1 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing accordée au mensuel de la création d'entreprises "Créez !", Paris, mai 1981.

Créez ! : La situation économique de la France se trouve être au coeur des préoccupations du temps, la crise mondiale est une réalité, chaque pays a ses forces et ses faiblesses dans la compétition internationale. En ce qui concerne notre pays, quel est votre sentiment ?
M. Valéry Giscard d'Estaing : Comment la France aurait-elle pu échapper aux difficultés économiques qui assaillent le monde ? Dans tous les pays, la hausse des prix s'est accélérée, la croissance s'est ralentie, l'emploi s'est détérioré.
Pour apprécier objectivement la situation économique de la France, il ne faut pas, comme certains ont tendance à le faire, se fonder sur les résultats économiques en faisant complètement abstraction de ce qui se passe dans le monde. Le seul jugement objectif est celui qui repose en premier lieu sur une comparaison entre la situation de la France et celle des grands pays industrialisés, et qui tient compte des "séismes" économiques que le monde tonnait depuis bientôt dix ans : la crise du système monétaire international, la vague d'inflation, le quadruplement puis, à nouveau, le doublement du prix du pétrole, le durcissement brutal de la concurrence internationale.
On peut alors constater que les performances économiques et sociales réalisées en France au cours des dernières années sont plus qu'honorables : qu'il s'agisse de la croissance, des revenus, des exportations, de l'indépendance énergétique ou des créations d'emploi, la France occupe presque partout le premier ou le second rang dans le monde. Les étrangers le savent parfaitement, qui sont bien souvent surpris des jugements que certains hommes politiques portent sur la situation et les capacités de leur propre pays.
La France a d'excellents atouts : ses hommes, ses institutions, ses techniques, ses industries, son espace, sa situation géologique. Il faut utiliser à plein ces atouts. Nous l'avons fait dans le passé. Nous pouvons encore le faire, à condition de ne pas nous laisser diviser par des querelles artificielles et stériles, et de ne pas perdre notre énergie dans de dangereuses aventures politiques et économiques.
Créez ! : un des problèmes majeurs de l'investissement nécessaire au développement de la compétitivité des entreprises, c'est le financement. Comment aider ce dernier ?
L'aide de l'État est indispensable, mais l'autofinancement aussi. Comment le développer, alors que les charges pesant sur les entreprises sont déjà jugées excessives.
M. Valéry Giscard d'Estaing : Vous avez parfaitement raison de dire que le financement est un des problèmes majeurs de l'investissement.
Mais ce n'est pas le seul. Pour investir, il faut aussi une situation financière saine, des possibilités de débouchés et des capacités de production pleinement utilisées.
Certains répètent inlassablement investissement, investissement, investissement. Encore faut-il éviter d'investir n'importe où et n'importe comment.
La politique économique de ces dernières années s'est refusée à toute relance massive et aveugle de l'investissement. Elle s'est employée en revanche à créer les conditions favorables au développement de l'investissement par la maîtrise des coûts de production, la stabilisation des charges sociales pesant sur les entreprises, la stabilité de la monnaie, la libération des prix et l'orientation de l'épargne vers l'industrie, pour ne citer que les principales actions entreprises.
Il est cependant nécessaire, dans la situation économique actuelle, que l'État apporte une aide au financement des investissements productifs. Il n'a jamais cessé de le faire. Deux séries de décisions récentes montrent que je suis déterminé à poursuivre dans cette voie : l'aide fiscale à investissement qui a été instituée pour toute la durée du VIIIe plan, ainsi que le programme en faveur de l'investissement que j'ai rendu public mercredi dernier.
Dans tous le pays, l'investissement productif est la clé du développement présent et futur. La France se donne les moyens d'un effort exceptionnel dans ce domaine.
Créez ! : Dans la définition générale du tissu économique, quelle place doit-on faire à la petite entreprise et à la création d'entreprise ?
M. Valéry Giscard d'Estaing : La petite entreprise joue un rôle essentiel dans les économies avancées qui, sans elle, ne pourraient poursuivre leur développement Elle est souvent un moyen particulièrement efficace permettant de faire passer du stade du laboratoire à la mise sur le marché des techniques, des procédés ou des produits nouveaux et originaux. L'exemple du développement des microprocesseurs ou de la biotechnologie aux États-unis, pays connu pour ses grandes entreprises, témoigne de ce rôle essentiel de la petite entreprise.
