6 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing sur les enjeux politiques et économiques de l'élection présidentielle de 1981 lors de la campagne officielle télévisée pour le deuxième tour, Paris, mercredi 6 mai 1981

QUESTION.- Monsieur GISCARD d'ESTAING, bonsoir,
- Si je suis là pour vous interroger ce soir c'est que malgré le débat d'hier 'face à face GISCARD - MITTERRAND' vous n'avez pu, faute de temps, répondre à toutes les questions que les Français se posent. Or c'est je crois le rôle d'un journaliste indépendant de poser des questions que se pose le public.
- Alors première question : on a longuement parlé hier soir de ce qui pourra se passer au lendemain de l'élection. On a évoqué des scénarios possibles, ma première question, ma première demande de précision est simple, si vous êtes élu dimanche êtes-vous tout à fait sûr d'avoir une majorité au Parlement, en êtes-vous si sûr ?
- LE PRESIDENT.- Merci monsieur MOUGEOTTE de me poser cette question, je vous rappelle à propos de la durée du débat hier que j'avais proposé deux débats pensant qu'en effet le nombre de questions à traiter justifiait deux débats. Au lendemain des élections présidentielles, naturellement je serai assuré d'une majorité puisque les électeurs français se seront exprimés deux fois, en mars 1978, élisant l'actuelle majorité et en mai 1981 en élisant le Président de la République et, si les électeurs ont confirmé deux fois leur vote majoritaire, bien entendu les élus respecteront le vote de leurs électeurs. Il y aura donc une majorité et on pourra se remettre tout de suite au travail.\
QUESTION.- Vous n'aurez pas de problème avec le RPR ? C'est celà que les gens se demandent.
- LE PRESIDENT.- Il n'y aura pas de problème, vous avez vu qu'à l'heure actuelle la totalité pratiquement des parlementaires RPR s'est prononcée en faveur de ma candidature et d'ailleurs participent très largement à la campagne `campagne électorale` du second tour.
- Alors quel sera le déroulement de l'activité gouvernementale ? Ceci se passera de la manière suivante : d'abord dans un premier temps des consultations, il faut voir tous ceux qui ont participé à cette campagne de façon à recueillir leur avis sur les préoccupations que les Français ont voulu exprimer. Ensuite, nomination du Premier ministre et du Gouvernement puis ce que j'appelle les Etats Généraux de la majorité, c'est-à-dire une réunion très ouverte, sans formalité, de l'ensemble des parlementaires appartenant à la majorité au Sénat, à l'Assemblée nationale pour qu'ils examinent avec le Gouvernement les grandes orientations de l'action à poursuivre pendant le reste de la législature, un programme pour les deux ans de la législature et enfin la mise au travail de l'Assemblée nationale sur des sujets d'actualité, je dirai même d'urgence. Les premières dispositions à voter devront intéresser l'emploi et notamment l'emploi des jeunes. Voilà donc ce qui se passera si je suis élu.
- E. MOUGEOTTE.- C'est-à-dire pas de dissolution, vous êtes formel ?
- LE PRESIDENT.- J'exclus totalement la dissolution, il n'y a aucune perspective de dissolution.\
`Réponse`
- Si c'est mon concurrent qui est élu, la situation est complètement différente et il l'a exposée clairement hier soir pour la première fois. Vous avez noté qu'après certaines hésitations il a indiqué qu'il dissoudrait tout de suite l'Assemblée nationale, finalement il ne la réunira même paset il dissoudra tout de suite. Il renverra donc la majorité qui a été élue par les Françaises et les Français en mars 1978, qui a été élue par vous. Ensuite il procèdera à de nouvelles élections et pour la préparation de ces élection il a indiqué que devrait se nouer une négociation entre le parti socialiste et le parti communiste. Or cette négociation se déroulera dans un temps précipité, puisque le calendrier est extrêmement court, et dans une situation de faiblesse pour le Président de la République et pour son Parti. Parce que, comme il aura renvoyé la majorité existante il est essentiel pour lui, s'il veut maintenir son autorité, que revienne une majorité qui ne soit pas celle qu'il a chassée lui-même et donc il sera lié au succès de cette majorité socialiste et communiste et les communistes pourront poser leurs exigences pour établir cet accord électoral. Réfléchissez un instant : ce ne sont pas les députés qui ont été renvoyés auxquels on pourra demander leur suffrage pour exécuter une politique qui sera contraire précisément à leurs engagements. Si bien que la négociation entre les socialistes et les communistes se fera comment ? Les communistes diront le minimum c'est votre projet, vous avez fait un projet - le projet socialiste en juin 1980 - cela c'est le départ et nous allons situer les solutions entre votre projet et notre projet communiste. Si bien que le projet socialiste sera le minimum de ce que le Gouvenement s'engagera à accomplir.\
`Réponse`
- Je vous rappelle quelques caractéristiques de ce projet, `projet socialiste' je les ai évoquées hier soir : suppression du régime autonome de la retraite des cadres puisqu'il y aura le déplafonnement de toutes les cotisations.
