2 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing à "France-Soir magazine", sur l'issue du deuxième tour des élections présidentielles, Paris, Palais de l'Élysée, samedi 2 mai 1981.

Question.- Avez-vous le sentiment que vous allez gagnez le 10 mai ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Je vais gagner parce que c'est vital pour la France. J'ai vu au-cours des dernières années des pays se défaire ou entrer dans les crises de confusion politique et sociale. Je vois bien que ce peut être le sort qui attend la France. C'est important pour elle : il faut tout faire pour gagner.
- QUESTION.- Le président du RPR, M. Jacques Chirac, a annoncé, dans des conditions qui comportaient quelques restrictions, qu'il apporterait son vote, mais il émet le voeu que vous teniez compte d'un certain nombre de préoccupations qu'il avait émises ou que les gaullistes émettent. Avez-vous l'intention de dire quelque chose pour répondre à leurs soucis ?
- LE PRESIDENT.- J'en tiendrai compte. Pour deux raisons. Je suis conscient que c'est une majorité qui doit gagner et que cette majorité comporte plusieurs familles, et notamment l'importance famille gaulliste qui foit garder sa personnalité et qui veut exprimer ses convictions. Ensuite, j'ai dit que cette campagne `campagne électorale` doit être utile, c'est-à-dire qu'elle doit mettre en relief certaines préoccupations des Français. Et la campagne, notamment celle de Jacques Chirac, a fait apparaître que les Françaises et les Français souhaitaient la libération du l'initiative et le développement de la vie économique sans entrave bureaucratique. Je partage cette conviction. Je l'ai dit dès le début du second tour.\
QUESTION.- Dans le camp de votre concurrent `François Mitterrand`, le problème est celui de ses -rapports avec le PC. Comment jugez-vous ces -rapports et la possibilité pour lui d'obtenir les voix qui se sont portées au premier tour sur M. Georges Marchais ?
- LE PRESIDENT.- Notre scrutin est majoritaire. La composition de l'électorat est donc décisive.
- M. Mitterrand a eu aux alentours de 26 % des voix. Il faudrait qu'il ait 50 %. Il ne le peut que s'il a toutes les voix communistes. Il serait donc dépendant de ces voix. Il le serait une deuxième fois lors des élections législatives qui se dérouleraient à la fin de juin ou au débout de juillet. Il serait donc amené à prendre des attitudes, à faire des propositions ou à prendre des décisions qui, naturellement, ne rejetteraient pas un électorat qui lui est nécessaire. Ce serait une situation du type de celle que nous avons connue en mai 1968.\
QUESTION.- Vous avez, monsieur le Président, proposé à votre concurrent `François Mitterrand` une rencontre, ou deux rencontres à la télévision. Il semble bien qu'il y ait des difficultés de son côté pour accepter ces deux rencontres. Il préférerait qu'il n'y en ait qu'une. Comment jugez-vous cette semi-réponse ?
- LE PRESIDENT.- C'est son problème, pas le mien. Je suis pour une conception moderne et simple de la vie démocratique. La démocratie est née, à l'origine, des débats sur la place publique, l'agora d'Athènes, où les concurrents venaient s'expliquer devant les citoyens de l'époque.
- Etant donné que nous en avons la possibilité matérielle avec la télévision, je ne vois pas au nom de quoi nous nous refuserions à cette explication devant les citoyens. J'ai dit deux débats pour deux raisons. La première, c'est qu'il ne faut pas simplifier à l'excès les problèmes. Or, si, en un seul débat d'une heure et demie - c'est la durée maximum pour ne pas lasser l'attention des auditeurs - nous devons parler de l'ensemble des problèmes économiques et sociaux, de la politique étrangère, de la politique de défense et de la situation politique, comme nous n'avons chacun que la moitié du temps, c'est-à-dire trois quarts d'heure, nous n'avons pas le temps nécessaire pour en parler correctement. En second lieu, si on ne fait qu'un débat, et je pense à mon adversaire (ce n'est plus mon concurrent, c'était mon concurrent au premier tour, plus au deuxième). Je pense à lui. Il peut penser que se faire juger ou prendre le risque d'un jugement sur un seul débat est peut-être un risque excessif.
- C'est pour ces deux raisons que j'estime que deux débats valent mieux q'un seul.
- QUESTION.- N'est-ce pas parce que vous pensez que vous êtes le meilleur à la télévision ?