Elle est également un élément indispensable du bon fonctionnement de l'économie de marché. La petite entreprise stimule la concurrence. Elle est capable de réagir rapidement et efficacement aux modifications de la demande grâce à la souplesse de ses structures et à l'esprit d'initiative de ses dirigeants.
Elle est enfin la source principale de création d'emplois dans nos économies. Ces emplois sont d'ailleurs souvent très appréciés, car ils permettent à leurs détenteurs d'être mieux associés au devenir de l'entreprise et d'accomplir des taches plus enrichissantes que dans nombre de grandes entreprises.
Ces raisons expliquent l'importance accordée par les Pouvoirs Publics, au cours de ces dernières années, à la création d'entreprises. Une des priorités du gouvernement a été de mettre en place un ensemble de mesures destinées à faciliter le financement, la constitution juridique et le développement technologique des nouvelles entreprises. Ces efforts portent leurs fruits et permettent d'obtenir un accroissement important du nombre d'entreprises créées.
Créez ! : Quelles sont les mesures à prendre en priorité, selon vous, en ce qui concerne les PME-PMI ?
M. Valéry Giscard d'Estaing : Au cours de ces dernières années, nous avons mené une politique générale en faveur de PME-PMI dont les objectifs étaient clairs :
Il fallait d'abord améliorer l'environnement administratif, juridique et social de l'entreprise.
Un effort très important de simplification des relations entre l'Administration et l'entreprise a été engagé. Parmi les nombreuses mesures adoptées figurent notamment la création de Centres de Formalités Administratives, auprès des Chambres de Commerce et d'Industrie et des Chambres des Métiers, et l'instauration de guichets d'accueil dans les Préfectures.
Le projet de loi, en cours d'examen à l'Assemblée nationale, destiné à créer un véritable statut pour la Société à Responsabilité Limitée Familiale, apportera, avec les différentes mesures fiscales déjà adoptées, une amélioration sensible des conditions de fonctionnement des PME.
Enfin, sur le plan social, les mesures prises pour faciliter l'embauche dans les petites et moyennes entreprises et pour les atténuer les effets de seuil dans les différents pactes pour l'emploi, ont permis aux petites et moyennes entreprises de surmonter certains handicaps qu'elles rencontraient.
Il fallait ensuite faciliter le financement des petites et moyennes entreprises.
La création du Crédit d'Équipement pour les Petites et Moyennes Entreprises (CEPME) et la mise en place du Comité Interministériel pour le Développement des Investissements et le Soutien de l'Emploi (CIDISE) ont permis aux petites et moyennes entreprises de bénéficier désormais d'un accès autonome à des financements privilégiés pour leur développement.
Ces efforts ont complété la mise en place d'un dispositif fiscal très complet destiné à faciliter la constitution de fonds propres, notamment pendant les premières années d'existence de l'entreprise.
Cette action sera poursuivie, en particulier pour résoudre le problème du financement des entreprises innovatrices qui connaissent un fort développement au moment où leurs produits rencontrent un grand succès sur le marché, afin que leur croissance ne soit pas obérée par des contraintes financières.
Il fallait enfin encourager la transmission d'entreprises.
L'expérience montre qu'une partie des défaillances d'entreprises sont liées à des problèmes de transmission. Ceux-ci proviennent pour l'essentiel d'une absence de préparation de ces opérations, souvent difficiles pour l'entreprise, et qui doit être menée longtemps à l'avance et avec soin.
Il existe également certains obstacles réglementaires ou fiscaux. Le gouvernement a pris en 1980 une série de mesures qui devrait améliorer notablement la situation de ce point de vue. Néanmoins il faudra aller plus loin et faciliter la mobilité du capital des entreprises en procédant, notamment, à un réexamen de l'ensemble des droits de mutation.
Nous pouvons maintenant prévoir trois actions prioritaires et je m'engage à les mettre en ¿uvre :
- Il faut libérer les entreprises des papiers et des formulaires. A partir du 1er janvier 1984, les entreprises françaises remettront à un interlocuteur administratif unique, une fois par an, un seul document ans lequel seront consignées les informations essentielles concernant chaque entreprise. Ce document sera valable pour toutes les administrations. Il appartiendra ensuite à l'administration de répartir elle-même l'information en son sein.