- En ce qui concerne les agriculteurs, offices fonciers cantonaux pour régler le problème de l'utilisation et de l'affectation des terres. Offices fonciers cantonaux, il savent ce que cela veut dire.
- Pour les médecins, je pourrais vous lire le texte, je vous fais des extraits, ce sont des extraits du texte. "Vers un service communautaire de santé, le rôle pilote sera confié aux centres de soins agréés" et ceci vaut également en ce qui concerne le régime de la pharmacie. Pour l'armée, les comités de soldats £ vous voyez la situation de notre défense dans les temps que nous allons traverser avec une armée organisé autour de comités de soldats. Pour la société, les moeurs, libéralisation totale de l'interruption volontaire de grossesse avec suppression par exemple de l'autorisation pour les mineures, chose que nous avons refusée lors de l'adoption du texte et un certain nombre de dispositions fiscales de portée considérable. Voilà ce que sera le minimum de ce que les Français verront appliquer au-cours de cette période.\
QUESTION.- Moi, je voudrais que l'on revienne à vous, Monsieur GISCARD D'ESTAING, et au débat d'hier soir, à des points d'éclaircissement. Hier soir comme tout au long de la campagne `campagne électorale', M. MITTERRAND et vous-même vous avez fait des promesses, mais on n'a pas beaucoup chiffré on n'a même pas chiffré du tout et je suis sûr que les Français voudraient savoir combien tout cela va leur coûter ?
- LE PRESIDENT.- Très volontiers, vous avez vu que j'ai fait peu de promesses. J'ai indiqué les directions dans lesquelles l'effort devra être poursuivi, effort de solidarité, dont j'avais indiqué qu'il sera poursuivi, aux personnes âgées, familles, handicapés, travailleurs manuels, femmes seules, pour lesquels nous continuerons l'effort, engagé au-cours du septennat précédent, que nous avons été capables de financer.
- J'ai pris un engagement financier nouveau, précis, qui concerne l'emploi des jeunes. Je peux vous dire que le chiffrage de ce projet est de-l'ordre de 2 milliards de francs pour la première année 1981, puisque cela démarre progressivement, de-l'ordre de 7 milliards de francs pour la deuxième année, de-l'ordre de 10 milliards de francs pour la troisième année. Et si on voit la progression des ressources fiscales de la France nous pouvons financer un tel projet.
- Par contre, si je prends le programme de mon concurrent, vous savez que le chiffrage qui a été fait par le ministère du budget aboutit à des dépenses de-l'ordre de 300 milliards de francs. Or, 300 milliards de francs personne ne sait ce que c'est. Les téléspectateurs doivent se dire "qu'est-ce que c'est que ces chiffres". Cela veut dire le dixième du revenu national de la France. On dépenserait en plus le dixième de notre revenu national.\
`Réponse`
- Naturellemement j'imagine que mon concurrent `François MITTERRAND' dira qu'il va étaler son programme, mais, même s'il l'étale, les évaluations les plus réalistes qu'on puisse faire montrent que nous aurions un déficit budgétaire de 100 milliards de francs en 1982 et un déficit extérieur de 100 milliards de francs également en 1982. Qu'est ce que veulent dire ces chiffres ? Eh bien pour le déficit budgétaire le triplement du déficit actuel et d'ailleurs hier soir M. MITTERRAND a dit "en effet je reconnais que vous avez maintenu le déficit dans des limites étroites et donc il y a une marge pour l'augmenter", mais ce déficit comment le financera-t-on et s'il y a une création de monnaie, l'effet automatique - les Français y sont habitués hélas depuis longtemps - c'est l'accélération de la hausse des prix et si vous prenez le déficit extérieur 100 milliards on dit "qu'est-ce que c'est". C'est l'équivalent des deux chocs pétroliers précédents qui ont désorganisé notre économie et qui nous ont en réalité plongé dans la crise.
