1 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing pour "Marie-Claire", sur sa politique en faveur des femmes, Paris, Palais de l'Élysée, mai 1981.

QUESTION.- Pensez-vous que si les femmes rentraient massivement à la maison, ce serait un bon moyen de résorber le taux de chômage féminin ?
- LE PRESIDENT.- Il ne faut sûrement pas chercher à réduire le chômage en empêchant de travailler les femmes qui le souhaitent.
-Je considère que le pouvoir politique n'a pas à imposer aux femmes un mode de vie uniforme, ni à décider pour elle de ce qu'elles doivent faire. Son rôle doit être de faciliter tous les choix et d'en garantir le libre exercice.
- En ce qui me concerne, j'ai souhaité à la fois aider les femmes qui travaillent, et permettre à celles qui le désirent de rester à leur foyer pour élever leurs enfants. C'est pourquoi, j'ai tenu au-cours de mon mandat, à proposer au Parlement un projet de loi renforçant l'égalité des hommes et des femmes dans le travail. J'ai souhaité également que des mesures soient prises pour concilier maternité et emploi, et pour assurer aux femmes une formation professionnelle adaptée. Parallèlement, le statut social de la mère de famille a été renforcé. Ainsi, les ressources des mères au foyer ont été augmentées grâce à la création de deux prestations familiales importantes : le comlètement familial en 1978 et le revenu minimum familial en 1981.\
QUESTION.- On dit que le travail à temps partiel permet de concilier vie professionnelle et vie familiale, pensez-vous que ce soit une formule idéale pour les femmes ?
- LE PRESIDENT.- Il est sûrement plus facile pour une mère de famille qui travaille à temps partiel, de concilier vie professionnelle et vie familiale, surtout lorsqu'elle a de jeunes enfants. Toutefois, il ne peut s'agir, là encore, d'imposer un choix, mais de le rendre possible.
- Ainsi ai-je tenu, par deux textes de loi concernant, l'un la fonction publique, l'autre les entreprises privées, à lever les obstacles au développement du temps partiel afin d'en faciliter l'accès aux femmes qui le souhaitent. C'est désormais chose faite, et il faut maintenant que les femmes puissent bénéficier de toutes ces possibilités.\
QUESTION.- Certains métiers restent interdits aux femmes ainsi que le travail de nuit. Souhaitez-vous que cela cesse ?
- Les femmes travaillent de nuit, dans certains cas heureusement limités. Mais s'il y a là un signe d'égalité, je ne crois pas que ce soit vraiment une marque de progrès social.
- Je suis, en revanche, convaincu que les femmes peuvent exercer les mêmes métiers que les hommes, pour la quasi-totalité des emplois. Notre société a sur ce point déjà beaucoup évolué et évoluera encore. Souvenez-vous des premières femmes conducteurs d'autobus, ou de la première femme commissaire de police. L'avenir verra tomber d'autres bastions.
- Le projet de loi, dont j'ai proposé au Parlement l'adoption, dispose qu'il ne doit y avoir aucune discrimination entre hommes et femmes, au sein des entreprises, pour l'embauche, les conditions de travail ou de déroulement de la carrière. Seules seront admises les exceptions justifiées par la -nature de l'emploi, par exemple sa pénibilité particulière.
- Les femmes, jusqu'ici cantonnées dans des activités tradionnelles, pourront ainsi accéder à des métiers nouveaux où leur personnalité et leur compétence pourront pleinement s'exprimer.\
QUESTION.- Etes-vous partisan de l'attribution d'un salaire maternel pour les femmes qui choisissent de rester chez elles pour élever leurs enfants ?
-LE PRESIDENT.- On constate que, à-partir de la naissance du troisième enfant, la plupart des mères de familles s'arrêtent de travailler. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu, au-cours de mon mandat, à aider, par priorité, les familles nombreuses.
- Deux mesures principales ont été prises : la création du complément familial auquel j'ai déjà fait allusion, et la revalorisation du pouvoir d'achat des allocations familiales, qui augmente de plus de 3 % par an, soit deux fois plus vite que le pouvoir d'achat des salaires. Je vous rappelle qu'au-cours des sept années précédentes, le pouvoir d'achat des prestations familiales n'avait pas augmenté.
- Pour illustrer l'importance de l'effort réalisé, je dirai que le minimum de prestations familiales perçu par une famille de trois enfants (sans tenir compte de l'allocation de logement ou des majorations pour âge) a été multiplié en moyenne par trois depuis le début du septennat, passant de 314 francs par mois (dans le cas d'une mère qui travaille) à 1165 francs en 1981, soit un gain moyen de pouvoir d'achat de l'ordre de 50 %.
