus de huit millions deux cent mille voix et j'ai progressé sensiblement dans les zones industrielles et populaires du pays.
P.L. - Est-ce plus difficile ou plus facile de mener une campagne présidentielle lorsque l'on est président sortant ?
Valéry Giscard d'Estaing. - évidemment plus difficile.
P.L. - Donc il aurait été plus facile pour vous d'être simplement le concurrent du président.
Valéry Giscard d'Estaing. - C'est différent... S'il n'y a pas de président sortant, comme en 1974, il est évident que la Campagne est beaucoup plus facile. S'il y a un président sortant, la Campagne est beaucoup plus facile pour l'opposition puisque face à la majorité elle revient à s'opposer au président sortant.
P.L. - Vous avez dit récemment qu'une majorité nouvelle sortirait du deuxième tour. Comment la voyez-vous ? Sera-t-elle différente de la majorité d'avant cette présidentielle ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Je ne pense pas que la majorité nouvelle qui se manifestera au soir du 10 mai sera fondamentalement différente de celle qui a soutenu mon action depuis sept ans. Elle ne sera pas pour autant identique. D'abord par ce que le corps électoral a considérablement changé depuis 1974, en partie pour des raisons démographiques, en partie en raison de la décision que j'ai prise de proposer au Parlement l'abaissement de l'âge de la majorité civique à dix-huit ans. Le corps électoral de 1981 est composé dans une proportion de 20 % d'électeurs qui n'étaient pas encore en âge de voter en 1974.
A ce premier facteur de renouvellement, il faut en joindre un autre auquel je faisais allusion en réponse à votre question précédente. Dans notre système politique, tel qu'il a été institué par le général de Gaulle et massivement approuvé par les Français, l'élection présidentielle n'est pas le fait des partis. Elle établit un contrat entre un candidat et l'ensemble des Français, par-delà tous les clivages politiques, idéologiques, économiques ou sociaux. C'est pourquoi de larges couches de l'électorat qui se réclament des grandes traditions de la gauche humaniste s'apprêtent à m'apporter leurs voix, parce qu'ils n'approuvent ni le programme fondamentalement collectiviste du candidat socialiste, ni l'alliance avec le Parti communiste à laquelle il reste obstinément fidèle.
P.L. - Tiendrez-vous compte, demain, des propositions de M. Chirac qui a d'ailleurs annoncé qu'il voterait pour vous ?
Valéry Giscard d'Estaing.- Tous ceux qui sont attachés aux principes de la Ve République sont, par-delà leurs différences d'un jour, unis sur l'essentiel : le respect des institutions, le choix d'une société de liberté, de responsabilité et de solidarité, l'indépendance nationale, le progrès de la construction européenne.
Si je suis élu, il est clair que ces choix se trouveront confirmés. Mon devoir est aussi de tenir compte des aspirations qui se sont manifestées au cours de cette campagne, et dont il faut remarquer qu'elles dépassent très largement les clivages politiques traditionnels.
Je suis attaché plus que tout autre à la lutte contre l'étatisme et la bureaucratie. Je suis persuadé, comme Jacques Chirac, qu'il faut défendre les classes moyennes. Je suis également convaincu, et depuis toujours, de la nécessité d'une France active. Je reprendrai ces propositions d'autant plus volontiers que, comme vous le savez, ces idées sont les miennes.
Mais la majorité doit encore s'élargir et l'unité nationale doit encore progresser. Les Français en ont conscience et beaucoup de ceux qui jusqu'ici ne m'ont pas encore apporté leur soutien le feront le 10 mai, car ils auront compris que le projet de société que je présente est plus conforme à leurs aspirations que celui de mon adversaire.
P.L. - Estimez-vous toujours qu'il ne sera pas nécessaire, en cas de victoire, d'avoir des élections législatives anticipées ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Mon adversaire a déjà fait savoir que, s'il était élu, le premier geste de son septennat serait de dissoudre l'Assemblée nationale, pourtant régulièrement élue il y a trois ans, sans même attendre que celle-ci lui manifeste son désaccord par une motion de censure. On peut s'interroger sur les raisons qui ont inspiré au candidat du Parti socialiste une intention aussi peu conforme à l'esprit de nos institutions. Peut-être M. Mitterrand espère-t-il ainsi piper les voix d'un certain nombre d'électeurs modérés qui imaginent, après une éventuelle élection du candidat de la gauche socialo-communiste, je ne sais quelle solution de " recours ".