- Alors voilà l'ordre de grandeur, 100 milliards de déficit budgétaire, 100 milliards de déficit extérieur. Et une indication, sur les allocations familiales : on propose une augmentation très forte des allocations familiales. Comme nous avons fait une politique en faveur de la famille, les comptes des allocations familiales sont cette année juste équilibrés, il y a même un léger déficit parce que nous avons simplement dépensé l'argent pour les familles. Ce qui est fait comme proposition entraînerait une augmentation des cotisations, parce que c'est payé par des cotisations, de 2 points et demi de plus qu'il faudrait donc prélever sur les salaires, 2 points et demi de plus pour payer le supplément d'allocations familiales.
- Voilà quelques exemples du coût de la facture.\
QUESTION.- Je voudrais revenir à vous Monsieur GISCARD D'ESTAING et en-particulier sur-le-plan fiscal n'est ce pas, les engagements que vous pouvez prendre et que les gens attendent parce que cela ils savent ce que cela veut dire, en-matière d'impôts nouveaux, en-matière de pression fiscale.
- LE PRESIDENT.- Nous avons commencé à préparer le budget de 1982, nous avons commencé à le préparer prudemment parce qu'il y avait l'échéance présidentielle. Je peux vous dire qu'il n'y aura pas de création d'impôts nouveaux. Je suis quelqu'un qui toute ma vie ai lutté contre l'accroissement fiscal et donc il n'y aura pas de création d'impôts nouveaux. Il y aura même l'élargissement des tranches du barème, ce que j'ai indiqué, pour compenser les effets de la hausse des prix et même avec un effort particulier qui devrait être étalé sur plusieurs années pour être réaliste, en faveur des catégories que j'appelerais petites et moyennes où notre barème est trop serré.
- La progressivité de l'impôt est trop forte. Mon objectif est de réduire progressivement le taux du prélèvement global sur l'économie française. Il a augmenté c'est vrai, il a augmenté pourquoi ? Parce qu'il y avait la crise et nous avions les efforts de solidarité à faire en faveur des chômeurs, en faveur des personnes âgées, des familles, toutes sortes de groupes qui étaient touchés par la crise, mais au fur et à mesure que notre situation s'améliorera je souhaite que nous puissions réduire notre prélèvement fiscal global qui est en effet à l'heure actuelle trop lourd.
- E. MOUGEOTTE.- Cela veut dire renverser une tendance car on est sur une tendance d'augmentation.
- LE PRESIDENT.- Non, en vérité c'est qu'on a commencé à l'arrêter cette année. Si vous regardez, mais n'entrons pas dans ces détails, le budget de 1981 préparé par l'actuel Gouvernement marque déjà en réalité l'arrêt de la tendance et il faudra en effet accentuer cet effort.\
QUESTION.- Donc j'enregistre, pas d'impôt nouveau, rien sur les successions, rien sur le reste, enfin c'est formel cela.
- LE PRESIDENT.- C'est tout à fait formel, monsieur MOUGEOTTE. Mais alors par contre je vous indique et je vous rappelle les projets fiscaux de mon concurrent sur quelques points. Par exemple on critique le système des plus values, il faut le simplifier d'ailleurs, mais nous avons exonéré totalement la résidence principale, la maison individuelle. Dans le projet que j'ai ici, je peux vous le lire, au contraire la résidence principale à-partir d'un certain seuil rentre dans le système des plus values fiscales, alors je le dis au million de Français que nous avons rendus propriétaires de leur maison.