- Enfin, je voudrais insister sur un point essentiel. En considérant l'ensemble des aides familiales, on peut dire qu'elles apportent aujourd'hui à une famille de trois enfants, de revenu moyen, un supplément de ressources de-l'ordre de 40 % alors qu'il n'était que de 30 % en 1974.\
QUESTION.- Etes-vous partisan d'une retraite anticipée pour les femmes ?
- LE PRESIDENT.- Au-cours de mon mandat, des mesures ont déjà été prises. Les mères de famille nombreuse qui ont exercé un métier ouvrier, peuvent bénéficier d'une retraite à taux plein, dès lors qu'elles ont cotisé pendant 24 annuités. Le même droit est ouvert à toutes les femmes, quelle que soit leur profession, qui justifient de 37 annuités et demi.
- Les mères de famille bénéficient d'une bonification gratuite de 2 annuités pour chaque enfant élevé. Enfin, j'ai tenu à élargir le droit à la retraite gratuite pour les mères de famille nombreuses ou celles qui élèvent un jeune enfant, lorsqu'elles restent au foyer.
- D'une manière générale, je suis favorable à l'assouplissement de l'âge de la retraite. Celle-ci ne doit plus tomber comme un couperet qui s'impose aux travailleurs en activité. Mais j'y suis favorable, tout autant pour les femmes que pour les hommes.\
QUESTION.- Etes-vous favorable à la pénalisation du viol telle qu'elle est conçue actuellement en France ?
- LE PRESIDENT.- Une nouvelle loi, réprimant plus sévèrement le viol et les attentats à la pudeur, a été adoptée à l'unanimité par le Parlement. Cette loi a couronné les efforts de Monique Pelletier, ministre chargé de la famille et de la condition féminine. L'application de ce texte permettra une meilleure protection des femmes, qui, bravant le tabou du silence, hésitent moins, aujourd'hui, à dénoncer les violences sexuelles dont elles sont victimes. Il y a là une évolution significative des comportements qui représente une victoire pour la dignité des femmes.
- QUESTION.- Pensez-vous que multiplier les centres d'accueil pour femmes battues soit nécessaire ?
- LE PRESIDENT.- Certainement. Ces centres sont encore en trop petit nombre. Souvent créés grâce à des initiatives privées et agréés par les pouvoirs publics, ils accueillent les femmes en situation de détresse et leur offrent la sécurité immédiate.
- QUESTION.- Etes-vous favorable à l'interdiction des films pornographiques ?
- Le cinéma pornographique, comme les revues ou les publicités du même type peuvent entraîner des comportements dégradants, dont la dignité des femmes ne peut qu'avoir à souffrir. Ce cinéma ne doit donc pas faire l'objet de publicité voyante et sa diffusion doit rester limitée.\
QUESTION.- Seriez-vous disposé à organiser une vaste campagne d'information sur les méthodes contraceptives ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas du tout persuadé que ce soit le meilleur moyen de faire connaître la contraception et ses méthodes. Je suis convaincu que l'information en ce domaine relève plus du dialogue entre la femme et son médecin, ou d'un contact personnel entre celui-ci et le couple qui le consulte.
- QUESTION.- Pensez-vous que l'iinformation contraceptive est nécessaire à l'école ?
- LE PRESIDENT.- C'est un problème qui concerne d'abord les parents. C'est à eux qu'il appartient d'apprécier comment l'école peut informer en cette matière.
- QUESTION.- Seriez-vous disposé à accorder des crédits pour accélérer la recherche publique sur la pilule pour hommes ?
- LE PRESIDENT.- N'imaginez surtout pas qu'une décision aussi précise relève du Président de la République. Les laboratoires de recherche prennent les décisions de recherches qu'ils estiment prioritaires.\
QUESTION.- Etes-vous favorable à la législation de l'avortement `IVG` ?
- LE PRESIDENT.- L'avortement de complaisance, non. C'est le sens de la loi préparée par Mme Veil et qui a été votée par le Parlement en 1975 puis confirmée en 1980. Il convient de veiller à l'application pleine et entière de cette loi. Il faut s'en tenir aux cas de nécessité.\
QUESTION.- Pensez-vous que l'allongement du congé-maternité à vingt-six semaines devrait s'appliquer à toutes les naissances et pas seulement à la troisième et aux suivantes ?