La situation dans laquelle je me trouve au moment où je sollicite la confiance des Français est toute différente. Si vous vous reportez à tous les scrutins importants qui ont eu lieu depuis 1974, vous constaterez que la confiance de la représentation nationale n'a jamais fait défaut aux deux Premiers ministres que j'ai successivement chargés depuis sept ans de conduire l'action du gouvernement de la France. Je vous rappelle aussi que la majorité parlementaire a été confirmée en mars 1978 sur la base d'un contrat passé devant les électeurs et avec eux. Je le dis comme je le pense : l'idée que cette majorité pourrait voler en éclats au lendemain d'un nouvel échec du candidat de la gauche marxiste n'a aucune vraisemblance. Ce qui est très probable, au contraire, c'est que des éléments issus de la gauche viendront la renforcer et l'élargir.
Cette volonté d'élargissement qui a toujours été la mienne avait été mal comprise par certains membres de la majorité. J'ai constaté au cours de ces derniers mois que sur ce sujet toute la majorité s'est désormais ralliée à mon point de vue. Ce n'est pas la moindre satisfaction que j'aurai tirée de cette campagne.
P.L. - Si vous êtes élu le 10 mai, mettrez-vous aussitôt en chantier votre plan pour l'emploi ? Quelles seront les premières mesures que vous ferez adopter ?
Valéry Giscard d'Estaing. - J'agirai immédiatement pour l'emploi. C'est la tâche prioritaire mais il ne faut pas dissimuler aux Français la vérité : le chômage ne peut pas disparaître complètement tant que la crise internationale ne sera pas surmontée. Ceux qui promettent sa disparition immédiate, en promettant des emplois de fonctionnaires, distillent l'illusion sinon le mensonge.
Vous connaissez la priorité de mon programme : d'abord offrir un emploi à tous les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, puis parvenir à une réduction significative du nombre des demandeurs d'emploi.
Pour atteindre cet objectif, je propose un ensemble cohérent de sept mesures soumises à deux conditions.
Les deux conditions à réunir sont l'indépendance énergétique et la compétitivité de nos entreprises. Pourquoi l'indépendance énergétique ? Pour réduire nos importations de pétrole et réduire le coût de l'énergie. Qu'est-ce que des entreprises compétitives ? Ce sont des entreprises qui innovent, qui investissent, qui exportent, qui vendent des produits appréciés. Ce sont des entreprises qui peuvent offrir des emplois et des revenus réels.
Les deux conditions sont réunies. Il reste à mener sept actions pour l'emploi. Ce sont les premières mesures que je ferai adopter.
1. - Donner une qualification à cent mille jeunes supplémentaires par an. Il est navrant de voir des entreprises demander tel ou tel type d'emploi et ne pas trouver de candidats correctement formés.
2. - Encourager le départ des travailleurs immigrés. Cela permettra de réduire une partie du chômage. Vous savez qu'environ 10 % des chômeurs sont de nationalité étrangère.
3. - Abaisser, dans le secteur privé et la fonction publique, l'âge d'accès à la retraite et à la préretraite.
4.- Utiliser les indemnités versées aux chômeurs pour faciliter leur emploi par les entreprises.
5. - Éliminer les obstacles à la création d'emplois par les petites et moyennes entreprises en réduisant les charges sociales et fiscales qui pèsent sur elles et les empêchent d'embaucher, et en éliminant les dernières contraintes bureaucratiques qui subsistent encore.
6. - Développer le temps partiel et introduire la cinquième équipe en travail continu, favoriser la réduction du temps de travail.
7. - Renforcer le contrôle des abus du système d'indemnisation du chômage.