- Deuxième exemple les droits de succession, qu'on ne dise pas que c'est un projet en l'air, un amendement que j'avais apporté hier soir a été déposé à l'Assemblée nationale au mois d'octobre avec le numéro 40 et qui propose de porter de 20 % ce qui est le taux actuel à 45 % à-partir de 500000 francs les droits de succession en ligne directe, c'est-à-dire entre parents et enfants ou entre mari et femme, 500000 francs vous voyez ce que c'est. C'est-à-dire pour un exploitant agricole ou pour un commerçant, pour un artisan ou quelqu'un qui est meme propriétaire d'un logement un peu important on fera passer le taux des droits de succession de 20 % à 45 %. Vous savez qu'à l'heure actuelle le problème pour l'agriculture, pour la petite exploitation c'est justement la transmission de l'exploitation et du patrimoine, eh bien dans ce cas là les droits deviendraient des droits qui ne pourraient plus être supportés en réalité par nos petites exploitations individuelles. Or ceci a été proposé, déposé à l'Assemblée nationale. Voilà les projets fiscaux.\
QUESTION.- Je voudrais que l'on revienne à l'emplooi, monsieur GISCARD D'ESTAING car vous avez au début de la campagne `campagne électorale` présenté un plan sur l'emploi, on en a parlé hier soir, mais moi je manque de précisions là-dessus. Je voudrais savoir combien vous allez créer d'emplois si vous êtes réélu et en combien de temps ? Des chiffres et un calendrier. On ne l'a pas eu hier soir.
- LE PRESIDENT.- Sur ce problème de l'emploi, là aussi, il faudrait en effet de longs débats, parce que je reconnais la gravité et l'importance du problème. Ceux qui me critiquent en tirent une conséquence fausse et injuste qui consiste à dire : "Ah ! vous voyez, vous ne vous êtes pas préoccupé de ce problème". Nous n'avons pas cessé de nous en occuper, et je vous donne deux exemples :
- Premier exemple, ce matin en Conseil des ministres, on nous a rendu compte du dernier Pacte national pour l'emploi tel qu'il vient de se dérouler depuis le mois de septembre jusqu'à la fin du mois de mars. Nous avons obtenu l'embauche de 498000 travailleurs au-titre de ce pacte avec des actions qui sont des actions qui préparent l'avenir pour les contrats d'apprentissage : 123400, alors qu'il y a quelques annés nous étions au niveau de 60000, 123400, et pour les stages pratiques en entreprise, qui est une formule nouvelle et dans laquelle contrairement à ce qu'on dit les jeunes restent au travail dans la proportion des trois quarts, 144500 recrutements.
- Donc simplement pour vous dire, voilà ce qui a été accompli au-cours des 9 mois qui viennent de s'achever et quand on parle de la situation, on dépeint la France comme n'ayant pas accompli l'effort qu'ont accompli les autres.
- Les statistiques européennes viennent d'être publiées, elles ne sont pas nationales, pour ne pas dire que nous les avons manipulées ou préparées. En un an, de mars 1980 à mars 1981 le chômage a augmenté en Angleterre de 68 %, le chômage a augmenté aux Pays-Bas de 63 %, en Allemagne fédérale `RFA' de 38 % et en France de 17 %. Nous sommes le pays qui a le mieux lutté en ce qui concerne l'emploi.\
QUESTION.- Ce n'est pas la question monsieur GISCARD D'ESTAING, la question pour les Français c'est combien va-t-on créer d'emplois ?
- LE PRESIDENT.- 1 million d'emplois d'ici 1985. 1 million d'emplois ce qui correspond si vous voulez au supplément de l'arrivée des jeunes sur le marché du travail d'ici 1985. 1 million d'emplois de plus. Comment ? D'une part par la création d'emplois due à l'activité économique pour notre programme d'investissement et notre grand emprunt franco - allemand pour que les entreprises, étant plus compétitives, créent de nouveaux emplois et embauchent. Et ensuite une série de dispositions particulières qui touchent, vous le savez, la formation professionnelle, les retraites anticipées sur une base volontaire, l'introduction et le développement du travail à temps partiel, l'élimination des abus dans le système de l'indemnisation du chômage.