- Il faut organiser un accès plus large au crédit pour les petites et moyennes entreprises. Leurs difficultés de financement tiennent à la faiblesse de leurs fonds propres et à l'impossibilité d'offrir des garanties.
Pour y remédier, et cela avant le 30 juin 1982, la procédure des prêts participatifs, assimilables à des fonds propres, sera élargie à toutes les petites entreprises en croissance. La procédure sera décentralisée. Aucune sûreté ne sera demandée pour ces prêts, ni à l'entreprise, ni au chef d'entreprise. En outre, le cautionnement mutuel sera rénové et renforcé, son organisation professionnelle étant rigoureusement respectée.
- Il faut simplifier radicalement toutes les procédures d'aide de l'État.
Au cours des dernières années, des aides adaptées ont été mises en place pour soutenir les petites et moyennes entreprises dans les domaines de l'innovation, de la recherche, de l'exportation, de l'investissement et de l'emploi. Chacune de ces aides est efficace mais l'ensemble en est trop complexe.
Avant le 31 décembre 1982, ces différentes aides devront être regroupées au sein de chaque ministère, et leur nombre total sera divisé en deux. Le Crédit Équipement des Petites et Moyennes Entreprises et les établissements bancaires seront invités à servir d'intermédiaire entre État et l'entreprise. Chaque fois que possible, l'aide sera remplacée par une diminution des impositions et charges de l'entreprise.
Par ces trois actions réalistes et radicales, nous aiderons efficacement les petites et moyennes entreprises.
Créez ! : La politique d'aide à la création exclut en fait le créateur, alors que l'homme investit sa vie, il se trouve seul devant les administrations et le dédale des lois. En Allemagne par exemple, la formation est prise en charge, tout ou partie, par les finances publiques, n'est-ce pas un exemple à étudier ?
M. Valéry Giscard d'Estaing : Il ne me parait pas exact d'affirmer que le créateur d'entreprise se trouve seul devant les administrations et dans le dédale des lois de notre pays.
Les Pouvoirs Publics ont pris conscience des difficultés de création. Ils ont mis en place plusieurs institutions destinées à faciliter les démarches des entreprises :
En premier lieu nous avons ouvert l'Agence Nationale pour la Création d'Entreprises, qui a pour vocation d'informer, de conseiller et de guider le créateur d'entreprise dans l'élaboration et la réalisation de son projet.
En second lieu, ont été mis en place, dans chaque préfecture, des guichets d'accueil où le créateur peut se renseigner sur les aides existantes et accomplir l'ensemble des démarches nécessaires pour obtenir ces aides.
En troisième lieu, vont être progressivement installés auprès des Chambres de Commerce et d'Industrie et des Chambres des Métiers, des Centres de formalités qui faciliteront la réalisation des démarches juridiques et sociales.
C'est ainsi que des grandes écoles et des universités ont créé des filières de formation à la création d'entreprise. De nombreux organismes régionaux ont mis en place des cours pour les créateurs d'entreprises, et les organismes de formation permanente ont pris des initiatives allant dans le même sens.
Vous avez raison de souligner l'importance de l'exemple allemand. Nous devons en effet nous en inspirer.
Créez ! : Quelles mesures prioritaires prendrez-vous pour que se développe la création d'entreprises en France ?
M. Valéry Giscard d'Estaing : Au cours de ces dernières années, le gouvernement a mené, avec constance et détermination, une politique générale d'appui à la création d'entreprise. Cette politique comporte de nombreuses mesures dont il importe d'attendre les résultats avant de se lancer dans l'élaboration de nouvelles procédures, sous peine de compliquer la tâche de créateurs.
Les résultats obtenus en 1979 et en 1980 montrent que nous sommes déjà sur la bonne voie. Nous pouvons maintenant, je crois, prendre un engagement pour alléger les charges et les obligations des entreprises nouvelles.
Ainsi, les entreprises nouvelles ayant des activités de fabrication, qu'il s'agisse d'entreprises artisanales ou industrielles, seront exonérées pendant 3 ans de l'impôt sur les revenus industriels et commerciaux, de la taxe professionnelle rénovée ainsi que de certaines charges sociales (en particulier, le 1 % logement et la taxe sur les transports).
Au delà des 3 ans d'exonération, ces impositions seront atténuées pendant les 2 années suivantes : les entreprises seront imposées à hauteur du tiers la quatrième année et les deux tiers la cinquième année.