Comme vous le voyez, ce sont là des actions réalistes et complémentaires. Elles permettront, j'en suis convaincu, de relever avec succès le défi de l'emploi dans les années qui viennent et d'améliorer notre situation dès 1981 et 1982. Elles permettront de créer plus d'un million d'emplois nouveaux d'ici à 1985.
P.L. - Quelles seront les premières décisions que vous prendrez si vous êtes réélu ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Un ensemble de propositions concernant l'emploi des jeunes et des dispositions visant à alléger les charges du passé sur la vie économique et sociale, c'est-à-dire l'élimination d'un certain nombre de charges ou de contentieux anciens dans le domaine fiscal, dans le domaine social : remettre les compteurs à zéro.
P.L. - Donc un nouveau départ ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Un nouveau départ.
P.L. - Vous parlez de septennat nouveau mais quel sera le changement si vous êtes réélu ? Serai-ce un changement d'hommes ou de politique puisque le président sera le même ?
Valéry Giscard d'Estaing - Dans l'histoire de l'humanité, il y a beaucoup de gens qui ont mené une action d'une durée plus longue que sept ans et il ne faut pas avoir cette idée singulière qu'après sept ans les capacités d'imagination ou d'action sont épuisées. Ce sera un septennat nouveau en ce sens que l'accent sera mis sur les problèmes de la jeunesse, notamment l'emploi et la formation, comme je m'y suis engagé. Par ailleurs je souhaite un certain renouvellement des équipes au pouvoir, faisant appel plus largement à ce que j'appellerai les Français qui ont réussi par rapport à la filière " administration-élection-gouvernement ".
Deuxièmement, je pense que le mouvement en cours dans la vie politique française, mouvement qui tend vers des positions moins extrêmes et donc qui se rapproche du dialogue démocratique, pourrait s'accentuer au cours du deuxième septennat.
P.L. - Si vous êtes élus le 10 mai, vous le serez encore une fois bien entendu par la majorité, mais néanmoins par un peu plus que la moitié des Français. N'est-il pas difficile d'être ainsi l'élu seulement d'à peine plus de la moitié des Français ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Dans les pays réellement démocratiques, les élections donnent presque toujours lieu, qu'elles soient législatives ou présidentielles, à un score serré. C'est ce qui les distingue des élections qui ont cours dans les régimes de démocratie dite " populaire " où des majorités de 99 %, ou davantage, ne sont pas rares. Pour répondre très exactement à votre question, je dirai donc que, non seulement il n'est pas difficile d'être l'élu d'un peu plus de la moitié du corps électoral, mais que c'est la règle.
Ce qui est difficile en revanche, c'est de gouverner quand on a été élu par une coalition de partis qui ne sont d'accord sur presque rien et qui entendent poursuivre au sommet la lutte féroce qui les oppose. Nul n'ignore que telle serait la situation de mon adversaire s'il était élu.
Ma situation est évidemment toute différente puisque mes positions sont parfaitement claires. Tous ceux qui me soutiendront le 10 mai le feront pour maintenir le type de société qui est le nôtre, une société de liberté, de responsabilité et de solidarité.
La question que vous soulevez fait ainsi apparaître l'abîme qui me sépare de mon adversaire sur le point que vous évoquez. Cet abîme constitue d'ailleurs l'une des raisons, sinon la principale, pour lesquelles ma réélection représente un meilleur choix pour la France que l'élection de François Mitterrand. Je suis convaincu que, au cours de ces derniers jours qui sont pour tous les électeurs une période de réflexion approfondie, beaucoup de Français qui hésitent encore aboutiront à cette conclusion de simple bon sens. Je vous remercie de l'occasion que vous m'avez offerte de leur adresser ici un appel à la fois solennel et amical.
P.L. - Pensez-vous que lors de cet éventuel nouveau septennat, la décrispation sera plus facile avec l'opposition que jusqu'à présent, et que comptez-vous faire dans ce domaine pour y parvenir ?