- E. MOUGEOTTE.- Qu'est-ce que vous pouvez faire pour inciter et pour aider les petites et les moyennes entreprises à créer des emplois, et est-ce que c'est possible, et est-ce qu'il y a quelque chose dans votre plan là-dessus ?
- LE PRESIDENT.- Oui. D'une part il faut alléger certaines de leurs charges `charges sociales', notamment celles qui sont au voisinage de ce qu'on appelle les seuils, ces seuils qui freinent certainement la création d'emplois : il faut alléger les charges au voisinage de ces seuils. Il faut leur donner des facilités de crédit, ce qui sera fait, au-titre du grand emprunt.
- Et il faut enfin permettre à certains travailleurs de conserver une partie de leurs allocations de chômage lorsqu'ils se remettent au travail pour que ces allocations soient une incitation à la remise au travail, et non pas une incitation à demeurer dans une situation de demandeur d'emploi.
- E. MOUGEOTTE.- Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent : "Dans lefond, vous visez moins à créer des emplois qu'à répartir le chômage, et c'est cela votre politique" ?
- LE PRESIDENT.- Pas du tout. Notre politique, au contraire, est une politique de développement économique et industriel de la France, et quand je dis "création d'un million d'emplois" cela veut dire " création d'un million d'emplois".\
`Réponse'
- Alors, je voudrais simplement vous dire pour prévenir les Français, en-particulier nos jeunes compatriotes, que si le programme de l'opposition est mis en application, s'il y a cette majoration des charges `charges sociales' : tout de suite, l'augmentation massive du SMIC dès le prochain mois, et augmentation des contraintes et des charges pour les entreprises petites et moyennes £ nationalisation de tout le système bancaire, ce qui veut dire que tout le patrimoine des Français sera entre les mains d'organismes dépendants de l'Etat, pour la première fois dans notre histoire £ s'il y a menace de nationalisation, qui fait que la moitié de notre industrie sera nationalisée, il n'y aura plus une création d'emploi en France au-cours de cette période.
- Je le dis aux télèspectateurs £ chacun connait un chef d'entreprise petit ou grand, parfois petit naturellement, mais qui peut tenir un garage ou une petite entreprise artisanale, ou un commerce qui a quelques employés, ou une exploitation agricole. Renseignez-vous : si on annonce la mise en place d'un tel programme, aucun chef d'entreprise ne créera d'emploi nouveau à-partir de l'été 1981. Et comme il va arriver 200000 jeunes par mois : 200000 en juillet, 200000 en août, 200000 en septemenbre, ils seront devant une économie désorganisée où aucun chef d'entreprise ne procèdera à des embauches nouvelles.
- Et c'est ce qui veut dire que le risque, en réalité, il n'est pas de mon côté. Parce que, de notre côté, nous avons des moyens de poursuivre notre politique de création d'emplois £ nous n'introduisons aucun désordre dans l'économie, alors que la désorganisation de l'économie est incompatible avec l'offre d'emplois nouveaux dans les prochains mois.\
E. MOUGEOTTE.- Un mot de politique étrangère, si vous le permettez, car le temps presse. il a semblé à beaucoup d'observateurs que, sur ces sujets de politique étrangère, dans le fond il n'y avait pas de désaccords fondamentaux entre vous et monsieur MITTERRAND hier soir.
- LE PRESIDENT.- Quand on parle de politique étrangère en termes généraux, il n'y a jamais de désaccords fondamentaux, simplement les désaccords sont dans les moyens, et dans les moyens, c'est la liberté d'agir. J'indique que mon concurrent n'aurait pas la liberté d'agir en-matière de politique étrangère pour deux raisons.
- D'abord, parce qu'en-matière de défense sa position ne serait pas crédible. Il a proposé en 1973 l'arrêt de notre force nucléaire de dissuasion. Il a voté, je l'ai rappelé hier soir, contre toutes les lois-programmes d'équipement de nos forces. Quelle serait alors sa crédibilité au-titre de l'usage de la dissuasion française ? Qui croirait que quelqu'un qui s'est opposé à la -constitution d'une force est décidé ou déterminé à en faire usage si c'était nécessaire pour les besoins de la France ? Première limitation de sa possibilité d'agir.