- LE PRESIDENT.- Dans le programme de Blois, il a été prévu d'étendre progressivement le congé-maternité à six mois. Naturellement, compte tenu du coût de la mesure, des étapes sont nécessaires. La première a été réalisée en faveur des familles nombreuses parce qu'elles ont, lors de la naissance d'un nouvel enfant, un surcroît de fatigue et de difficultés. Pour l'avenir, le bénéfice de cette mesure devra être étendu à toutes les mères, le gouvernement s'y est engagé.
- QUESTION.- Comptez-vous mettre en place davantage de services et d'équipements collectifs pour l'accueil de la petite enfance ?
- LE PRESIDENT.- En quatre ans, le nombre des crèches a doublé. Les caisses d'allocations familiales prennent désormais à leur charge les cotisations sociales dues par les parents qui font appel à une nourrice. Pour l'avenir, c'est l'un des domaines que je souhaite le plus développer, en recourant notamment à des modes de garde souples : crèches familiales, par exemple.
- QUESTION.- Accepteriez-vous d'étendre au père le droit au congé pour soigner un enfant malade ?
- LE PRESIDENT.- La question que vous posez relève davantage de la convention que de la réglementation. C'est une mesure difficilement concevable sous forme générale. Une règle de ce type risquerait de désorganiser le travail. Il faut chercher les solutions qui permettent au père de se substituer à la mère dans certains cas. Vous savez que le père peut déjà bénéficier du congé parental d'éducation de deux ans.\
QUESTION.- Etes-vous pour un service national obligatoire pour les femmes ?
- LE PRESIDENT.- L'intégration des femmes dans les armées a été instaurée en 1972 sous la forme d'un service national féminin pour les jeunes filles ou jeunes femmes volontaires. C'est une expérience dont les résultats sont encourageants. Si les femmes veulent faire carrière dans les armées à l'issue de leur service, pourquoi pas ? Mais je ne crois pas qu'il faille aller jusqu'à un service obligatoire.
- QUESTION.- Souhaiteriez-vous que les femmes ne soient plus exclues des unités de combat ?
- LE PRESIDENT.- Certes l'on connaît des exemples féminins d'héroisme, tel que celui de Valérie André se distinguant aux commandes de son hélicoptère. Mais il faut rappeler que la résistance physique est le seul critère de sélection pour participer à une unité de combat.\
QUESTION.- Pour intégrer davantage les femmes dans la vie professionnelle et politique, êtes-vous pour un système de quotas ?
- LE PRESIDENT.- Le système des quotas n'est pas un bon système en soi. Mais ce peut être une étape nécessaire pour rattraper les retards. Ainsi le gouvernement a-t-il proposé au Parlement le vote d'une loi imposant 20 % au moins de candidates-femmes pour les élections municipales de communes importantes (plus de 9000 habitantsab.).
- En ce qui concerne la fonction publique, j'ai donné des instructions pour que, à qualités égales, des femmes soient nommées en plus grand nombre à des postes de responsabilité. Il reste, c'est certain, des progrès à faire.
- QUESTION.- Prendrez-vous une femme comme premier ministre ?
- LE PRESIDENT.- Pourquoi pas ? En ce domaine, comme ailleurs, la compétence et l'autorité sont les seuls critères dont il faille tenir compte. Je vous rappelle que j'ai fait participer au gouvernement des femmes éminentes notamment Françoise Giroud, Nicole Pasquier, Monique Pelletier, Alice Saunier-Seité, Simone Veil.\
QUESTION.- Etes-vous pour le maintien du ministère à la Condition féminine ?
- LE PRESIDENT.- Oui, tant qu'il apparaîtra nécessaire de remédier aux discriminations que peuvent subir les femmes et d'appeler l'attention des autres administrations sur leur situation spécifique.
- QUESTION.- Etes-vous féministe ?
- LE PRESIDENT.- On le dit. J'espère avoir réussi, au-cours de mon mandat, à favoriser la promotion de la cause des femmes.
- QUESTION.- Etes-vous favorable à la promulgation d'une loi antisexiste ?
- LE PRESIDENT.- Elle existe déjà sous une forme qui respecte la tradition française en-matière de droit pénal. La discrimination "sexiste" est condamnée dans chacune des situations où elle est susceptible de se présenter. Par exemple dans le domaine du travail, dans celui de l'exécution des décisions publiques, en-matière de refus de vente ou de prestation de services de particulier à particulier. Ainsi, le refus de location d'un appartement à une mère célibataire est puni par la loi.\