Valéry Giscard d'Estaing. - C'est en fait l'attitude de mon concurrent dans cette élection qui a bloqué l'évolution du Parti socialiste vers la social-démocratie. La signature du programme commun, la persistance dans ses alliances a maintenu le Parti socialiste français dans une ligne qui est actuellement celle d'aucun autre parti socialiste d'Europe. Je pense que dans le nouveau septennat on assistera à une révision de la ligne politique du parti socialiste.
P.L. - Et donc à une décrispation ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Et donc à une décrispation plus importante.
P.L. - Que pensez-vous du score du Parti communiste au premier tour ? De sa baisse, on ne peut plus sensible ? Est-ce pour vous un phénomène important de la vie politique française ?
Valéry Giscard d'Estaing. - M. Mitterrand a en effet obtenu dès le premier tour des voix communistes qui ont préféré anticiper les résultats de ce premier tour. C'est ce qui explique le faible pourcentage des voix obtenues par le Parti communiste. Je constate, par ailleurs, que M. Mitterrand n'a gagné aucune voix au centre.
Nous devons donc considérer que le score du Parti communiste est conjoncturel, même s'il s'inscrit dans une tendance à long terme d'affaiblissement.
Mais quand on réfléchit sur le Parti communiste et le danger qu'il présente, on doit bien voir que son influence réelle tient non à ses résultats électoraux, mais aux positions qu'il occupe dans la société française. D'abord par le puissant syndicat dont il a réussi à s'emparer et qu'il utilise comme une courroie de transmission. Ensuite, par le réseau puissant d'associations, de mouvements et de communes, qui fait que, dans certaines zones, et notamment dans la banlieue parisienne, aucune activité politique, économique, culturelle n'échappe à son contrôle.
C'est cette puissance réelle qu'il convient d'examiner lorsqu'on parle du Parti communiste. C'est sur cette puissance réelle que M. Mitterrand ferait bien de méditer et de s'expliquer. Car ce serait de l'irréalisme ou de l'inconscience que de croire que le rapport de force entre le Parti socialiste et le Parti communiste tient seulement au nombre de voix recueillies.
P.L. - Essaierez-vous de sortir un peu plus de la tour d'ivoire élyséenne au cours de cet éventuel nouveau septennat ?
Valéry Giscard d'Estaing. - J'essaierai d'en sortir le plus possible. Je demande qu'on m'en laisse sortir et, en particulier, qu'on puisse distinguer dans la vie du président de la République deux aspects : l'aspect officiel et formel dont il est naturel qu'il soit couvert par tous les grands moyens d'information, et puis un aspect beaucoup plus naturel auquel je souhaiterais conserver le caractère de simplicité qui doit marquer les relations entre les Français.
P.L. - Pensez-vous qu'il soit bon pour la France d'avoir en gros le même régime pendant trente ans. Ne peut-on pas penser dans ce cas que les Français ont peur du changement ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Pas du tout. Le changement n'a jamais été une fin en soi. Le changement est bon s'il va vers des solutions meilleures. Si, au contraire, il va vers des risques plus grands - ce qui serait le cas du changement actuel - ou vers la démolition de ce qui a été entrepris et réalisé, il est funeste en lui-même.
P.L. - Que pensez-vous de votre concurrent François Mitterrand ? S'habitue-t-on à avoir ainsi toujours le même adversaire et pensez-vous, par ailleurs, qu'il s'agisse vraiment entre vous d'un choix de société comme on a coutume de le dire ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Il s'agit d'un choix fondamental. C'est un choix fondamental parce que cela fait plusieurs années que nous essayons de mettre la France en état de faire face à la crise économique qui subsiste dans le monde et que notre campagne présidentielle nous fait un peu oublier. Je vous rappelle, par exemple, que cette année, la production allemande va baisser, la production britannique va baisser. La situation de nos voisins belges et italiens est extrêmement critique et que nous avons, à l'heure actuelle, une situation qui, sans être bonne, est la plus solide d'Europe. Je suis convaincu que l'application des mesures proposées par mon concurrent créerait un désordre économique et social profond de l'économie française. Je suis convaincu, en particulier, que vous ne trouveriez plus une entreprise pour investir ou une entreprise pour embaucher.
