28 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing pour "Le Nouvel Observateur", notamment sur l'importance de la fiscalité directe, des charges sociales et le financement des PME, Paris, mardi 28 avril 1981.

Parmi les aspirations des Français qui se sont manifestées au premier tour, figure la réduction du poids des prélèvements obligatoires. Vous-même avez annoncé que, dès lors que la somme des prélèvements obligatoires dépassait 40 % de la PIB, nous entrions dans un système de type socialiste. Nous sommes maintenant à 42 % Comment peut-on revenir en arrière ?
Au cours des dernières années, le poids des prélèvements obligatoires sur l'économie s'est en effet accru. Il faut cependant préciser que cet accroissement n'est pas le fait des impôts de l'état. Il s'explique pour l'essentiel par l'évolution des dépenses sociales dont l'élévation rapide a dû être financée par des relèvements de cotisations sociales.
Les dépenses sociales se sont accrues pour deux raisons :
- la première est qu'il était nécessaire de corriger des injustices sociales - je pense notamment aux personnes âgées - qui étaient inacceptables dans une société comme la nôtre £
- la seconde est que la détérioration de la situation économique internationale a provoqué une forte augmentation de certaines prestations - je pense par exemple aux indemnités de chômage.
L'objectif que nous devons nous fixer désormais est de stabiliser d'abord, puis de réduire le poids des prélèvements obligatoires. Cet objectif s'impose si l'on veut éviter de décourager l'initiative, comme c'est déjà le cas dans certains pays voisins, et si l'on veut réduire l'emprise de l'État et de la bureaucratie. C'est une nécessité pour les entreprises et, plus particulièrement, pour les PME. Aussi, dès que le chômage commencera à être résorbé, nous devrons pouvoir réduire les charges obligatoires.
Je fais observer que, depuis plus de deux ans, le poids des charges sociales et fiscales sur les entreprises est resté stable. Il a même diminué si l'on tient compte des mesures fiscales d'incitation à l'investissement et à la recherche-développement qui ont été prises en faveur des entreprises.
Pour poursuivre dans cette voie, il faudra accentuer l'effort engagé au cours de ces dernières années pour freiner les dépenses de l'état et pour maîtriser l'évolution des dépenses sociales et, en particulier, des dépenses de santé. Cela est possible, sans compromettre la qualité et le fonctionnement des services publics et en assurant la protection sociale des Français.
Telle est l'action que je poursuivrai fermement sur cette question, qui est aujourd'hui primordiale, du poids des prélèvements obligatoires.
Certes, comme vous venez de le rappeler, les prélèvements de l'État ont été maintenus autour de 18 %, mais les prélèvements sociaux, eux, ont progressé considérablement. Sans remettre en question les progrès de ces dernières années (minimum vieillesse, amélioration des prestations familiales, indemnisation de chômage), ne peut-on infléchir les évolutions afin de redescendre en dessous de ce seuil des 40 % ?
J'affirme de la manière la plus nette que je ne chercherai pas à réduire le poids des prélèvements obligatoires par une politique qui entraînerait une régression sociale. En dépit des progrès importants et d'ailleurs incontestés qui ont été réalisés durant ces dernières années en matière de réduction des inégalités, la France ne peut pas remettre en cause les grands programmes sociaux, ni envisager de réduire la protection sociale.
Le mouvement de limitation des dépenses publiques et des dépenses sociales doit résulter d'une amélioration de l'efficacité des administrations et des organismes sociaux. Sait-on que le ralentissement très sensible des dépenses de santé que l'on observe depuis plus d'un an et demi a été obtenu sans porter la moindre atteinte à la protection des Français contre la maladie ? Il résulte d'une amélioration générale de la gestion de notre système de santé.
De nouveaux progrès pourront être réalisés dans ce domaine, qui permettront de réduire encore plus sensiblement les dépenses publiques. Je m'attacherai à les mettre en ¿uvre de façon systématique.