- LE PRESIDENT.- Non, je crois que si nous ne faisons qu'un seul débat, vous verrez vous-même que les télespectateurs diront que c'était trop court. Il diront : "Nous n'avons pas été complètement renseignés".\
QUESTION.- Au premier tour, vous avez parlé des neuf "pleureuses" d'une façon peut-être un peu cruelle pour eux ou pour elles. Néanmoins, dans ce qu'ils ou elle ont dit, avez-vous le sentiment d'avoir quelque chose à retenir ?
- LE PRESIDENT.- Il y a deux choses qu'ils ont dites. D'abord j'ai dit "neuf pleureuses" pour mettre un peu de mouvement dans cette campagne `campagne électorale`... Vous remarquez qu'il n'y en a pas eu beaucoup... J'ai retenu deux choses et d'abord ce dont je parlais à propos de Jacques Chirac. C'est-à-dire que dans une partie importante de la population française il existe une aspiration à davantage de liberté économique. Ensuite, de la part de certains petits candidats, mais ce qu'ils ont dit a eu de l'écho, l'idée que les problèmes de l'aménagement de la vie, le cadre de vie, le rythme de vie, les conditions de l'existence quotidienne étaient également un sujet de préoccupation important des Français.\
QUESTION.- Monsieur le Président, puis-je vous demander, dès à présent, par quel geste ou quel acte vous souhaiteriez inaugurer votre second septennat ?
- LE PRESIDENT.- C'est trop tôt. Ce que je peux dire, si vous voulez, c'est que, matériellement, il y aura un geste pour symboliser le fait que ce septennat sera dédié à la jeunesse, un geste symbolique que je ferai en direction de la jeunesse.
- Pour le reste, il faut maintenant suivre la pratique républicaine. Je souhaite que le second septenat me permette d'avoir des -rapports plus simples et plus directs avec les Français et je poserai ce problèmes dès le début du septennat.\
QUESTION.- Dans cette campagne `campagne électorale`, vos proches, les membres de votre famille vous ont-ils bien aidé ?
- LE PRESIDENT.- Bien, de la manière la plus utile, la plus efficace. Et en-particulier Anne-Aymone qui m'a accompagné dans toutes mes réunions et qui, en dehors de mes réunions, a fait le tour des comités de soutien, dans les régions où je ne pouvais aller. Cette semaine, elle est allée sans moi dans le Finistère et dans les Côtes-du-Nord. Elle continuera dans les prochains jours. Elle attire dans ces réunions souvent plus de monde que les plus grands candidats eux-mêmes. Elle le fait avec la réserve et la simplicité qui sont les marques de son caractère.\
QUESTION.- Pourquoi avez-vous annoncé si tôt, monsieur le Président, que cette candidature sera la dernière. N'est-ce pas vous lier les mains ?
- LE PRESIDENT.- J'ai exprimé mon intention. Naturellement, on peut imaginer des circonstances nationales très graves... Si j'ai déclaré que je ne me représenterai plus, c'était pour montrer que je ne voulais pas donner à mon action un caractère personnel. Et que je souhaite donc dégager des perspectives où d'autres hommes doivent apparaître. Le président de la République, quelle que soit l'importance de sa fonction, est un catalyseur, un médiateur, il doit avoir présent à l'esprit que la vie politique est une course de relais, que d'autres devront venir et qu'il faut se préoccuper, dès à présent de cette arrivée, de ce relais par d'autres.
- QUESTION.- Vous avez l'intention de choisir et de former quelqu'un pour vous succéder ?
- LE PRESIDENT.- Sûrement pas "quelqu'un", c'est-à-dire un individu désigné par moi-même. Il n'y a pas de transmission de cette manière-là en France. Il y a eu des régimes politiques dans lesquels on désignait son successeur. Ce n'est plus le cas chez nous. Mais on doit préparer ou aider à se préparer ceux qui devront exercer des fonctions de ce type ou du moins y être candidats. Ce sont des fonctions extrêmement lourdes qui demandent une longue préparation. La raison de l'échec, je l'ai dit et je le répète sans méchanceté, du président Carter, qui n'en était d'ailleurs pas responsable, était son absence de préparation à la fonction. Le monde entier a pu l'observer.
- Il faut que le futur Président de la République française soit préparé, qu'il ait exercé une des deux ou trois fonctions importantes de l'Etat et ceci pendant suffisamment longtemps. Le Président de la République doit veiller à ce que ceux qui en ont les capacités, aient eu l'occasion d'acquérir cette pratique et cette expérience. C'est à quoi je veillerai.\