P.L - Mais que pensez-vous alors de votre concurrent M. Mitterrand ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Je ne le juge pas. C'est aux Français de le juger.
P.L. - Si vous êtes réélu, vous resterez donc quatorze ans au pouvoir. Que souhaiterez-vous laisser dans l'histoire de France comme image de vous en tant que président ?
Valéry Giscard d'Estaing. - L'image de quelqu'un qui a maintenu la France en paix, d'abord. L'image, ensuite, de quelqu'un qui aura modifié en profondeur la situation de certains grands groupes sociaux. Je pense aux personnes âgées, aux femmes, à ce que j'appellerai les plus faibles. C'est-à-dire les handicapés, ceux qui constituent les îlots de pauvreté subsistant dans la société française. Je voudrais qu'à mon départ il n'y ait plus aucun îlot de pauvreté en France.
P.L. - Prendrez-vous des initiatives en politique étrangère ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Il y aura une politique étrangère très active dans les années venir. Le monde connaîtra d'ailleurs une situation périlleuse parce que la remontée de la puissance des États-unis, face à une Union soviétique qui, bien entendu, s'efforcera de maintenir l'équilibre de la puissance, créera inévitablement des périodes de tension. Dans ces périodes de tension, la France doit être présente et elle doit continuer à poursuivre un dialogue actif pour la paix.
P.L. - Vous parlez souvent de " danger communiste ". Quelles seraient, en cas de victoire de François Mitterrand, les conséquences, selon vous, de la présence éventuelle des ministres communistes au Gouvernement, notamment pour les relations internationales de la France ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Pour répondre à votre question, je vous suggère simplement d'imaginer une réunion d'un Conseil des ministres comprenant des ministres communistes, où des décisions devraient être prises. Une tentative de déstabilisation s'est produite dans un pays africain. Les ressortissants français sont menacés. Faut-il ou non intervenir militairement ? En cas de crise au Moyen-Orient, quelle position devrait adopter la France ? En cas de maintien des troupes soviétiques en Afghanistan, quelle position doit prendre la France ? Le système monétaire européen doit être renforcé. Cela nécessite un accord entre l'Allemagne fédérale et la France. Faut-il conclure cet accord ?
Je vous laisse deviner la tournure que prendront les débats et comment la France sera conduite à l'inaction et à l'effacement.
P.L. - Le candidat écologiste a réussi un très beau score au premier tour. Cela signifie-t-il que ces problèmes d'écologie et d'environnement n'ont pas été suffisamment abordés et traités lors de votre premier septennat ? Avez-vous des plans précis dans ce domaine ? Et notamment, que comptez-vous faire pour l'amélioration de l'environnement dans la région parisienne ?
Valéry Giscard d'Estaing. - Dans le ton de a qui a été dit, j'ai observé au contraire qu'on reconnaissait l'importance de l'effort écologique qui a été accompli au cours de mon septennat. Cette préoccupation écologique est profondément la mienne. Ça n'est pas pour moi de l'opportunisme électoral. Je vous rappelle quelques chiffres : on a planté en Île-de-France l'équivalent du bois de Boulogne tous les ans £ on a renversé la proportion de constructions entre les grands ensembles collectifs et les maisons individuelles. J'ai été frappé d'ailleurs de ce que mon concurrent, parlant récemment du problème du logement, n'a cité pratiquement ni le mot " propriété " ni le mot " maison individuelle ". Alors que moi, j'ai deux objectifs : la construction de maisons individuelles et l'accession à la propriété. Il reste encore une grande nuisance où les progrès sont insuffisants, c'est le bruit. Dans le nouveau septennat, il faudrait une action énergique d'élimination des causes et, lorsqu'on ne peut pas faire autrement, des effets du bruit. Je pense également qu'il faut conduire une très grande action de prévention des fléaux sociaux. Je pense à certaines maladies (cancer) £ je pense à l'usage de la drogue... Ces actions de prévention doivent être menées avec toutes les professions de santé. Si bien que la question de la qualité de la vie sera également au centre des préoccupations du septennat.