- La seconde, c'est que les options de politique étrangère de sa majorité seraient des options qui lui retireraient une liberté d'action vis-à-vis de certains des grands dirigeants du monde, alors qu'au contraire la majorité actuelle m'a permis, par son soutien, d'avoir une grande liberté d'action en ce qui concerne la conduite de la politique étrangère de la Frane.
- Donc il n'aurait pas la liberté d'agir, et cela veut dire, soyons clairs, le déclin de l'influence de la France dans le monde.\
E. MOUGEOTTE.- Une dernière question à vous poser, monsieur GISCARD D'ESTAING, qui déborde d'ailleurs le débat d'hier £ vous avez dit au début de votre campagne `campagne électorale' : Si je suis réélu, ce ne sera pas un nouveau septennat, ce sera un septennat nouveau". Avez-vous conscience du désir de changement des Français qui, manifestement, est profond ?
- LE PRESIDENT.- Bien entendu, j'ai conscience de ce désir. D'ailleurs, tout au long de la campagne je l'ai rencontré, ce désir de changement.
- Il faut savoir que ce désir de changement, en même temps, il a joué des mauvais tours à la France, et que, dans le passé, on a parfois changé pour connaître des situations plus difficiles. Je vous rappelle les dictons de la sagesse française : "Un bon tiens, vaut mieux que deux tu l'auras" , les Français savent cela depuis longtemps.
- Mais il y a ce désir de changement, ce désir de changement je le reconnais, et moi-même, ayant pendant sept ans conduit une certaine action d'une certaine manière, je souhaite le renouvellement, parce que la vie nous change £ la vie vous a changé monsieur MOUGEOTTE, la vie m'a changé et je souhaite conduire une action nouvelle, c'est cela qui m'intéresse et qui est mon ambition profonde.
- Alors, nouvelle comment ? D'abord un septennat plus ouvert : pour des raisons politiques diverses, notre situation s'était tendue, s'était, à certains égards, crispée en-matière politique il faut que les relations soient plus ouvertes au-sein de la majorité, et j'espère même au-delà.
- Il faut peut-être un septennat plus humain. Les contraintes de la crise nous ont amenés à nous concentrer sur certains sujets, ou à nous préoccuper de la politique, par exemple, économique, en y consacrant toute notre attention. Mais il y a aussi la dimension humaine des choses et des problèmes.\
E. MOUGEOTTE.- On vous le reproche souvent, d'être un peu loin des gens.
- LE PRESIDENT.- Non, je ne crois pas qu'on me le reproche à moi, mais on le reproche à ma fonction. Je voudrais que ma fonction soit plus humaine. Ce n'est pas moi, parce que moi j'ai toujours eu des rapports directs et faciles avec ceux que je rencontre. Je voudrais que la fonction du Président de la République en France devienne une fonction plus humaine, traitée comme telle, et, en ce qui me concerne, naturellement assumée comme telle.
- Et enfin, je souhaiterais que ce septennat soit tourné vers l'avenir, que tout le monde le sente. Vous parliez tout à l'heure du problème de l'emploi : ce n'est pas en nous tournant vers le passé qu'on le résoudra, c'est en nous tournant vers l'avenir. Or, j'ai développé les capacités de la France : nous avons acquis notre indépendance énergétique, nous avons développé de grands secteurs d'avenir, des réussites nationales. Nous devons aller plus loin de façon à ce qu'on s'aperçoive que la France est un pays qui avance en direction de l'avenir et qui règle ses problèmes en avançant, au lieu de les régler en se tournant vers le passé.
- Et cela exprime aussi, permettez-moi de le dire, une ambition pour la France : je voudrais que ce septennat nouveau apparaisse comme un septennat de l'influence, de la grandeur, du rayonnement de mon pays, de notre pays, la France.
- E. MOUGEOTTE.- Monsieur GISCARD D'ESTAING, je vous remercie d'avoir répondu très franchement à des questions qui étaient et qui se voulaient très directes.\