En particulier, ne faut-il pas renforcer les actions qui ont été menées en direction des petites et moyennes entreprises ? Comment faire disparaître les conséquences néfastes de ces fameux effets de seuil sans tomber dans la régression sociale ? Comment simplifier la vie des entrepreneurs petits et moyens ?
Remarquons d'abord qu'un effort important de simplification des relations entre l'administration et l'entreprise a déjà été engagé. Parmi les mesures adoptées figurent notamment la création de centres de formalités administratives, auprès des chambres de commerce et d'industrie et des chambres des métiers, et l'instauration de guichets d'accueil dans les préfectures.
Vous savez aussi que le projet de loi, en cours d'examen à l'Assemblée nationale, destiné à créer un véritable statut pour la société à responsabilité limitée familiale, apportera, avec les différentes mesures fiscales déjà adoptés, une amélioration sensible des conditions de fonctionnement des PME.
Faut-il renforcer les actions qui ont été engagées en faveur des petites et moyennes entreprises ? Sans aucun doute.
Prenons le problème du financement.
La création du Crédit d'équipement pour les petites et moyennes entreprises (CEPME) et la mise en place du Comité interministériel pour le développement des investissements et le soutien de l'emploi (CIDISE) permettront aux petites et moyennes entreprises de bénéficier désormais d'un accès autonome à des financements privilégiés pour leur développement.
Ces efforts ont complété la mise en place d'un dispositif fiscal très complet destiné à faciliter la constitution de fonds propres, notamment pendant les premières années d'existence de l'entreprise.
Cette action sera poursuivie, en particulier pour résoudre le problème du financement des entreprises innovatrices. Quand leurs produits rencontrent un grand succès sur le marché, la croissance de ces entreprises ne doit pas être freinée par des contraintes financières.
Enfin, pour reprendre le second point de notre question, les mesures prises pour faciliter l'embauche dans les petites et moyennes entreprises et pour atténuer notamment les effets de seuil dans les différents pactes pour l'emploi doivent permettre aux petites et moyennes entreprises de surmonter certains handicaps.
Nous pouvons prévoir pour l'avenir trois actions prioritaires, que je m'engage à mettre en ¿uvre :
1. - Il faut libérer les entreprises des papiers et des formulaires. A partir du 1er janvier 1984, les entreprises françaises remettront à un interlocuteur administratif unique, une fois par an, un seul document, dans lequel seront consignées les informations essentielles concernant chaque entreprise. Ce document sera valable pour toutes les administrations. Il appartiendra ensuite à l'administration de répartir elle-même l'information en son sein.
2. - Il faut organiser un accès plus large au crédit pour les petites et moyennes entreprises. Leurs difficultés de financement tiennent à la faiblesse de leurs fonds propres et à l'impossibilité d'offrir des garanties.
Pour y remédier, et cela avant le 30 juin 1982, la procédure des prêts participatifs, assimilables à des fonds propres, sera élargie à toutes les petites entreprises en croissance. La procédure sera décentralisée. Aucune sûreté ne sera demandée pour ces prêts, ni à l'entreprise ni au chef d'entreprise. En outre, le cautionnement mutuel sera rénové et renforcé, son organisation professionnelle étant rigoureusement respectée.
3. - Il faut, enfin, simplifier radicalement toutes les procédures d'aide de l'état. Au cours des dernières années, des aides adaptées ont été mises en place pour soutenir les petites et moyennes entreprises dans les domaines de l'innovation, de la recherche, de l'exportation, de l'investissement et de l'emploi. Chacune de ces aides est efficace, mais l'ensemble est trop complexe. Avant le 31 décembre 1982, ces différentes aides devront être regroupées. Le Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises et les établissements bancaires seront invités à servir d'intermédiaires entre l'état et l'entreprise. Chaque fois que possible, l'aide sera remplacée par une diminution des impositions et des charges de l'entreprise. Par ces trois actions, réalistes et radicales, nous aiderons efficacement les petites et moyennes entreprises.